CHAPITRE VII.
DERNIÈRES ANNÉES. CONSOMMATION
EN DIEU. “L'HUMILITÉ PRÉCÈDE LA GLOIRE.” 1687-1690.
En quittant la charge de directrice, Soeur
Marguerite-Marie fut de nouveau mise comme aide à l'infirmerie. Là, elle eut
encore de quoi contenter sa soif d'abnégation et d'humilité. Cependant, la
Soeur Catherine-Antoinette de Lévy-Châteaumorand ayant été nommée maîtresse des
novices à sa place, il paraît que “notre vénérable Soeur Àlacoque suppléait
quelquefois pour cette habile maîtresse.” C'est assez dire combien chèrement on
continuait à goûter la direction de notre Sainte au noviciat. Pour elle, plus
elle eût aimé à se cacher, plus Dieu prenait soin de manifester les dons
extraordinaires qu'il lui avait faits.
Un de ses frères, Jacques Alacoque, curé du
Bois-Sainte-Marie, “tomba dans une maladie si grande” sur la fin de l'année
1686, “que trois médecins qui le voyaient l'avaient abandonné.” Chrysostome, en
son Mémoire, ajoute ce détail, qu'il avait “la bouche et les dents si serrées,
que, pour lui faire prendre un (sic) cuillerée de sirop, on lui rompit une dent
et la cuillère aussi.”
Le même Chrysostome Alacoque, maire perpétuel du
Bois-Sainte-Marie et frère du malade comme de Marguerite-Marie, fit partir un
exprès, la nuit, pour recommander le pauvre curé à leur soeur bien-aimée. Celle-ci,
ayant appris qu'il se mourait, répondit qu'elle ne le croyait pas. Et, quittant
le messager, “elle s'en alla devant le saint Sacrement, pendant quelque temps,
après quoi elle revint avec un air assuré, dire et écrire qu'il n'en mourrait
point, ce que la suite a vérifié, parce qu'il fut rétabli dans moins de huit
jours, contre l'attente de tout le monde.”
Qu'avait fait
cette âme angélique, pendant ce peu de temps qu'elle avait prié devant le saint
Sacrement? Elle avait fait bien “des
promesses au sacré Coeur de Notre-Seigneur,” pour obtenir la santé au cher
malade, et Notre-Seigneur lui avait répondu: “Oui, je te l'accorde, à cette
condition que tu me proposes, et je voudrais en faire un saint, s'il voulait
correspondre à mes desseins et aux grâces que je lui ferai pour cela.”
Au commencement de 1687, elle avertit son
frère de tout ce qu'elle a promis pour lui. C'est avec l'autorité d'une sainte,
mêlée à la tendresse d'une soeur et à l'humilité qui convient à une religieuse,
qu'elle lui donne les plus admirables conseils. “Dieu ne peut être moqué,”
écrit-elle; et, entrant dans le détail, elle signale tout ce qu'il faut
corriger dans les habitudes précédentes: l'attache aux choses terrestres,
l'amour du jeu, la promptitude de caractère. Cela exposé, elle continue: “J'espère tout du sacré Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, lequel a
tant de tendresse pour vous, qu'il veut que vous vous fassiez saint, à quel prix que ce soit; et c'est pour cela qu'il
vous laisse encore en ce monde et qu'il vous a envoyé cette maladie, pour vous
réveiller et vous faire redoubler le pas. Ah! quel regret pour moi, si vous
ruiniez les desseins de ce sacré Cœur sur vous, ne faisant
pas ce qu'il vous fait connaître vouloir de vous...... A vous dire la vérité,
vous ne trouverez de paix ni de repos que lorsque vous aurez tout sacrifié à Dieu......
Vous aurez bien à souffrir pour en venir là; mais la grâce ne vous manquera
pas, ni la force et le secours du sacré Cœur de Notre Seigneur Jésus-Christ.”
La voie est ouverte, et, par ses deux frères, la
Sainte aura le bonheur de répandre la dévotion au Cœur de Jésus dans la paroisse du
Bois-Sainte-Marie. Chrysostome va faire bâtir
et orner à ses frais une chapelle dédiée au Sacré Cœur
dans ladite église. Jacques, le miraculé, y fondera une messe pour tous les vendredis de l'année, et le premier vendredi de chaque mois ce sera même une messe solennellement chantée. A mesure que tous ces
détails arrivent à leur sueur, elle en resent de telles consolations qu'elle
écrit à son frère le curé: “Vous ne sauriez croire le plaisir que vous me
faites d'avoir du zèle pour la gloire du sacré Coeur de notre divin Sauveur. C'est
là, comme je pense, un des plus courts moyens pour obtenir notre
sanctification.” Et à son frère Chrysostome: “Il faut exécuter ce que vous
m'avez proposé, sans jamais vous en dédire et vous me donnerez une des plus
grandes consolations que je puisse recevoir en cette vie mortelle, puisque rien
ne m'y peut réjouir que d'y voir aimer, honorer et glorifier ce divin Cœur de mon Seigneur Jésus-Christ.”
Toutes les
nouvelles qui regardent la dévotion ait Sacré Cœur
apportent à l'âme
de Marguerite-Marie d'inexprimables joies. Dans la correspondance des dernières années de sa vie, on sent passer un véritable souffle d'enthousiasme apostolique. Aucun labeur ne
lui semble pénible pour arriver à faire connaître le Cœur
de son Dieu. On est presque surpris de voir cette grande contemplative devenue
si active. C'est que l'amour est
extatique: sortir pour se répandre, c'est sa nature!
La Mère de Soudeilles,n'avait pas reçu en vain les
petits présents que son humble amie de Paray lui avait envoyés le 15 septembre
1686. Croyant répondre à une inspiration céleste, elle s'était empressée de
réunir tout- ce qu'elle estimait le plus capable de faire connaître la dévotion
au Sacré
Coeur,
c'est-à-dire: ce que le Père de la Colombière en a écrit dans sa Retraite, puis
la petite consécration, une amende honorable au Sacré Coeur, les litanies du
Coeur de Jésus et celles du Coeur de Marie. Bientôt le livret de douze pages
est édité à Moulins même, Chez la Veuve de CLAVDE VERNOY, sous ce titre: LA
DEVOTION AU COEUR DE JESUS-CHRIST, POUR LES PREMIERS Vendredys de chaque mois. .
Un des premiers soins de la Mère de Soudeilles fut
d'en envoyer un exemplaire à la Servante de Dieu. Du même coup, c'était
la réjouir et la consterner; car jamais, à son avis, on n'en dirait assez du
Coeur de Jésus, mais toujours on en dirait trop d'elle. Or, en copiant le
passage du Père de la Colombière et la petite consécration, la Mère de
Soudeilles avait, par là même, infligé une rude humiliation à notre Sainte, qui
avoue à la Mère de Saumaise en avoir ressenti “des confusions effroyables...
mais la volonté de Dieu soit faite!” ajoute-t-elle.
L'affaire de la
planche des images du Sacré Coeur traînant en longueur et ne réussissant pas,
Soeur Alacoque se tourne encore vers sa chère Mère de Saumaise, que
Notre-Seigneur lui montre avoir “substituée en, la place de notre bon saint
Père L[a] C[olombière] pour l'établissement de la dévotion de son sacré
[Coeur].”
Dijon est un
foyer d'apostolat, où la gloire du
Sacré Coeur fait faire des merveilles. La Soeur
Jeanne-Madeleine Joly reçoit l'ordre d'esquisser une image du Sacré Coeur, Sa
main inexpérimentée est guidée par tant d'amour qu'elle arrive, non pas à
produire une oeuvre artistique, mais une oeuvre pieuse, que Marguerite-Marie
peut accueillir avec une sorte de ravissement. “Je ne puis vous exprimer les doux transports de ma joie en recevant votre
image, qui est telle que je la désirais.” Le fait est que le peintre auquel le
travail de la Soeur Joly fut soumis n'y trouva presque rien à retoucher.
Dans les premiers mois de 1687, la Servante de Dieu
reçut une fois encore la charge de maîtresse des petites Soeurs. Elle y
avait naturellement beaucoup de répugnance, mais n'en témoigna rien. Seulement,
de plus en plus attirée vers le saint Sacrement, elle savait adroitement se
ménager des loisirs, priant son aide de la remplacer toutes les après-dînées
des fêtes, pour aller se consumer devant les autels, promettant à la Soeur d'y
demeurer une demi-heure à son intention.
Vers ce temps-là,
il lui survint encore un panaris. Elle porta en silence les douleurs aiguës que
cause ordinairement un tel mal. Mais, une des petites filles s'étant aperçue
que leur sainte maîtresse se relevait toutes les nuits, en avertit la supérieure.
La Mère Melin demanda à Soeur Marguerite-Marie à voir son mal, et pourquoi elle
n'en avait rien dit. “C'est si peu
de chose, ma chère Mère, que cela ne méritait pas d'en parler.” On fit pourtant
venir le médecin. Celui-ci en jugea bien autrement, et trouva le cas si grave
qu'il fallut même recourir au chirurgien. Le doigt dut être ouvert jusqu'à
l'os. La patiente, ne bougeant ni se plaignant le moins du monde pendant cette
opération, ces messieurs n'en revenaient pas; et le chirurgien, voyant qu'elle
restait comme insensible dans les grandes douleurs qu'il lui faisait souffrir
chaque jour pour la panser, ne comprenait rien à tant de vertu. Il finit par
dire agréablement “qu'il fait bon être sainte.”
Ce calme imperturbable dans la souffrance nous
paraît un mystère. .Il s'éclaircira cependant, jusqu'à un certain degré, quand
la. Sainte nous aura expliqué les
ordres reçus de Notre-Seigneur: “Il voulait que je souffrisse tout en
silence... Il voulait que j'attendisse tout de lui, et s'i[l] arrivait que je
me voulusse procurer quelque consolation, il ne me faisait rencontrer que de la
désolation et de nouveaux tourments pour tout soulagement: ce que j'ai toujours
regardé comme une “des plus grandes grâces que mon Dieu m'ait faites, avec
celle de ne me pas ôter ce précieux “trésor de la croix... C'était dans ces
sentiments, et parmi les délices de la croix, que je disais: - Que rendrai-[je]
au Seigneur pour les grands biens qu'il me fait? O, mon Dieu, que vos bontés sont grandes à mon égard, de vouloir bien me faire manger à la
table des saints, et des mêmes viandes dont vous les avez substantés, me
nourrissant avec abondance des mets délicieux de vos favoris et plus fidèles
amis, moi qui ne suis qu'une indigne et misérable pécheresse.” Sans transition
aucune, elle pousse cet élan séraphique: “Aussi, savez-vous bien que sans le
saint Sacrement et la Croix, je ne pourrais pas vivre ni supporter la longueur
de mon exil!” Le Dieu du tabernacle et du Calvaire l'a entendue. Il va lui
répondre.
Le vendredi saint de l'année 1687, 28 mars, cette
âme, affamée du pain eucharistique, se prit à dire à son Bien-Aimé: “Aimable
Jésus, je me veux consommer en vous désirant, en ne vous pouvant posséder en ce
jour, je ne laisserai de vous désirer.” Il vint la consoler de sa douce
présence, disant: “Ma fille, ton désir a pénétré mon Coeur si avant, que si je
n'avais pas institué ce sacrement d'amour, je le ferais maintenant pour me
rendre ton aliment. Je prends tant de plaisir d'y être désiré, qu'autant de
fois que le coeur forme ce désir, autant de fois je le regarde amoureusement
pour l'attirer à moi.”
Serait-ce
la même grâce qui se trouve rapportée dans l'Autobiographie, mais d'une manière
quelque peu différente? “Une fois que je le désirais ardemment, mon divin
Maître se présenta devant moi, comme j'étais chargée de balayures; il me dit: -
Ma fille, j'ai vu tes gémissements et les désirs de ton coeur me sont si agréables, que si je n'avais pas institué mon divin
sacrement d'amour, je l'instituerais pour l'amour de toi, pour avoir le plaisir
de loger dans ton âme, et prendre mon repos d'amour dans ton coeur. - Ce qui me
pénétra d'une si vive ardeur
que j'en sentais mon âme toute transportée, et
ne pouvait s'exprimer que par ces paroles: O amour! ô excès de l'amour d'un
Dieu envers une si misérable créature!”
Mais à côté de ces paroles, capables de
transfigurer toute une vie, Notre-Seigneur lui en adressait d'autres, non moins
belles, pour tenir cette âme dans la surnaturelle conviction qu'il était tout
et qu'elle n'était rien. “Une fois, il me fut dit d'une voix pleine d'autorité:
- Je te rendrai si pauvre, si vile et abjecte à
tes yeux, et je te détruirai si fort en la pensée de ton coeur, que je pourrai m'édifier
sur ce néant. - Ces paroles eurent tant d'effet en
moi que je n'y pouvais penser qu'avec horreur, tant j'y voyais de misères.”
Notre-Seigneur
lui avait dit qu'il voulait se servir d'elle comme d'un canal, pour répandre
ses grâces à profusion dans les âmes. Cette assurance suffit pour faire croire à la prodigieuse miséricorde dont
il allait lui confier le secret. “Un jour de vendredi, pendant la sainte
communion, il dit ces paroles à son indigne esclave, si elle ne se trompe: - Je
te promets, dans l'excessive miséricorde de mon Coeur,
que son amour tout-puissant accordera, à tous ceux qui
communieront neuf premiers vendredis des mois, de suite, la grâce de la pénitence finale, ne
mourant point dans ma disgrâce et sans recevoir leurs sacrements, mon divin
Coeur se rendant leur asile assuré au dernier moment.”
Ce qu'elle a entendu, elle le répète. Peut-être
objectera-t-on: elle n'a pas compris - cela ne peut avoir été dit. Changeons
nos pensées, croyons que rien n'est impossible à Dieu, surtout quand il a
résolu de manifester l'excessive miséricorde de son Coeur.
Ayant été réélue supérieure à l'Ascension de l'année
1687, la Mère Marie-Christine Melin choisit de nouveau la Soeur Alacoque pour
assistante et la proposa à l'élection de la Communauté, qui se fit honneur, une
seconde fois, en élisant une personne d'un tel mérite. Tout ce qui l'élevait
aux yeux des créatures était pour Soeur Marguerite Marie une croix très
pesante, d'autant que, au témoignage des Contemporaines, “l'estime et
vénération singulière qu'on eut pour sa sainteté l'empêchèrent de trouver de
nouvelles occasions de souffrir.”
Écrivant pendant le carême de 1688 à l'une de ses
plus intimés amies, la Soeur Félice-Madeleine de la Barge, à Moulins, elle lui
dit simplement “Il faut vous avouer, au sujet des charges, que vous ne sauriez
croire combien j'ai senti ma faiblesse en ce rencontre, par mon peu de
soumission, qui m'a fait jouer bien des personnages pour me défaire de la
nôtre, mais en vain. C'est pourquoi il nous faut abandonner, et, par un parfait
oubli de nous-même, ne rien vouloir ni désirer, et nous trouverons tout en
Dieu.”
Cette Soeur de la Barge! que de conseils admirables,
que de paroles embrasées n'eut-elle pas le bonheur de recueillir directement de
la grande privilégiée du Coeur de Jésus! Un jour, celle-ci lui écrira: “Je ne
peux vous dire autre chose, sinon que l'anéantissement de vous-même vous
élèvera à l'union de votre souverain Bien. En vous oubliant de vous-même, vous
le posséderez, et en vous abandonnant à lui, il vous possédera.” Et un
autre jour: “Il ne faut que l'aimer, ce Saint des saints, pour devenir sainte. Qui nous empêchera donc de l'être, puisque
nous avons des coeurs pour aimer et des corps pour souffrir? Mais hélas!
peut-on souffrir quand on aime? Non, chère amie, il n'y a plus de souffrance à
ceux qui aiment ardemment le sacré
Coeur de notre aimable Jésus, parce que les
douleurs, les humiliations, mépris et contradictions, et tout ce qu'il y a de
plus amer en la nature, est changé en amour dans cet adorable Coeur, lequel
veut être aimé sans mélange. Il veut tout posséder sans réserve et il veut tout
faire en nous, sans résistance de notre part. Livrons-nous donc à son pouvoir,
confions-nous en lui, laissons-le faire, et nous verrons qu'il y emploiera immanquablement
tous les ouvriers nécessaires à notre perfection, en telle sorte que la besogne
sera bientôt faite, pourvu que nous n'y apportions point d'obstacle.” Et une
autre fois: “Pour ce qui est d'entrer dans son sacré Coeur, allez, que
devez-vous craindre, puisqu'il vous invite d'y aller prendre votre repos? N'est-il pas le trône de la miséricorde,
où les plus misérables y sont les mieux reçus, pourvu que l'amour les présente
dans l'abîme de leur misère? Et si nous sommes lâches, froids, impurs et
imparfaits, n'est-il pas une fournaise ardente, où il nous faut perfectionner
et purifier comme l'or dans le creuset?”
Notre-Seigneur
avait assuré sa servante que toutes les grâces qu'elle recevrait ne l'empêche.
raient jamais d'observer ses règles, et d'obéir aveuglément, “mon divin Sauveur
m'ayant fait connaître qu'il les avait tellement soumises à l'obéissance, [ses
grâces] que si je venais à m'éloigner tant soit peu, il se retirerait de moi,
avec “toutes ses faveurs; enfin, que cet esprit qui me “conduit et qui règne en
moi avec tant d'empire, “me porterait à cinq choses :
1. A aimer d'un
amour extrême mon Sauveur Jésus-Christ;
2. A obéir parfaitement à l'exemple de mon
Seigneur Jésus-Christ;
3. A souffrir sans cesse pour l'amour de
Jésus-Christ;
4. A vouloir souffrir, sans qu'on s'aperçoive,
s'il se peut, que je souffre;
5. A avoir une
soif insatiable de communier “et d'être devant le saint Sacrement.
“Il me semble que toutes ces grâces, jusque ici, a
ont produit en moi tous ces grands effets.” Quel témoignage! Ainsi, la force de
la vérité oblige notre Sainte à confesser que, son âme n'ayant apporté aucune
résistance à l'action divine, toutes les prédictions du Maître se , sont
pleinement accomplies en elle. Et comme conséquence, elle ajoute immédiatement:
“Au reste, je vois plus clair que le jour qu'une vie sans amour de
Jésus”Christ, c'est la dernière de toutes les misères.”
Depuis longtemps déjà, l'humble Marguerite se
sentait pressée de demander, par l'intercession de saint François de Sales,
toutes les grâces nécessaires à son cher Institut de la Visitation, surtout la
perfection de l'union et de la charité, ces vertus fondamentales de tout
l'Ordre. Mais Notre-Seigneur, ayant plusieurs fois rejeté sa demande, elle lui
dit un jour: “Non, mon Dieu, je ne vous quitterai point que vous ne m'accordiez
cette grâce, et tant qu'il me restera de voix et de mouvement, je l'emploierai
pour vous le demander.” Notre-Seigneur reprit: “Je te promets d'exaucer ta
demande, si l'on fait ce que je te commande. Que chacune fasse une sérieuse
recherche dans son intérieur, de tout ce qui peut faire obstacle à ma grâce,
dont l'un des plus grands est une certaine petite jalousie et envie les unes
contre les autres, et une secrète froideur qui détruit la charité et rend mes grâces
inutiles.”
Et saint François de Sales lui dit: “Une véritable
fille de la Visitation doit être une hostie vivante, à l'imitation de
Jésus-Christ.”
Ce fut bien le même langage que lui tint la sainte
fondatrice, la Vénérable Mère de Chantal, lorsque, dans une autre occasion,
elle lui dit: “Les vraies filles de la Visitation ne se doivent réjouir qu'en
la croix, et ne se glorifier que des humiliations, puisqu'elles ne doivent
triompher que par la croix.”
Un jour de la Visitation, étant devant le
saint Sacrement, Soeur Marguerite-Marie priait avec de véritables instances
pour tout son saint Ordre; mais la divine Bonté se montrait inflexible à sa
prière. “Ne m'en parle plus: ils (sic) font la sourde oreille à ma voix et ils
détruisent le fondement de l'édifice. Mais s'ils pensent de l'élever “sur un
étranger, je le renverserai.” Il
fallut que la sainte Vierge plaidât la cause de la Visitation. La lutte fut
longue entre le divin Fils et la divine Mère. Enfin, celle-ci remporta la
victoire. Mais le démon en devint si furieux, que, enrageant de dépit, il éleva
soudain un formidable tourbillon, qui parut devoir renverser l'église du
monastère. Et, rompant par deux fois les rideaux de la grille, Satan fit
retentir ces paroles: “C'est ainsi que je voulais renverser l'Ordre de la
Visitation, s'il n'avait été soutenu par cette forte colonne, contre laquelle
je n'ai point de pouvoir.”
Mgr Languet dit: “Le fracas qui se fit alors dans l'église
fut si sensible, qu'une religieuse qui était en station avec Soeur Marguerite
devant le saint Sacrement, saisie d'effroi, se leva avec précipitation pour
s'enfuir; mais Soeur Marguerite la rappela, et lui dit d'un air tranquille: “- Ne
craignez rien; cela est fini. Il n'en fera pas davantage.” - Ce qui, en
rassurant la Soeur effrayée, lui fit comprendre
que Soeur Marguerite avait eu une vision.”
Dans sa retraite de la même année, une grâce de
contrition extraordinaire est accordée à la Servante de Dieu. Pendant cinq ou
six heures, elle ne fait que pleurer ses péchés, mais avec des larmes de feu,
car ce sont des larmes d'amour. Notre-Seigneur se présente devant elle et lui
dit: “Ma fille, veux-tu bien me sacrifier les larmes que tu as versées, pour
laver les pieds de ma bien”aimée, qui s'est souillée en poursuivant un étranger?”
Et, lui-même explique ce qu'il veut dire. Sa bien-aimée, c'est la Visitation.
Elle est entrée dans un purgatoire, c'est-à-dire dans les retraites annuelles,
pour se purifier. “Ma fille, donne-leur ce dernier avertissement de ma part. “Que
chacune pense, à part soi, à faire profit de la grâce que je lui présente par
l'entremise de ma sainte Mère; car celles qui n'en profiteront pas demeureront
comme des arbres secs, qui ne rapportent plus de fruits.”
Tout permet de croire que la miséricorde divine fut
entendue. Nous voici au 2 juillet 1688, et cette fois, la scène change.
On n'entend plus que des paroles de bénédiction. Étant devant le saint
.Sacrement, Soeur Marguerite-Marie vit un lieu fort éminent, spacieux et
admirable en sa beauté. Le Coeur de Jésus rayonnait au centre, comme sur un
trône de flammes. La très sainte Vierge était d'un côté, saint François de
Sales et le Père de la Colombière de l'autre. Les filles de la Visitation
paraissaient en ce lieu avec leurs bons anges. La Reine du ciel les encourage: “Venez,
mes bien-aimées filles, approchez-vous.” Puis, leur montrant le divin Coeur: “Voilà
ce précieux trésor, qui vous est particulièrement manifesté, par le tendre
amour que mon Fils a pour votre Institut, qu'il regarde et aime comme son cher
Benjamin, et pour cela, le veut avantager de cette portion par-dessus les
autres. Et il faut que non seulement elles s'enrichissent de ce trésor, - mais
encore qu'elles distribuent cette précieuse monnaie de tout leur pouvoir, avec
abondance, en tâchant d'en enrichir tout le monde, sans crainte qu'il défaille;
car, plus elles y en prendront, plus elles en trouveront.
“Ensuite, se
tournant vers le bon Père de la Colombière, cette Mère de bonté lui dit: - Pour
vous, fidèle serviteur de mon divin Fils, vous avez
grande part à ce précieux
trésor, car s'il est donné aux filles de la Visitation de le connaître et distribuer aux autres, il est réservé aux Pères de votre Compagnie d'en faire
voir et connaître l'utilité et la valeur.”
Jamais la Sainte ne perdit le souvenir de cette
communauté de privilèges, répartis gratuitement par le Sacré Coeur entre la
Compagnie de Jésus et l'Ordre de la Visitation. Aussi, lorsque la Providence la
mettait en rapport avec quelques Pères de cette sainte Compagnie, comme elle
était fidèle à leur rappeler leur glorieuse mission! Le 10 août 1689, elle
écrivait au Père Croiset: “C'est là où je me voudrais fondre d'actions de
grâces et de reconnaissance envers ce divin Coeur, pour les grandes grâces
qu'il nous fait, en voulant bien se servir de nous pour aider à le faire
connaître, aimer et honorer, à quoi il attache des biens infinis pour tous ceux
qui s'y emploieront de tout leur pouvoir, suivant son inspiration...... Mais
quoique ce trésor d'amour soit un bien “propre à tout le monde, et en qui
chacun a droit, il a néanmoins toujours été caché jusqu'à pré”sent, qu'il s'est
particulièrement donné aux (filles) de la Visitation, parce qu'elles sont
destinées à honorer sa vie cachée, afin que, leur étant découvert, elles le manifestassent
et distribuassent aux autres. Mais
il est réservé aux révérends Pères de la Compagnie de Jésus de faire connaître
la valeur et l'utilité de ce précieux trésor, où plus l'on prend, plus il y a à
prendre. Il ne tiendra donc qu'à eux de s'en enrichir, avec abondance de toute
sorte de biens et de grâces; car c'est par cet efficace moyen qu'il leur
présente qu'ils pourront s'acquitter parfaitement, selon son désir, du saint
ministère de charité auquel ils sont destinés. Car ce divin Coeur répandra tellement
la suave onction de sa charité sur leurs paroles, qu'elles pénétreront, comme
un glaive à deux tranchants, les coeurs les plus endurcis, pour les rendre
susceptibles à l'amour de ce divin Coeur, et les âmes les plus criminelles
seront conduites, par ce moyen, à une salutaire pénitence.
“Enfin, c'est par ce moyen qu'il veut répandre sur
l'Ordre de la Visitation et sur celui de la Compagnie de Jésus l'abondance de
ces divins trésors de grâce et de salut, pourvu qu'ils lui rendent ce qu'il en
attend, qui est un hommage d'amour, d'honneur et de louange, et de travailler
de tout leur pouvoir à l'établissement de son règne dans les coeurs. Il
attend beaucoup de votre sainte Compagnie pour ce sujet.”
Elle expose alors
au Père Croiset ce que le Coeur de Jésus veut personnellement de lui - avant
tout c'est sa sanctification - et elle lui dit: “A
mesure que vous y travaillerez, ce divin Coeur vous sanctifiera de sa sainteté
même.”
Dans cette même
lettre, elle insinue que le .Sacré Coeur cherche des coeurs vides pour les
remplir de la suave onction de son ardente charité, pour les consommer et les
transformer tout en lui”. Elle ajoute: «Il veut des esprits humbles et soumis,
sans curiosité que d'accomplir son bon plaisir.”
Au même endroit,
elle donne comme un précis des promesses que ce Coeur sacré lui a faites, pour
ceux qui se consacreront et dévoueront à lui, marquant, entre autres choses,
“qu'il ne les laissera jamais périr et qu'il leur serait un asile assuré contre
toutes les embûches de leurs ennemis, mais surtout à l'heure de la mort;... de
plus, qu'il réunirait les familles divisées - par ce moyen - et protégerait
celles qui seraient en quelque nécessité; et qu'il répandrait cette suave
onction de sa charité dans toutes les Communautés religieuses où il serait
honoré et lesquelles se mettraient sous sa particulière protection; qu'il en
tiendrait tous les coeurs unis, pour n'en faire qu'un même avec lui, et qu'il
en détournerait les traits de la divine justice...”
Quand on apprend à Soeur Marguerite-Marie que le
culte du Sacré Coeur est accueilli en particulier ou en public, elle en
tressaille. Mais, de bonne foi, elle se figure qu'elle est un empêchement à
cette diffusion, qu'elle souhaiterait déjà universelle. Voici qui est à remarquer: la Soeur Alacoque
disait souvent que le diocèse d'Autun serait le dernier à honorer le Sacré
Coeur, “parce qu'elle s'y croyait un obstacle”. Le motif qu'elle allègue
n'était qu'une illusion de son humilité. Mais la première partie de la prédiction devait avoir son accomplissement,
puisque, moins favorisé que la plupart des autres monastères de l'Ordre, celui
de Paray n'obtint de ses supérieurs ecclésiastiques la permission de solenniser
la fête du Sacré Coeur qu'en l'année 1713. Et, alors que nombre d'églises
avaient adopté déjà la chère dévotion, sous l'autorité de leurs pasteurs, ce ne
fut qu'en 1721 que Mgr d'Hallencourt de Droménil, évêque d'Autun, ordonna enfin
de célébrer la fête du Sacré Coeur dans tout son diocèse.
Cependant, un jour de bien pur bonheur avait lui pour
l'apôtre du Coeur de Jésus, vers la fin de l'année 1688. La chapelle, projetée
dès le 21 juin 1686, était achevée. Le Coeur sacré avait eu pour si agréable le
zèle que la Mère Marie-Christine Melin avait mis à lui faire élever un
sanctuaire où il serait adoré, qu'en récompense, il lui promettait le privilège
. de mourir dans l'acte du pur amour. Pour notre Sainte, quel doux message à
lui transmettre, cette fois!
Le tableau du Sacré Coeur, qui devait orner le nouvel
édifice, avait été exécuté par les soins de la Mère de Saumaise, d'après la
miniature envoyée par la Mère Greyfié. Il avait parfaitement satisfait leur
ancienne fille, qui écrivait à la première: “Je ne peux vous exprimer le doux
transport de joie que ressentit mon coeur à la vue de notre tableau, que je ne
me lasserai jamais de regarder, tant je le trouve beau.”
Il n'y avait plus qu'à inaugurer le petit
temple, après en avoir fait la solennelle bénédiction. Elle fut fixée au 7
septembre 1688. Ce ne fut pas seulement une fête pour le monastère; toute la
ville voulut s'y associer. Messieurs les Sociétaires du Mépart, et les curés
des paroisses voisines se réunissent à l'église paroissiale, puis se forment en
procession et se dirigent vers l'enclos du couvent, qu'ils traversent, pour
arriver à la chapelle, élevée à l'angle nord-est du jardin. Derrière eux, voici
toute une légion de fidèles, qu'on ne peut empêcher d'entrer. A une heure de
l'après-midi, les prières de la bénédiction commencent et la cérémonie dure
jusqu'à trois heures. Plus longtemps, se prolonge la contemplation, ou plutôt
l'extase de Soeur Marguerite-Marie, qui, toute abîmée en Dieu, dans un coin du
sanctuaire, ne voit rien, n'entend rien. En ce moment, elle est plus au ciel
que sur la terre. Déception pour les nombreux visiteurs, qui avaient si bien
espéré lui parler! Il fallut s'en retourner avant qu'elle fût sortie de son
ravissement. Qui peut aller contre
la parole de l'Époux céleste: “N'éveillez pas ma bien-aimée et ne la tirez pas
de son repos, avant qu'elle-même le veuille.”
On sut bien s'en dédommager plus tard, puisque nous
voyons, dans la déposition de la Soeur de Farges, que des prêtres, religieux,
prédicateurs et autres, venaient consulter la vénérable Soeur Alacoque sur
leurs difficultés, et qu'ils sortaient de sa conversation si contents qu'ils
disaient ordinairement: “Nous venons de voir la sainte.”
La Soeur de la Garde assure de son côté, “qu'elle a
vu plusieurs personnes, et régulières et séculières, s'adresser à la vénérable
Soeur, pour lui parler sur les peines qu'elles avaient, et qu'elles sortaient
toujours consolées d'auprès d'elle, avouant qu'elles étaient charmées
d'entendre la Servante de Dieu parler avec tant de facilité et une éloquence
qui ne paraissait pas naturelle, des mystères de notre foi.”
Ce qui
charmait Soeur Marguerite-Marie, c'était de voir cette dévote chapelle très
fréquentée de toutes les Soeurs, et devenue le but de pieux pèlerinages de la
part de la Communauté, surtout les premiers vendredis du mois, que l'on s'y
rendait en procession, chantant les litanies du Sacré Cœur et renouvelant l'amende honorable avec la consécration. Dans tous ces consolants progrès, combien de motifs de répéter l'un des plus chers refrains de son amour envers le Sacré Cœur: “Ce me serait un doux plaisir d'être anéantie pour
le faire régner”. Cependant à l'époque où nous en sommes arrivés de sa vie, la
vénération générale lui faisait, malgré elle, comme un cortège d'honneur. Soeur
Marie-Lazare Dusson, qui avait l'avantage de souvent s'entretenir avec ce
séraphin terrestre, en tendant un jour lire au réfectoire la vie de sainte
Catherine de Sienne, pensait en elle-même: “Oh! si je pouvais voir une personne
qui lui ressemblât, que je m'estimerais heureuse!” - En même temps, Notre-Seigneur lui dit intérieurement: “Regarde, voilà
ma bien-aimée, à qui je n'ai pas fait moins “de grâces et de faveurs.” Ouvrant
alors les yeux, elle vit la Soeur Alacoque, qui était assistante et se trouvait
en face d'elle. Et sur l'heure, une impression de grâce, qui ne pouvait
tromper, lui désignait cette âme comme celle dont l'Esprit-Saint rendait ce
témoignage.
Le simple contact de cette bien-aimée du Seigneur
avait quelque chose de miraculeux. En 1689, Soeur Anne-Marie Aumônier de
Chalanforge, dès les premiers jours de son postulat comme Soeur converse,
s'était blessée à la jambe, en fendant du bois. Ayant porté son mal en silence
assez longtemps, dans la crainte qu'on ne la renvoyât, un second accident fit
rouvrir la plaie et la jeune Soeur ne put dissimuler davantage ses souffrances.
Mais pleine de confiance dans les mérites de la Soeur Àlacoque, dont elle avait
appris des choses si extraordinaires, elle pensa qu'en touchant seulement le
bas de sa robe, elle guérirait. Or, un jour que la postulante rencontre la
Servante de Dieu au chauffoir commun, s'approchant d'elle et se baissant comme
pour ramasser quelque objet, la pauvre affligée ne fit rien autre que saisir un
pan de la robe de la vénérable Soeur, pour s'en frotter la jambe. Dès ce
moment, elle alla beaucoup mieux, et fut entièrement guérie en peu de temps.
Ensevelie au fond
de son cloître, Marguerite-Marie avait à remplir un dernier mandat, d'une
importance capitale, pour que sa mission fût complètement achevée.
Un jour, la dévotion au Sacré Coeur lui est montrée
comme un bel arbre, que Dieu avait destiné, de toute éternité, pour prendre son
germe et ses racines dans l'Institut de la Visitation. Les fruits de cet arbre sont des fruits de vie et
de salut éternel. Chaque âme peut en cueillir à son gré et selon son
goût. Le divin Coeur veut que les Filles de la Visitation distribuent les
fruits de cet arbre sacré avec abondance à tous ceux qui désireront d'en
manger, sans crainte qu'ils leur manquent. “Mais,” continue-t-elle, dans la même lettre à la Mère de Saumaise, “il ne
veut pas s'en arrêter là; il a encore de plus grands desseins, qui ne peuvent
être exécutés que par sa toute-puissance, qui peut tout ce qu'elle veut.”
Alors, avec autant de candeur qu'elle en mettrait à
rapporter la chose la plus facile du monde, elle redit les messages dont
Notre-Seigneur la charge pour le roi de France: “Fais savoir au fils aîné de
mon sacré Coeur - parlant de notre roi —.” Et, elle
expose nettement tous les désirs du
Coeur de Jésus.
Il veut régner
dans le palais du roi, mais surtout dans son coeur.
Il veut être
peint sur ses étendards et gravé dans ses armes, pour les rendre victorieuses.
Il veut le voir
lui élever un temple, où le tableau du Sacré Coeur serait exposé, afin d'y
recevoir la consécration et les hommages du roi et de toute la cour.
Enfin, “il l'a choisi comme son fidèle ami, pour
faire autoriser la messe en son honneur, par le Saint-Siège apostolique, et en
obtenir tous les autres privilèges qui doivent accompagner cette dévotion de ce
sacré Coeur.”
Puis elle déroule
tout le plan de réussite, tel qu'il lui a été surnaturellement suggéré. Dieu a
choisi le Révérend Père de la Chaise pour avertir le roi. La Mère de- Saumaise devra s'employer à faire agir
l'éminent jésuite, mais la Soeur Alacoque restera cachée. “Je vous demande
toujours le secret pour tout ce que je vous dis.”
La Mère de Saumaise, qui ne rejette aucune
proposition venant de Soeur Marguerite-Marie, accepte encore celle-ci, et se
sent inspirée de se servir de l'intermédiaire de la Mère Marie-Louise Croiset,
supérieure du monastère de Chaillot, où venait de se réfugier l'infortunée
reine d'Angleterre, Marie-Béatrix d'Este, cette ancienne duchesse d'York, dont
le Père de la Colombière avait été prédicateur. A la faveur de telles
entremises, ne finirait-on point par arriver jusqu'à Louis XIV? Voilà ce qu'on
se proposait. Qu'a-t-on obtenu?
On a pu dire et
penser bien des choses sur ce grand sujet. Là vérité est qu'aucun document ne
demeure des négociations entreprises et qu'elles sont alors restées sans effet.
Le roi n'eut-il pas connaissance de
l'avertissement céleste? ou, l'ayant connu, n'eut-il pas le courage de s'y
conformer?...
Bien que
ce soit le secret de Dieu, les événements ultérieurs sembleraient plutôt
permettre de croire à cette dernière hypothèse. S'il n'y avait eu, dans la
famille royale, une tradition quelconque du message fait à Louis XIV, le voeu
de Louis XVI aurait-il contenu si explicitement ces diverses clauses: - de
prendre les mesures nécessaires pour établir une fête solennelle en
l'honneur du sacré Coeur de Jésus, laquelle serait célébrée, à perpétuité, dans
toute la France, le premier vendredi d'après l'octave du Saint-Sacrement; - de
consacrer au Sacré Coeur sa personne, sa
famille et son royaume; - d'ériger et de décorer à ses frais, dans une église à son choix, une chapelle
ou un autel au Sacré Coeur?
Il est encourageant de se rappeler ce qu'écrivait la
Sainte: “Une chose qui me console fort, c'est que j'espère qu'en échange des
amertumes que ce divin Coeur a souffertes dans les palais des grands, pendant
les ignominies de sa Passion, cette dévotion l'y fera recevoir avec
magnificence avec le temps. Et quand je lui présentais “mes petites requêtes
sur toutes ces choses qui semblaient difficiles à obtenir, il me semblait
entendre ces paroles: - Crois-tu que je le puisse faire? Si tu le crois, tu
verras la puissance de mon Coeur dans la magnificence de mon amour.”
Quoi qu'il en soit, à deux siècles de distance, et en
attendant davantage, la France s'est souvenue de 1689 et du désir du Roi des
rois. Elle s'est consacrée au Sacré Coeur, et le temple qui domine sa capitale,
publie à la face du ciel et de la terre, qu'elle se proclame la nation
pénitente et dévouée: Gallia paenitens et devota!
Depuis la grande guerre, elle aune encore à se
proclamer la nation RECONNAISSANTE: “Christo ejusque Sacratissimo Cordi, Gallia
paenitens, devota et grata.”
En effet, la vraie France ne peut méconnaître qu'elle
doit sa victoire au Coeur sacré de Jésus, qui donna tant de vaillance et
d'héroïsme à nos soldats, pour faire triompher sa cause. Et c'est pourquoi, au
lendemain de cette sanglante tragédie, la Consécration de la Basilique du Voeu
national, sur la colline de Montmartre, revêtit un caractère de splendeur et de
solennité qui dépassa tout ce qu'on pouvait espérer.
Le Pape - Sa Sainteté Benoît XV - y envoya un Légat - Son Éminence le Cardinal
Vico. - Les fêtes furent magnifiques.
Et notre Sainte y eut sa place d'honneur, car, tandis que des voix éloquentes y
redirent ses vertus et la gloire de sa mission d'Apôtre du Sacré Coeur, des
parcelles de ses ossements précieux furent déposées non seulement dans l'autel
de sa chapelle propre, mais encore dans le maître-autel de la Basilique, avec
celles du glorieux martyr saint Denys. Qu'eût-elle dit, l'humble Marguerite de
Paray, si, en 1689, on avait soulevé devant elle le voile de l'avenir, et si on
lui avait fait lire, à la date du 16 octobre 1919, cette consolante page de
notre histoire nationale? Mais revenons aux dernières années de Sainte
Marguerite-Marie ici-bas.
Dès 1689, le Père Croiset avait été
providentiellement amené à faire quelques additions au livret de la Soeur Joly
sur la dévotion au Sacré Coeur, et à le laisser imprimer à Lyon, chez Horace
Molin, libraire, qui se chargeait lui-même de tous les frais. Mise au courant
de tout, la Soeur Alacoque écrit au jeune jésuite, le 10 août 1689: “Il
[Notre-Seigneur] me semble vouloir que je vous assure de sa part que ce
commencement lui a donné tant de plaisir, qu'il a fait dessein de vous donner
les grâces qu'il avait destinées à un autre, lequel s'est voulu excuser, sur
ses occupations, de faire ce que vous avez fait et qu'il [Notre-Seigneur] veut,
si je ne me trompe, que vous fassiez à l'avenir, pourvu que vous ayez le
courage de poursuivre, malgré tous les obstacles et contradictions que Satan y
pourra susciter, dans la suite de l'exécution des [choses] qu'il désire de
vous. Il vous soutiendra et ne vous laissera manquer d'aucun moyen nécessaire
pour cela.”
C'est clair - ce que le Père Croiset a fait n'est qu'un commencement. Le Sacré Coeur veut quelque
chose de plus. Mais comment parler de ce Coeur divin, sans avoir d'abord
entretenu celle qui en connaît tous les secrets? Le
Père Croiset désire donc voir Soeur Marguerite-Marie. Par bonheur, il a pour
supérieur le Père Antoine Billet, oncle de la Soeur Claude-Marguerite, cette si
chère amie de la Soeur Alacoque. Le Père Billet donne très facilement au jeune
religieux la permission de faire le voyage de Paray, dans les derniers mois de
l'année 1689, en compagnie du Père Claude de Villette. L'un et l'autre se
promettaient des merveilles de cet entretien. Ils arrivent au parloir, mais se
demandent bientôt si on ne les a pas trompés, en leur racontant de si grandes
choses de la pauvre religieuse qu'ils ont devant eux. Elle se tient si
réservée, si rabaissée qu'à peine ose-t-elle répondre. Est-ce bien là
une âme qui lit au fond des coeurs? Déjà, ils se repentent d'être venus de si
loin pour voir une personne qui ne leur veut rien dire et se proposent de ne
pas renouveler pareille visite. Mais
le lendemain, ils se sentent pressés de revenir l'un après l'autre. Cette
fois, la Sainte dit à chacun le mot qu'il faut dire, et tous deux recueillent
pleine satisfaction. Ils s'étonnent maintenant de trouver tant de force,
d'onction et de pénétration dans les paroles d'une simple fille, et ils avouent
que Dieu seul peut lui communiquer de telles lumières.
Cette conférence fut décisive, et la dévotion au
Sacré Coeur compta désormais deux apôtres de plus. “Depuis ce temps,” disent
les Contemporaines, parlant de Soeur Marguerite-Marie, “ils eurent commerce de
lettres avec elle, surtout le Révérend Père Croiset”. Celui-ci eut la joie
d'être ordonné prêtre sur la fin du carême de 1690, et de célébrer une de ses
premières messes, sinon la première, le jeudi saint, 23 mars.
Ce même jour, ou pendant la nuit sacrée du jeudi au
vendredi saint, Notre-Seigneur présenta une grande croix à sa bien-aimée
disciple. Elle l'accepta sans en comprendre d'abord la signification. Mais
ayant appris, peu après, qu'on la voulait mettre sur le catalogue pour la
prochaine élection, elle ne put s'empêcher de dire à son bon Maître: “Est-il
possible, ô mon Dieu, que vous permettiez qu'une créature comme moi soit
exposée à la tête d'une Communauté? Je vous demande par grâce d'éloigner de moi
cette croix: je me soumets à toute autre.”
Notre-Seigneur se rendit à ses supplications, et,, à
l'Ascension de 1690, ce fut la Mère CatherineAntoinette de Lévy-Châteaumorand
qui fut élue. Soeur Marguerite-Marie en ressentit une joie très grande et très
sincère. La première faveur qu'elle lui demanda, ce fut de la sortir de la
charge d'assistante, pour laquelle la nouvelle supérieure avait dessein de la
proposer encore. Notre-Seigneur n'approuva pas cette demande quelque peu
empressée de sa servante, et lui dit: “Eh quoi! ma fille, je me suis rendu à ta
volonté, et, pour l'amour de moi, tu ne te feras pas violence!” L'humble
assistante alla aussitôt trouver sa supérieure, pour lui demander pardon
d'avoir manifesté sa propre volonté et l'assurer qu'elle était disposée à faire
tout ce qui lui serait ordonné. Elle fut maintenue dans sa charge, “pour le
bonheur de la Communauté, qui s'adressait à elle confidemment.” On ne peut
s'empêcher de le constater: Dieu donne maintenant à tout le monastère le
pressentiment qu'il ne conservera plus longtemps l'admirable flambeau qu'il
possède. Les Contemporaines sont les premières à dire que Soeur
Marguerite-Marie avait «beaucoup de lumières et de grâces” pour consoler et
soulager les Soeurs “dans leurs peines” et que “chacune lui découvrait avec
permission” les siennes. Il semble qu'on voie le tableau. Il a quelque chose
d'attendrissant. Toutes ces âmes qui s'ouvrent à la confidente du Coeur de
Jésus, quel touchant spectacle! Non seulement, elle les console dans les
afflictions présentes; mais parfois, pénétrant l'avenir, elle annonce à telle
personne, telle croix pour plus tard, et lui indique comment il la faudra
porter. Témoin Soeur Jeanne Françoise Chalon, qui déposa en 1715, que la
vénérable Soeur “lui prédit de certains chagrins, qu'elle devait avoir dans un
temps assez éloigné, et lui marqua de la manière dont elle devait se comporter
dans cette occasion, quoiqu'il n'y eût aucune apparence que ces chagrins
dussent arriver et que la déposante n'en voulût rien croire. Cependant, elle a
trouvé le tout véritable”.
De même que le voyageur, parvenu au sommet d'une
montagne très élevée, n'entend plus aucun des bruits de la plaine, et ne se
souvient plus des mille dangers de l'ascension, mais qu'il est comme perdu dans
la contemplation du ciel et des splendides horizons qui se déroulent devant lui
- de même cette âme
prédestinée,
parvenue à ce radieux sommet de l'union divine,
n'entend plus rien des bruits inférieurs.
Elle ne voit plus que le Coeur de son Dieu et les infinis horizons de son
amour. Tous les désirs, même
les plus saints, ont cessé en elle.
La Mère de
Lévy-Châteaumorand, la voyant si exténuée de forces, lui retrancha l'heure
sainte du jeudi au vendredi, et lui défendit toutes les autres austérités
qu'elle pratiquait. Soeur
Marie-Lazare Dusson rapporte, à ce sujet, que la “Mère supérieure l'ayant
trouvée quelque temps avant la mort de la vénérable Soeur, elle lui dit: - Ma
Soeur, vous estimez bien ma Soeur Marguerite [Marie] Alacoque; mais ce sera
bien autre chose quand je vous aurai dit ce que je viens de lui faire. Je lui
ai ordonné, dit-elle, de m'apporter tous ses instruments de mortification,
disciplines, haires, cilices, etc... Elle a été sur-le-champ les chercher et me
les a apportés, et les voilà dans mon armoire, mais je ne les lui rendrai plus.
- Ce qui fit dire à la déposante: - Nous vous sommes toutes obligées, ma chère Mère, car c'est cela qui la rend toujours malade.”
La
Sainte commençait à prédire ouvertement sa mort. “Je ne vivrai plus guère car
je ne souffre rien; notre chère Mère a trop de soin de moi.” Une autre fois,
elle dit plus positivement encore: “Je mourrai assurément cette année, parce
que je ne souffre plus rien et pour ne pas empêcher les grands fruits que mon
divin Sauveur prétend tirer d'un livre de la dévotion au sacré Coeur de Jésus.”
C'était le livre du Père Croiset. Le volume parut en 1691, contenant, en cent
six pages, un abrégé de la vie de la Servante de Dieu, ce qui donna bien plus
de poids et d'autorité à tout l'ouvrage et contribua bien mieux à faire
connaître la nouvelle dévotion.
Sentant que l'Époux approchait, Soeur
Marguerite-Marie voulut se préparer à sa venue par une retraite intérieure de
quarante jours et sonder un peu d'où lui venait cette ardeur véhémente, qui la
faisait soupirer après la divine rencontre.
Elle
commença cette retraite exceptionnelle le jour de ses quarante-trois ans, 22 juillet
1690, fête de sainte Madeleine. C'est dans le sacré Coeur de Jésus qu'elle
passa ces quarante jours entiers. “J'ai en lui toute ma confiance, comme étant
le seul appui de mon espérance,” écrit-elle.
“Après lui avoir remis tous mes intérêts, j'ai
senti une paix admirable sous ses pieds, où il m'a tenue longtemps comme toute
anéantie dans l'abîme de mon néant, attendant ce qu'il jugerait de cette
misérable criminelle... Je suis insolvable, vous le voyez bien, mon
divin Maître; mettez-moi en prison, j'y 'consens, pourvu que ce soit dans celle
de votre sacré Coeur. Et quand j'y serai, tenez-moi là bien. captive et liée
des chaînes de votre amour, jusqu'à ce que je vous aie payé tout ce que je vous
dois; et comme je ne le pourrai jamais faire, aussi, souhaité-je de n'en jamais
sortir.”
Elle était dans
ces sentiments, lorsqu'arriva l'époque des retraites annuelles. A Soeur
CatherineAugustine Marest, l'infirmière qui l'avait si souvent soignée dans ses
maladies, elle dit un jour: “Voici mon rang pour entrer en solitude, mais ce
sera dans la grande solitude.”
Elle fut saisie
de son mal la veille d'entrer en retraite et s'alita le 8 octobre, neuf jours
avant le dernier de sa vie. On fit appeler le docteur Billet, qui tenait la
Soeur Alacoque en si grande estime. Regardant ses maladies comme causées par
l'amour divin, depuis longtemps le bon docteur disait n'avoir point de remèdes
à. y apporter. Cette fois, il ne vit aucun symptôme alarmant, et paraissait si
sûr de son fait “qu'il fit gageure qu'elle en reviendrait.”
“Elle fut peinée,
les premiers jours, de la crainte des jugements de Dieu; mais dès qu'elle fut
confessée, sa crainte se changea en confiance, et son amour et son désir
d'aller à Dieu la consommait”.
Cependant, la malade continuait à prédire qu'elle
touchait à sa fin. “Le médecin l'ayant assurée qu'elle n'en mourrait pas, elle
lui répondit qu'il valait mieux qu'il ne dît pas vrai qu'elle.” Mais elle était
si convaincue de sa mort prochaine, qu'elle demanda instamment le saint
viatique. Comme personne ne la trouvait en danger, on ne jugea pas à propos de
le lui accorder. Du moins, pria-t-elle qu'on la fît communier,
puisqu'elle était encore à jeun. On le lui permit. Elle reçut donc la sainte
communion avec des ardeurs séraphiques, et sachant fort bien que c'était pour
la dernière foi. C'était le 16 octobre.
Une Soeur,
s'apercevant qu'elle souffrait extraordinairement, voulut lui procurer quelque
soulagement; mais la malade l'en remercia, avouant qu tous les moments qui lui
restaient à vivre étaient trop précieux pour en perdre un seul. Oui, elle
souffrait beaucoup, mais ce n'était pas encore assez pour la contenter, tant
elle trouvait de charme dans les souffrances. Vivre et mourir sur la crois lui
semblait si doux que, quel que fût son ardent désir de jouir de Dieu, elle en
aurait encore un plus grand de demeurer en cet état jusqu'au jour du jugement,
si c'était le bon plaisir divin, tant elle y goûtait de délices.
La nuit qui
devait être la dernière, Soeur Marguerite-Marie fut veillée par son ancienne
novice, Soeur Marie-Nicole de la Faige des Claines, qui, jusqu'au lendemain
matin à huit heures, put être témoin de ses transports d'amour envers Dieu. Tantôt, c'était par quelques versets des
psaumes et de la sainte Écriture, tantôt par des oraisons jaculatoires toutes
spontanées, que la Sainte exhalait ses élans embrasés.
Ce coeur si tendre et fidèle n'avait pas oublié de
faire ses derniers adieux à son petit Louis de Gonzague. Dès le premier jour
qu'elle tomba malade, la Soeur Alacoque l'avait envoyé chercher, disant: “Venez-moi
voir, ma chère Soeur, car je mourrai de cette maladie, et nous n'aurons pas
longtemps à demeurer ensemble.”
Dieu est un feu consumant. Avant d'admettre
cette âme à l'éternelle. communion, son amour voulait qu'elle passât par une
suprême purification. Voilà pourquoi le dernier jour de cette prédestinée eut
ses terreurs comme ses ineffables consolations. Tout d'un coup, elle entre dans
des frayeurs étranges des jugements
de Dieu. Elle tremble, elle s'humilie, elle s'abîme devant son crucifix.
Avec de profonds soupirs, elle
répète: “Miséricorde, mon Dieu, miséricorde!”. Tel l'épi mûr, courbé
sous la tempête, telle Marguerite-Marie ployant une dernière fois sous la main
toute-puissante de son Dieu. Mais le
divin Soleil reparaît... l'épi se redresse, ou plutôt l'âme de Marguerite
exulte dans les miséricordes du Sacré Coeur. Redevenant sereine et calme, elle
s'écrie: “Misericordias Domini in aeternum cantabo!”
Oppressée par la fièvre, elle ne peut rester
au lit. On la soulève et on la soutient, pour l'aider à respirer. Pendant ce
temps, elle redit: “Hélas! je brûle, je brûle; mais si c'était de l'amour
divin, quelle consolation! Mais-je n'ai jamais su aimer “mon Dieu parfaitement!”
Et, s'adressant aux Soeurs qui l'entourent: “Demandez-lui-en pardon pour moi et
l'aimez bien de tout votre coeur, pour “réparer tous les moments que je ne l'ai
pas fait. “Quel bonheur d'aimer Dieu! Ah! quel bonheur! “Aimez donc cet Amour,
mais aimez-le parfaitement!”
Au milieu de ces avant-goûts du paradis, une
crainte traversait l'âme de Soeur Alacoque celle de ne pas rester assez cachée
et ensevelie dans un éternel oubli après sa mort. Elle fait promettre à sa
supérieure de ne parler jamais de tout ce qu'elle lui a dit en confiance et qui
pourrait être à son avantage. - Il y a des promesses dont la gloire de Dieu
dispense et relève, ne l'oublions pas. -
Ce n'est pas tout: elle fait appeler la Soeur de Farges: “Je vous prie,” lui dit-elle, “ma chère Soeur, d'écrire incessamment au Révérend Père Rolin, pour le prier de brûler mes lettres, et
de me garder inviolablement le secret que je lui ai souvent demandé.” Elle dit
encore à la même Soeur: “Je vous prie; ma chère Soeur, de brûler le cahier qui
est dans une telle armoire, écrit de ma main, par ordre de mon confesseur, le
Révérend Père Rolin, jésuite, car il m'a défendu de le faire moi-même, avant
qu'il l'eût examiné.” - Dieu permit, en cette rencontre, que l'humilité de notre Sainte l'empêchât de comprendre que la Soeur de Farges était la dernière personne à laquelle il aurait
fallu s'adresser pour un pareil office. En effet, vénérant Soeur
Marguerite-Marie comme elle la vénérait, son ancienne novice se garda bien de
lui obéir en cette circonstance. Elle
se contenta de l'engager à remettre la clef de l'armoire à la supérieure, et à
faire un sacrifice à Dieu du reste, “à quoi elle consentit, quoique cela lui
coûtât beaucoup.”
Le ciel avait veillé à ce que la postérité ne fût
point frustrée du trésor de grâces que renfermait ce cahier. Au moment où celle
qui l'écrivait est prête à paraître devant son Dieu, recueillons-nous et admirons
la vérité des paroles que son souverain Seigneur lui adressait, alors que cette
âme parfaitement humble cherchait à se dégager de l'obéissance de révéler tant
de divins prodiges d'amour, opérés en sa faveur. “Poursuis, ma fille, poursuis;
il n'en sera ni plus ni moins pour toutes tes répugnances; il faut que ma
volonté s'accomplisse... Écris donc sans crainte tout, suivant que je te
dicterai, te promettant d'y -répandre l'onction de ma grâce, afin que j'en sois
glorifié. Premièrement, je veux cela de toi, pour te faire voir que je me joue,
en rendant inutiles toutes les précautions que je t'ai laissé prendre, pour
cacher la profusion des grâces dont j'ai pris plaisir d'enrichir une aussi
pauvre et chétive créature que toi, qui n'en dois jamais perdre le souvenir,
pour m'en rendre de continuelles actions de grâces. En second lieu, pour
t'apprendre que tu ne te dois point approprier ces grâces, ni être chiche de
les distribuer aux autres, puisque je me suis voulu servir de ton coeur comme
d'un canal, pour les répandre, selon mes desseins, dans les âmes, dont
plusieurs seront retirées, par ce moyen, de l'abîme de perdition, comme je te
le ferai voir dans la suite. Et en troisième lieu, c'est pour faire voir que je
suis la vérité éternelle, qui ne peut mentir, - je suis fidèle en mes promesses - et que les grâces que je
t'ai faites peuvent souffrir toute sorte d'examens et d'épreuves.”
Que de
fois, tandis qu'elle traçait ces pages sublimes, la Sainte s'est arrêtée, ne fût-ce
que pour conjurer le Seigneur de faire que cet écrit ne fût jamais vu de
personne, que de celui qui devait l'examiner! “O mon [Dieu], donnez cette
consolation à votre pauvre chétive esclave,” dit-elle. Mais elle est obligée
d'ajouter: “En même temps, ma demande a reçu cette réponse: - Abandonne tout à mon bon plaisir, et me laisse accomplir mes
desseins, sans te mêler de rien, car j'aurai
soin de tout.” Par cette parole, Notre-Seigneur ne s'est-il pas, en quelque
sorte, engagé à garder à son Église ce que nous oserions appeler un inestimable
joyau dans le trésor des écrits des saints? N'est-ce point le titre que
pourrait porter l'Autobiographie de la vierge de Paray?
Mais revenons auprès de son lit de douleur.
La Mère supérieure avait fait prévenir la famille
Alacoque. On en avertit la malade. Elle répondit qu'elle ne la verrait
point. “Mourons et sacrifions tout à Dieu.” Telle fut l'une de ses dernières
paroles.
Vers les cinq
heures du soir du 17 octobre, elle eut une faiblesse qui fit redouter un prompt
dénouement. De nouveau, elle demanda le saint viatique; mais comme elle parut
se ranimer, le docteur persista à dire que rien ne pressait et qu'il fallait
attendre le lendemain: “J'ai prévenu, heureusement,” dit-elle à la Soeur de
Farges; “je me doutais bien qu'on ne me croirait pas si mal c'est pourquoi la
dernière fois que j'ai communié, Dieu m'a fait la grâce de le recevoir en
viatique.” Et elle aspirait de plus en plus au ciel “Laetatus sum in his que
dicta sunt mihi: in domum Domini ibimus. Oui, j'espère que, par la miséricorde du Sacré Coeur, nous irons en la
maison du Seigneur.”
La très honorée Mère s'étant retirée, l'infirmière
dut bientôt la rappeler. Une Soeur trouvait qut c'était inutile; mais la
mourante dit: “Laissez-le faire, il en est temps.” Alors, elle pria sa
supérieure de lui faire donner l'extrême-onction. On fit aussitôt venir le
prêtre. La supérieure voulait aussi faire revenir encore une fois le médecin;
mais Soeur Marguerite-Marie l'en empêcha, disant: “Ma Mère, je n'ai plus besoin
que de Dieu seul, et de m'abîmer dans le Coeur de Jésus-Christ.”
Toutes les religieuses accoururent. La
Communauté étant rassemblée fit les prières de la recommandation de l'âme. Bien que la Soeur Péronne-Rosalie de.
Farges et la Soeur Françoise-Rosalie Verchère ne se trouvassent pas arrivées
des premières dans la chambre, la Providence les réunit le chaque côté de la
sainte mourante, et ce fut entre leurs bras, selon la prédiction qu'elle leur
en avait faite, à chacune séparément, qu'elle rendit le dernier soupir. Elle
l'exhala, en prononçant le saint Nom de Jésus, tandis que le prêtre achevait
sur elle la quatrième onction.
Une beauté toute
surnaturelle se répandit sur ce visage inanimé. Une auréole semblait déjà
l'environner. Les anges, les divins
associés de Marguerite-Marie, pouvaient chanter autour de sa dépouille mortelle:
“L'humilité précède la gloire.”
Le docteur Billet, entrant au moment où la
Soeur venait d'expirer, parut fort surpris. Rien n'ayant annoncé, d'après les
données de la science, une mort si prompte, il ne doutait pas que l'amour divin
n'en fût l'auteur.
Cette
bienheureuse mort arriva entre sept et huit heures du soir, le mardi 17 octobre
1690. Dans la Communauté, le deuil était général. Peut-être quelques-unes
versaient-elles des larmes bien altières, en se disant: “Faut-il que nous
l'ayons reconnue si tard pour ce qu'elle était!...” Les Contemporaines déclarent.
que la défunte laissait “une odeur universelle de sainteté.” Aussi, quelle
paix, quelle joie on ressentait à côté de ce corps glacé par la mort! L'âme,
maintenant abîmée en Dieu, l'illuminait d'un rayon céleste.
A peine la
nouvelle de ce trépas eut-elle franchi les grilles pour se répandre dans la
ville, qu'on y pleura comme en un désastre public. On criait à haute voix dans les rues: “La sainte
est morte - La sainte des Sainte-Marie est morte! n répétaient à leur tour les petits enfants de quatre à cinq ans.
Le lendemain matin, dès que l'église fut ouverte;
elle se remplit d'une pieuse foule, avide de contempler encore une fois la
vénérable Soeur, donc les restes mortels viennent d'être exposés dans le choeur
des religieuses.
Tout le monde veut faire toucher des objet: de
piété au saint corps: deux Soeurs sont constamment occupées à ce consolant
office et n'y suffisent même pas. Il
faut demander du secoua supplémentaire.
Tout le monde, aussi, veut des reliques de le Soeur
Alacoque, demandant de ses vêtements ou quelque chose écrit de sa main. Mais,
si grand était le dépouillement de cette vraie religieuse qu'après sa mort, on
ne trouva rien lui ayant appartenu, si ce n'est le livre de ses règles et sa
discipline.
On n'avait jamais encore vu, “depuis l'établissement
de la maison, à aucun enterrement de religieuse, une si grande assemblée de
prêtres, religieux, de personnes qualifiées et de peuple, qu'à celui de ladite
vénérable Sœur Alacoque.”
Ce fut
au soir du 18 octobre que les funérailles se firent et que le corps de cette
âme élue fut déposé au lieu de la sépulture, sous le choeur des religieuses. Les
ecclésiastiques qui pénétrèrent dans la clôture, à cette occasion, imitèrent la
dévotion du peuple. “Chacun,” dit Mgr Languet, “voulut emporter quelque relique
de la sainte défunte, jusqu'à couper des morceaux de ses habits ou de son
voile, et l'un d'eux, ayant enlevé le petit crucifix qu'elle tenait dans ses
mains, refusa constamment de le rendre à la maison, disant que c'était le plus
précieux trésor qu'il pût acquérir et laisser à sa famille.”
Une Soeur de la
Communauté, Soeur MarieSuzanne de Bisefrand, ayant écrit au Révérend Père
Rolin, pour lui parler de celle dont la glorification était si manifeste, le
saint religieux répondit en ces termes: “Je vous suis très obligé de tout le
détail que vous m'avez fait dans vos deux dernières lettres, touchant la très
vénérable Soeur Alacoque, que Dieu fait honorer sur la terre, ce quiest bien
une marque de son élévation et de sa puissante intercession auprès de Dieu dans
le ciel. J'en loue et bénis Notre-Seigneur. La révérant comme je fais, vous
pouvez bien croire que j'y prends toute la part que je dois. Elle m'a honoré de son amitié et de sa confiance,
pendant qu'elle a été sur la terre. Je ne doute, pas qu'elle ne me donne dans
le ciel le secours de ses prières. J'y compte beaucoup; mais pour nous les
attirer, vous et moi, imitons ses vertus, dont nous avons été les témoins: c'est
par là que nous nous attirerons sa protection. Elle a été très fidèle à Dieu.
Elle ne lui a jamais rien refusé de ce qu'il lui a demandé. Elle a été très
mortifiée: les souffrances ont fait ses délices. Rien de plus humble, de plus
charitable et de plus uni à Dieu, joint à une obéissance parfaite. Voilà ce
qu'a été cette grande Servante de Dieu.”
La confiance des fidèles en son intercession fut
maintes fois récompensée par des faveurs extraordinaires, soit dans l'ordre
spirituel, soit dans l'ordre temporel.
Grâce au zèle de l'abbé Languet, alors vicaire
général d'Autun, depuis évêque de Soissons et archevêque de Sens, la procédure
ecclésiastique fut commencée en 1715, pour instruire la Cause de béatification
et de canonisation de l'humble Visitandine.
Sans se soucier des fureurs ni des sarcasmes des
jansénistes, Mgr Languet consacra sa plume d'académicien à écrire la Vie de la
Vénérable Mère Marguerite-Marie. L'ouvrage parut en 1729. Il fallait du
courage pour parler de telles choses à une telle époque. Les amis du savant
évêque l'engageaient, en toute éventualité, à ne pas signer de son nom ce livre
si compromettant. Moins pusillanime et surtout plus surnaturelle fut la Soeur
de Farges. Elle écrivit, “de son
style simple et sans façon,” à Mgr Languet, “que Dieu le Père avais bien
souffert que le Nom de Jésus, son Fils, fût mis au-dessus de sa Croix, et que
Sa Grandeur ne devait pas refuser, de mettre le sien à la tête de ce livre,
quelques croix et mortifications qu'il dût lui en revenir”. Le prélat suivit ce
conseil, et; si la publication de ce volume attira sur son auteur une véritable
persécution de la part des jansénistes et des philosophes, ennemis-nés de la
dévotion au Sacré Coeur, elle lui attira, bien davantage encore, les
bénédictions de ce Coeur adorable.
Le Seigneur prit soin d'entourer d'honneur le nom de
sa bien-aimée disciple, à travers les siècles. Lui-même, aussi, veilla pour que
ses ossements précieux fussent conservés, et qu'après la tourmente
révolutionnaire, ils fussent rapportés, par les Soeurs de Marguerite-Marie,
dans ce même monastère, où elle avait si héroïquement correspondu à la grâce de
sa vocation et de sa mission spéciale.
Jamais, d'ailleurs, ces ossements bénis n'avaient
quitté le territoire de Paray, même au plus fort de la Terreur. Lorsqu'était
arrivée l'heure douloureuse de la dispersion de la Communauté - 23 septembre
1792 - on les avait confiés à Soeur Marie-Anne-Félicité Lorenchet, dont la famille habitait proche le
monastère. Mais cette religieuse ayant dû se rendre à Beaune, son pays natal,
elle laissa le dépôt sacré à Soeur Marie-Thérèse Petit. C'était le
remettre entre bonnes mains. La Soeur Petit, qui appartenait à une très
honorable famille de Paray, n'était pas de nature à trembler en face du danger.
Aussi ne crut-elle pas devoir cacher les deux petites châsses de bois dont la
Providence venait de l'établir gardienne: l'une, contenant les ossements de la
vénérable Soeur Alacoque - l'autre, ceux du Père de la Colombière. Quand les
Municipaux faisaient des visites domiciliaires chez elle, la Soeur Petit, leur
montrant les deux châsses, disait sans mystère: “Voilà mon trésor, je vous
défends d'y toucher!” On lui
obéissait.
Ce serait nous laisser entraîner trop loin que de
raconter ici les obstacles de tout genre qui, durant de longues années,
s'opposèrent à la restauration définitive du monastère de Paray-le-Monial. Il
fallut un sublime courage, non moins qu'une très humble constance, à celles que
Dieu avait marquées pour l'accomplissement de cette oeuvre: nous nommons la
Mère Marie-Rose Carmoy et la Soeur Marie-Thérèse Petit, qui furent comme l'âme
de cette laborieuse et délicate entreprise.
En 1817, plusieurs Soeurs de l'ancienne Communauté de
Paray, saintement impatientes de reprendre le joug de la vie religieuse,
allèrent se réunir à l'ancien monastère de Moulins, qui se reconstituait à La
Charité-sur-Loire. Les Soeurs émigrantes avaient conçu le projet d'emmener avec
elles la petite châsse renfermant les restes de la Soeur Alacoque. Mais, leur
dessein ayant été surpris, la ville de Paray s'alarma. On recourut aussitôt à
l'autorité de l'évêque d'Autun, qui était alors Mgr Fabien-Sébastien Imberties.
Sa Grandeur lança une ordonnance spéciale, chargeant le curé de Paray, M.
Noiret, de se concerter avec MM. les maire et adjoints de la ville, pour faire
en sorte que la châsse de la vénérable Soeur Alacoque, comme aussi celle du
Père de la Colombière - les deux, on l'a vu, étaient conservées ensemble - fussent
gardées à la cité de Paray-le-Monial. Des mesures immédiates furent prises en conséquence et Paray ne fut pas dépouillé de sa Perle précieuse “pretiosa Margarita». Aux
yeux de tous, il venait de prouver noblement qu'il en appréciait la valeur.
Les deux châsses demeurèrent quelque temps, dans une
tribune du transept de l'église paroissiale. Sans doute, M. le Curé ne
les y jugeait point assez en sûreté, car on les trouva dans sa propre demeure,
lorsqu'il mourut le 12 septembre de cette même année 1817. Alors, toute
inquiétude étant dissipée au sujet de l'enlèvement des saintes reliques, elles
furent rendues, avec l'approbation ecclésiastique et du consentement de la
ville, aux religieuses qui attendaient persévéramment à Paray le rétablissement
canonique de leur Communauté. Ces saintes et vaillantes âmes n'avaient-elles
pas grâce, pour veiller, mieux que personne, à la garde d'un tel trésor?
Le jour de la rentrée dans le monastère —16 juin 1823 - les ossements de la Servante de
Dieu y furent réintégrés avec grande joie, mais sans aucune pompe
extérieure, parce que tout ce qui eût ressemblé à un culte public aurait pu
nuire à la Cause.
La petite châsse ne fut pas replacée dans
l'ancien caveau funéraire, sous le choeur des religieuses. Elle eut plusieurs lieux de repos, à l'intérieur
du monastère, suivant les diverses indications reçues de Rome, en vue de la
béatification.
Les malheurs de l'Église de France avaient forcément
interrompu les procédures, qui ne purent être reprises que longtemps après la
Révolution.
Le 30 mars 1824, Sa Sainteté Léon XII signait
la Commission d'Introduction de la Cause. Selon la coutume alors tolérée, la Servante de Dieu recevait le titre de
Vénérable. Marguerite-Marie conserva ce titre pendant quarante ans, dans
l'espace desquels furent opérés les trois miracles nécessaires à la béatification.
Le premier fut obtenu en 1828, en faveur de Soeur Marie de Sales Chareault,
professe du monastère de Paray-leMonial, cette religieuse ayant été guérie d'un
cancer interne à l'estomac. En 1830, le 21 juillet, veille de la reconnaissance
juridique du tombeau de la Vénérable, la Soeur Marie-Thérèse Petit, celle-là
même qui avait si bien gardé ses restes mortels, pendant la dispersion de la
Communauté, fut guérie subitement d'un anévrisme invétéré au coeur. Enfin en
1841, Soeur Louise-Philippine Bollani, professe du monastère de la Visitation
de Venise, se voyait gratifiée d'une guérison parfaite et instantanée. Sa
maladie était une phtisie pulmonaire tuberculeuse, incurable.
Ces trois miracles furent reconnus authentiques par
un décret du 24 avril 1864. Le 18 septembre de la même année, Pie IX, de sainte
mémoire, proclama Marguerite-Marie Bienheureuse. Quelques mois plus tard, en
juin 1865, Paray-le-Monial célébra de splendides fêtes en l'honneur de sa
nouvelle Bienheureuse.
Ce fut alors que ses. ossements sacrés furent déposés
dans la magnifique châsse en vermeil que les pèlerins admirent dans la chapelle
de la Visitation de Paray. Ce modeste mais béni sanctuaire est bien celui qui fut
témoin des grandes apparitions du Sacré Coeur. Quand les fidèles en
franchissent le seuil, ils peuvent se dire qu'ils foulent une terre sacrée
entre toutes, et qu'ils entrent dans le Saint des saints de la nouvelle
alliance. Seuls, les anges qui entourent le tabernacle pourraient nous révéler
les mystères de grâce qui se sont opérés en ce lieu, surtout depuis l'année
1873, époque à laquelle les grands pèlerinages commencèrent s'organiser,
amenant d'innombrables foules vers le Sacré Coeur. Pécheurs convertis - âmes relevées et consolées - coeurs éclairés et fortifiés - qui dira leur nombre?
C'est surtout dans ce sanctuaire que se vérifie la parole du Maître à sa
disciple: “Je veux que tu me serves d'instrument pour attirer des coeurs à mon
amour.”
En 1890, l'éminent évêque d'Autun, Mgr Perraud,
désira commémorer solennellement le second centenaire de la mort de la.
Bienheureuse, à laquelle des liens de parenté l'unissaient, Le grand évêque
obtint de Sa Sainteté Léon XIII, pour Paray-le-Monial, un jubilé de sept
semaines, qui fut déjà tout un triomphe pour notre Bienheureuse, en même temps
qu'une source de sanctification pour bien des âmes.
Depuis cette époque, surtout, que de supplications
sont montées vers le ciel, de toutes les parties de la, terre, mais
principalement de tous les monastères de la Visitation, pour obtenir la
canonisation de la Servante de Dieu!
Il fallait d'abord obtenir deux nouveaux miracles
parfaitement constatés, et non seulement de simples grâces de guérison. Ceux
qui furent choisis pour être soumis à l'examen de la Sacrée Congrégation des
Rites remontent aux années 1900 et 1903.
En 1900, la signora Luise-Agostina Coleschi, à
Pompéi, fut guérie instantanément d'une méningo-myélite, et en 1903, la
Comtesse Antonietta Pavesi-Astorri obtint de même, par l'intercession de la
Bienheureuse Marguerite-Marie Alacoque, la guérison. instantanée d'un
douloureux cancer.
Au cours de l'examen, de nombreuses difficultés
surgirent. Plus d'une fut sans doute suscitée par le démon, toujours
opposé à l'exaltation de cette humble entre les humbles.
Mais enfin, la
Providence déjoua toutes les ruses infernales et dénoua toutes choses heureuse,
ment - même contre toute attente - puisque ce fut
en pleine guerre que la cause de Marguerite-Marie fut reprise. Notre Très Saint Père le Pape
Benoît XV daignant la couvrir d'une protection
admirable, elle finit par triompher de tous les obstacles. Le 6 janvier 1918, fête de l'Épiphanie, dans le
palais apostolique du Vatican, le Pape promulgua le décret d'approbation des
miracles.
Le 17 mars suivant - dimanche de la Passion - la
cause de Marguerite-Marie, cette grande amante de la croix, était heureusement
terminée. Le solennel décret de Tuto établissait qu'on pouvait, en toute
sûreté, procéder à la canonisation: “Tuto procedi posse ad Canonizationem.”
Mais la grande guerre européenne durait encore et les
circonstances n'étaient pas assez favorables au déploiement des fêtes d'une
canonisation. Un nouveau délai s'imposait.
Enfin, l'heure marquée par Dieu de toute éternité
arriva, où, à la joie de la terre comme, du ciel, la disciple privilégiée du Cœur de Jésus devait recevoir
l'auréole des saints. Le 13 mai 1920, dans la
plus grandiose des cérémonies, en présence d'un nombre
extraordinaire de Cardinaux, Archevêque ou Évêques et d'une foule de
fidèles, venus de tous pays, mais
principalement de France, le Souverain Pontife Benoît XV déclara
Marguerite-Marie SAINTE. Puis il entonna le Te Deum et toutes les cloches de
Rome annoncèrent la Canonisation. Or c'était en la fête de l'Ascension. Car
la Providence voulut que celle qui avait toujours suivi Jésus Christ sur le
chemin de la souffrance et du Calvaire fût associée d'une manière ineffable à
la gloire di son triomphe. Exaltavit humiles!
La suprême
glorification de Marguerite-Marie c'est le dernier sceau apposé sur les révélations
de Paray-le-Monial et l'Église a fait briller le dernier rayon qui manquait
encore au plein éclat de la dévotion au Sacré Coeur. Dieu en soit loué!
Un souvenir de
cette canonisation demeure dans la Basilique Vaticane. C'est le grand tableau
de l'apparition du Sacré Coeur que Benoît XV fi exécuter par le peintre Carlo
Muccioli, et place dans Saint-Pierre, au-dessus de l'autel que Sa Sainteté
venait de dédier au Sacré Coeur.
La Visitation de Rome - via Salaria - fêta la nouvelle Sainte dès le soir même du 13 mai 1920, en
une cérémonie qui réunissait une assis tance d'élite dans la chapelle du monastère. Pour satisfaire la
piété des Romains, il fallut,
pendant de longs jours, faire une large distribution de médailles, d'images et.
de vies de la Sainte de Paray.
De plus,
la Postulation fit célébrer dans l'église du Gesù, au mois d'avril 1921, un
solennel Triduum d'actions de grâces, durant lequel de grandioses fonctions se
déroulèrent et des orateurs de choix se firent entendre.
Quant à Paray-le-Monial, auprès des restes mortels de
la Sainte, il y eut des fêtes immédiates et des fêtes successives prolongées.
Tout d'abord, du 13 au 16 mai, ce fut un premier Triduum qui fit monter vers
Dieu sans retard la profonde reconnaissance du monastère de Sainte
Marguerite-Marie. Qu'il faisait bon se presser alors dans le privilégié
sanctuaire des apparitions et entourer la. châsse de Celle dont on pouvait
réellement dire: Exsultabunt ossa humiliata! Au dehors comme au dedans du
cloître, tout chantait la, gloire de la disciple du Coeur de Jésus.
Mais ce n'était qu'un prélude; car Mgr Berthoin,
évêque d'Autun, avait obtenu du Saint-Père d'exceptionnelles faveurs en
l'honneur de la Canonisation.
Un jubilé extraordinaire fut accordé à
Paray-le-Monial à cette occasion, et divisé en cinq périodes, s'échelonnant
ainsi :
Du 8 au 24 octobre 1920.
Du 20 avril au 5 mai 1921.
Du 20 mai au 8 juin 1921.
Du 2 au 15 août 1921.
Du 2 au 17 octobre 1921.
Chacune
de ces périodes fut honorée de la présence d'Évêques, Archevêques ou Cardinaux,
et attira des multitudes de pèlerins à Paray.
Des
sources de grâces, plus abondantes que jamais, semblaient ouvertes aux âmes en
ces lieux bénis. L'héroïque servante de Dieu, qui s'y sanctifia dans
l'obéissance et l'humilité, eut d'éloquents et de nombreux panégyristes.
Il y eut des processions splendides à travers la
ville et même - par privilège spécial émané du Saint Père - dans l'enclos du
monastère. On-y porta plusieurs fois en triomphe
la châsse de la Sainte. Au mois d'août 1921, elle fut escortée, entre autres éminents Prélats, par Son Excellence Mgr Raphaël Virili,
archevêque de Ptolémaïs. A bon droit, comme Postulateur, il pouvait plus . que
nul autre se réjouir du succès final de la chère Cause. Enfin, au mois
d'octobre 1921, ce fut Son Excellence Mgr Cerretti, archevêque de Corinthe et
Nonce apostolique à Paris, qui présida la clôture du jubilé de la Canonisation
au jour même de 1a fête de Sainte Marguerite-Marie - 17 octobre - dans une véritable journée d'apothéose. Inoubliables
souvenirs pour ceux ou celles qui assistèrent à ces douces solennités!
Dans les monastères de la Visitation - et ailleurs
aussi - on rivalisa d'ardeur pour exalter la glorieuse canonisée du 13 mai 1920. Durant toute l'année qui suivit, ce fut, dans les diverses parties de
l'univers catholique, une succession de fêtes en son honneur, ou
plutôt, en l'honneur du Coeur de Jésus, puisqu'il est impossible de séparer la
disciple du Maître et qu'on ne peut parler d'elle sans parler de Lui.
Et
maintenant, ô Sainte Marguerite-Marie, - continuez votre mission. Soyez
toujours pour le monde la messagère du Sacré Coeur! Révélez-nous toujours davantage
son amour! Qu'il règne, qu'il règne, ce Coeur adorable et infiniment
miséricordieux! A Lui, louange et gloire dans les siècles des siècles!
FIN
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