Saturday 30 October 2021

“Sublimis Deus” by Pope Paul III (translated into English)

To all faithful Christians to whom this writing may come, health in Christ our Lord and the apostolic benediction.

 

The sublime God so loved the human race that He created man in such wise that he might participate, not only in the good that other creatures enjoy, but endowed him with capacity to attain to the inaccessible and invisible Supreme Good and behold it face to face; and since man, according to the testimony of the sacred scriptures, has been created to enjoy eternal life and happiness, which none may obtain save through faith in our Lord Jesus Christ, it is necessary that he should possess the nature and faculties enabling him to receive that faith; and that whoever is thus endowed should be capable of receiving that same faith. Nor is it credible that any one should possess so little understanding as to desire the faith and yet be destitute of the most necessary faculty to enable him to receive it. Hence Christ, who is the Truth itself, that has never failed and can never fail, said to the preachers of the faith whom He chose for that office ‘Go ye and teach all nations.’ He said all, without exception, for all are capable of receiving the doctrines of the faith.

The enemy of the human race, who opposes all good deeds in order to bring men to destruction, beholding and envying this, invented a means never before heard of, by which he might hinder the preaching of God’s word of Salvation to the people: he inspired his satellites who, to please him, have not hesitated to publish abroad that the Indians of the West and the South, and other people of whom We have recent knowledge should be treated as dumb brutes created for our service, pretending that they are incapable of receiving the Catholic Faith.

We, who, though unworthy, exercise on earth the power of our Lord and seek with all our might to bring those sheep of His flock who are outside into the fold committed to our charge, consider, however, that the Indians are truly men and that they are not only capable of understanding the Catholic Faith but, according to our information, they desire exceedingly to receive it. Desiring to provide ample remedy for these evils, We define and declare by these Our letters, or by any translation thereof signed by any notary public and sealed with the seal of any ecclesiastical dignitary, to which the same credit shall be given as to the originals, that, notwithstanding whatever may have been or may be said to the contrary, the said Indians and all other people who may later be discovered by Christians, are by no means to be deprived of their liberty or the possession of their property, even though they be outside the faith of Jesus Christ; and that they may and should, freely and legitimately, enjoy their liberty and the possession of their property; nor should they be in any way enslaved; should the contrary happen, it shall be null and have no effect.

By virtue of Our apostolic authority We define and declare by these present letters, or by any translation thereof signed by any notary public and sealed with the seal of any ecclesiastical dignitary, which shall thus command the same obedience as the originals, that the said Indians and other peoples should be converted to the faith of Jesus Christ by preaching the word of God and by the example of good and holy living.

 

Rome, May 29, 1537.

Friday 29 October 2021

Friday's Sung Word: "Habeas Corpus" by Noel Rosa and Orestes Barbosa (in Portuguese)

No tribunal da minha consciência
O teu crime não tem apelação
Debalde tu alegas inocência
Mas não terás minha absolvição

Os autos do processo da agonia
Que me causaste em troca ao bem que fiz
Correram lá naquela pretoria
Na qual o coração foi o juiz

Tu tens as agravantes da surpresa
(E) Também as da premeditação
Mas na minh'alma tu não ficas presa
Porque o teu caso é caso de expulsão

Tu vais ser deportada do meu peito
Porque teu crime encheu-me de pavor
Talvez o habeas-corpus da saudade
Consinta o teu regresso ao meu amor

 

You can listen "Habeas Corpus" sung by Caola here.

Thursday 28 October 2021

Thursday's Serial: “Sous le Soleil de Satan” by George Bernanos (in French) - II

Chapitre III

— C’est moi, dit-elle.

Il se leva d’un bond, stupéfait. Un cri de tendresse, un mot de reproche eût sans doute fait éclater sa colère. Mais il la vit toute droite et toute simple, sur le seuil de la porte, en apparence à peine émue. Derrière elle, sur le gravier, remuait son ombre légère. Et il reconnut tout de suite le regard sérieux, imperturbable qu’il aimait tant, et cette autre petite lueur aussi, insaisissable, au fond des prunelles pailletées. Ils se reconnurent tous les deux.

— Après la visite du papa, la foudre suspendue sur ma tête — à une heure du matin chez moi — tu mériterais d’être battue !

— Dieu ! que je suis fatiguée ! fit-elle. Il y a une ornière dans l’avenue ; je suis tombée deux fois dedans. Je suis mouillée jusqu’aux genoux… Donne-moi à boire, veux-tu ?

Jusqu’alors, une parfaite intimité, et même quelque chose de plus, n’avait rien changé au ton habituel de leur conversation. « Monsieur », disait-elle encore. Et parfois « monsieur le marquis ». Mais cette nuit elle le tutoyait pour la première fois.

— On ne peut pas nier, s’écria-t-il joyeusement, tu as de l’audace.

Elle prit gravement le verre tendu et s’efforça de le porter à sa bouche sans trembler, mais ses petites dents grincèrent sur le cristal, et ses paupières battirent sans pouvoir retenir une larme qui glissa jusqu’à son menton.

— Ouf ! conclut-elle. Tu vois, j’ai la gorge serrée d’avoir pleuré. J’ai pleuré deux heures sur mon lit. J’étais folle. Ils auraient fini par me tuer, tu sais… Ah ! oui, de jolis parents i j’ai là ! Ils ne me reverront jamais.

— Jamais ? s’écria-t-il, ne dis pas de bêtises, Mouchette (c’était son nom d’amitié). On ne laisse pas les filles courir à travers les champs, comme un perdreau de la Saint-Jean. Le premier garde venu te rapportera dans sa gibecière.

— Pensez-vous ? dit-elle. J’ai de l’argent. Qu’est-ce qui m’empêche de prendre demain soir le train de Paris, par exemple ? Ma tante Eglé habite Montrouge, une belle maison, avec une épicerie. Je travaillerai. Je serai très heureuse.

— Petite sotte, es-tu majeure, oui ou non ?

— Ça viendra, répondit-elle, imperturbable. Il n’est que d’attendre.

Elle détourna les yeux un moment, puis, levant sur le marquis un regard tranquille :

— Gardez-moi ? fit-elle.

— Te garder, par exemple ! s’écria-t-il en marchant de long en large pour mieux cacher son embarras. Te garder ? Tu ne doutes de rien. Où te garder ? Crois-tu que je dispose ici d’une oubliette à jolies filles ? On ne voit ça que dans les romans, finaude ! Avant demain soir ils nous seront tombés sur le dos, tous, ton père avec les gendarmes, la moitié du village, fourche en main… Jusqu’au député Gallet, médecin du diable, ce grand dépendeur d’andouilles !

Elle éclata de rire, en battant des mains ; puis s’arrêtant brusquement, tout à coup sérieuse, elle remarqua d’une voix douce :

— Ah oui ! M. Gallet ? Je devais aller le trouver demain, avec papa. Une idée à lui.

— Une idée à lui ! Une idée à lui ! Comme elle dit ça ! Je l’ai répété cent fois, Mouchette ; je ne suis pas un méchant homme, je sais mon tort. Mais nom d’un chien de nom d’un chien ! Je n’ai plus le sou. En vendant ici jusqu’à la dernière barrique, il me restera de quoi ne pas crever de faim, une misère ! J’ai des parents riches, oui, ma tante Arnoult, d’abord, mais solide à soixante ans comme un fonds de basane, riche comme une pierre à fusil, une femme à m’enterrer… J’ai déjà trop d’aventures. Il faut jouer serré, cette fois, Mouchette ; et d’abord gagner du temps.

— Oh ! fit-elle, que c’est joli !… Dieu que c’est joli !

Elle lui tournait le dos, caressant des deux mains une petite commode Louis XV de laque à pagodes, ornée de bronzes dorés. Du bout des doigts, elle traçait des signes mystérieux, dans la poussière, sur le marbre de brèche violette.

— Laisse la commode tranquille, dit-il. De ces vieilleries-là, j’ai le grenier plein. Tu pourrais peut-être me faire l’honneur de me répondre ?

— Répondre quoi ?

Et elle le regardait en face, du même regard paisible.

— Répondre quoi !… commença-t-il. Mais il ne put s’empêcher de détourner les yeux.

— Ne plaisantons pas, ma fille, et mettons les points sur les i. D’ailleurs, je ne veux pas me fâcher. Tu dois comprendre que nous sommes intéressés tous les deux à laisser passer l’orage. Puis-je te conduire demain à la mairie, oui ou non ? Alors ? Tu ne prétends pas, j’imagine, rester ici à la barbe du papa ? Ma foi, nous en verrions de belles ! Il est une heure et demie, conclut-il en tirant sa montre ; je m’en vas atteler Bob, et te mener grand train jusqu’au chemin des Gardes. Tu seras rentrée chez toi avant le jour. Ni vu ni connu. Et tu opposeras demain à Malorthy un front d’airain. Quand le moment sera venu nous aviserons. C’est promis. Allons ! ouste !

— Oh ! non, fit-elle. Je ne retournerai pas à Campagne ce soir.

— Où coucheras-tu, tête de bois ?

— Ici. Sur la route. N’importe où. Qu’est-ce que ça me fait ?

Cette fois il perdit patience, et commença de jurer à tort et à travers, mais vainement. Ainsi la tarasque grogne et grince au bout de la laisse de mousse.

Em un prim seden de moupo

L’embourgino, l’adus que broupo…

— Je suis bien bon d’espérer convaincre une entêtée. Va donc, si tu veux, coucher avec les alouettes. Est-ce ma faute après tout ? J’aurais pu faire mieux, mais il fallait me laisser le temps ; un mois de plus, la vieille boîte était vendue, j’étais libre. Aujourd’hui ton père tombe chez moi comme une bombe, et me menace du gendarme ; bref, un scandale des mille diables. Demain, j’aurais tout le canton sur les bras ; il ne faut que cette vieille chouette pour rassembler cent corbeaux. Et pourquoi ? À qui la faute ? Parce qu’une petite fille qui fait aujourd’hui l’entêtée a pris peur, et nous a livrés pieds et poings liés, advienne que pourra ! On a dit tout à papa, comme à confesse… et puis, débrouille-toi, mon ami ! Je ne te reproche rien, ma belle, mais tout de même !… Allons ! Allons ! ne pleure plus, ne pleure pas.

Elle appuyait son front sur la vitre et pleurait sans bruit. Et, croyant l’avoir convaincue, il lui semblait déjà moins difficile de s’apitoyer et de la plaindre. Car il est naturel à l’homme de haïr sa propre souffrance dans la souffrance d’autrui.

Il essaya de tourner vers lui la petite tête obstinée ; il pressait des deux mains la nuque blonde.

— Pourquoi pleures-tu ? Je ne pensais pas un mot de ce que je disais… Après tout, je vois ça d’ici : le papa Malorthy et son grand air de conseiller général, un jour de comice… « Répondez-moi, malheureuse !… Dites la vérité à votre père… » Il aurait fini par te battre… Il ne t’a pas battue, au moins ?

— Oh ! non, dit-elle entre deux sanglots.

— Mais lève donc le nez, Mouchette ; c’est une affaire enterrée.

— Il ne sait rien du tout, s’écria-t-elle en fermant les poings. Je n’ai rien dit !

— Par exemple ! fit-il.

Certes, il ne comprenait pas grand’chose à cette explosion de l’orgueil blessé. Mais il voyait avec plus d’étonnement encore se dresser devant lui une Germaine inconnue, les yeux mauvais, le front barré d’un pli de colère viril, et la lèvre supérieure un peu retroussée, laissant voir toutes les dents blanches.

— Allons ! conclut-il, tu devais le dire plus tôt.

— Vous ne m’auriez pas crue, répondit-elle, après un silence, la voix encore frémissante, mais le regard déjà clair et froid.

Il la regardait, non sans méfiance. Ce caprice, cette humeur vive et hardie, ces discours aussi brusques que le crochet d’un lièvre lui étaient devenus familiers. Mais, dans l’ardeur de la poursuite, il n’y avait vu bonnement, jusqu’alors, que les menues défenses d’une jolie fille rusée qu’un dernier scrupule entretient dans cette illusion d’être encore libre au moment qu’elle ne se refuse plus. La robuste maturité inspire aisément une confiance aveugle, et l’expérience la plus cynique est plus près qu’on ne pense, en amour, d’une naïveté presque candide. « La souris va et vient devant le chat, disait-il parfois, mais elle est bientôt rattrapée. » Il ne doutait pas de l’avoir, en effet, rattrapée. Que d’amants prennent ainsi entre leurs bras une étrangère, la parfaite et souple ennemie !

Un moment même le bonhomme tout simple et tout net eut, pour la première fois, le pressentiment d’un danger proche, inexplicable. La grande salle en désordre, pleine de meubles entassés, descendus récemment des combles où ils achevaient de pourrir, lui parut tout à coup démesurée, vide. Et il ouvrit les yeux pour apercevoir, hors du cercle de la lampe, la fine silhouette immobile, l’unique et silencieuse présence… Puis il éclata d’un rire heureux.

— Alors ?… cette parole d’honneur du papa Malorthy ? Une blague ?

— Quelle parole ? demanda-t-elle.

— Rien ; une plaisanterie pour moi seul… Retourne-toi seulement, et ferme la fenêtre.

Derrière elle, la porte, en effet, s’était brusquement ouverte, mais sans bruit. Une petite bise au goût de sel, venue de la haute mer, mais chargée en passant de toute la buée fade des étangs, fit voler jusqu’au plafond les feuillets épars sur une table, et tira du verre de la lampe une longue flamme rouge qui retombe en suie. Le vent fraîchissait encore. D’une seule voix, d’un bout du parc à l’autre bout, les sapins réveillés mugirent.

Elle tourna la clef dans la serrure, et revint, maussade.

— Approche-toi, voyons, fit Cadignan.

Mais, s’écartant de deux pas encore, elle mit par un détour adroit la table entre elle et son amant, puis s’assit au bord d’une chaise, en petite fille.

— Allons-nous passer la nuit comme ça, Mouchette ? Fi ! la boudeuse, s’écria-t-il avec un rire forcé.

Il prenait sans doute aisément son parti d’un entêtement dont il savait bien qu’il ne serait pas maître, mais plus que le désir d’une caresse, dont il était las, la pensée d’un risque à courir gonflait son cœur. « Demain viendra bien assez vite », songeait-il avec une espèce de joie. Car le repos est bon, mais plus délicieux encore un court répit.

D’ailleurs, il était à cet âge où le tête-à-tête féminin devient vite intolérable.

— Un moment, veux-tu ? dit froidement Mouchette sans lever les yeux.

Il ne voyait d’elle que son front poli, obstinément baissé. Mais la petite voix aigre retentissait drôlement dans le silence.

— Je te donne cinq minutes ! s’écria-t-il plaisamment, pour cacher son trouble, car cette froide impertinence avait déconcerté sa belle humeur. (Ainsi le chien cordial et pataud reçoit sur le nez une griffe alerte.)

— Tu ne me crois pas ? reprit-elle, après avoir longuement médité, comme si elle donnait cette conclusion à un monologue intérieur.

— Je ne te crois pas ?

— Ne cherche pas à me tromper, va ! J’ai bien réfléchi depuis huit jours, mais depuis un quart d’heure il me semble que je comprends tout, la vie, quoi ! Tu peux rire ! D’abord, je ne me connaissais pas du tout moi-même — moi — Germaine. On est joyeux, sans savoir, d’un rien, d’un beau soleil… des bêtises… Mais enfin tellement joyeux, d’une telle joie à vous étouffer, qu’on sent bien qu’on désire autre chose en secret. Mais quoi ? et, toutefois, déjà nécessaire. Ah ! sans elle, le reste n’est rien ! Je n’étais pas si bête que de te croire fidèle. Penses-tu ! Filles et garçons, nous n’avons pas nos yeux dans nos poches ; on apprend plus au long des haies qu’au cathéchisme du curé ! Nous disions de toi : « Ma chère, les plus belles, il les a !… » Je pensais : « Pourquoi pas moi ! » C’est bien mon tour… Et de voir à présent que les gros yeux de papa t’ont fait peur… Oh ! je te déteste !

— Ma parole, elle est à lier, s’écria Cadignan, stupéfait. Tu n’as pas un grain de bon sens, Mouchette, avec tes phrases de roman.

Il bourra lentement sa pipe, l’alluma, et dit :

— Procédons par ordre.

Quel ordre ? Combien d’autres avant lui nourrirent cette illusion de prendre en défaut une jolie fille de seize ans, tout armée ? Vingt fois vous l’aurez cru piper au plus grossier mensonge, qu’elle ne vous aura pas même entendu, seulement attentive aux mille riens que nous dédaignons, au regard qui l’évite, à telle parole inachevée, à l’accent de votre voix — cette voix de mieux en mieux connue, possédée, — patiente à s’instruire, faussement docile, s’assimilant peu à peu l’expérience dont vous êtes si fier, moins par une lente industrie que par un instinct souverain, tout en éclairs et illuminations soudaines, plus habile à deviner qu’à comprendre, et jamais satisfaite qu’elle n’ait appris à nuire à son tour.

— Procédons par ordre : Que me reproches-tu ? T’ai-je jamais caché que dans ma vieille bicoque à poivrières je n’étais pas moins gueux qu’un croquant ? Pouvons-nous tenir le coup, oui ou non ? Qu’on ferme les yeux sur les embêtements futurs, rien de mieux, et, dans l’amourette, le chanteur n’est pas le dernier à se prendre à sa chanson. Mais promettre ce qu’on sait bien ne pouvoir tenir, c’est vraiment duperie de goujat. Vois-tu la tête du curé et celle de son grand diable de vicaire si nous nous présentions dimanche à la messe, la main dans la main ? Mon moulin de Brimeux vendu, les dettes payées, il me restera bien quinze cents louis, nom d’une pipe ! Voilà du solide. Concluons : quinze cents louis, deux tiers pour moi, le dernier pour toi. C’est dit. Topons là !

— Oh ! là, là ! fit-elle en riant (mais les yeux pleins de larmes), quel sermon !

l rougit de désappointement et fixa sur l’étrange fille, à travers la fumée de sa pipe, un regard où la colère pointait déjà. Mais elle le soutint bravement.

— Vous pouvez les garder, vos cinq cents louis ; ils vous font plus besoin qu’à moi !

Et certes, elle eût été bien embarrassée de justifier son singulier plaisir, et de donner un nom à tous les sentiments confus qui gonflaient son cœur intrépide. Mais à cet instant elle ne désira rien de plus que d’humilier son amant dans sa pauvreté, et le tenir à sa merci.

Avoir, une heure plus tôt, franchi la nuit d’un trait vers l’aventure, défié le jugement du monde entier, pour trouver au but, ô rage ! un autre rustre, un autre papa lapin ! Sa déception fut si forte, son mépris si prompt et si décisif qu’en vérité les événements qui vont suivre étaient déjà comme écrits en elle. Hasard, dit-on. Mais le hasard nous ressemble.

Qu’un niais s’étonne du brusque essor d’une volonté longtemps contenue, et qu’une dissimulation nécessaire, à peine consciente, a déjà marqué de cruauté, revanche ineffable du faible, éternelle surprise du fort, et piège toujours tendu ! Tel s’applique à suivre pas à pas, dans son capricieux détour, la passion, plus forte et plus insaisissable que l’éclair, qui se flatte d’être un observateur attentif, et ne connaît d’autrui, dans son miroir, que sa pauvre grimace solitaire ! Les sentiments les plus simples naissent et croissent dans une nuit jamais pénétrée, s’y confondent ou s’y repoussent selon de secrètes affinités, pareils à des nuages électriques, et nous ne saisissons à la surface des ténèbres que les brèves lueurs de l’orage inaccessible. C’est pourquoi les meilleures hypothèses psychologiques permettent peut-être de reconstituer le passé, mais non point de prédire l’avenir. Et, pareilles à beaucoup d’autres, elles dissimulent seulement à nos yeux un mystère dont l’idée seule accable l’esprit.

Après un dernier effort, la brise essoufflée s’était tue. Les bosquets de lauriers qui faisaient à la vieille maison une triple ceinture s’étaient depuis longtemps rendormis qu’au fond du parc les puissants arbres au feuillage noir, les pins de soixante pieds, frémissaient encore de la cime, en grondant comme des ours. La lumière de la lampe brillait plus fort, tiède, familiale, au bout de la table de noyer, avec un grésillement monotone. Et si près de la nuit, vue dans les vitres d’un noir opaque, l’air tiède et un peu lourd semblait doux à respirer.

— Tiens ! rage si tu veux, Mouchette, dit tranquillement le marquis ; tu ne me mettras pas en colère ce soir. Parole d’honneur ! c’est plaisir de te voir ci-dedans !

Il tassa les cendres de sa pipe d’un doigt minutieux, et reprit, mi-sérieux, mi-plaisant :

— On peut refuser cinq cents louis, mignonne. Mais on ne crache pas dans la main d’un pauvre diable qui offre loyalement le fond de sa bourse. De toi à moi, ce bout d’explication suffit. La misère ne me fait pas honte, petite…

Aux derniers mots, Germaine rougit.

— Je n’en ai pas honte non plus, fit-elle. Ai-je jamais rien demandé, d’abord ?

— Non pas… non pas… Mouchette. Mais Malorthy, ton père…

Il s’arrêta net, ayant parlé sans malice, en voyant trembler la bouche de sa maîtresse, et le cou précieux, gonflé d’un sanglot d’enfant.

— Hé bien quoi ! Malorthy, Malorthy ? Qu’est-ce que cela me fait à la fin ! C’est trop fort ! Il est faux que je t’aie dénoncé, c’est un mensonge ! Ah ! quand hier soir… devant moi… il a osé dire… J’étais folle de rage ! Tiens ! Je me serais enfoncé mes ciseaux dans la gorge, je me serais égorgée devant lui, exprès, sur la nappe ! Vous ne me connaissez pas, tous les deux. Va ! les malheurs ne font que commencer !

Elle tâchait d’enfler sa voix frêle, frappant du poing sur la table, à petits coups secs et répétés, un peu risible dans sa colère, avec ce rien d’emphase dont les plus sincères des femmes s’étourdissent, avant d’oser prendre parti.

Cadignan, sans l’interrompre, l’admirait au contraire pour la première fois. Un autre sentiment que le désir, une espèce de sympathie paternelle jamais éprouvée jusqu’alors, l’inclinait vers l’enfant révoltée, plus âpre et plus fière que lui, son compagnon féminin… Quoi !… Peut-être un jour ?… Il la regarda bien en face, et sourit. Mais elle se crut bravée.

— J’ai tort de me fâcher, dit-elle froidement. Cela devait être. Oui, j’aurais fini par mourir dans leur maison de briques et leur jardin de poupée… Mais vous, Cadignan (lui jetant son nom comme un défi), je vous aurais cru un autre homme.

Elle se raidissait pour achever la phrase avant que sa voix ne se brisât. Si hardie et confiante qu’elle s’efforçât de paraître, elle ne voyait depuis un moment nulle autre issue que la trappe du logis paternel, bientôt retombée, l’inévitable souricière qu’elle avait fuie deux heures plus tôt, dans un délire d’espérance. « Il m’a déçue, » songeait-elle. Mais en conscience, elle n’eût su dire comment ni pourquoi. Déjà la maîtresse et l’amant, encore face à face, ne se reconnaissent plus. Le bonhomme à son déclin croit faire assez en payant naïvement des félicités bourgeoises d’un dernier écu que la petite sauvage eût plus détesté que la misère et la honte… Qu’était-elle venue demander, à travers cette première libre nuit, à ce gaillard déjà bedonnant qui ne tenait que de sa race paysanne et militaire une énergie toute physique, et comme une espèce de grossière dignité ? Elle s’était échappée, voilà tout ; elle frémissait de se sentir libre. Elle avait couru à lui comme au vice, à l’illusion longtemps caressée de faire une fois le pas décisif, de se perdre pour tout de bon. Tel livre, telle mauvaise pensée, telle image entrevue les yeux clos, au ronron du poêle, les mains jointes sur l’ouvrage oublié, se représentaient tout à coup à son souvenir, avec une affreuse ironie. Le scandale qu’elle avait rêvé, un scandale à faire tourner les têtes, était ramené tout doucement aux proportions d’un coup de tête d’écolière. Le retour au logis, l’accouchement discret, des mois de solitude, l’honneur retrouvé au bras d’un sot,… et des années, des années encore, toutes grises, au milieu d’un peuple de marmots, elle vit cela dans un éclair et gémit.

Hélas ! comme un enfant, parti le matin pour découvrir un nouveau monde, fait le tour du potager, et se retrouve auprès du puits, ayant vu périr son premier rêve, ainsi n’avait-elle fait que ce petit pas inutile hors de la route commune. « Rien n’est changé, murmurait-elle, rien de nouveau… » Mais contre l’évidence, une voix intérieure, mille fois plus nette et plus sûre, témoignait de l’écroulement du passé, d’un vaste horizon découvert, de quelque chose de délicieusement inattendu, d’une heure irréparablement sonnée. À travers son bruyant désespoir, elle sentait monter la grande joie silencieuse, pareille à un pressentiment. Qu’elle trouvât quelque part, ici ou là, un asile, qu’importe ! Qu’importe un asile à qui sut franchir une fois le seuil familier et trouve la porte à refermer derrière soi si légère ? Ce débauché de marquis craignait l’opinion du bourg, qu’elle affectait de braver ? Tant pis ! Elle n’en sentait pas moins sa propre force, en ayant trouvé la mesure dans la faiblesse d’autrui. Dès ce moment, son proche destin se pouvait lire au fond de ses yeux insolents.

Ils s’étaient tus tous les deux. Au milieu de la haute fenêtre sans rideaux, la lune apparut tout à coup, à travers la vitre, nue, immobile, toute vivante et si proche qu’on eût voulu entendre le frémissement de sa lumière blonde.

Alors, par une plaisante rencontre, la même question posée quelques heures plus tôt par Malorthy se retrouva sur les lèvres de Cadignan :

— À toi de proposer, Mouchette.

Mais, comme elle l’interrogeait d’un battement de ses paupières, sans parler :

— Demande hardiment, fit-il.

— Emmène-moi, dit-elle.

Elle ajouta, après l’avoir mesuré des yeux, pesé, évalué au plus juste, absolument comme une ménagère fait d’un poulet :

— À Paris… n’importe où !

— Ne parlons pas de ça encore, veux-tu ? Ni oui, ni non… Tes couches faites ; le moutard au monde…

Déjà elle se dressait à demi, la bouche ouverte, avec un geste de surprise d’une vraisemblance parfaite, irrésistible :

— Tes couches ? Le moutard ?…

Alors elle éclata de rire, les deux mains pressées sur sa gorge nue, le col renversé en arrière, s’enivrant de son défi sonore, jetant aux quatre coins de la vieille salle, comme un cri de guerre, la seule note de cristal.

Le visage de Cadignan s’empourpra. Toujours riant, elle dit, essoufflée :

— Mon père s’est moqué de vous… L’avez-vous cru ?

L’audace du mensonge éloignait tout soupçon. L’invraisemblable se passe de preuves. Le marquis ne douta pas qu’elle eût dit vrai. D’ailleurs la colère l’étranglait.

— Tais-toi ! s’écria-t-il en frappant du poing sur la table.

Mais elle riait encore à coups mesurés, prudemment, les paupières mi-closes, ses deux petits pieds rassemblés sous sa chaise, prête à s’échapper d’un bond.

— Tonnerre de nom d’un chien ! Tonnerre ! répétait la pauvre dupe, secouant la banderille invisible.

Un moment son regard rencontra celui de sa maîtresse, et tout de même il flaira le piège.

— Nous verrons bien qui dit vrai, conclut-il, bourru. Si ton benêt de père s’est moqué de moi, je lui casse les reins ! Et maintenant, la paix !

Mais elle ne désirait que le voir bien en face, l’épier sous ses longs cils, jouir de sa confusion, toute pâle de se sentir si dangereuse et si rusée, aussi forte qu’un homme.

Une minute, il tira nerveusement sa moustache, songeant : « L’histoire est singulière… lequel me trompe ?… » D’ailleurs, jamais parole menteuse ne fut si aisément proférée, plus librement, sans y songer, pareille à un geste de défense, aussi spontanée qu’un cri.

— Grosse ou non, je ne me dédis pas, Mouchette, dit-il enfin… Sitôt la bicoque vendue, je trouverai bien un coin pour deux, une maison de garde-chasse, à mi-chemin de la rivière et du bois, où vivre tranquille. Et mille noms d’une pipe, le mariage est peut-être au bout…

Le bonhomme s’attendrissait ; elle répondit tranquillement :

— Allons-nous en demain ?

— Oh ! la sotte, s’écria-t-il, vraiment ému. Tu parles de ça, ma parole ! comme un dimanche soir d’un tour en ville… Tu es mineure, Mouchette, et la loi ne badine pas.

Aux trois quarts sincère, mais de trop vieille race paysanne pour s’engager imprudemment, il attendait un cri de joie, une étreinte, des larmes, enfin la scène émouvante qui l’eût tiré d’embarras. Mais la rusée le laissait dire, dans un silence moqueur.

— Oh ! fit-elle, je n’attendrai pas si longtemps une maison de garde-chasse… À mon âge ! Une belle mine que je ferais entre votre rivière et votre bois ?… Si personne ne veut plus de moi, je vais peut-être me gêner ?

— Ça pourrait peut-être mal finir, riposta dédaigneusement le marquis.

— Je me moque bien de finir, s’écria-t-elle en battant des mains… Et d’ailleurs, j’ai mon idée… moi.

Mais, Cadignan ayant seulement haussé les épaules, elle continua, piquée au vif :

— Un amant tout trouvé…

— Peut-on savoir ?

— Qui ne me refusera rien, celui-là, et riche…

— Et jeune ?

— Plus que vous… Allez ! toujours assez jeune pour devenir blanc comme la nappe, si je le touche seulement du pied sous la table, là !

— Voyez-vous…

— Un homme instruit, savant même…

— J’y suis !… député…

— Tu l’as dit ! s’écria-t-elle toute rose, et le regard anxieux.

Elle attendait un éclat de rire, mais il se contenta de répondre, en secouant sa pipe :

— Grand bien te fasse ! Un beau parti, père de deux enfants, et mari d’une femme long-jointée, qui le surveille de près…

Cependant, sa voix tremblait… Le persiflage ne trompa point la prudente petite fille, qui suivait tous ses mouvements d’un œil attentif — mesurant la largeur de la table qui la séparait de son amant — son cœur battant bien fort, et les paumes moites et glacées. Mais elle se sentait légère comme une biche.

Certes, Cadignan eût fait bon marché jadis d’une maîtresse ou deux. La veille encore, il avait été plus sensible à la honte d’être pris en flagrant délit de mensonge par un ridicule adversaire qu’à la crainte de perdre une Mouchette blonde. Il ne doutait point non plus qu’elle l’eût livré et, dans son égoïsme ingénu, il lui reprochait cette faiblesse comme un crime, et ne l’avait point pardonnée. Toutefois le nom de l’homme qu’il haïssait le plus, d’une solide haine de rustre, l’avait remué jusqu’au fond.

— Pour une gamine, dit-il, tu ne te laisses pas prendre sans vert… Bon sang ne peut mentir, après tout. Le papa vend de la mauvaise bière, et la fille… On vend ce qu’on a.

Elle essaya de secouer la tête d’un air de bravade ; mais encore mal aguerrie, l’ignoble injure, frappée de près, la fit un instant plier : elle sanglota.

— Tu en entendras bien d’autres, si tu vis longtemps, continua paisiblement le marquis. La maîtresse de Gallet !… À la barbe du papa, sans doute ?

— À Paris, quand je voudrai ! bégaya-t-elle à travers ses larmes… oui ! à Paris.

Les dix petites griffes grinçaient sur la table, où elle appuyait ses mains. La rumeur des idées dans sa cervelle l’étourdissait ; mille mensonges, une infinité de mensonges y bourdonnaient comme une ruche. Les projets les plus divers, tous bizarres, aussitôt dissipés que formés, y déroulaient leur chaîne interminable, comme dans la succession d’un rêve. De l’activité de tous les sens jaillissait une confiance inexprimable, pareille à une effusion de la vie. Une minute, les limites même du temps et de l’espace parurent s’abaisser devant elle, et les aiguilles de l’horloge coururent aussi vite que sa jeune audace… N’ayant jamais connu d’autre contrainte qu’un puéril système d’habitudes et de préjugés, n’imaginant pas d’autre sanction que le jugement d’autrui, elle ne voyait pas de bornes au merveilleux rivage où elle abordait en naufragée. Si longtemps qu’on en ait goûté la délectation amère et douce, la mauvaise pensée n’est point capable d’émousser par avance l’affreuse joie du mal enfin saisi, possédé — d’une première révolte pareille à une seconde naissance. Car le vice pousse au cœur une racine lente et profonde, mais la belle fleur pleine de venin n’a son grand éclat qu’un seul jour.

— À Paris ? dit Cadignan.

Elle vit bien qu’il brûlait de pousser plus avant l’interrogatoire, sans l’oser.

— À Paris, répéta-t-elle, les joues encore luisantes, et les yeux secs. Oui… à Paris, chez moi — une jolie chambre — et libre… Tous ces messieurs députés ont ainsi leurs amies, ajouta-t-elle avec une gravité imperturbable… c’est connu… Est-ce qu’ils ne la font pas, eux, la loi ? Entre nous deux, allez, la chose est entendue… et depuis longtemps !

Il est vrai que le triste législateur de Campagne, dont une mauvaise bile travaillait la moelle, et qu’une femme austère, elle-même dévorée d’envie, épuisait sans l’assouvir, avait manifesté plus d’une fois, à la fille du brasseur, ces sentiments paternels sur le véritable sens desquels une fille avisée ne se trompe pas. C’était tout… Mais, sur ce pauvre thème, la perfide Mouchette se sentait de force à mentir jusqu’à l’aube. Chaque mensonge était un nouveau délice dont sa gorge était resserrée comme d’une caresse ; elle eût menti cette nuit sous les injures, sous les coups, au péril même de sa vie ; elle eût menti pour mentir. Elle se souvint plus tard de cet étrange accès comme de la plus folle dépense qu’elle eût jamais faite d’elle-même, un cauchemar voluptueux.

« Pourquoi pas ? » pensait Cadignan. — Voyez-vous, cette niaise, conclut-il tout haut, la voyez-vous qui croit sur parole un Jean-foutre de renégat, un marchand de phrases, la pire espèce d’arlequin ! Il en fera de toi comme de ses électeurs, ma fille ! Bonne amie d’un député, fichtre !

— Riez toujours, dit Mouchette, on a vu pis.

Le nez du rustre, ordinairement rose et jovial, était plus blême que ses joues. Un moment, remâchant sa colère, il marcha de long en large, les deux mains dans son ample vareuse de velours ; puis il fit quelques pas vers sa maîtresse attentive qui, pour l’éviter, tournant à gauche, laissa prudemment la table entre elle et son dangereux adversaire. Mais il passa les yeux baissés, alla droit vers la porte, la ferma, et mit la clef dans sa poche.

Puis il regagna son fauteuil, et dit sèchement :

— Ne m’échauffe plus les oreilles, fillette. Tu l’as voulu ; je te garde ici jusqu’à demain, pour rien, pour le plaisir… C’est à mon risque. Et maintenant sois sage, et réponds-moi, si tu peux. Des blagues, tout ça ?

Elle était elle-même aussi pâle que son petit col. Elle répondit : non ! les dents jointes.

— Allons ! reprit-il… veux-tu me faire croire ?…

— Il est mon amant, là !

Elle se délivrait de ce nouveau mensonge, ainsi qu’on crache une liqueur âpre et brûlante. Et quand elle n’entendit plus l’écho de sa propre voix, elle sentit son cœur défaillir, comme à la descente de l’escarpolette. Pour un peu, son accent l’eût trompée elle-même et, tandis qu’elle jetait au marquis ce mot d’amant, elle croisa les deux bras sur ses seins, d’un geste à la fois naïf et pervers, comme si ces deux syllabes magiques l’eussent dépouillée, montrée nue.

— Nom de Dieu ! s’écria Cadignan.

Il s’était levé d’un bond, et si vite que le premier élan de la pauvrette, mal calculé, la porta presque dans ses bras. Ils se rencontrèrent au coin de la salle, et restèrent un moment face à face, sans rien dire.

Déjà elle échappait, sautait sur une chaise qui s’effondrait, puis de là sur la table ; mais ses hauts talons glissèrent sur le noyer ciré ; en vain elle étendit les mains. Celles du marquis l’avaient saisie à la taille, la tiraient vivement en arrière. La violence du choc l’étourdit ; le gros homme l’emportait comme une proie. Elle se sentit jetée rudement sur le canapé de cuir. Puis une minute encore elle ne vit plus que deux yeux d’abord féroces, où peu à peu montait l’angoisse, puis la honte.

·            ·               ·               ·               ·               ·               ·               ·               ·               ·               ·               ·               ·               ·               ·                 ·               ·               ·               ·               ·               ·               ·               ·               ·

De nouveau, elle était libre ; debout, en pleine lumière, les cheveux dénoués, un pli de sa robe découvrant son bas noir, cherchant en vain du regard le maître détesté. Mais elle distinguait à peine un grand trou d’ombre et le reflet de la lampe sur le mur, aveuglée par une rage inouïe, souffrant dans son orgueil plus que dans un membre blessé, d’une souffrance physique, aiguë, intolérable… Lorsqu’elle l’aperçut enfin, le sang rentra comme à flots dans son cœur.

— Allons ! Mouchette, allons ! disait le bonhomme inquiet.

Parlant toujours, il s’approchait à petits pas, les bras tendus, cherchant à la reprendre, sans violence, ainsi qu’il eût fait d’un de ses farouches oiseaux. Mais cette fois elle échappa.

— Qu’est-ce qui te prend, Mouchette ? répétait Cadignan, d’une voix mal assurée.

Elle l’épiait de loin, sa jolie bouche déformée par un rictus sournois. « Rêve-t-elle ? » pensait-il encore… Car ayant cédé à un de ces emportements de colère, d’où naît soudain le désir, il se sentait moins de remords que de confusion, n’ayant jamais beaucoup plus épargné ses maîtresses qu’un loyal compagnon qui tient sa partie dans un jeu brutal. Il ne la reconnaissait plus.

— Répondras-tu ? s’écria-t-il, exaspéré par son silence.

Mais elle reculait devant lui, à pas lents. Comme elle fuyait vers la porte, il essaya de lui barrer la route en poussant son fauteuil à travers l’étroit passage, mais elle évita l’obstacle d’un saut léger, avec un cri de frayeur si vive qu’il en demeura sur place, haletant. Une seconde plus tard, alors qu’il se retournait pour la suivre, il la vit dans un éclair, à l’autre extrémité de la salle, dressée sur la pointe de ses petits pieds, s’efforçant d’atteindre quelque chose au mur, de ses bras tendus.

— Hé là ! à bas les pattes ! enragée ! En deux bonds il l’eût sans doute rejointe et désarmée, mais une fausse honte le retint. Il s’approchait d’elle sans hâte et du pas d’un homme qu’on n’arrêtera pas aisément. Car il voyait son propre hammerless — un magnifique Anson — entre les mains de sa maîtresse.

— Essaie voir ! disait-il en avançant toujours et comme on menace un chien dangereux.

La folle Mouchette ne répondit que par une espèce de gémissement de terreur et de colère ; en même temps elle levait l’arme à bout de bras.

— Imbécile ! il est chargé ! voulut-il dire encore…

Mais le dernier mot fut comme écrasé sur ses lèvres par l’explosion. La charge l’avait atteint sous le menton, faisant voler la mâchoire en éclats. Le coup avait été tiré de si près que la bourre de feutre suiffée traversa le cou de part en part, et fut retrouvée dans sa cravate.

Mouchette ouvrit la fenêtre et disparut.

Wednesday 27 October 2021

Good Reading: "The Night Wire" by H. F. Arnold (in English)

"New York, September 30 CP FLASH

"Ambassador Holliwell died here today.  The end came

suddenly as the ambassador was alone in his study...."

 

There is something ungodly about these night wire jobs. You sit up here on the top floor of a skyscraper and listen in to the whispers of a civilization. New York, London, Calcutta, Bombay, Singapore -- they're your next-door neighbors after the streetlights go dim and the world has gone to sleep.

Alone in the quiet hours between two and four, the receiving operators doze over their sounders and the news comes in. Fires and disasters and suicides. Murders, crowds, catastrophes. Sometimes an earthquake with a casualty list as long as your arm. The night wire man takes it down almost in his sleep, picking it off on his typewriter with one finger.

Once in a long time you prick up your ears and listen. You've heard of some one you knew in Singapore, Halifax or Paris, long ago. Maybe they've been promoted, but more probably they've been murdered or drowned. Perhaps they just decided to quit and took some bizarre way out. Made it interesting enough to get in the news.

But that doesn't happen often. Most of the time you sit and doze and tap, tap on your typewriter and wish you were home in bed.

Sometimes, though, queer things happen. One did the other night, and I haven't got over it yet. I wish I could.

You see, I handle the night manager's desk in a western seaport town; what the name is, doesn't matter.

There is, or rather was, only one night operator on my staff, a fellow named John Morgan, about forty years of age, I should say, and a sober, hard-working sort.

He was one of the best operators I ever knew, what is known as a "double" man. That means he could handle two instruments at once and type the stories on different typewriters at the same time. He was one of the three men I ever knew who could do it consistently, hour after hour, and never make a mistake.

Generally, we used only one wire at night, but sometimes, when it was late and the news was coming fast, the Chicago and Denver stations would open a second wire, and then Morgan would do his stuff. He was a wizard, a mechanical automatic wizard which functioned marvelously but was without imagination.

On the night of the sixteenth he complained of feeling tired. It was the first and last time I had ever heard him say a word about himself, and I had known him for three years.

It was just three o'clock and we were running only one wire. I was nodding over the reports at my desk and not paying much attention to him, when he spoke.

"Jim," he said, "does it feel close in here to you?"

"Why, no, John," I answered, "but I'll open a window if you like."

"Never mind," he said. "I reckon I'm just a little tired."

That was all that was said, and I went on working. Every ten minutes or so I would walk over and take a pile of copy that had stacked up neatly beside the typewriter as the messages were printed out in triplicate.

It must have been twenty minutes after he spoke that I noticed he had opened up the other wire and was using both typewriters. I thought it was a little unusual, as there was nothing very "hot" coming in. On my next trip I picked up the copy from both machines and took it back to my desk to sort out the duplicates.

The first wire was running out the usual sort of stuff and I just looked over it hurriedly. Then I turned to the second pile of copy. I remembered it particularly because the story was from a town I had never heard of: "Xebico." Here is the dispatch. I saved a duplicate of it from our files:

"Xebico, Sept 16 CP BULLETIN

"The heaviest mist in the history of the city settled over the town at 4 o'clock yesterday afternoon. All traffic has stopped and the mist hangs like a pall over everything. Lights of ordinary intensity fail to pierce the fog, which is constantly growing heavier.

"Scientists here are unable to agree as to the cause, and the local weather bureau states that the like has never occurred before in the history of the city.

"At 7 P.M. last night the municipal authorities...

(more)

That was all there was. Nothing out of the ordinary at a bureau headquarters, but, as I say, I noticed the story because of the name of the town.

***

It must have been fifteen minutes later that I went over for another batch of copy. Morgan was slumped down in his chair and had switched his green electric light shade so that the gleam missed his eyes and hit only the top of the two typewriters.

Only the usual stuff was in the righthand pile, but the lefthand batch carried another story from Xebico. All press dispatches come in "takes," meaning that parts of many different stories are strung along together, perhaps with but a few paragraphs of each coming through at a time. This second story was marked "add fog." Here is the copy:

"At 7 P.M. the fog had increased noticeably. All lights were now invisible and the town was shrouded in pitch darkness.

"As a peculiarity of the phenomenon, the fog is accompanied by a sickly odor, comparable to nothing yet experienced here."

Below that in customary press fashion was the hour, 3:27, and the initials of the operator, JM.

There was only one other story in the pile from the second wire. Here it is:

"2nd add Xebico Fog.

"Accounts as to the origin of the mist differ greatly. Among the most unusual is that of the sexton of the local church, who groped his way to headquarters in a hysterical condition and declared that the fog originated in the village churchyard.

"'It was first visible as a soft gray blanket clinging to the earth above the graves,' he stated. 'Then it began to rise, higher and higher. A subterranean breeze seemed to blow it in billows, which split up and then joined together again.

"'Fog phantoms, writhing in anguish, twisted the mist into queer forms and figures. And then, in the very thick midst of the mass, something moved.

"'I turned and ran from the accursed spot. Behind me I heard screams coming from the houses bordering on the graveyard.'

"Although the sexton's story is generally discredited, a party has left to investigate. Immediately after telling his story, the sexton collapsed and is now in a local hospital, unconscious."

Queer story, wasn't it. Not that we aren't used to it, for a lot of unusual stories come in over the wire. But for some reason or other, perhaps because it was so quiet that night, the report of the fog made a great impression on me.

It was almost with dread that I went over to the waiting piles of copy. Morgan did not move, and the only sound in the room was the tap-tap of the sounders. It was ominous, nerve- racking.

There was another story from Xebico in the pile of copy. I seized on it anxiously.

"New Lead Xebico Fog CP

"The rescue party which went out at 11 P.M. to investigate a weird story of the origin of a fog which, since late yesterday, has shrouded the city in darkness has failed to return. Another and larger party has been dispatched.

"Meanwhile, the fog has, if possible, grown heavier. It seeps through the cracks in the doors and fills the atmosphere with a depressing odor of decay. It is oppressive, terrifying, bearing with it a subtle impression of things long dead.

"Residents of the city have left their homes and gathered in the local church, where the priests are holding services of prayer. The scene is beyond description. Grown folk and children are alike terrified and many are almost beside themselves with fear.

"Amid the whisps of vapor which partly veil the church auditorium, an old priest is praying for the welfare of his flock. They alternately wail and cross themselves.

"From the outskirts of the city may be heard cries of unknown voices. They echo through the fog in queer uncadenced minor keys. The sounds resemble nothing so much as wind whistling through a gigantic tunnel. But the night is calm and there is no wind. The second rescue party... (more)"

***

I am a calm man and never in a dozen years spent with the wires, have I been known to become excited, but despite myself I rose from my chair and walked to the window.

Could I be mistaken, or far down in the canyons of the city beneath me did I see a faint trace of fog? Pshaw! It was all imagination.

In the pressroom the click of the sounders seemed to have raised the tempo of their tune. Morgan alone had not stirred from his chair. His head sunk between his shoulders, he tapped the dispatches out on the typewriters with one finger of each hand.

He looked asleep, but no; endlessly, efficiently, the two machines rattled off line after line, as relentlessly and effortlessly as death itself. There was something about the monotonous movement of the typewriter keys that fascinated me. I walked over and stood behind his chair, reading over his shoulder the type as it came into being, word by word.

Ah, here was another:

"Flash Xebico CP

"There will be no more bulletins from this office. The impossible has happened. No messages have come into this room for twenty minutes. We are cut off from the outside and even the streets below us.

"I will stay with the wire until the end.

"It is the end, indeed. Since 4 P.M. yesterday the fog has hung over the city. Following reports from the sexton of the local church, two rescue parties were sent out to investigate conditions on the outskirts of the city. Neither party has ever returned nor was any word received from them. It is quite certain now that they will never return.

"From my instrument I can gaze down on the city beneath me. From the position of this room on the thirteenth floor, nearly the entire city can be seen. Now I can see only a thick blanket of blackness where customarily are lights and life.

"I fear greatly that the wailing cries heard constantly from the outskirts of the city are the death cries of the inhabitants. They are constantly increasing in volume and are approaching the center of the city.

"The fog yet hangs over everything. If possible, it is even heavier than before, but the conditions have changed. Instead of an opaque, impenetrable wall of odorous vapor, there now swirls and writhes a shapeless mass in contortions of almost human agony. Now and again the mass parts and I catch a brief glimpse of the streets below.

"People are running to and fro, screaming in despair. A vast bedlam of sound flies up to my window, and above all is the immense whistling of unseen and unfelt winds.

"The fog has again swept over the city and the whistling is coming closer and closer.

"It is now directly beneath me.

"God! An instant ago the mist opened and I caught a glimpse of the streets below.

"The fog is not simply vapor -- it lives! By the side of each moaning and weeping human is a companion figure, an aura of strange and vari-colored hues. How the shapes cling! Each to a living thing!

"The men and women are down. Flat on their faces. The fog figures caress them lovingly. They are kneeling beside them. They are -- but I dare not tell it.

"The prone and writhing bodies have been stripped of their clothing. They are being consumed -- piecemeal.

"A merciful wall of hot, steaming vapor has swept over the whole scene. I can see no more.

"Beneath me the wall of vapor is changing colors. It seems to be lighted by internal fires. No, it isn't. I have made a mistake. The colors are from above, reflections from the sky.

"Look up! Look up! The whole sky is in flames. Colors as yet unseen by man or demon. The flames are moving; they have started to intermix; the colors are rearranging themselves. They are so brilliant that my eyes burn, they are a long way off.

"Now they have begun to swirl, to circle in and out, twisting in intricate designs and patterns. The lights are racing each with each, a kaleidoscope of unearthly brilliance.

"I have made a discovery. There is nothing harmful in the lights. They radiate force and friendliness, almost cheeriness. But by their very strength, they hurt.

"As I look, they are swinging closer and closer, a million miles at each jump. Millions of miles with the speed of light. Aye, it is light of quintessence of all light. Beneath it the fog melts into a jeweled mist radiant, rainbow-colored of a thousand varied spectra.

"I can see the streets. Why, they are filled with people! The lights are coming closer. They are all around me. I am enveloped. I..."

***

The message stopped abruptly. The wire to Xebico was dead. Beneath my eyes in the narrow circle of light from under the green lamp-shade, the black printing no longer spun itself, letter by letter, across the page.

The room seemed filled with a solemn quiet, a silence vaguely impressive, powerful.

I looked down at Morgan. His hands had dropped nervelessly at his sides, while his body had hunched over peculiarly. I turned the lamp-shade back, throwing light squarely in his face. His eyes were staring, fixed.

***

Filled with a sudden foreboding, I stepped beside him and called Chicago on the wire. After a second the sounder clicked its answer.

Why? But there was something wrong. Chicago was reporting that Wire Two had not been used throughout the evening.

"Morgan!" I shouted. "Morgan! Wake up, it isn't true. Some one has been hoaxing us. Why..." In my eagerness I grasped him by the shoulder.

His body was quite cold. Morgan had been dead for hours. Could it be that his sensitized brain and automatic fingers had continued to record impressions even after the end?

I shall never know, for I shall never again handle the night shift. Search in a world atlas discloses no town of Xebico. Whatever it was that killed John Morgan will forever remain a mystery.