Thursday 17 January 2019

Thursday’s Serial: “Vie De Sainte Marguerite-Marie Alacoque De L'ordre De La Visitation Sainte-Marie” by unknown writer from the Monastère de Paray-le-Monial (in French) the end


CHAPITRE VII.
DERNIÈRES ANNÉES. CONSOMMATION EN DIEU. “L'HUMILITÉ PRÉCÈDE LA GLOIRE.” 1687-1690.
En quittant la charge de directrice, Soeur Marguerite-Marie fut de nouveau mise comme aide à l'infirmerie. Là, elle eut encore de quoi contenter sa soif d'abnégation et d'humilité. Cependant, la Soeur Catherine-Antoinette de Lévy-Châteaumorand ayant été nommée maîtresse des novices à sa place, il paraît que “notre vénérable Soeur Àlacoque suppléait quelquefois pour cette habile maîtresse.” C'est assez dire combien chèrement on continuait à goûter la direction de notre Sainte au noviciat. Pour elle, plus elle eût aimé à se cacher, plus Dieu prenait soin de manifester les dons extraordinaires qu'il lui avait faits.
                Un de ses frères, Jacques Alacoque, curé du Bois-Sainte-Marie, “tomba dans une maladie si grande” sur la fin de l'année 1686, “que trois médecins qui le voyaient l'avaient abandonné.” Chrysostome, en son Mémoire, ajoute ce détail, qu'il avait “la bouche et les dents si serrées, que, pour lui faire prendre un (sic) cuillerée de sirop, on lui rompit une dent et la cuillère aussi.”
                Le même Chrysostome Alacoque, maire perpétuel du Bois-Sainte-Marie et frère du malade comme de Marguerite-Marie, fit partir un exprès, la nuit, pour recommander le pauvre curé à leur soeur bien-aimée. Celle-ci, ayant appris qu'il se mourait, répondit qu'elle ne le croyait pas. Et, quittant le messager, “elle s'en alla devant le saint Sacrement, pendant quelque temps, après quoi elle revint avec un air assuré, dire et écrire qu'il n'en mourrait point, ce que la suite a vérifié, parce qu'il fut rétabli dans moins de huit jours, contre l'attente de tout le monde.”
                Qu'avait fait cette âme angélique, pendant ce peu de temps qu'elle avait prié devant le saint Sacrement? Elle avait fait bien “des promesses au sacré Coeur de Notre-Seigneur,” pour obtenir la santé au cher malade, et Notre-Seigneur lui avait répondu: “Oui, je te l'accorde, à cette condition que tu me proposes, et je voudrais en faire un saint, s'il voulait correspondre à mes desseins et aux grâces que je lui ferai pour cela.”
                Au commencement de 1687, elle avertit son frère de tout ce qu'elle a promis pour lui. C'est avec l'autorité d'une sainte, mêlée à la tendresse d'une soeur et à l'humilité qui convient à une religieuse, qu'elle lui donne les plus admirables conseils. “Dieu ne peut être moqué,” écrit-elle; et, entrant dans le détail, elle signale tout ce qu'il faut corriger dans les habitudes précédentes: l'attache aux choses terrestres, l'amour du jeu, la promptitude de caractère. Cela exposé, elle continue: “J'espère tout du sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, lequel a tant de tendresse pour vous, qu'il veut que vous vous fassiez saint, à quel prix que ce soit; et c'est pour cela qu'il vous laisse encore en ce monde et qu'il vous a envoyé cette maladie, pour vous réveiller et vous faire redoubler le pas. Ah! quel regret pour moi, si vous ruiniez les desseins de ce sacré Cœur sur vous, ne faisant pas ce qu'il vous fait connaître vouloir de vous...... A vous dire la vérité, vous ne trouverez de paix ni de repos que lorsque vous aurez tout sacrifié à Dieu...... Vous aurez bien à souffrir pour en venir là; mais la grâce ne vous manquera pas, ni la force et le secours du sacré Cœur de Notre Seigneur Jésus-Christ.”
                La voie est ouverte, et, par ses deux frères, la Sainte aura le bonheur de répandre la dévotion au Cœur de Jésus dans la paroisse du Bois-Sainte-Marie. Chrysostome va faire bâtir et orner à ses frais une chapelle dédiée au Sacré Cœur dans ladite église. Jacques, le miraculé, y fondera une messe pour tous les vendredis de l'année, et le premier vendredi de chaque mois ce sera même une messe solennellement chantée. A mesure que tous ces détails arrivent à leur sueur, elle en resent de telles consolations qu'elle écrit à son frère le curé: “Vous ne sauriez croire le plaisir que vous me faites d'avoir du zèle pour la gloire du sacré Coeur de notre divin Sauveur. C'est là, comme je pense, un des plus courts moyens pour obtenir notre sanctification.” Et à son frère Chrysostome: “Il faut exécuter ce que vous m'avez proposé, sans jamais vous en dédire et vous me donnerez une des plus grandes consolations que je puisse recevoir en cette vie mortelle, puisque rien ne m'y peut réjouir que d'y voir aimer, honorer et glorifier ce divin Cœur de mon Seigneur Jésus-Christ.”
                Toutes les nouvelles qui regardent la dévotion ait Sacré Cœur apportent à l'âme de Marguerite-Marie d'inexprimables joies. Dans la correspondance des dernières années de sa vie, on sent passer un véritable souffle d'enthousiasme apostolique. Aucun labeur ne lui semble pénible pour arriver à faire connaître le Cœur de son Dieu. On est presque surpris de voir cette grande contemplative devenue si active. C'est que l'amour est extatique: sortir pour se répandre, c'est sa nature!
                La Mère de Soudeilles,n'avait pas reçu en vain les petits présents que son humble amie de Paray lui avait envoyés le 15 septembre 1686. Croyant répondre à une inspiration céleste, elle s'était empressée de réunir tout- ce qu'elle estimait le plus capable de faire connaître la dévotion au Sacré
Coeur, c'est-à-dire: ce que le Père de la Colombière en a écrit dans sa Retraite, puis la petite consécration, une amende honorable au Sacré Coeur, les litanies du Coeur de Jésus et celles du Coeur de Marie. Bientôt le livret de douze pages est édité à Moulins même, Chez la Veuve de CLAVDE VERNOY, sous ce titre: LA DEVOTION AU COEUR DE JESUS-CHRIST, POUR LES PREMIERS Vendredys de chaque mois.  .
                Un des premiers soins de la Mère de Soudeilles fut d'en envoyer un exemplaire à la Servante de Dieu. Du même coup, c'était la réjouir et la consterner; car jamais, à son avis, on n'en dirait assez du Coeur de Jésus, mais toujours on en dirait trop d'elle. Or, en copiant le passage du Père de la Colombière et la petite consécration, la Mère de Soudeilles avait, par là même, infligé une rude humiliation à notre Sainte, qui avoue à la Mère de Saumaise en avoir ressenti “des confusions effroyables... mais la volonté de Dieu soit faite!” ajoute-t-elle.
                L'affaire de la planche des images du Sacré Coeur traînant en longueur et ne réussissant pas, Soeur Alacoque se tourne encore vers sa chère Mère de Saumaise, que Notre-Seigneur lui montre avoir “substituée en, la place de notre bon saint Père L[a] C[olombière] pour l'établissement de la dévotion de son sacré [Coeur].”
                Dijon est un foyer d'apostolat, où la gloire du
Sacré Coeur fait faire des merveilles. La Soeur Jeanne-Madeleine Joly reçoit l'ordre d'esquisser une image du Sacré Coeur, Sa main inexpérimentée est guidée par tant d'amour qu'elle arrive, non pas à produire une oeuvre artistique, mais une oeuvre pieuse, que Marguerite-Marie peut accueillir avec une sorte de ravissement. “Je ne puis vous exprimer les doux transports de ma joie en recevant votre image, qui est telle que je la désirais.” Le fait est que le peintre auquel le travail de la Soeur Joly fut soumis n'y trouva presque rien à retoucher.
                Dans les premiers mois de 1687, la Servante de Dieu reçut une fois encore la charge de maîtresse des petites Soeurs. Elle y avait naturellement beaucoup de répugnance, mais n'en témoigna rien. Seulement, de plus en plus attirée vers le saint Sacrement, elle savait adroitement se ménager des loisirs, priant son aide de la remplacer toutes les après-dînées des fêtes, pour aller se consumer devant les autels, promettant à la Soeur d'y demeurer une demi-heure à son intention.
                Vers ce temps-là, il lui survint encore un panaris. Elle porta en silence les douleurs aiguës que cause ordinairement un tel mal. Mais, une des petites filles s'étant aperçue que leur sainte maîtresse se relevait toutes les nuits, en avertit la supérieure. La Mère Melin demanda à Soeur Marguerite-Marie à voir son mal, et pourquoi elle n'en avait rien dit. “C'est si peu de chose, ma chère Mère, que cela ne méritait pas d'en parler.” On fit pourtant venir le médecin. Celui-ci en jugea bien autrement, et trouva le cas si grave qu'il fallut même recourir au chirurgien. Le doigt dut être ouvert jusqu'à l'os. La patiente, ne bougeant ni se plaignant le moins du monde pendant cette opération, ces messieurs n'en revenaient pas; et le chirurgien, voyant qu'elle restait comme insensible dans les grandes douleurs qu'il lui faisait souffrir chaque jour pour la panser, ne comprenait rien à tant de vertu. Il finit par dire agréablement “qu'il fait bon être sainte.”
                Ce calme imperturbable dans la souffrance nous paraît un mystère. .Il s'éclaircira cependant, jusqu'à un certain degré, quand la. Sainte nous aura expliqué les ordres reçus de Notre-Seigneur: “Il voulait que je souffrisse tout en silence... Il voulait que j'attendisse tout de lui, et s'i[l] arrivait que je me voulusse procurer quelque consolation, il ne me faisait rencontrer que de la désolation et de nouveaux tourments pour tout soulagement: ce que j'ai toujours regardé comme une “des plus grandes grâces que mon Dieu m'ait faites, avec celle de ne me pas ôter ce précieux “trésor de la croix... C'était dans ces sentiments, et parmi les délices de la croix, que je disais: - Que rendrai-[je] au Seigneur pour les grands biens qu'il me fait? O, mon Dieu, que vos bontés sont grandes à mon égard, de vouloir bien me faire manger à la table des saints, et des mêmes viandes dont vous les avez substantés, me nourrissant avec abondance des mets délicieux de vos favoris et plus fidèles amis, moi qui ne suis qu'une indigne et misérable pécheresse.” Sans transition aucune, elle pousse cet élan séraphique: “Aussi, savez-vous bien que sans le saint Sacrement et la Croix, je ne pourrais pas vivre ni supporter la longueur de mon exil!” Le Dieu du tabernacle et du Calvaire l'a entendue. Il va lui répondre.
                Le vendredi saint de l'année 1687, 28 mars, cette âme, affamée du pain eucharistique, se prit à dire à son Bien-Aimé: “Aimable Jésus, je me veux consommer en vous désirant, en ne vous pouvant posséder en ce jour, je ne laisserai de vous désirer.” Il vint la consoler de sa douce présence, disant: “Ma fille, ton désir a pénétré mon Coeur si avant, que si je n'avais pas institué ce sacrement d'amour, je le ferais maintenant pour me rendre ton aliment. Je prends tant de plaisir d'y être désiré, qu'autant de fois que le coeur forme ce désir, autant de fois je le regarde amoureusement pour l'attirer à moi.”
Serait-ce la même grâce qui se trouve rapportée dans l'Autobiographie, mais d'une manière quelque peu différente? “Une fois que je le désirais ardemment, mon divin Maître se présenta devant moi, comme j'étais chargée de balayures; il me dit: - Ma fille, j'ai vu tes gémissements et les désirs de ton coeur me sont si agréables, que si je n'avais pas institué mon divin sacrement d'amour, je l'instituerais pour l'amour de toi, pour avoir le plaisir de loger dans ton âme, et prendre mon repos d'amour dans ton coeur. - Ce qui me pénétra d'une si vive ardeur que j'en sentais mon âme toute transportée, et ne pouvait s'exprimer que par ces paroles: O amour! ô excès de l'amour d'un Dieu envers une si misérable créature!”
                Mais à côté de ces paroles, capables de transfigurer toute une vie, Notre-Seigneur lui en adressait d'autres, non moins belles, pour tenir cette âme dans la surnaturelle conviction qu'il était tout et qu'elle n'était rien. “Une fois, il me fut dit d'une voix pleine d'autorité: - Je te rendrai si pauvre, si vile et abjecte à tes yeux, et je te détruirai si fort en la pensée de ton coeur, que je pourrai m'édifier sur ce néant. - Ces paroles eurent tant d'effet en moi que je n'y pouvais penser qu'avec horreur, tant j'y voyais de misères.”
                Notre-Seigneur lui avait dit qu'il voulait se servir d'elle comme d'un canal, pour répandre ses grâces à profusion dans les âmes. Cette assurance suffit pour faire croire à la prodigieuse miséricorde dont il allait lui confier le secret. “Un jour de vendredi, pendant la sainte communion, il dit ces paroles à son indigne esclave, si elle ne se trompe: - Je te promets, dans l'excessive miséricorde de mon Coeur, que son amour tout-puissant accordera, à tous ceux qui communieront neuf premiers vendredis des mois, de suite, la grâce de la pénitence finale, ne mourant point dans ma disgrâce et sans recevoir leurs sacrements, mon divin Coeur se rendant leur asile assuré au dernier moment.”
                Ce qu'elle a entendu, elle le répète. Peut-être objectera-t-on: elle n'a pas compris - cela ne peut avoir été dit. Changeons nos pensées, croyons que rien n'est impossible à Dieu, surtout quand il a résolu de manifester l'excessive miséricorde de son Coeur.
                Ayant été réélue supérieure à l'Ascension de l'année 1687, la Mère Marie-Christine Melin choisit de nouveau la Soeur Alacoque pour assistante et la proposa à l'élection de la Communauté, qui se fit honneur, une seconde fois, en élisant une personne d'un tel mérite. Tout ce qui l'élevait aux yeux des créatures était pour Soeur Marguerite Marie une croix très pesante, d'autant que, au témoignage des Contemporaines, “l'estime et vénération singulière qu'on eut pour sa sainteté l'empêchèrent de trouver de nouvelles occasions de souffrir.”
                Écrivant pendant le carême de 1688 à l'une de ses plus intimés amies, la Soeur Félice-Madeleine de la Barge, à Moulins, elle lui dit simplement “Il faut vous avouer, au sujet des charges, que vous ne sauriez croire combien j'ai senti ma faiblesse en ce rencontre, par mon peu de soumission, qui m'a fait jouer bien des personnages pour me défaire de la nôtre, mais en vain. C'est pourquoi il nous faut abandonner, et, par un parfait oubli de nous-même, ne rien vouloir ni désirer, et nous trouverons tout en Dieu.”
                Cette Soeur de la Barge! que de conseils admirables, que de paroles embrasées n'eut-elle pas le bonheur de recueillir directement de la grande privilégiée du Coeur de Jésus! Un jour, celle-ci lui écrira: “Je ne peux vous dire autre chose, sinon que l'anéantissement de vous-même vous élèvera à l'union de votre souverain Bien. En vous oubliant de vous-même, vous le posséderez, et en vous abandonnant à lui, il vous possédera.” Et un autre jour: “Il ne faut que l'aimer, ce Saint des saints, pour devenir sainte. Qui nous empêchera donc de l'être, puisque nous avons des coeurs pour aimer et des corps pour souffrir? Mais hélas! peut-on souffrir quand on aime? Non, chère amie, il n'y a plus de souffrance à ceux qui aiment ardemment le sacré
Coeur de notre aimable Jésus, parce que les douleurs, les humiliations, mépris et contradictions, et tout ce qu'il y a de plus amer en la nature, est changé en amour dans cet adorable Coeur, lequel veut être aimé sans mélange. Il veut tout posséder sans réserve et il veut tout faire en nous, sans résistance de notre part. Livrons-nous donc à son pouvoir, confions-nous en lui, laissons-le faire, et nous verrons qu'il y emploiera immanquablement tous les ouvriers nécessaires à notre perfection, en telle sorte que la besogne sera bientôt faite, pourvu que nous n'y apportions point d'obstacle.” Et une autre fois: “Pour ce qui est d'entrer dans son sacré Coeur, allez, que devez-vous craindre, puisqu'il vous invite d'y aller prendre votre repos? N'est-il pas le trône de la miséricorde, où les plus misérables y sont les mieux reçus, pourvu que l'amour les présente dans l'abîme de leur misère? Et si nous sommes lâches, froids, impurs et imparfaits, n'est-il pas une fournaise ardente, où il nous faut perfectionner et purifier comme l'or dans le creuset?”
                Notre-Seigneur avait assuré sa servante que toutes les grâces qu'elle recevrait ne l'empêche. raient jamais d'observer ses règles, et d'obéir aveuglément, “mon divin Sauveur m'ayant fait connaître qu'il les avait tellement soumises à l'obéissance, [ses grâces] que si je venais à m'éloigner tant soit peu, il se retirerait de moi, avec “toutes ses faveurs; enfin, que cet esprit qui me “conduit et qui règne en moi avec tant d'empire, “me porterait à cinq choses :

1. A aimer d'un amour extrême mon Sauveur Jésus-Christ;
2. A obéir parfaitement à l'exemple de mon Seigneur Jésus-Christ;
3. A souffrir sans cesse pour l'amour de Jésus-Christ;
4. A vouloir souffrir, sans qu'on s'aperçoive, s'il se peut, que je souffre;
5. A avoir une soif insatiable de communier “et d'être devant le saint Sacrement.

“Il me semble que toutes ces grâces, jusque ici, a ont produit en moi tous ces grands effets.” Quel témoignage! Ainsi, la force de la vérité oblige notre Sainte à confesser que, son âme n'ayant apporté aucune résistance à l'action divine, toutes les prédictions du Maître se , sont pleinement accomplies en elle. Et comme conséquence, elle ajoute immédiatement: “Au reste, je vois plus clair que le jour qu'une vie sans amour de Jésus”Christ, c'est la dernière de toutes les misères.”
                Depuis longtemps déjà, l'humble Marguerite se sentait pressée de demander, par l'intercession de saint François de Sales, toutes les grâces nécessaires à son cher Institut de la Visitation, surtout la perfection de l'union et de la charité, ces vertus fondamentales de tout l'Ordre. Mais Notre-Seigneur, ayant plusieurs fois rejeté sa demande, elle lui dit un jour: “Non, mon Dieu, je ne vous quitterai point que vous ne m'accordiez cette grâce, et tant qu'il me restera de voix et de mouvement, je l'emploierai pour vous le demander.” Notre-Seigneur reprit: “Je te promets d'exaucer ta demande, si l'on fait ce que je te commande. Que chacune fasse une sérieuse recherche dans son intérieur, de tout ce qui peut faire obstacle à ma grâce, dont l'un des plus grands est une certaine petite jalousie et envie les unes contre les autres, et une secrète froideur qui détruit la charité et rend mes grâces inutiles.”
                Et saint François de Sales lui dit: “Une véritable fille de la Visitation doit être une hostie vivante, à l'imitation de Jésus-Christ.”
                Ce fut bien le même langage que lui tint la sainte fondatrice, la Vénérable Mère de Chantal, lorsque, dans une autre occasion, elle lui dit: “Les vraies filles de la Visitation ne se doivent réjouir qu'en la croix, et ne se glorifier que des humiliations, puisqu'elles ne doivent triompher que par la croix.”
                Un jour de la Visitation, étant devant le saint Sacrement, Soeur Marguerite-Marie priait avec de véritables instances pour tout son saint Ordre; mais la divine Bonté se montrait inflexible à sa prière. “Ne m'en parle plus: ils (sic) font la sourde oreille à ma voix et ils détruisent le fondement de l'édifice. Mais s'ils pensent de l'élever “sur un étranger, je le renverserai.” Il fallut que la sainte Vierge plaidât la cause de la Visitation. La lutte fut longue entre le divin Fils et la divine Mère. Enfin, celle-ci remporta la victoire. Mais le démon en devint si furieux, que, enrageant de dépit, il éleva soudain un formidable tourbillon, qui parut devoir renverser l'église du monastère. Et, rompant par deux fois les rideaux de la grille, Satan fit retentir ces paroles: “C'est ainsi que je voulais renverser l'Ordre de la Visitation, s'il n'avait été soutenu par cette forte colonne, contre laquelle je n'ai point de pouvoir.”
                Mgr Languet dit: “Le fracas qui se fit alors dans l'église fut si sensible, qu'une religieuse qui était en station avec Soeur Marguerite devant le saint Sacrement, saisie d'effroi, se leva avec précipitation pour s'enfuir; mais Soeur Marguerite la rappela, et lui dit d'un air tranquille: “- Ne craignez rien; cela est fini. Il n'en fera pas davantage.” - Ce qui, en rassurant la Soeur effrayée, lui fit comprendre que Soeur Marguerite avait eu une vision.”
                Dans sa retraite de la même année, une grâce de contrition extraordinaire est accordée à la Servante de Dieu. Pendant cinq ou six heures, elle ne fait que pleurer ses péchés, mais avec des larmes de feu, car ce sont des larmes d'amour. Notre-Seigneur se présente devant elle et lui dit: “Ma fille, veux-tu bien me sacrifier les larmes que tu as versées, pour laver les pieds de ma bien”aimée, qui s'est souillée en poursuivant un étranger?” Et, lui-même explique ce qu'il veut dire. Sa bien-aimée, c'est la Visitation. Elle est entrée dans un purgatoire, c'est-à-dire dans les retraites annuelles, pour se purifier. “Ma fille, donne-leur ce dernier avertissement de ma part. “Que chacune pense, à part soi, à faire profit de la grâce que je lui présente par l'entremise de ma sainte Mère; car celles qui n'en profiteront pas demeureront comme des arbres secs, qui ne rapportent plus de fruits.”
                Tout permet de croire que la miséricorde divine fut entendue. Nous voici au 2 juillet 1688, et cette fois, la scène change. On n'entend plus que des paroles de bénédiction. Étant devant le saint .Sacrement, Soeur Marguerite-Marie vit un lieu fort éminent, spacieux et admirable en sa beauté. Le Coeur de Jésus rayonnait au centre, comme sur un trône de flammes. La très sainte Vierge était d'un côté, saint François de Sales et le Père de la Colombière de l'autre. Les filles de la Visitation paraissaient en ce lieu avec leurs bons anges. La Reine du ciel les encourage: “Venez, mes bien-aimées filles, approchez-vous.” Puis, leur montrant le divin Coeur: “Voilà ce précieux trésor, qui vous est particulièrement manifesté, par le tendre amour que mon Fils a pour votre Institut, qu'il regarde et aime comme son cher Benjamin, et pour cela, le veut avantager de cette portion par-dessus les autres. Et il faut que non seulement elles s'enrichissent de ce trésor, - mais encore qu'elles distribuent cette précieuse monnaie de tout leur pouvoir, avec abondance, en tâchant d'en enrichir tout le monde, sans crainte qu'il défaille; car, plus elles y en prendront, plus elles en trouveront.
                “Ensuite, se tournant vers le bon Père de la Colombière, cette Mère de bonté lui dit: - Pour vous, fidèle serviteur de mon divin Fils, vous avez grande part à ce précieux trésor, car s'il est donné aux filles de la Visitation de le connaître et distribuer aux autres, il est réservé aux Pères de votre Compagnie d'en faire voir et connaître l'utilité et la valeur.”
                Jamais la Sainte ne perdit le souvenir de cette communauté de privilèges, répartis gratuitement par le Sacré Coeur entre la Compagnie de Jésus et l'Ordre de la Visitation. Aussi, lorsque la Providence la mettait en rapport avec quelques Pères de cette sainte Compagnie, comme elle était fidèle à leur rappeler leur glorieuse mission! Le 10 août 1689, elle écrivait au Père Croiset: “C'est là où je me voudrais fondre d'actions de grâces et de reconnaissance envers ce divin Coeur, pour les grandes grâces qu'il nous fait, en voulant bien se servir de nous pour aider à le faire connaître, aimer et honorer, à quoi il attache des biens infinis pour tous ceux qui s'y emploieront de tout leur pouvoir, suivant son inspiration...... Mais quoique ce trésor d'amour soit un bien “propre à tout le monde, et en qui chacun a droit, il a néanmoins toujours été caché jusqu'à pré”sent, qu'il s'est particulièrement donné aux (filles) de la Visitation, parce qu'elles sont destinées à honorer sa vie cachée, afin que, leur étant découvert, elles le manifestassent et distribuassent aux autres. Mais il est réservé aux révérends Pères de la Compagnie de Jésus de faire connaître la valeur et l'utilité de ce précieux trésor, où plus l'on prend, plus il y a à prendre. Il ne tiendra donc qu'à eux de s'en enrichir, avec abondance de toute sorte de biens et de grâces; car c'est par cet efficace moyen qu'il leur présente qu'ils pourront s'acquitter parfaitement, selon son désir, du saint ministère de charité auquel ils sont destinés. Car ce divin Coeur répandra tellement la suave onction de sa charité sur leurs paroles, qu'elles pénétreront, comme un glaive à deux tranchants, les coeurs les plus endurcis, pour les rendre susceptibles à l'amour de ce divin Coeur, et les âmes les plus criminelles seront conduites, par ce moyen, à une salutaire pénitence.
                “Enfin, c'est par ce moyen qu'il veut répandre sur l'Ordre de la Visitation et sur celui de la Compagnie de Jésus l'abondance de ces divins trésors de grâce et de salut, pourvu qu'ils lui rendent ce qu'il en attend, qui est un hommage d'amour, d'honneur et de louange, et de travailler de tout leur pouvoir à l'établissement de son règne dans les coeurs. Il attend beaucoup de votre sainte Compagnie pour ce sujet.”
                Elle expose alors au Père Croiset ce que le Coeur de Jésus veut personnellement de lui - avant tout c'est sa sanctification - et elle lui dit: A mesure que vous y travaillerez, ce divin Coeur vous sanctifiera de sa sainteté même.”
                Dans cette même lettre, elle insinue que le .Sacré Coeur cherche des coeurs vides pour les remplir de la suave onction de son ardente charité, pour les consommer et les transformer tout en lui”. Elle ajoute: «Il veut des esprits humbles et soumis, sans curiosité que d'accomplir son bon plaisir.”
                Au même endroit, elle donne comme un précis des promesses que ce Coeur sacré lui a faites, pour ceux qui se consacreront et dévoueront à lui, marquant, entre autres choses, “qu'il ne les laissera jamais périr et qu'il leur serait un asile assuré contre toutes les embûches de leurs ennemis, mais surtout à l'heure de la mort;... de plus, qu'il réunirait les familles divisées - par ce moyen - et protégerait celles qui seraient en quelque nécessité; et qu'il répandrait cette suave onction de sa charité dans toutes les Communautés religieuses où il serait honoré et lesquelles se mettraient sous sa particulière protection; qu'il en tiendrait tous les coeurs unis, pour n'en faire qu'un même avec lui, et qu'il en détournerait les traits de la divine justice...”
Quand on apprend à Soeur Marguerite-Marie que le culte du Sacré Coeur est accueilli en particulier ou en public, elle en tressaille. Mais, de bonne foi, elle se figure qu'elle est un empêchement à cette diffusion, qu'elle souhaiterait déjà universelle. Voici qui est à remarquer: la Soeur Alacoque disait souvent que le diocèse d'Autun serait le dernier à honorer le Sacré Coeur, “parce qu'elle s'y croyait un obstacle”. Le motif qu'elle allègue n'était qu'une illusion de son humilité. Mais la première partie de la prédiction devait avoir son accomplissement, puisque, moins favorisé que la plupart des autres monastères de l'Ordre, celui de Paray n'obtint de ses supérieurs ecclésiastiques la permission de solenniser la fête du Sacré Coeur qu'en l'année 1713. Et, alors que nombre d'églises avaient adopté déjà la chère dévotion, sous l'autorité de leurs pasteurs, ce ne fut qu'en 1721 que Mgr d'Hallencourt de Droménil, évêque d'Autun, ordonna enfin de célébrer la fête du Sacré Coeur dans tout son diocèse.
                Cependant, un jour de bien pur bonheur avait lui pour l'apôtre du Coeur de Jésus, vers la fin de l'année 1688. La chapelle, projetée dès le 21 juin 1686, était achevée. Le Coeur sacré avait eu pour si agréable le zèle que la Mère Marie-Christine Melin avait mis à lui faire élever un sanctuaire où il serait adoré, qu'en récompense, il lui promettait le privilège . de mourir dans l'acte du pur amour. Pour notre Sainte, quel doux message à lui transmettre, cette fois!
                Le tableau du Sacré Coeur, qui devait orner le nouvel édifice, avait été exécuté par les soins de la Mère de Saumaise, d'après la miniature envoyée par la Mère Greyfié. Il avait parfaitement satisfait leur ancienne fille, qui écrivait à la première: “Je ne peux vous exprimer le doux transport de joie que ressentit mon coeur à la vue de notre tableau, que je ne me lasserai jamais de regarder, tant je le trouve beau.”
                Il n'y avait plus qu'à inaugurer le petit temple, après en avoir fait la solennelle bénédiction. Elle fut fixée au 7 septembre 1688. Ce ne fut pas seulement une fête pour le monastère; toute la ville voulut s'y associer. Messieurs les Sociétaires du Mépart, et les curés des paroisses voisines se réunissent à l'église paroissiale, puis se forment en procession et se dirigent vers l'enclos du couvent, qu'ils traversent, pour arriver à la chapelle, élevée à l'angle nord-est du jardin. Derrière eux, voici toute une légion de fidèles, qu'on ne peut empêcher d'entrer. A une heure de l'après-midi, les prières de la bénédiction commencent et la cérémonie dure jusqu'à trois heures. Plus longtemps, se prolonge la contemplation, ou plutôt l'extase de Soeur Marguerite-Marie, qui, toute abîmée en Dieu, dans un coin du sanctuaire, ne voit rien, n'entend rien. En ce moment, elle est plus au ciel que sur la terre. Déception pour les nombreux visiteurs, qui avaient si bien espéré lui parler! Il fallut s'en retourner avant qu'elle fût sortie de son ravissement. Qui peut aller contre la parole de l'Époux céleste: “N'éveillez pas ma bien-aimée et ne la tirez pas de son repos, avant qu'elle-même le veuille.”
                On sut bien s'en dédommager plus tard, puisque nous voyons, dans la déposition de la Soeur de Farges, que des prêtres, religieux, prédicateurs et autres, venaient consulter la vénérable Soeur Alacoque sur leurs difficultés, et qu'ils sortaient de sa conversation si contents qu'ils disaient ordinairement: “Nous venons de voir la sainte.”
                La Soeur de la Garde assure de son côté, “qu'elle a vu plusieurs personnes, et régulières et séculières, s'adresser à la vénérable Soeur, pour lui parler sur les peines qu'elles avaient, et qu'elles sortaient toujours consolées d'auprès d'elle, avouant qu'elles étaient charmées d'entendre la Servante de Dieu parler avec tant de facilité et une éloquence qui ne paraissait pas naturelle, des mystères de notre foi.”
Ce qui charmait Soeur Marguerite-Marie, c'était de voir cette dévote chapelle très fréquentée de toutes les Soeurs, et devenue le but de pieux pèlerinages de la part de la Communauté, surtout les premiers vendredis du mois, que l'on s'y rendait en procession, chantant les litanies du Sacré Cœur et renouvelant l'amende honorable avec la consécration. Dans tous ces consolants progrès, combien de motifs de répéter l'un des plus chers refrains de son amour envers le Sacré Cœur: Ce me serait un doux plaisir d'être anéantie pour le faire régner”. Cependant à l'époque où nous en sommes arrivés de sa vie, la vénération générale lui faisait, malgré elle, comme un cortège d'honneur. Soeur Marie-Lazare Dusson, qui avait l'avantage de souvent s'entretenir avec ce séraphin terrestre, en tendant un jour lire au réfectoire la vie de sainte Catherine de Sienne, pensait en elle-même: “Oh! si je pouvais voir une personne qui lui ressemblât, que je m'estimerais heureuse!” - En même temps, Notre-Seigneur lui dit intérieurement: “Regarde, voilà ma bien-aimée, à qui je n'ai pas fait moins “de grâces et de faveurs.” Ouvrant alors les yeux, elle vit la Soeur Alacoque, qui était assistante et se trouvait en face d'elle. Et sur l'heure, une impression de grâce, qui ne pouvait tromper, lui désignait cette âme comme celle dont l'Esprit-Saint rendait ce témoignage.
                Le simple contact de cette bien-aimée du Seigneur avait quelque chose de miraculeux. En 1689, Soeur Anne-Marie Aumônier de Chalanforge, dès les premiers jours de son postulat comme Soeur converse, s'était blessée à la jambe, en fendant du bois. Ayant porté son mal en silence assez longtemps, dans la crainte qu'on ne la renvoyât, un second accident fit rouvrir la plaie et la jeune Soeur ne put dissimuler davantage ses souffrances. Mais pleine de confiance dans les mérites de la Soeur Àlacoque, dont elle avait appris des choses si extraordinaires, elle pensa qu'en touchant seulement le bas de sa robe, elle guérirait. Or, un jour que la postulante rencontre la Servante de Dieu au chauffoir commun, s'approchant d'elle et se baissant comme pour ramasser quelque objet, la pauvre affligée ne fit rien autre que saisir un pan de la robe de la vénérable Soeur, pour s'en frotter la jambe. Dès ce moment, elle alla beaucoup mieux, et fut entièrement guérie en peu de temps.
                Ensevelie au fond de son cloître, Marguerite-Marie avait à remplir un dernier mandat, d'une importance capitale, pour que sa mission fût complètement achevée.
Un jour, la dévotion au Sacré Coeur lui est montrée comme un bel arbre, que Dieu avait destiné, de toute éternité, pour prendre son germe et ses racines dans l'Institut de la Visitation. Les fruits de cet arbre sont des fruits de vie et de salut éternel. Chaque âme peut en cueillir à son gré et selon son goût. Le divin Coeur veut que les Filles de la Visitation distribuent les fruits de cet arbre sacré avec abondance à tous ceux qui désireront d'en manger, sans crainte qu'ils leur manquent. “Mais,” continue-t-elle, dans la même lettre à la Mère de Saumaise, “il ne veut pas s'en arrêter là; il a encore de plus grands desseins, qui ne peuvent être exécutés que par sa toute-puissance, qui peut tout ce qu'elle veut.”
                Alors, avec autant de candeur qu'elle en mettrait à rapporter la chose la plus facile du monde, elle redit les messages dont Notre-Seigneur la charge pour le roi de France: “Fais savoir au fils aîné de mon sacré Coeur - parlant de notre roi .” Et, elle expose nettement tous les désirs du Coeur de Jésus.
                Il veut régner dans le palais du roi, mais surtout dans son coeur.
                Il veut être peint sur ses étendards et gravé dans ses armes, pour les rendre victorieuses.
                Il veut le voir lui élever un temple, où le tableau du Sacré Coeur serait exposé, afin d'y recevoir la consécration et les hommages du roi et de toute la cour.
Enfin, “il l'a choisi comme son fidèle ami, pour faire autoriser la messe en son honneur, par le Saint-Siège apostolique, et en obtenir tous les autres privilèges qui doivent accompagner cette dévotion de ce sacré Coeur.”
                Puis elle déroule tout le plan de réussite, tel qu'il lui a été surnaturellement suggéré. Dieu a choisi le Révérend Père de la Chaise pour avertir le roi. La Mère de- Saumaise devra s'employer à faire agir l'éminent jésuite, mais la Soeur Alacoque restera cachée. “Je vous demande toujours le secret pour tout ce que je vous dis.”
                La Mère de Saumaise, qui ne rejette aucune proposition venant de Soeur Marguerite-Marie, accepte encore celle-ci, et se sent inspirée de se servir de l'intermédiaire de la Mère Marie-Louise Croiset, supérieure du monastère de Chaillot, où venait de se réfugier l'infortunée reine d'Angleterre, Marie-Béatrix d'Este, cette ancienne duchesse d'York, dont le Père de la Colombière avait été prédicateur. A la faveur de telles entremises, ne finirait-on point par arriver jusqu'à Louis XIV? Voilà ce qu'on se proposait. Qu'a-t-on obtenu?
                On a pu dire et penser bien des choses sur ce grand sujet. Là vérité est qu'aucun document ne demeure des négociations entreprises et qu'elles sont alors restées sans effet. Le roi n'eut-il pas connaissance de l'avertissement céleste? ou, l'ayant connu, n'eut-il pas le courage de s'y conformer?...
Bien que ce soit le secret de Dieu, les événements ultérieurs sembleraient plutôt permettre de croire à cette dernière hypothèse. S'il n'y avait eu, dans la famille royale, une tradition quelconque du message fait à Louis XIV, le voeu de Louis XVI aurait-il contenu si explicitement ces diverses clauses: - de prendre les mesures nécessaires pour établir une fête solennelle en l'honneur du sacré Coeur de Jésus, laquelle serait célébrée, à perpétuité, dans toute la France, le premier vendredi d'après l'octave du Saint-Sacrement; - de consacrer au Sacré Coeur sa personne, sa famille et son royaume; - d'ériger et de décorer à ses frais, dans une église à son choix, une chapelle ou un autel au Sacré Coeur?
                Il est encourageant de se rappeler ce qu'écrivait la Sainte: “Une chose qui me console fort, c'est que j'espère qu'en échange des amertumes que ce divin Coeur a souffertes dans les palais des grands, pendant les ignominies de sa Passion, cette dévotion l'y fera recevoir avec magnificence avec le temps. Et quand je lui présentais “mes petites requêtes sur toutes ces choses qui semblaient difficiles à obtenir, il me semblait entendre ces paroles: - Crois-tu que je le puisse faire? Si tu le crois, tu verras la puissance de mon Coeur dans la magnificence de mon amour.”
                Quoi qu'il en soit, à deux siècles de distance, et en attendant davantage, la France s'est souvenue de 1689 et du désir du Roi des rois. Elle s'est consacrée au Sacré Coeur, et le temple qui domine sa capitale, publie à la face du ciel et de la terre, qu'elle se proclame la nation pénitente et dévouée: Gallia paenitens et devota!
                Depuis la grande guerre, elle aune encore à se proclamer la nation RECONNAISSANTE: “Christo ejusque Sacratissimo Cordi, Gallia paenitens, devota et grata.”
                En effet, la vraie France ne peut méconnaître qu'elle doit sa victoire au Coeur sacré de Jésus, qui donna tant de vaillance et d'héroïsme à nos soldats, pour faire triompher sa cause. Et c'est pourquoi, au lendemain de cette sanglante tragédie, la Consécration de la Basilique du Voeu national, sur la colline de Montmartre, revêtit un caractère de splendeur et de solennité qui dépassa tout ce qu'on pouvait espérer.
                Le Pape - Sa Sainteté Benoît XV - y envoya un Légat - Son Éminence le Cardinal Vico. - Les fêtes furent magnifiques. Et notre Sainte y eut sa place d'honneur, car, tandis que des voix éloquentes y redirent ses vertus et la gloire de sa mission d'Apôtre du Sacré Coeur, des parcelles de ses ossements précieux furent déposées non seulement dans l'autel de sa chapelle propre, mais encore dans le maître-autel de la Basilique, avec celles du glorieux martyr saint Denys. Qu'eût-elle dit, l'humble Marguerite de Paray, si, en 1689, on avait soulevé devant elle le voile de l'avenir, et si on lui avait fait lire, à la date du 16 octobre 1919, cette consolante page de notre histoire nationale? Mais revenons aux dernières années de Sainte Marguerite-Marie ici-bas.
                Dès 1689, le Père Croiset avait été providentiellement amené à faire quelques additions au livret de la Soeur Joly sur la dévotion au Sacré Coeur, et à le laisser imprimer à Lyon, chez Horace Molin, libraire, qui se chargeait lui-même de tous les frais. Mise au courant de tout, la Soeur Alacoque écrit au jeune jésuite, le 10 août 1689: “Il [Notre-Seigneur] me semble vouloir que je vous assure de sa part que ce commencement lui a donné tant de plaisir, qu'il a fait dessein de vous donner les grâces qu'il avait destinées à un autre, lequel s'est voulu excuser, sur ses occupations, de faire ce que vous avez fait et qu'il [Notre-Seigneur] veut, si je ne me trompe, que vous fassiez à l'avenir, pourvu que vous ayez le courage de poursuivre, malgré tous les obstacles et contradictions que Satan y pourra susciter, dans la suite de l'exécution des [choses] qu'il désire de vous. Il vous soutiendra et ne vous laissera manquer d'aucun moyen nécessaire pour cela.”
                C'est clair - ce que le Père Croiset a fait n'est qu'un commencement. Le Sacré Coeur veut quelque chose de plus. Mais comment parler de ce Coeur divin, sans avoir d'abord entretenu celle qui en connaît tous les secrets? Le Père Croiset désire donc voir Soeur Marguerite-Marie. Par bonheur, il a pour supérieur le Père Antoine Billet, oncle de la Soeur Claude-Marguerite, cette si chère amie de la Soeur Alacoque. Le Père Billet donne très facilement au jeune religieux la permission de faire le voyage de Paray, dans les derniers mois de l'année 1689, en compagnie du Père Claude de Villette. L'un et l'autre se promettaient des merveilles de cet entretien. Ils arrivent au parloir, mais se demandent bientôt si on ne les a pas trompés, en leur racontant de si grandes choses de la pauvre religieuse qu'ils ont devant eux. Elle se tient si réservée, si rabaissée qu'à peine ose-t-elle répondre. Est-ce bien là une âme qui lit au fond des coeurs? Déjà, ils se repentent d'être venus de si loin pour voir une personne qui ne leur veut rien dire et se proposent de ne pas renouveler pareille visite. Mais le lendemain, ils se sentent pressés de revenir l'un après l'autre. Cette fois, la Sainte dit à chacun le mot qu'il faut dire, et tous deux recueillent pleine satisfaction. Ils s'étonnent maintenant de trouver tant de force, d'onction et de pénétration dans les paroles d'une simple fille, et ils avouent que Dieu seul peut lui communiquer de telles lumières.
                Cette conférence fut décisive, et la dévotion au Sacré Coeur compta désormais deux apôtres de plus. “Depuis ce temps,” disent les Contemporaines, parlant de Soeur Marguerite-Marie, “ils eurent commerce de lettres avec elle, surtout le Révérend Père Croiset”. Celui-ci eut la joie d'être ordonné prêtre sur la fin du carême de 1690, et de célébrer une de ses premières messes, sinon la première, le jeudi saint, 23 mars.
                Ce même jour, ou pendant la nuit sacrée du jeudi au vendredi saint, Notre-Seigneur présenta une grande croix à sa bien-aimée disciple. Elle l'accepta sans en comprendre d'abord la signification. Mais ayant appris, peu après, qu'on la voulait mettre sur le catalogue pour la prochaine élection, elle ne put s'empêcher de dire à son bon Maître: “Est-il possible, ô mon Dieu, que vous permettiez qu'une créature comme moi soit exposée à la tête d'une Communauté? Je vous demande par grâce d'éloigner de moi cette croix: je me soumets à toute autre.”
                Notre-Seigneur se rendit à ses supplications, et,, à l'Ascension de 1690, ce fut la Mère CatherineAntoinette de Lévy-Châteaumorand qui fut élue. Soeur Marguerite-Marie en ressentit une joie très grande et très sincère. La première faveur qu'elle lui demanda, ce fut de la sortir de la charge d'assistante, pour laquelle la nouvelle supérieure avait dessein de la proposer encore. Notre-Seigneur n'approuva pas cette demande quelque peu empressée de sa servante, et lui dit: “Eh quoi! ma fille, je me suis rendu à ta volonté, et, pour l'amour de moi, tu ne te feras pas violence!” L'humble assistante alla aussitôt trouver sa supérieure, pour lui demander pardon d'avoir manifesté sa propre volonté et l'assurer qu'elle était disposée à faire tout ce qui lui serait ordonné. Elle fut maintenue dans sa charge, “pour le bonheur de la Communauté, qui s'adressait à elle confidemment.” On ne peut s'empêcher de le constater: Dieu donne maintenant à tout le monastère le pressentiment qu'il ne conservera plus longtemps l'admirable flambeau qu'il possède. Les Contemporaines sont les premières à dire que Soeur Marguerite-Marie avait «beaucoup de lumières et de grâces” pour consoler et soulager les Soeurs “dans leurs peines” et que “chacune lui découvrait avec permission” les siennes. Il semble qu'on voie le tableau. Il a quelque chose d'attendrissant. Toutes ces âmes qui s'ouvrent à la confidente du Coeur de Jésus, quel touchant spectacle! Non seulement, elle les console dans les afflictions présentes; mais parfois, pénétrant l'avenir, elle annonce à telle personne, telle croix pour plus tard, et lui indique comment il la faudra porter. Témoin Soeur Jeanne Françoise Chalon, qui déposa en 1715, que la vénérable Soeur “lui prédit de certains chagrins, qu'elle devait avoir dans un temps assez éloigné, et lui marqua de la manière dont elle devait se comporter dans cette occasion, quoiqu'il n'y eût aucune apparence que ces chagrins dussent arriver et que la déposante n'en voulût rien croire. Cependant, elle a trouvé le tout véritable”.
De même que le voyageur, parvenu au sommet d'une montagne très élevée, n'entend plus aucun des bruits de la plaine, et ne se souvient plus des mille dangers de l'ascension, mais qu'il est comme perdu dans la contemplation du ciel et des splendides horizons qui se déroulent devant lui - de même cette âme prédestinée, parvenue à ce radieux sommet de l'union divine, n'entend plus rien des bruits inférieurs. Elle ne voit plus que le Coeur de son Dieu et les infinis horizons de son amour. Tous les désirs, même les plus saints, ont cessé en elle.
                La Mère de Lévy-Châteaumorand, la voyant si exténuée de forces, lui retrancha l'heure sainte du jeudi au vendredi, et lui défendit toutes les autres austérités qu'elle pratiquait. Soeur Marie-Lazare Dusson rapporte, à ce sujet, que la “Mère supérieure l'ayant trouvée quelque temps avant la mort de la vénérable Soeur, elle lui dit: - Ma Soeur, vous estimez bien ma Soeur Marguerite [Marie] Alacoque; mais ce sera bien autre chose quand je vous aurai dit ce que je viens de lui faire. Je lui ai ordonné, dit-elle, de m'apporter tous ses instruments de mortification, disciplines, haires, cilices, etc... Elle a été sur-le-champ les chercher et me les a apportés, et les voilà dans mon armoire, mais je ne les lui rendrai plus. - Ce qui fit dire à la déposante: - Nous vous sommes toutes obligées, ma chère Mère, car c'est cela qui la rend toujours malade.”
La Sainte commençait à prédire ouvertement sa mort. “Je ne vivrai plus guère car je ne souffre rien; notre chère Mère a trop de soin de moi.” Une autre fois, elle dit plus positivement encore: “Je mourrai assurément cette année, parce que je ne souffre plus rien et pour ne pas empêcher les grands fruits que mon divin Sauveur prétend tirer d'un livre de la dévotion au sacré Coeur de Jésus.” C'était le livre du Père Croiset. Le volume parut en 1691, contenant, en cent six pages, un abrégé de la vie de la Servante de Dieu, ce qui donna bien plus de poids et d'autorité à tout l'ouvrage et contribua bien mieux à faire connaître la nouvelle dévotion.
                Sentant que l'Époux approchait, Soeur Marguerite-Marie voulut se préparer à sa venue par une retraite intérieure de quarante jours et sonder un peu d'où lui venait cette ardeur véhémente, qui la faisait soupirer après la divine rencontre.
Elle commença cette retraite exceptionnelle le jour de ses quarante-trois ans, 22 juillet 1690, fête de sainte Madeleine. C'est dans le sacré Coeur de Jésus qu'elle passa ces quarante jours entiers. “J'ai en lui toute ma confiance, comme étant le seul appui de mon espérance,” écrit-elle.
 “Après lui avoir remis tous mes intérêts, j'ai senti une paix admirable sous ses pieds, où il m'a tenue longtemps comme toute anéantie dans l'abîme de mon néant, attendant ce qu'il jugerait de cette misérable criminelle... Je suis insolvable, vous le voyez bien, mon divin Maître; mettez-moi en prison, j'y 'consens, pourvu que ce soit dans celle de votre sacré Coeur. Et quand j'y serai, tenez-moi là bien. captive et liée des chaînes de votre amour, jusqu'à ce que je vous aie payé tout ce que je vous dois; et comme je ne le pourrai jamais faire, aussi, souhaité-je de n'en jamais sortir.”
                Elle était dans ces sentiments, lorsqu'arriva l'époque des retraites annuelles. A Soeur CatherineAugustine Marest, l'infirmière qui l'avait si souvent soignée dans ses maladies, elle dit un jour: “Voici mon rang pour entrer en solitude, mais ce sera dans la grande solitude.”
                Elle fut saisie de son mal la veille d'entrer en retraite et s'alita le 8 octobre, neuf jours avant le dernier de sa vie. On fit appeler le docteur Billet, qui tenait la Soeur Alacoque en si grande estime. Regardant ses maladies comme causées par l'amour divin, depuis longtemps le bon docteur disait n'avoir point de remèdes à. y apporter. Cette fois, il ne vit aucun symptôme alarmant, et paraissait si sûr de son fait “qu'il fit gageure qu'elle en reviendrait.”
                “Elle fut peinée, les premiers jours, de la crainte des jugements de Dieu; mais dès qu'elle fut confessée, sa crainte se changea en confiance, et son amour et son désir d'aller à Dieu la consommait”.
                Cependant, la malade continuait à prédire qu'elle touchait à sa fin. “Le médecin l'ayant assurée qu'elle n'en mourrait pas, elle lui répondit qu'il valait mieux qu'il ne dît pas vrai qu'elle.” Mais elle était si convaincue de sa mort prochaine, qu'elle demanda instamment le saint viatique. Comme personne ne la trouvait en danger, on ne jugea pas à propos de le lui accorder. Du moins, pria-t-elle qu'on la fît communier, puisqu'elle était encore à jeun. On le lui permit. Elle reçut donc la sainte communion avec des ardeurs séraphiques, et sachant fort bien que c'était pour la dernière foi. C'était le 16 octobre.
                Une Soeur, s'apercevant qu'elle souffrait extraordinairement, voulut lui procurer quelque soulagement; mais la malade l'en remercia, avouant qu tous les moments qui lui restaient à vivre étaient trop précieux pour en perdre un seul. Oui, elle souffrait beaucoup, mais ce n'était pas encore assez pour la contenter, tant elle trouvait de charme dans les souffrances. Vivre et mourir sur la crois lui semblait si doux que, quel que fût son ardent désir de jouir de Dieu, elle en aurait encore un plus grand de demeurer en cet état jusqu'au jour du jugement, si c'était le bon plaisir divin, tant elle y goûtait de délices.
                La nuit qui devait être la dernière, Soeur Marguerite-Marie fut veillée par son ancienne novice, Soeur Marie-Nicole de la Faige des Claines, qui, jusqu'au lendemain matin à huit heures, put être témoin de ses transports d'amour envers Dieu. Tantôt, c'était par quelques versets des psaumes et de la sainte Écriture, tantôt par des oraisons jaculatoires toutes spontanées, que la Sainte exhalait ses élans embrasés.
                Ce coeur si tendre et fidèle n'avait pas oublié de faire ses derniers adieux à son petit Louis de Gonzague. Dès le premier jour qu'elle tomba malade, la Soeur Alacoque l'avait envoyé chercher, disant: “Venez-moi voir, ma chère Soeur, car je mourrai de cette maladie, et nous n'aurons pas longtemps à demeurer ensemble.”
                Dieu est un feu consumant. Avant d'admettre cette âme à l'éternelle. communion, son amour voulait qu'elle passât par une suprême purification. Voilà pourquoi le dernier jour de cette prédestinée eut ses terreurs comme ses ineffables consolations. Tout d'un coup, elle entre dans des frayeurs étranges des jugements de Dieu. Elle tremble, elle s'humilie, elle s'abîme devant son crucifix. Avec de profonds soupirs, elle répète: “Miséricorde, mon Dieu, miséricorde!”. Tel l'épi mûr, courbé sous la tempête, telle Marguerite-Marie ployant une dernière fois sous la main toute-puissante de son Dieu. Mais le divin Soleil reparaît... l'épi se redresse, ou plutôt l'âme de Marguerite exulte dans les miséricordes du Sacré Coeur. Redevenant sereine et calme, elle s'écrie: “Misericordias Domini in aeternum cantabo!”
                Oppressée par la fièvre, elle ne peut rester au lit. On la soulève et on la soutient, pour l'aider à respirer. Pendant ce temps, elle redit: “Hélas! je brûle, je brûle; mais si c'était de l'amour divin, quelle consolation! Mais-je n'ai jamais su aimer “mon Dieu parfaitement!” Et, s'adressant aux Soeurs qui l'entourent: “Demandez-lui-en pardon pour moi et l'aimez bien de tout votre coeur, pour “réparer tous les moments que je ne l'ai pas fait. “Quel bonheur d'aimer Dieu! Ah! quel bonheur! “Aimez donc cet Amour, mais aimez-le parfaitement!”
                Au milieu de ces avant-goûts du paradis, une crainte traversait l'âme de Soeur Alacoque celle de ne pas rester assez cachée et ensevelie dans un éternel oubli après sa mort. Elle fait promettre à sa supérieure de ne parler jamais de tout ce qu'elle lui a dit en confiance et qui pourrait être à son avantage. - Il y a des promesses dont la gloire de Dieu dispense et relève, ne l'oublions pas. - Ce n'est pas tout: elle fait appeler la Soeur de Farges: Je vous prie,” lui dit-elle, ma chère Soeur, d'écrire incessamment au Révérend Père Rolin, pour le prier de brûler mes lettres, et de me garder inviolablement le secret que je lui ai souvent demandé.” Elle dit encore à la même Soeur: “Je vous prie; ma chère Soeur, de brûler le cahier qui est dans une telle armoire, écrit de ma main, par ordre de mon confesseur, le Révérend Père Rolin, jésuite, car il m'a défendu de le faire moi-même, avant qu'il l'eût examiné.” - Dieu permit, en cette rencontre, que l'humilité de notre Sainte l'empêchât de comprendre que la Soeur de Farges était la dernière personne à laquelle il aurait fallu s'adresser pour un pareil office. En effet, vénérant Soeur Marguerite-Marie comme elle la vénérait, son ancienne novice se garda bien de lui obéir en cette circonstance. Elle se contenta de l'engager à remettre la clef de l'armoire à la supérieure, et à faire un sacrifice à Dieu du reste, “à quoi elle consentit, quoique cela lui coûtât beaucoup.”
                Le ciel avait veillé à ce que la postérité ne fût point frustrée du trésor de grâces que renfermait ce cahier. Au moment où celle qui l'écrivait est prête à paraître devant son Dieu, recueillons-nous et admirons la vérité des paroles que son souverain Seigneur lui adressait, alors que cette âme parfaitement humble cherchait à se dégager de l'obéissance de révéler tant de divins prodiges d'amour, opérés en sa faveur. “Poursuis, ma fille, poursuis; il n'en sera ni plus ni moins pour toutes tes répugnances; il faut que ma volonté s'accomplisse... Écris donc sans crainte tout, suivant que je te dicterai, te promettant d'y -répandre l'onction de ma grâce, afin que j'en sois glorifié. Premièrement, je veux cela de toi, pour te faire voir que je me joue, en rendant inutiles toutes les précautions que je t'ai laissé prendre, pour cacher la profusion des grâces dont j'ai pris plaisir d'enrichir une aussi pauvre et chétive créature que toi, qui n'en dois jamais perdre le souvenir, pour m'en rendre de continuelles actions de grâces. En second lieu, pour t'apprendre que tu ne te dois point approprier ces grâces, ni être chiche de les distribuer aux autres, puisque je me suis voulu servir de ton coeur comme d'un canal, pour les répandre, selon mes desseins, dans les âmes, dont plusieurs seront retirées, par ce moyen, de l'abîme de perdition, comme je te le ferai voir dans la suite. Et en troisième lieu, c'est pour faire voir que je suis la vérité éternelle, qui ne peut mentir, - je suis fidèle en mes promesses - et que les grâces que je t'ai faites peuvent souffrir toute sorte d'examens et d'épreuves.”
Que de fois, tandis qu'elle traçait ces pages sublimes, la Sainte s'est arrêtée, ne fût-ce que pour conjurer le Seigneur de faire que cet écrit ne fût jamais vu de personne, que de celui qui devait l'examiner! “O mon [Dieu], donnez cette consolation à votre pauvre chétive esclave,” dit-elle. Mais elle est obligée d'ajouter: “En même temps, ma demande a reçu cette réponse: - Abandonne tout à mon bon plaisir, et me laisse accomplir mes desseins, sans te mêler de rien, car j'aurai soin de tout.” Par cette parole, Notre-Seigneur ne s'est-il pas, en quelque sorte, engagé à garder à son Église ce que nous oserions appeler un inestimable joyau dans le trésor des écrits des saints? N'est-ce point le titre que pourrait porter l'Autobiographie de la vierge de Paray?
                Mais revenons auprès de son lit de douleur.
                La Mère supérieure avait fait prévenir la famille Alacoque. On en avertit la malade. Elle répondit qu'elle ne la verrait point. “Mourons et sacrifions tout à Dieu.” Telle fut l'une de ses dernières paroles.
                Vers les cinq heures du soir du 17 octobre, elle eut une faiblesse qui fit redouter un prompt dénouement. De nouveau, elle demanda le saint viatique; mais comme elle parut se ranimer, le docteur persista à dire que rien ne pressait et qu'il fallait attendre le lendemain: “J'ai prévenu, heureusement,” dit-elle à la Soeur de Farges; “je me doutais bien qu'on ne me croirait pas si mal c'est pourquoi la dernière fois que j'ai communié, Dieu m'a fait la grâce de le recevoir en viatique.” Et elle aspirait de plus en plus au ciel “Laetatus sum in his que dicta sunt mihi: in domum Domini ibimus. Oui, j'espère que, par la miséricorde du Sacré Coeur, nous irons en la maison du Seigneur.”
                La très honorée Mère s'étant retirée, l'infirmière dut bientôt la rappeler. Une Soeur trouvait qut c'était inutile; mais la mourante dit: “Laissez-le faire, il en est temps.” Alors, elle pria sa supérieure de lui faire donner l'extrême-onction. On fit aussitôt venir le prêtre. La supérieure voulait aussi faire revenir encore une fois le médecin; mais Soeur Marguerite-Marie l'en empêcha, disant: “Ma Mère, je n'ai plus besoin que de Dieu seul, et de m'abîmer dans le Coeur de Jésus-Christ.”
                Toutes les religieuses accoururent. La Communauté étant rassemblée fit les prières de la recommandation de l'âme. Bien que la Soeur Péronne-Rosalie de. Farges et la Soeur Françoise-Rosalie Verchère ne se trouvassent pas arrivées des premières dans la chambre, la Providence les réunit le chaque côté de la sainte mourante, et ce fut entre leurs bras, selon la prédiction qu'elle leur en avait faite, à chacune séparément, qu'elle rendit le dernier soupir. Elle l'exhala, en prononçant le saint Nom de Jésus, tandis que le prêtre achevait sur elle la quatrième onction.
                Une beauté toute surnaturelle se répandit sur ce visage inanimé. Une auréole semblait déjà l'environner. Les anges, les divins associés de Marguerite-Marie, pouvaient chanter autour de sa dépouille mortelle: “L'humilité précède la gloire.”
                Le docteur Billet, entrant au moment où la Soeur venait d'expirer, parut fort surpris. Rien n'ayant annoncé, d'après les données de la science, une mort si prompte, il ne doutait pas que l'amour divin n'en fût l'auteur.
                Cette bienheureuse mort arriva entre sept et huit heures du soir, le mardi 17 octobre 1690. Dans la Communauté, le deuil était général. Peut-être quelques-unes versaient-elles des larmes bien altières, en se disant: “Faut-il que nous l'ayons reconnue si tard pour ce qu'elle était!...” Les Contemporaines déclarent. que la défunte laissait “une odeur universelle de sainteté.” Aussi, quelle paix, quelle joie on ressentait à côté de ce corps glacé par la mort! L'âme, maintenant abîmée en Dieu, l'illuminait d'un rayon céleste.
                A peine la nouvelle de ce trépas eut-elle franchi les grilles pour se répandre dans la ville, qu'on y pleura comme en un désastre public. On criait à haute voix dans les rues: “La sainte est morte - La sainte des Sainte-Marie est morte! n répétaient à leur tour les petits enfants de quatre à cinq ans.
                Le lendemain matin, dès que l'église fut ouverte; elle se remplit d'une pieuse foule, avide de contempler encore une fois la vénérable Soeur, donc les restes mortels viennent d'être exposés dans le choeur des religieuses.
                Tout le monde veut faire toucher des objet: de piété au saint corps: deux Soeurs sont constamment occupées à ce consolant office et n'y suffisent même pas. Il faut demander du secoua supplémentaire.
                Tout le monde, aussi, veut des reliques de le Soeur Alacoque, demandant de ses vêtements ou quelque chose écrit de sa main. Mais, si grand était le dépouillement de cette vraie religieuse qu'après sa mort, on ne trouva rien lui ayant appartenu, si ce n'est le livre de ses règles et sa discipline.
                On n'avait jamais encore vu, “depuis l'établissement de la maison, à aucun enterrement de religieuse, une si grande assemblée de prêtres, religieux, de personnes qualifiées et de peuple, qu'à celui de ladite vénérable Sœur Alacoque.”
Ce fut au soir du 18 octobre que les funérailles se firent et que le corps de cette âme élue fut déposé au lieu de la sépulture, sous le choeur des religieuses. Les ecclésiastiques qui pénétrèrent dans la clôture, à cette occasion, imitèrent la dévotion du peuple. “Chacun,” dit Mgr Languet, “voulut emporter quelque relique de la sainte défunte, jusqu'à couper des morceaux de ses habits ou de son voile, et l'un d'eux, ayant enlevé le petit crucifix qu'elle tenait dans ses mains, refusa constamment de le rendre à la maison, disant que c'était le plus précieux trésor qu'il pût acquérir et laisser à sa famille.”
                Une Soeur de la Communauté, Soeur MarieSuzanne de Bisefrand, ayant écrit au Révérend Père Rolin, pour lui parler de celle dont la glorification était si manifeste, le saint religieux répondit en ces termes: “Je vous suis très obligé de tout le détail que vous m'avez fait dans vos deux dernières lettres, touchant la très vénérable Soeur Alacoque, que Dieu fait honorer sur la terre, ce quiest bien une marque de son élévation et de sa puissante intercession auprès de Dieu dans le ciel. J'en loue et bénis Notre-Seigneur. La révérant comme je fais, vous pouvez bien croire que j'y prends toute la part que je dois. Elle m'a honoré de son amitié et de sa confiance, pendant qu'elle a été sur la terre. Je ne doute, pas qu'elle ne me donne dans le ciel le secours de ses prières. J'y compte beaucoup; mais pour nous les attirer, vous et moi, imitons ses vertus, dont nous avons été les témoins: c'est par là que nous nous attirerons sa protection. Elle a été très fidèle à Dieu. Elle ne lui a jamais rien refusé de ce qu'il lui a demandé. Elle a été très mortifiée: les souffrances ont fait ses délices. Rien de plus humble, de plus charitable et de plus uni à Dieu, joint à une obéissance parfaite. Voilà ce qu'a été cette grande Servante de Dieu.”
                La confiance des fidèles en son intercession fut maintes fois récompensée par des faveurs extraordinaires, soit dans l'ordre spirituel, soit dans l'ordre temporel.
                Grâce au zèle de l'abbé Languet, alors vicaire général d'Autun, depuis évêque de Soissons et archevêque de Sens, la procédure ecclésiastique fut commencée en 1715, pour instruire la Cause de béatification et de canonisation de l'humble Visitandine.
                Sans se soucier des fureurs ni des sarcasmes des jansénistes, Mgr Languet consacra sa plume d'académicien à écrire la Vie de la Vénérable Mère Marguerite-Marie. L'ouvrage parut en 1729. Il fallait du courage pour parler de telles choses à une telle époque. Les amis du savant évêque l'engageaient, en toute éventualité, à ne pas signer de son nom ce livre si compromettant. Moins pusillanime et surtout plus surnaturelle fut la Soeur de Farges. Elle écrivit, “de son style simple et sans façon,” à Mgr Languet, “que Dieu le Père avais bien souffert que le Nom de Jésus, son Fils, fût mis au-dessus de sa Croix, et que Sa Grandeur ne devait pas refuser, de mettre le sien à la tête de ce livre, quelques croix et mortifications qu'il dût lui en revenir”. Le prélat suivit ce conseil, et; si la publication de ce volume attira sur son auteur une véritable persécution de la part des jansénistes et des philosophes, ennemis-nés de la dévotion au Sacré Coeur, elle lui attira, bien davantage encore, les bénédictions de ce Coeur adorable.
                Le Seigneur prit soin d'entourer d'honneur le nom de sa bien-aimée disciple, à travers les siècles. Lui-même, aussi, veilla pour que ses ossements précieux fussent conservés, et qu'après la tourmente révolutionnaire, ils fussent rapportés, par les Soeurs de Marguerite-Marie, dans ce même monastère, où elle avait si héroïquement correspondu à la grâce de sa vocation et de sa mission spéciale.
                Jamais, d'ailleurs, ces ossements bénis n'avaient quitté le territoire de Paray, même au plus fort de la Terreur. Lorsqu'était arrivée l'heure douloureuse de la dispersion de la Communauté - 23 septembre 1792 - on les avait confiés à Soeur Marie-Anne-Félicité Lorenchet, dont la famille habitait proche le monastère. Mais cette religieuse ayant dû se rendre à Beaune, son pays natal, elle laissa le dépôt sacré à Soeur Marie-Thérèse Petit. C'était le remettre entre bonnes mains. La Soeur Petit, qui appartenait à une très honorable famille de Paray, n'était pas de nature à trembler en face du danger. Aussi ne crut-elle pas devoir cacher les deux petites châsses de bois dont la Providence venait de l'établir gardienne: l'une, contenant les ossements de la vénérable Soeur Alacoque - l'autre, ceux du Père de la Colombière. Quand les Municipaux faisaient des visites domiciliaires chez elle, la Soeur Petit, leur montrant les deux châsses, disait sans mystère: “Voilà mon trésor, je vous défends d'y toucher!” On lui obéissait.
                Ce serait nous laisser entraîner trop loin que de raconter ici les obstacles de tout genre qui, durant de longues années, s'opposèrent à la restauration définitive du monastère de Paray-le-Monial. Il fallut un sublime courage, non moins qu'une très humble constance, à celles que Dieu avait marquées pour l'accomplissement de cette oeuvre: nous nommons la Mère Marie-Rose Carmoy et la Soeur Marie-Thérèse Petit, qui furent comme l'âme de cette laborieuse et délicate entreprise.
                En 1817, plusieurs Soeurs de l'ancienne Communauté de Paray, saintement impatientes de reprendre le joug de la vie religieuse, allèrent se réunir à l'ancien monastère de Moulins, qui se reconstituait à La Charité-sur-Loire. Les Soeurs émigrantes avaient conçu le projet d'emmener avec elles la petite châsse renfermant les restes de la Soeur Alacoque. Mais, leur dessein ayant été surpris, la ville de Paray s'alarma. On recourut aussitôt à l'autorité de l'évêque d'Autun, qui était alors Mgr Fabien-Sébastien Imberties. Sa Grandeur lança une ordonnance spéciale, chargeant le curé de Paray, M. Noiret, de se concerter avec MM. les maire et adjoints de la ville, pour faire en sorte que la châsse de la vénérable Soeur Alacoque, comme aussi celle du Père de la Colombière - les deux, on l'a vu, étaient conservées ensemble - fussent gardées à la cité de Paray-le-Monial. Des mesures immédiates furent prises en conséquence et Paray ne fut pas dépouillé de sa Perle précieuse pretiosa Margarita». Aux yeux de tous, il venait de prouver noblement qu'il en appréciait la valeur.
                Les deux châsses demeurèrent quelque temps, dans une tribune du transept de l'église paroissiale. Sans doute, M. le Curé ne les y jugeait point assez en sûreté, car on les trouva dans sa propre demeure, lorsqu'il mourut le 12 septembre de cette même année 1817. Alors, toute inquiétude étant dissipée au sujet de l'enlèvement des saintes reliques, elles furent rendues, avec l'approbation ecclésiastique et du consentement de la ville, aux religieuses qui attendaient persévéramment à Paray le rétablissement canonique de leur Communauté. Ces saintes et vaillantes âmes n'avaient-elles pas grâce, pour veiller, mieux que personne, à la garde d'un tel trésor?
                Le jour de la rentrée dans le monastère 16 juin 1823 - les ossements de la Servante de Dieu y furent réintégrés avec grande joie, mais sans aucune pompe extérieure, parce que tout ce qui eût ressemblé à un culte public aurait pu nuire à la Cause.
                La petite châsse ne fut pas replacée dans l'ancien caveau funéraire, sous le choeur des religieuses. Elle eut plusieurs lieux de repos, à l'intérieur du monastère, suivant les diverses indications reçues de Rome, en vue de la béatification.
                Les malheurs de l'Église de France avaient forcément interrompu les procédures, qui ne purent être reprises que longtemps après la Révolution.
                Le 30 mars 1824, Sa Sainteté Léon XII signait la Commission d'Introduction de la Cause. Selon la coutume alors tolérée, la Servante de Dieu recevait le titre de Vénérable. Marguerite-Marie conserva ce titre pendant quarante ans, dans l'espace desquels furent opérés les trois miracles nécessaires à la béatification. Le premier fut obtenu en 1828, en faveur de Soeur Marie de Sales Chareault, professe du monastère de Paray-leMonial, cette religieuse ayant été guérie d'un cancer interne à l'estomac. En 1830, le 21 juillet, veille de la reconnaissance juridique du tombeau de la Vénérable, la Soeur Marie-Thérèse Petit, celle-là même qui avait si bien gardé ses restes mortels, pendant la dispersion de la Communauté, fut guérie subitement d'un anévrisme invétéré au coeur. Enfin en 1841, Soeur Louise-Philippine Bollani, professe du monastère de la Visitation de Venise, se voyait gratifiée d'une guérison parfaite et instantanée. Sa maladie était une phtisie pulmonaire tuberculeuse, incurable.
                Ces trois miracles furent reconnus authentiques par un décret du 24 avril 1864. Le 18 septembre de la même année, Pie IX, de sainte mémoire, proclama Marguerite-Marie Bienheureuse. Quelques mois plus tard, en juin 1865, Paray-le-Monial célébra de splendides fêtes en l'honneur de sa nouvelle Bienheureuse.
                Ce fut alors que ses. ossements sacrés furent déposés dans la magnifique châsse en vermeil que les pèlerins admirent dans la chapelle de la Visitation de Paray. Ce modeste mais béni sanctuaire est bien celui qui fut témoin des grandes apparitions du Sacré Coeur. Quand les fidèles en franchissent le seuil, ils peuvent se dire qu'ils foulent une terre sacrée entre toutes, et qu'ils entrent dans le Saint des saints de la nouvelle alliance. Seuls, les anges qui entourent le tabernacle pourraient nous révéler les mystères de grâce qui se sont opérés en ce lieu, surtout depuis l'année 1873, époque à laquelle les grands pèlerinages commencèrent s'organiser, amenant d'innombrables foules vers le Sacré Coeur. Pécheurs convertis - âmes relevées et consolées - coeurs éclairés et fortifiés - qui dira leur nombre? C'est surtout dans ce sanctuaire que se vérifie la parole du Maître à sa disciple: “Je veux que tu me serves d'instrument pour attirer des coeurs à mon amour.”
                En 1890, l'éminent évêque d'Autun, Mgr Perraud, désira commémorer solennellement le second centenaire de la mort de la. Bienheureuse, à laquelle des liens de parenté l'unissaient, Le grand évêque obtint de Sa Sainteté Léon XIII, pour Paray-le-Monial, un jubilé de sept semaines, qui fut déjà tout un triomphe pour notre Bienheureuse, en même temps qu'une source de sanctification pour bien des âmes.
                Depuis cette époque, surtout, que de supplications sont montées vers le ciel, de toutes les parties de la, terre, mais principalement de tous les monastères de la Visitation, pour obtenir la canonisation de la Servante de Dieu!
                Il fallait d'abord obtenir deux nouveaux miracles parfaitement constatés, et non seulement de simples grâces de guérison. Ceux qui furent choisis pour être soumis à l'examen de la Sacrée Congrégation des Rites remontent aux années 1900 et 1903.
                En 1900, la signora Luise-Agostina Coleschi, à Pompéi, fut guérie instantanément d'une méningo-myélite, et en 1903, la Comtesse Antonietta Pavesi-Astorri obtint de même, par l'intercession de la Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, la guérison. instantanée d'un douloureux cancer.
                Au cours de l'examen, de nombreuses difficultés surgirent. Plus d'une fut sans doute suscitée par le démon, toujours opposé à l'exaltation de cette humble entre les humbles.
                Mais enfin, la Providence déjoua toutes les ruses infernales et dénoua toutes choses heureuse, ment - même contre toute attente - puisque ce fut en pleine guerre que la cause de Marguerite-Marie fut reprise. Notre Très Saint Père le Pape Benoît XV daignant la couvrir d'une protection admirable, elle finit par triompher de tous les obstacles. Le 6 janvier 1918, fête de l'Épiphanie, dans le palais apostolique du Vatican, le Pape promulgua le décret d'approbation des miracles.
                Le 17 mars suivant - dimanche de la Passion - la cause de Marguerite-Marie, cette grande amante de la croix, était heureusement terminée. Le solennel décret de Tuto établissait qu'on pouvait, en toute sûreté, procéder à la canonisation: “Tuto procedi posse ad Canonizationem.”
                Mais la grande guerre européenne durait encore et les circonstances n'étaient pas assez favorables au déploiement des fêtes d'une canonisation. Un nouveau délai s'imposait.
                Enfin, l'heure marquée par Dieu de toute éternité arriva, où, à la joie de la terre comme, du ciel, la disciple privilégiée du Cœur de Jésus devait recevoir l'auréole des saints. Le 13 mai 1920, dans la plus grandiose des cérémonies, en présence d'un nombre extraordinaire de Cardinaux, Archevêque ou Évêques et d'une foule de fidèles, venus de tous pays, mais principalement de France, le Souverain Pontife Benoît XV déclara Marguerite-Marie SAINTE. Puis il entonna le Te Deum et toutes les cloches de Rome annoncèrent la Canonisation. Or c'était en la fête de l'Ascension. Car la Providence voulut que celle qui avait toujours suivi Jésus Christ sur le chemin de la souffrance et du Calvaire fût associée d'une manière ineffable à la gloire di son triomphe. Exaltavit humiles!
                La suprême glorification de Marguerite-Marie c'est le dernier sceau apposé sur les révélations de Paray-le-Monial et l'Église a fait briller le dernier rayon qui manquait encore au plein éclat de la dévotion au Sacré Coeur. Dieu en soit loué!
                Un souvenir de cette canonisation demeure dans la Basilique Vaticane. C'est le grand tableau de l'apparition du Sacré Coeur que Benoît XV fi exécuter par le peintre Carlo Muccioli, et place dans Saint-Pierre, au-dessus de l'autel que Sa Sainteté venait de dédier au Sacré Coeur.
                La Visitation de Rome - via Salaria - fêta la nouvelle Sainte dès le soir même du 13 mai 1920, en une cérémonie qui réunissait une assis tance d'élite dans la chapelle du monastère. Pour satisfaire la piété des Romains, il fallut, pendant de longs jours, faire une large distribution de médailles, d'images et. de vies de la Sainte de Paray.
De plus, la Postulation fit célébrer dans l'église du Gesù, au mois d'avril 1921, un solennel Triduum d'actions de grâces, durant lequel de grandioses fonctions se déroulèrent et des orateurs de choix se firent entendre.
                Quant à Paray-le-Monial, auprès des restes mortels de la Sainte, il y eut des fêtes immédiates et des fêtes successives prolongées. Tout d'abord, du 13 au 16 mai, ce fut un premier Triduum qui fit monter vers Dieu sans retard la profonde reconnaissance du monastère de Sainte Marguerite-Marie. Qu'il faisait bon se presser alors dans le privilégié sanctuaire des apparitions et entourer la. châsse de Celle dont on pouvait réellement dire: Exsultabunt ossa humiliata! Au dehors comme au dedans du cloître, tout chantait la, gloire de la disciple du Coeur de Jésus.
                Mais ce n'était qu'un prélude; car Mgr Berthoin, évêque d'Autun, avait obtenu du Saint-Père d'exceptionnelles faveurs en l'honneur de la Canonisation.
                Un jubilé extraordinaire fut accordé à Paray-le-Monial à cette occasion, et divisé en cinq périodes, s'échelonnant ainsi :

Du 8 au 24 octobre 1920.
Du 20 avril au 5 mai 1921.
Du 20 mai au 8 juin 1921.
Du 2 au 15 août 1921.
Du 2 au 17 octobre 1921.

Chacune de ces périodes fut honorée de la présence d'Évêques, Archevêques ou Cardinaux, et attira des multitudes de pèlerins à Paray.
Des sources de grâces, plus abondantes que jamais, semblaient ouvertes aux âmes en ces lieux bénis. L'héroïque servante de Dieu, qui s'y sanctifia dans l'obéissance et l'humilité, eut d'éloquents et de nombreux panégyristes.
                Il y eut des processions splendides à travers la ville et même - par privilège spécial émané du Saint Père - dans l'enclos du monastère. On-y porta plusieurs fois en triomphe la châsse de la Sainte. Au mois d'août 1921, elle fut escortée, entre autres éminents Prélats, par Son Excellence Mgr Raphaël Virili, archevêque de Ptolémaïs. A bon droit, comme Postulateur, il pouvait plus . que nul autre se réjouir du succès final de la chère Cause. Enfin, au mois d'octobre 1921, ce fut Son Excellence Mgr Cerretti, archevêque de Corinthe et Nonce apostolique à Paris, qui présida la clôture du jubilé de la Canonisation au jour même de 1a fête de Sainte Marguerite-Marie - 17 octobre - dans une véritable journée d'apothéose. Inoubliables souvenirs pour ceux ou celles qui assistèrent à ces douces solennités!
                Dans les monastères de la Visitation - et ailleurs aussi - on rivalisa d'ardeur pour exalter la glorieuse canonisée du 13 mai 1920. Durant toute l'année qui suivit, ce fut, dans les diverses parties de l'univers catholique, une succession de fêtes en son honneur, ou plutôt, en l'honneur du Coeur de Jésus, puisqu'il est impossible de séparer la disciple du Maître et qu'on ne peut parler d'elle sans parler de Lui.
Et maintenant, ô Sainte Marguerite-Marie, - continuez votre mission. Soyez toujours pour le monde la messagère du Sacré Coeur! Révélez-nous toujours davantage son amour! Qu'il règne, qu'il règne, ce Coeur adorable et infiniment miséricordieux! A Lui, louange et gloire dans les siècles des siècles!

FIN

Wednesday 16 January 2019

Good Readings: "Perseverando" by Victor Hugo (translated into Portuguese by Castro Alves)


a Regueira Costa
A águia é o gênio... Da tormenta o pássaro,
Que do monte arremete altivo píncaro,
Qu'ergue um grito aos fulgores do arrebol,
Cuja garra jamais se peia em lodo,
E cujo olhar de fogo troca raios
— Contra os raios do sol.

Não tem ninho de palhas... tem um antro
— Rocha talhada ao martelar do raio,
— Brecha em serra, ant'a qual o olhar tremeu ...
No flanco da montanha — asilo trêmulo,
Que sacode o tufão entre os abismos
— O precipício e o céu.

Nem pobre verme, nem dourada abelha
Nem azul borboleta... sua prole
Faminta, boquiaberta espera ter...
Não! São aves da noite, são serpentes,
São lagartos imundos, que ela arroja
Aos filhos p'ra viver.

Ninho de rei!... palácio tenebroso,
Que a avalanche a saltar cerca tombando!...
O gênio aí enseiba a geração...
E ao céu lhe erguendo os olhos flamejantes
Sob as asas de fogo aquenta as almas
Que um dia voarão.

Por que espantas-te, amigo, se tua fronte
Já de raios pejada, choca a nuvem?...
Se o réptil em seu ninho se debate?...
É teu folgar primeiro... é tua festa!...
Águias! P'ra vós cad'hora é uma tormenta,
Cada festa um combate!

Radia!... É tempo!... E se a lufada erguer-se
Muda a noite feral em prisma fúlgido!
De teu alto pensar completa a lei!...
Irmão! — Prende esta mão de irmão na minha!...
Toma a lira — Poeta! Águia! — esvoaça!
Sobe, sobe, astro rei!...

De tua aurora a bruma vai fundir-se
Águia! faz-te mirar do sol, do raio;
Arranca um nome no febril cantar.
Vem! A glória, que é o alvo de vis setas,
É bandeira arrogante, que o combate
Embeleza ao rasgar.

O meteoro real — de coma fúlgida —
Rola e se engrossa ao devorar dos mundos...
Gigante! Cresces todo o dia assim!...
Tal teu gênio, arrastando em novos trilhos
No curso audaz constelações de idéias,
Marcha e recresce no marchar sem fim! ...

Tuesday 15 January 2019

Tuesday's Serial: "Brigands of the Moon (The Book of Gregg Haljan)" by Ray Cummings (in English) I

FOREWORD BY RAY CUMMINGS
                I have been thinking that if, during one of those long winter evenings at Valley Forge, someone had placed in George Washington’s hands one of our present day best sellers, the illustrious Father of our Country would have read it with considerable emotion. I do not mean what we call a story of science, or fantasy––just a novel of action, adventure and romance. The sort of thing you and I like to read, but do not find amazing in any way at all.
But I fancy that George Washington would have found it amazing. Don’t you? It might picture, for instance, a factory girl at a sewing machine. George Washington would be amazed at a sewing machine. And the girl, journeying in the subway to and from her work! Stealing an opportunity to telephone her lover at the noon hour; going to the movies in the evening, or listening to a radio. And there might be a climax, perhaps, with the girl and the villain in a transcontinental railway Pullman, and the hero sending frantic telegrams, or telephoning the train, and then chasing it in his airplane.
                George Washington would have found it amazing!
                And I am wondering how you and I would feel if someone were to give us now a book of ordinary adventure of the sort which will be published a hundred and fifty years hence. I have been trying to imagine such a book and the nature of its contents.
Let us imagine it together. Suppose we walk down Fifth Avenue, a pleasant spring morning of May, 2080. Fifth Avenue, no doubt, will be there. I don’t know whether the New York Public Library will be there or not. We’ll assume that it is, and that it has some sort of books, printed, or in whatever fashion you care to imagine.
                The young man library attendant is surprised at our curiously antiquated aspect. We look as though we were dressed for some historical costume ball. We talk old-fashioned English, like actors in an historical play of the 1930 period.
                But we get the book. The attendant assures us it is a good average story of action and adventure. Nothing remarkable, but he read it himself, and found it interesting.
                We thank him and take the book. But we find that the language in which it is written is too strange for comfortable reading. And it names so many extraordinary things so casually! As though we knew all about them, which we certainly do not!
                So we take it to the kind-hearted librarian in the language division. He modifies it to old-fashioned English of 1930, and he puts occasional footnotes to help explain some of the things we might not understand. Why he should bother to do this for us I don’t know; but let us assume that he does.
                And now we take the book home––in the pneumatic tube, or aerial moving sidewalk, or airship, or whatever it is we take to get home.
                And now that we are home, let’s read the book. It ought to be interesting.


CHAPTER I
                Tells of the Grantline Moon Expedition and of the Mysterious Martian Who Followed Us in the City Corridor
                One may write about oneself and still not be an egoist. Or so, at least, they tell me. My narrative went broadcast with a fair success. It was pantomimed and the public flashed me a reasonable approval. And so my disc publishers have suggested that I record it in more permanent form.
                I introduce myself, begging grace that I intrude upon your busy minutes, with my only excuse that perhaps I may amuse you. For what the commercial sellers of my pictured version were pleased to blare as my handsome face, I ask your indulgence. My feminine audience of the pantomimes was undoubtedly graciously pleased at my personality and physical aspect. That I am “tall as a Viking of old”––and “handsome as a young Norse God”––is very pretty talk in the selling of my product. But I deplore its intrusion into the personality of this, my recorded narrative. And so now, for preface, to all my audience I do give earnest assurance that Gregg Haljan is no conceited zebra, handsomely striped by nature, and proud of it. Not so. I am, I do beg you to believe, a very humble fellow, striving for your approval, hoping only to entertain you.
                My introduction: My name, Gregg Haljan. My age, twenty-five years. I was, at the time my narrative begins, Third Officer on the Space-Ship Planetara. Our line was newly established; in 2070, to be exact, following the modern improvements of the Martel Magnetic Levitation.[1]
                Our ship, whose home port was Great-New York, carried mail and passenger traffic to and from both Venus and Mars. Of astronomical necessity, our flights were irregular. This spring, with the two other planets both close to the earth, we were making two complete round trips. We had just arrived in Great-New York, this May evening, from Grebhar, Venus Free State. With only five hours in port here, we were departing the same night at the zero hour for Ferrok-Shahn, capital of the Martian Union.
                We were no sooner at the landing stage than I found a code-flash summoning Dan Dean and me to Divisional Detective Headquarters. Dan “Snap” Dean was one of my closest friends. He was radio-helio operator of the Planetara. A small, wiry, red-headed chap, with a quick, ready laugh and a wit that made everyone like him.
                The summons to Detective-Colonel Halsey’s office surprised us. Snap eyed me.
                “You haven’t been opening any treasury vaults, have you, Gregg?”
                “He wants you, also,” I retorted.
                He laughed. “Well, he can roar at me like a traffic switchman and my private life will remain my own.”
                We could not think why we should be wanted. It was the darkness of mid-evening when we left the Planetara for Halsey’s office. It was not a long trip. We went direct in the upper monorail, descending into the subterranean city at Park-Circle 30.
                We had never been to Halsey’s office before. We found it to be a gloomy, vaultlike place in one of the deepest corridors. The door lifted.
                “Gregg Haljan and Daniel Dean.”
                The guard stood aside. “Come in.”
                I own that my heart was unduly thumping as we entered. The door dropped behind us. It was a small blue-lit apartment––a steel-lined room like a vault.
                Colonel Halsey sat at his desk. And the big, heavy-set, florid Captain Carter––our commander of the Planetara––was here. That surprised us: we had not seen him leave the ship.
                Halsey smiled at us gravely. Captain Carter said, “Sit down, lads.”
                We took the seats. There was an alarming solemnity about this. If I had been guilty of anything that I could think of, it would have been frightening. But Halsey’s first words reassured me.
                “It’s about the Grantline Moon Expedition. In spite of our secrecy, the news has gotten out. We want to know how. Can you tell us?”
                Captain Carter’s huge bulk––he was about as tall as I am––towered over us as we sat before Halsey’s desk. “If you lads have told anyone––said anything––let slip the slightest hint about it––”
                Snap smiled with relief; but he turned solemn at once. “I haven’t. Not a word!”
                “Nor have I,” I declared.
                The Grantline Moon Expedition! We had not thought of that as a reason for this summons. Johnny Grantline was a close friend to us both. He had organized an exploring expedition to the Moon. Uninhabited, with its bleak, forbidding, airless, waterless surface, the Moon––even though so close to the Earth––was seldom visited. No regular ship ever stopped there. A few exploring parties of recent years had come to grief.
                But there was a persistent rumor that upon the Moon, mineral riches of fabulous wealth were awaiting discovery. The thing had already caused some interplanetary complications. The aggressive Martians would be only too glad to explore the Moon. But the U.S.W.[2] definitely warned them away. The Moon was World Territory, we announced, and we would protect it as such.
                The threatened conflict between the Earth and Mars had come to nothing. There was, this year of 2079, a thorough amity between all three of the inhabited planets. It still holds, and I pray that it may always hold.
                There was, nevertheless, a realization by our government, that whatever riches might be upon the Moon should be seized at once and held by some reputable Earth Company. And when Johnny Grantline applied, with his father’s wealth and his own scientific record of attainment, the government was only too glad to grant him its writ.
                The Grantline Expedition had started six months ago. The Martian government had acquiesced in our ultimatum, yet brigands have been known to be financed under cover of a governmental disavowal. And so the expedition was kept secret.
                My words need give no offense to any Martian who comes upon them. I refer to the history of our earth only. The Grantline Expedition was on the Moon now. No word had come from it. One could not flash helios even in code without letting all the universe know that explorers were on the Moon. And why they were there, anyone could easily guess.
                And now Colonel Halsey was telling us that the news was abroad! Captain Carter eyed us closely; his flashing eyes under the white bushy brows would pry a secret from anyone.
                “You’re sure? A girl of Venus, perhaps, with her cursed, seductive lure! A chance word, with you lads befuddled by alcolite?”
                We assured him we had been careful. By the heavens, I know that I had been. Not a whisper, even to Snap, of the name Grantline in six months or more.
                Captain Carter added abruptly, “We’re insulated here, Halsey?”
                “Yes, talk as freely as you like. An eavesdropping ray will never get into these walls.”
                They questioned us. They were satisfied at last that, though the secret had escaped, we had not done it. Hearing it discussed, it occurred to me to wonder why Carter was concerned. I was not aware that he knew of Grantline’s venture. I learned now the reason why the Planetara, upon each of her voyages, had managed to pass fairly close to the Moon. It had been arranged with Grantline that if he wanted help or had any important message, he was to flash it locally to our passing ship. And this Snap knew, and had never mentioned it, even to me.
                Halsey was saying, “Well, we can’t blame you, but the secret is out.”
                Snap and I regarded each other. What could anyone do? What would anyone dare do?
                Captain Carter said abruptly, “Look here, lads, this is my chance now to talk plainly to you. Outside, anywhere outside these walls, an eavesdropping ray may be upon us. You know that? One may never even dare whisper since that accursed ray was developed.”
                Snap opened his mouth to speak but decided against it. My heart was pounding.
                Captain Carter went on, “I know I can trust you two more than anyone else under me on the Planetara––”
                “What do you mean by that?” I demanded. “What––”
                He interrupted me. “Nothing at all but what I say.”
                Halsey smiled grimly. “What he means, Haljan, is that things are not always what they seem these days. One cannot always tell a friend from an enemy. The Planetara is a public vessel. You have––how many is it, Carter?––thirty or forty passengers this trip to-night?”
                “Thirty-eight,” said Carter.
                “There are thirty-eight people listed for the flight to Ferrok-Shahn to-night,” Halsey said slowly. “And some may not be what they seem.” He raised his thin dark hand. “We have information––” He paused. “I confess, we know almost nothing––hardly more than enough to alarm us.”
                Captain Carter interjected, “I want you and Dean to be on your guard. Once on the Planetara it is difficult for us to talk openly, but be watchful. I will arrange for us to be doubly armed.”
                Vague, perturbing words! Halsey said, “They tell me George Prince is listed for the voyage. I am suggesting, Haljan, that you keep your eye especially upon him. Your duties on the Planetara leave you comparatively free, don’t they?”
                “Yes,” I agreed. With the first and second officers on duty, and the captain aboard, my routine was more or less that of an understudy.
                I said, “George Prince! Who is he?”
                “A mechanical engineer,” said Halsey. “An under-official of the Earth Federated Radium Corporation. But he associates with bad companions––particularly Martians.”
                I had never heard of this George Prince, though I was familiar with the Federated Radium Corporation, of course. A semi-government trust, which controlled virtually the entire Earth supply of radium.
                “He was in the Automotive Department,” Carter put in. “You’ve heard of the Federated Radium Motor?”
                We had, of course. A recent Earth invention which promised to revolutionize the automotive industry. An engine of a new type, using radium as its fuel.
                Snap demanded, “What in the stars has this got to do with Johnny Grantline?”
                “Much,” said Halsey quietly, “or perhaps nothing. But George Prince some years ago mixed in rather unethical transactions. We had him in custody once. He is known now as unusually friendly with several Martians in New York of bad reputation.”
                “Well––” began Snap.
                “What you don’t know,” Halsey went on quietly, “is that Grantline expects to find radium on the Moon.”
                We gasped.
                “Exactly,” said Halsey. “The ill-fated Ballon Expedition thought they had found it on the Moon some years ago. A new type of ore, as rich in radium as our gold-bearing sands are rich in gold. Ballon’s first samples gave uranium atoms with a fair representation of ionium and thorium. A richly radio-active ore. A lode of the pure radium is there somewhere, without doubt.”
                He added vehemently, “Do you understand now why we should be suspicious of this George Prince? He has a criminal record. He has a thorough technical knowledge of radium ores. He associates with Martians of bad reputation. A large Martian Company has recently developed a radium engine to compete with our Earth motor. You know that? You know that there is very little radium available on Mars, and our government will not allow our own radium supply to be exported. That Martian Company needs radium. It will do anything to get radium. What do you suppose it would pay for a few tons of really rich radio-active ore––such as Grantline may have found on the Moon?”
                “But,” I objected, “that is a reputable Martian company. It’s backed by the government of the Martian Union. The government of Mars would not dare––”
                “Of course not!” Captain Carter exclaimed sardonically. “Not openly! But if Martian brigands had a supply of radium––I don’t imagine where it came from would make much difference. That Martian Company would buy it.”
                Halsey added, “And George Prince, my agents inform me, seems to know that Grantline is on the Moon. Put it all together, lads. Little sparks show the hidden current.
                “More than that: George Prince knows that we have arranged to have the Planetara stop at the Moon and bring back Grantline’s radium-ore. This is your last voyage this year. You’ll hear from Grantline this time, we’re convinced. He’ll probably give you the signal as you pass the Moon on your way out. Coming back, you’ll stop at the Moon and transport whatever radium-ore Grantline has ready. The Grantline Flyer is too small for ore transportation.”
                Halsey’s voice turned grimly sarcastic. “Doesn’t it seem queer that George Prince and a few of his Martian friends happen to be listed as passengers for this voyage?”
                In the silence that followed, Snap and I regarded each other. Halsey added abruptly,
                “We had George Prince typed that time we arrested him four years ago. I’ll show him to you.”
                He snapped open an alcove, and said to his waiting attendant, “Get me the type of George Prince.”
                The disc in a moment came through the pneumatic. Halsey, smiling wryly, adjusted it.
                “A nice looking fellow. Nicely spoken. Though at the time we made this he was somewhat annoyed, naturally. He is older now. Twenty-nine, to be exact. Here he is.”
                The image glowed on the grids before us. His name, George Prince, in letters illumined upon his forehead, showed for a moment and then faded. He stood smiling sourly before us as he repeated the official formula:
                “My name is George Prince. I was born in Great-New York City twenty-five years ago.”
                I gazed at this life-size, moving image of George Prince. He stood somber in the black detention uniform. A dark, almost a girlishly handsome fellow, well below medium height––the rod beside him showed five feet four inches. Slim and slight. Long, wavy black hair, falling about his ears. A pale, clean-cut, really handsome face, almost beardless. I regarded it closely. A face that would have been femininely beautiful without its masculine touch of heavy black brows and firmly set jaw. His voice as he spoke was low and soft; but at the end, with the concluding words, “I am innocent!” it flashed into strong masculinity. His eyes, shaded with long, girlish black lashes, by chance met mine. “I am innocent.” His curving sensuous lips drew down into a grim sneer...
The type faded at its end. Halsey replaced the disc in its box and waved the attendant away. “Thank you.”
                He turned back to Snap and me. “Well, there he is. We have nothing tangible against him now. But I’ll say this: he’s a clever fellow, one to be afraid of. I would not blare it from the newscasters’ microphone, but if he is hatching any plot, he has been too clever for my agents.”
                We talked for another half-hour, and then Captain Carter dismissed us. We left Halsey’s office with Carter’s final words ringing in our ears. “Whatever comes, lads, remember I trust you....”
                Snap and I decided to walk a portion of the way back to the ship. It was barely more than a mile through this subterranean corridor to where we could get the vertical lift direct to the landing stage.
                We started off on the lower level. Once outside the insulation of Halsey’s office we did not dare talk of this thing. Not only electrical ears, but every possible eavesdropping device might be upon us. The corridor was two hundred feet or more below the ground level. At this hour of the night this business section was comparatively deserted. The through tube sounded over our heads with the passing of its occasional trains. The ventilators buzzed and whirred. At the cross intersections, the traffic directors dozed at their posts. It was hot and sticky down here, and gloomy with the daylight globes extinguished, and only the night lights to give a dim illumination. The stores and office arcades were all closed and deserted; only an occasional night-light burning behind their windows.
                Our footfalls echoed on the metal grids as we hurried along.
                “Nice evening,” said Snap awkwardly.
                “Yes,” I said, “isn’t it?”
                I felt oppressed. As though prying eyes and ears were here. We walked for a time in silence, each of us busy with memory of what had transpired in Halsey’s office.
                Suddenly Snap gripped me. “What’s that?”
                “Where?” I whispered.
                We stopped at a corner. An entryway was here. Snap pulled me into it. I could feel him quivering with excitement.
                “What is it?” I demanded in a whisper.
                “We’re being followed. Did you hear anything?”
                “No!” Yet I thought now I could hear something. Vague footfalls. A rustling. And a microscopic electrical whine, as though some device were near us.
                Snap was fumbling in his pocket. “Wait, I’ve got a pair of low-scale phones.”
                He put the little grids against his ears. I could hear the sharp intake of his breath. Then he seized me, pulled me down to the metal floor of the entryway.
                “Back, Gregg! Get back!” I could barely hear his whisper. We crouched as far back into the doorway as we could get. I was armed. My official permit for the carrying of the pencil heat-ray allowed me to have it always with me. I drew it now. But there was nothing to shoot at. I felt Snap clamping the grids on my ears. And now I heard something! An intensification of the vague footsteps I had thought I heard before.
                There was something following us! Something out in the corridor there now! A street light was nearby. The corridor was dim, but plainly visible; and to my sight it was empty. But there was something there. Something invisible! I could hear it moving. Creeping towards us. I pulled the grids off my ears.
                Snap murmured, “You’ve got a local phone.”
                “Yes! I’ll get them to give us the street glare!”
                I pressed the danger signal, giving our location to the nearest operator. In a second or two we got the light. The street in all this neighborhood burst into a brilliant actinic glare. The thing menacing us was revealed! A figure in a black cloak, crouching thirty feet away across the corridor.
Snap was on his feet. His voice rang shrilly, “There it is! Give it a shot, Gregg!”
                Snap was unarmed, but he flung his hands out menacingly. The figure, which may perhaps not have been aware of our city safeguard, was taken wholly by surprise. A human figure. Seven feet tall, at the least, and therefore, I judged, doubtless a Martian man. The black cloak covered his head. He took a step toward us, hesitated, and then turned in confusion.
                Snap’s shrill voice was bringing help. The whine of a street guard’s alarm whistle nearby sounded. The figure was making off! My pencil-ray was in my hand and I pressed its switch. The tiny heat-ray stabbed through the glare, but I missed. The figure stumbled, but did not fall. I saw a bare gray arm come from the cloak, flung up to maintain its balance. Or perhaps my pencil-ray of heat had seared the arm. The gray-skinned arm of a Martian.
                Snap was shouting, “Give him another!” But the figure passed beyond the actinic glare and vanished.
                We were detained in the turmoil of the corridor for ten minutes or more with official explanations. Then a message from Halsey released us. The Martian who had been following us in his invisible cloak was never caught.
                We escaped from the crowd at last and made our way back to the Planetara, where the passengers were already assembling for the outward Martian voyage.


CHAPTER II “A Fleeting Glance––”
                I stood on the turret-balcony of the Planetara with Captain Carter and Dr. Frank, the ship surgeon, watching the arriving passengers. It was close to the zero hour: the level of the stage was a turmoil of confusion. The escalators, with the last of the freight aboard, were folded back. But the stage was jammed with the incoming passenger baggage: the interplanetary customs and tax officials with their X-ray and Zed-ray paraphernalia and the passengers themselves, lined up for the export inspection.
                At this height, the city lights lay spread in a glare of blue and yellow beneath us. The individual local planes came dropping like birds to our stage. Thirty-eight passengers for this flight to Mars, but that accursed desire of every friend and relative to speed the departing voyager brought a hundred or more extra people to crowd our girders and bring added difficulty to everybody.
                Carter was too absorbed in his duties to stay with us long. But here in the turret Dr. Frank and I found ourselves at the moment with nothing much to do but watch.
                “Think we’ll get away on time, Gregg?”
                “No,” I said. “And this of all voyages––”
                I checked myself, with thumping heart. My thoughts were so full of what Halsey and Carter had told us that it was difficult to rein my tongue. Yet here in the turret, unguarded by insulation, I could say nothing. Nor would I have dared mention the Grantline Moon Expedition to Dr. Frank. I wondered what he knew of this affair. Perhaps as much as I––perhaps nothing.
                He was a thin, dark, rather smallish man of fifty, this ship’s surgeon, trim in his blue and white uniform. I knew him well: we had made several flights together. An American––I fancy of Jewish ancestry. A likable man, and a skillful doctor and surgeon. He and I had always been good friends.
                “Crowded,” he said. “Johnson says thirty-eight. I hope they’re experienced travelers. This pressure sickness is a rotten nuisance––keeps me dashing around all night assuring frightened women they’re not going to die. Last voyage, coming out of the Venus atmosphere––”
                He plunged into a lugubrious account of his troubles with space-sick voyagers. But I was in no mood to listen. My gaze was down on the spider incline, up which, over the bend of the ship’s sleek, silvery body, the passengers and their friends were coming in little groups. The upper deck was already jammed with them.
                The Planetara, as flyers go, was not a large vessel. Cylindrical of body, forty feet maximum beam, and two hundred and seventy-five feet in overall length. The passenger superstructure––no more than a hundred feet long––was set amidships. A narrow deck, metallic-enclosed, and with large bulls-eye windows, encircled the superstructure. Some of the cabins opened directly onto the deck. Others had doors to the interior corridors. There were half a dozen small but luxurious public rooms.
                The rest of the vessel was given to freight storage and the mechanism and control compartments. Forward of the passenger structure the deck level continued under the cylindrical dome-roof to the bow. The forward watch-tower observatory was here; officers’ cabins; Captain Carter’s navigating rooms and Dr. Frank’s office. Similarly, under the stern-dome, was the stern watch-tower and a series of power compartments.
                Above the superstructure a confusion of spider bridges, ladders and balconies were laced like a metal network. The turret in which Dr. Frank and I now stood was perched here. Fifty feet away, like a bird’s nest, Snap’s instrument room stood clinging to the metal bridge. The dome-roof, with the glassite windows rolled back now, rose in a mound-peak to cover this highest middle portion of the vessel.
                Below, in the main hull, blue-lit metal corridors ran the entire length of the ship. Freight storage compartments; gravity control rooms; the air renewal systems; heater and ventilators and pressure mechanisms––all were located there. And the kitchens, stewards’ compartments, and the living quarters of the crew. We carried a crew of sixteen, this voyage, exclusive of the navigating officers, and the purser, Snap Dean, and Dr. Frank.
                The passengers coming aboard seemed a fair representation of what we usually had for the outward voyage to Ferrok-Shahn. Most were Earth people––and returning Martians. Dr. Frank pointed out one. A huge Martian in a gray cloak. A seven-foot fellow.
                “His name is Set Miko,” Dr. Frank remarked. “Ever heard of him?”
                “No,” I said. “Should I?”
                “Well––” The doctor suddenly checked himself, as though he were sorry he had spoken.
                “I never heard of him,” I repeated slowly.
                An awkward silence fell suddenly between us.
                There were a few Venus passengers. I saw one of them presently coming up the incline, and recognized her. A girl traveling alone. We had brought her from Grebhar, last voyage but one. I remembered her. An alluring sort of girl, as most of them are. Her name was Venza. She spoke English well. A singer and dancer who had been imported to Great-New York to fill some theatrical engagement. She’d made quite a hit on the Great White Way.
                She came up the incline, with the carrier ahead of her. Gazing up, she saw Dr. Frank and me at the turret window and waved her white arm in greeting. And flashed us a smile.
                Dr. Frank laughed. “By the gods of the airways, there’s Alta Venza! You saw that look, Gregg? That was for me, not you.”
                “Reasonable enough,” I retorted. “But I doubt it––the Venza was nothing if not impartial.”
                I wondered what could be taking Venza now to Mars. I was glad to see her. She was diverting. Educated. Well-traveled. Spoke English with a colloquial, theatrical manner more characteristic of Great-New York than of Venus. And for all her light banter, I would rather put my trust in her than any Venus girl I had ever met.
                The hum of the departing siren was sounding. Friends and relatives of the passengers were crowding the exit incline. The deck was clearing. I had not seen George Prince come aboard. And then I thought I saw him down on the landing stage, just arrived from a private tube-car. A small, slight figure. The customs men were around him: I could only see his head and shoulders. Pale, girlishly handsome face; long, black hair to the base of his neck. He was bareheaded, with the hood of his traveling-cloak pushed back.
                I stared, and I saw that Dr. Frank was also gazing down. But neither of us spoke.
                Then I said upon impulse, “Suppose we go down to the deck, Doctor?”
                He acquiesced. We descended to the lower room of the turret and clambered down the spider ladder to the upper deck-level. The head of the arriving incline was near us. Preceded by two carriers who were littered with hand-baggage, George Prince was coming up the incline. He was closer now. I recognized him from the type we had seen in Halsey’s office.
                And then, with a shock, I saw it was not so. This was a girl coming aboard. An arch-light over the incline showed her clearly when she was half way up. A girl with her hood pushed back; her face framed in thick black hair. I saw now it was not a man’s cut of hair; but long braids coiled up under the dangling hood.
                Dr. Frank must have remarked my amazed expression.
                “Little beauty, isn’t she?”
                “Who is she?”
                We were standing back against the  wall of the superstructure. A passenger was near us––the Martian whom Dr. Frank had called Miko. He was loitering here, quite evidently watching this girl come aboard. But as I glanced at him he looked away and casually sauntered off.
                The girl came up and reached the deck. “I am in A 22,” she told the carrier. “My brother came aboard two hours ago.”
                Dr. Frank answered my whisper. “That’s Anita Prince.”
                She was passing quite close to us on the deck, following the carrier, when she stumbled and very nearly fell. I was nearest to her. I leaped forward and caught her as she went down.
                “Oh!” she cried.
                With my arm about her, I raised her up and set her upon her feet again. She had twisted her ankle. She balanced herself upon it. The pain of it eased up in a moment.
                “I’m––all right––thank you!”
                In the dimness of the blue-lit deck, I met her eyes. I was holding her with my encircling arm. She was small and soft against me. Her face, framed in the thick, black hair, smiled up at me. Small, oval face––beautiful––yet firm of chin, and stamped with the mark of its own individuality. No empty-headed beauty, this.
                “I’m all right, thank you very much––”
                I became conscious that I had not released her. I felt her hands pushing at me. And then it seemed that for an instant she yielded and was clinging. And I met her startled, upflung gaze. Eyes like a purple night with the sheen of misty starlight in them.
                I heard myself murmuring, “I beg your pardon. Yes, of course!” I released her.
                She thanked me again and followed the carrier along the deck. She was limping slightly from the twisted ankle.
                An instant, while she had clung to me––and I had held her. A brief flash of something, from her eyes to mine––from mine back to hers. The poets write that love can be born of such a glance. The first meeting, across all the barriers of which love springs unsought, unbidden––defiant, sometimes. And the troubadours of old would sing: “A fleeting glance; a touch; two wildly beating hearts––and love was born.”
                I think, with Anita and me, it must have been like that....
                I stood gazing after her, unconscious of Dr. Frank, who was watching me with his humorous smile. And presently, no more than a quarter beyond the zero hour, the Planetara got away. With the dome-windows battened tightly, we lifted from the landing stage and soared over the glowing city. The phosphorescence of the electronic tubes was like a comet’s tail behind us as we slid upward.
                At the trinight hour the heat of our atmospheric passage was over. The passengers had all retired. The ship was quiet, with empty decks and dim, silent corridors. Vibrationless, with the electronic engines cut off and only the hum of the Martel magnetizers to break the unnatural stillness. We were well beyond the earth’s atmosphere, heading out in the cone-path of the earth’s shadow, in the direction of the moon.