Tuesday 11 July 2023

Tuesday's Serial: “Le Fantôme de l'Opéra” by Gaston Leroux (in French) - XII

 

XVIII - SUITE DE LA CURIEUSE ATTITUDE D'UNE ÉPINGLE DE NOURRICE

La dernière phrase de Moncharmin exprimait d'une façon trop évidente le soupçon dans lequel il tenait désormais son collaborateur pour qu'il n'en résultât point sur-le-champ une explication orageuse, au bout de laquelle il fut entendu que Richard allait se plier à toutes les volontés de Moncharmin, dans le but de l'aider à découvrir le misérable qui se jouait d'eux.

Ainsi arrivons-nous à «l'entr'acte du jardin» pendant lequel M. le secrétaire Rémy, à qui rien n'échappe, a si curieusement observé l'étrange conduite de ses directeurs, et dès lors rien ne nous sera plus facile que de trouver une raison à des attitudes aussi exceptionnellement baroques et surtout si peu conformes à l'idée que l'on doit se faire de la dignité directoriale.

La conduite de Richard et Moncharmin était toute tracée par la révélation qui venait de leur être faite: 1° Richard devait répéter exactement, ce soir-là, les gestes qu'il avait accomplis lors de la disparition des premiers vingt mille francs; 2° Moncharmin ne devait pas perdre de vue une seconde la poche de derrière de Richard dans laquelle Mme Giry aurait glissé les seconds vingt mille.

À la place exacte où il s'était trouvé lorsqu'il saluait M. le sous-secrétaire d'État aux Beaux-Arts, vint se placer M. Richard avec, à quelques pas de là, dans son dos, M. Moncharmin.

Mme Giry passe, frôle M. Richard, se débarrasse des vingt mille dans la poche de la basque de son directeur et disparaît...

Ou plutôt on la fait disparaître. Exécutant l'ordre que Moncharmin lui a donné quelques instants auparavant, avant la reconstitution de la scène, Mercier va enfermer la brave dame dans le bureau de l'administration. Ainsi, il sera impossible à la vieille de communiquer avec son fantôme. Et elle se laissa faire, car mame Giry n'est plus qu'une pauvre figure déplumée, effarée d'épouvante, ouvrant des yeux de volaille ahurie sous une crête en désordre, entendant déjà dans le corridor sonore le bruit des pas du commissaire dont elle est menacée, et poussant des soupirs à fendre les colonnes du grand escalier.

Pendant ce temps, M. Richard se courbe, fait la révérence, salue, marche à reculons comme s'il avait devant lui ce haut et tout-puissant fonctionnaire qu'est M. le sous-secrétaire d'État aux Beaux-Arts.

Seulement, si de pareilles marques de politesse n'eussent soulevé aucun étonnement dans le cas où devant M. le directeur se fût trouvé M. le sous-secrétaire d'État, elles causèrent aux spectateurs de cette scène si naturelle, mais si inexplicable, une stupéfaction bien compréhensible alors que devant M. le directeur il n y avait personne.

M. Richard saluait dans le vide... se courbait devant le néant... et reculait—marchait à reculons—devant rien...

... Enfin, à quelques pas de là, M. Moncharmin faisait la même chose que lui.

... Et repoussant M. Rémy, suppliait M. l'ambassadeur de Le Borderie et M. le directeur du Crédit central de ne point «toucher à M. le directeur».

Moncharmin, qui avait son idée, ne tenait point à ce que, tout à l'heure, Richard vînt lui dire, les vingt mille francs disparus: «C'est peut-être M. l'ambassadeur ou M. le directeur du Crédit central, ou même M. le secrétaire Rémy.»

D'autant plus que, lors de la première scène, de l'aveu même de Richard, Richard n'avait, après avoir été frôlé par Mme Giry, rencontré personne dans cette partie du théâtre... Pourquoi donc, je vous le demande, puisqu'on devait exactement répéter les mêmes gestes, rencontrerait-il quelqu'un aujourd'hui?

Ayant d'abord marché à reculons pour saluer, Richard continua de marcher de cette façon par prudence... jusqu'au couloir de l'administration... Ainsi, il était toujours surveillé par derrière par Moncharmin et lui-même surveillait «ses approches» par devant.

Encore une fois, cette façon toute nouvelle de se promener dans les coulisses qu'avaient adoptée MM. les directeurs de l'Académie nationale de musique ne devait évidemment point passer inaperçue.

On la remarqua.

Heureusement pour MM. Richard et Moncharmin qu'au moment de cette tant curieuse scène, les «petits rats» se trouvaient à peu près tous dans les greniers.

Car MM. les directeurs auraient eu du succès auprès des jeunes filles.

... Mais ils ne pensaient qu'à leurs vingt mille francs.

Arrivé dans le couloir mi-obscur de l'administration, Richard dit à voix basse à Moncharmin:

—Je suis sûr que personne ne m'a touché... maintenant, tu vas te tenir assez loin de moi et me surveiller dans l'ombre jusqu'à la porte de mon cabinet... il ne faut donner l'éveil à personne et nous verrons bien ce qui va se passer.

Mais Moncharmin réplique:

—Non, Richard! Non!... Marche devant... je marche immédiatement derrière! Je ne te quitte pas d'un pas!

—Mais, s'écrie Richard, jamais comme cela on ne pourra nous voler nos vingt mille francs!

—Je l'espère bien! déclare Moncharmin.

—Alors, ce que nous faisons est absurde!

—Nous faisons exactement ce que nous avons fait la dernière fois... La dernière fois, je t'ai rejoint à ta sortie du plateau, au coin de ce couloir... et je t'ai suivi dans le dos.

—C'est pourtant exact! soupire Richard en secouant la tête et en obéissant passivement à Moncharmin.

Deux minutes plus tard les deux directeurs s'enfermaient dans le cabinet directorial.

Ce fut Moncharmin lui-même qui mit la clef dans sa poche.

—Nous sommes restés ainsi enfermés tous deux la dernière fois, fit-il, jusqu'au moment ou tu as quitté l'Opéra pour rentrer chez toi.

—C'est vrai! Et personne n'est venu nous déranger?

—Personne.

—Alors, interrogea Richard qui s'efforçait de rassembler ses souvenirs, alors j'aurai été sûrement volé dans le trajet de l'Opéra à mon domicile...

—Non! fit sur un ton plus sec que jamais Moncharmin... non... ça n'est pas possible... C'est moi qui t'ai reconduit chez toi dans ma voiture. Les vingt mille francs ont disparu chez toi, cela ne fait plus pour moi l'ombre d'un doute.

C'était là l'idée qu'avait maintenant Moncharmin.

—Cela est incroyable! protesta Richard... je suis sûr de mes domestiques!... et si l'un d'eux avait fait ce coup-là, il aurait disparu depuis.

Moncharmin haussa les épaules, semblant dire qu'il n'entrait pas dans ces détails.

Sur quoi Richard commence à trouver que Moncharmin le prend avec lui sur un ton bien insupportable.

—Moncharmin, en voilà assez!

—Richard, en voilà trop!

—Tu oses me soupçonner?

—Oui, d'une déplorable plaisanterie!

—On ne plaisante pas avec vingt mille francs!

—C'est bien mon avis! déclare Moncharmin, déployant un journal dans la lecture duquel il se plonge avec ostentation.

—Qu'est-ce que tu vas Faire? demande Richard. Tu vas lire le journal maintenant!

—Oui, Richard, jusqu'à l'heure où je te reconduirai chez toi.

—Comme la dernière fois?

—Comme la dernière fois.

Richard arrache le journal des mains de Moncharmin. Moncharmin se dresse, plus irrité que jamais. Il trouve devant lui un Richard exaspéré qui lui dit, en se croisant les bras sur la poitrine,—geste d'insolent défi depuis le commencement du monde:

—Voilà, fait Richard, je pense à ceci. Je pense à ce que je pourrais penser, si, comme la dernière fois, après avoir passé la soirée en tête-à-tête avec toi, tu me reconduisais chez moi, et si, au moment de nous quitter, je constatais que les vingt mille francs avaient disparu de la poche de mon habit... comme la dernière fois.

—Et que pourrais-tu penser? s'exclama Moncharmin cramoisi.

—Je pourrais penser que, puisque tu ne m'as pas quitté d'une semelle, et que, selon ton désir, tu as été le seul à approcher de moi comme la dernière fois, je pourrais penser que si ces vingt mille francs ne sont plus dans ma poche, ils ont bien des chances d'être dans la tienne!

Moncharmin bondit sous l'hypothèse.

—Oh! s'écria-t-il, une épingle de nourrice!

—Que veux-tu faire d'une épingle de nourrice?

—T'attacher!... Une épingle de nourrice!... une épingle de nourrice!

—Tu veux m'attacher avec une épingle de nourrice?

—Oui, t'attacher avec les vingt mille francs!... Comme cela, que ce soit ici, ou dans le trajet d'ici à ton domicile ou chez toi, tu sentiras bien la main qui tirera ta poche... et tu verras si c'est la mienne, Richard!... Ah! c'est toi qui me soupçonnes maintenant... Une épingle de nourrice!

Et c'est dans ce moment que Moncharmin ouvrit la porte du couloir en criant:

—Une épingle de nourrice! qui me donnera une épingle de nourrice?

Et nous savons aussi comment, dans le même instant, le secrétaire Rémy, qui n'avait pas d'épingle de nourrice, fut reçu par le directeur Moncharmin, cependant qu'un garçon de bureau procurait à celui-ci l'épingle tant désirée.

Et voici ce qu'il advint:

Moncharmin, après avoir refermé la porte, s'agenouilla dans le dos de Richard.

—J'espère, dit-il, que les vingt mille francs sont toujours là?

—Moi aussi, fit Richard.

—Les vrais? demanda Moncharmin, qui était bien décidé cette fois à ne pas se laisser «rouler».

—Regarde! Moi je ne veux pas les toucher, déclara Richard.

Moncharmin retira l'enveloppe de la poche de Richard et en tira les billets en tremblant car, cette fois, pour pouvoir constater fréquemment la présence des billets, ils n'avaient ni cacheté l'enveloppe ni même collé celle-ci. Il se rassura en constatant qu'ils étaient tous là, fort authentiques. Il les réunit dans la poche de la basque et les épingla avec grand soin.

Après quoi il s'assit derrière la basque qu'il ne quitta plus du regard, pendant que Richard, assis à son bureau, ne faisait pas un mouvement.

—Un peu de patience, Richard, commanda Moncharmin, nous n'en avons plus que pour quelques minutes... La pendule va bientôt sonner les douze coups de minuit. C'est aux douze coups de minuit que la dernière fois nous sommes partis.

—Oh! j'aurai toute la patience qu'il faudra!

L'heure passait, lente, lourde, mystérieuse, étouffante. Richard essaya de rire.

—Je finirai par croire, fit-il, à la toute-puissance du fantôme. Et en ce moment, particulièrement, ne trouves-tu pas qu'il y a dans l'atmosphère de cette pièce un je ne sais quoi qui inquiète, qui indispose, qui effraie?

—C'est vrai, avoua Moncharmin, qui était réellement impressionné.

—Le fantôme! reprit Richard à voix basse et comme s'il craignait d'être entendu par d'invisibles oreilles... le fantôme! Si tout de même c'était un fantôme qui frappait naguère sur cette table les trois coups secs que nous avons fort bien entendus... qui y dépose les enveloppes magiques... qui parle dans la loge n° 5... qui tue Joseph Buquet... qui décroche le lustre... et qui nous vole! car enfin! car enfin! car enfin! Il n'y a que toi ici et moi!... et si les billets disparaissent sans que nous y soyons pour rien, ni toi, ni moi... il va bien falloir croire au fantôme... au fantôme...

À ce moment, la pendule, sur la cheminée, fit entendre son déclenchement et le premier coup de minuit sonna.

Les deux directeurs frissonnèrent. Une angoisse les étreignait, dont ils n'eussent pu dire la cause et qu'ils essayaient en vain de combattre. La sueur coulait sur leurs fronts. Et le douzième coup résonna singulièrement à leurs oreilles.

Quand la pendule se fut tue, ils poussèrent un soupir et se levèrent.

—Je crois que nous pouvons nous en aller, fit Moncharmin.

—Je le crois, obtempéra Richard.

—Avant de partir, tu permets que je regarde dans ta poche?

—Mais comment donc! Moncharmin! il le faut!

—Eh bien? demanda Richard à Moncharmin, qui tâtait.

—Eh bien! je sens toujours l'épingle.

—Évidemment, comme tu le disais fort bien, on ne peut plus nous voler sans que je m'en aperçoive.

Mais Moncharmin, dont les mains étaient toujours occupées autour de la poche, hurla:

—Je sens toujours l'épingle, mais je ne sens plus les billets.

—Non! ne plaisante pas, Moncharmin!... Ça n'est pas le moment.

—Mais, tâte toi-même.

D'un geste, Richard s'est défait de son habit. Les deux directeurs s'arrachent la poche!... La poche est vide.

Le plus curieux est que l'épingle est restée piquée à la même place.

Richard et Moncharmin pâlissaient. Il n'y avait plus à douter du sortilège.

—Le fantôme, murmure Moncharmin.

Mais Richard bondit soudain sur son collègue.

—Il n'y a que toi qui as touché à ma poche!... Rends-moi mes vingt mille francs!... Rends-moi mes vingt mille francs!...

—Sur mon âme, soupire Moncharmin qui semble prêt à se pâmer... je te jure que je ne les ai pas...

Et comme on frappait encore à la porte, il alla l'ouvrir, marchant d'un pas quasi-automatique, semblant à peine reconnaître l'administrateur Mercier, échangeant avec lui des propos quelconques, ne comprenant rien à ce que l'autre lui disait; et déposant, d'un geste inconscient, dans la main de ce fidèle serviteur complètement ahuri, l'épingle de nourrice qui ne pouvait plus lui servir de rien...

 

 

XIX - LE COMMISSAIRE DE POLICE, LE VICOMTE ET LE PERSAN

La première parole de M. le commissaire de police, en pénétrant dans le bureau directorial, fut pour demander des nouvelles de la chanteuse.

—Christine Daaé n'est pas ici?

Il était suivi, comme je l'ai dit, d'une foule compacte.

—Christine Daaé? Non, répondit Richard, pourquoi?

Quant à Moncharmin, il n'a plus la force de prononcer un mot... Son état d'esprit est beaucoup plus grave que celui de Richard, car Richard peut encore soupçonner Moncharmin, mais Moncharmin, lui, se trouve en face du grand mystère... celui qui fait frissonner l'humanité depuis sa naissance: l'Inconnu.

Richard reprit, car la foule autour des directeurs et du commissaire observait un impressionnant silence:

—Pourquoi me demandez-vous, monsieur le commissaire, si Christine Daaé n'est pas ici?

—Parce qu'il faut qu'on la retrouve, messieurs les directeurs de l'Académie nationale de musique, déclare solennellement M. le commissaire de police.

—Comment! il faut qu'on la retrouve! Elle a donc disparu?

—En pleine représentation!

—En pleine représentation! C'est extraordinaire!

—N'est-ce pas? Et, ce qui est tout aussi extraordinaire que cette disparition, c'est que ce soit moi qui vous l'apprenne!

—En effet... acquiesce Richard, qui se prend la tête dans les mains et murmure: Quelle est cette nouvelle histoire? Oh! décidément, il y a de quoi donner sa démission!...

Et il s'arrache quelques poils de sa moustache sans même s'en apercevoir:

—Alors, fait-il comme en un rêve..., elle a disparu en pleine représentation.

—Oui, elle a été enlevée à l'acte de la prison, dans le moment où elle invoquait l'aide du ciel, mais je doute qu'elle ait été enlevée par les anges.

—Et moi j'en suis sûr!

Tout le monde se retourne. Un jeune homme, pâle et tremblant d'émotion, répète:

—J'en suis sûr!

—Vous êtes sûr de quoi? interroge, Mifroid.

—Que Christine Daaé a été enlevée par un ange, monsieur le commissaire, et je pourrais vous dire son nom...

—Ah! ah! monsieur le vicomte de Chagny, vous prétendez que Mlle Christine Daaé a été enlevée par un ange, par un ange de l'Opéra sans doute?

Raoul regarde autour de lui. Évidemment, il cherche quelqu'un. À cette minute où il lui semble si nécessaire d'appeler à l'aide de sa fiancée le secours de la police, il ne serait pas fâché de revoir ce mystérieux inconnu qui, tout à l'heure, lui recommandait la discrétion. Mais il ne le découvre nulle part. Allons! il faut qu'il parle!... Il ne saurait toutefois s'expliquer devant cette foule qui le dévisage avec une curiosité indiscrète.

—Oui, monsieur, par un ange de l'Opéra, répondit-il à M. Mifroid, et je vous dirai où il habite quand nous serons seuls...

—Vous avez raison, monsieur.

Et le commissaire de police, faisant asseoir Raoul près de lui, met fout le monde à la porte, excepté naturellement les directeurs, qui, cependant, n'eussent point protesté, tant ils paraissaient au-dessus de toutes les contingences.

Alors Raoul se décide:

—Monsieur le commissaire, cet ange s'appelle Erik, il habite l'Opéra et c'est l'Ange de la musique!

—L'Ange de la musique! En vérité! Voilà qui est fort curieux!... L'Ange de la musique!

Et, tourné vers les directeurs, M. le commissaire de police Mifroid demande:

—Messieurs, avez-vous cet ange-là chez vous?

MM. Richard et Moncharmin secouèrent la tête sans même sourire.

—Oh! fit le vicomte, ces messieurs ont bien entendu parler du Fantôme de l'Opéra. Eh bien! je puis leur affirmer que le Fantôme de l'Opéra et l'Ange de la musique, c'est la même chose. Et son vrai nom est Erik.

M. Mifroid s'était levé et regardait Raoul avec attention.

—Pardon, monsieur, est-ce que vous avez l'intention de vous moquer de la justice?

—Moi! protesta Raoul, qui pensa douloureusement: «Encore un qui ne va pas vouloir m'entendre».

—Alors, qu'est-ce que vous me chantez avec votre Fantôme de l'Opéra?

—Je dis que ces messieurs en ont entendu parler.

—Messieurs, il paraît que vous connaissez le Fantôme de l'Opéra?

Richard se leva, les derniers poils de sa moustache dans la main.

—Non! monsieur le commissaire, non, nous ne le connaissons pas! mais nous voudrions bien le connaître! car, pas plus tard que ce soir, il nous a volé vingt mille francs!...

Et Richard tourna vers Moncharmin un regard terrible qui semblait dire: «Rends-moi les vingt mille francs ou je dis tout.» Moncharmin le comprit si bien qu'il fit un geste éperdu: «Ah! dis tout! dis tout!...

Quant à Mifroid, il regardait tour à tour les directeurs et Raoul et se demandait s'il ne s'était point égaré dans un asile d'aliénés. Il se passa la main dans les cheveux:

—Un fantôme, dit-il, qui, le même soir, enlève une chanteuse et vole vingt mille francs, est un fantôme bien occupé! Si vous le voulez bien, nous allons sérier les questions. La chanteuse d'abord, les vingt mille francs ensuite! Voyons, monsieur de Chagny, tâchons de parler sérieusement. Vous croyez que Mlle Christine Daaé a été enlevée par un individu nommé Erik. Vous le connaissez donc, cet individu? Vous l'avez vu?

—Oui, monsieur le commissaire.

—Où cela?

—Dans un cimetière.

M. Mifroid sursauta, se reprit à contempler Raoul et dit:

—Évidemment!... c'est ordinairement là que l'on rencontre les fantômes. Et que faisiez-vous dans ce cimetière?

—Monsieur, dit Raoul, je me rends très bien compte de la bizarrerie de mes réponses et de l'effet qu'elles produisent sur vous. Mais je vous supplie de croire que j'ai toute ma raison. Il y va du salut de la personne qui m'est la plus chère au monde avec mon bien-aimé frère Philippe. Je voudrais vous convaincre en quelques mots, car l'heure presse et les minutes sont précieuses. Malheureusement, si je ne vous raconte point la plus étrange histoire qui soit, par le commencement, vous ne me croirez point. Je vais vous dire, monsieur le commissaire, tout ce que je sais sur le Fantôme de l'Opéra. Hélas! monsieur le commissaire, je ne sais pas grand'-chose...

—Dites toujours! Dites toujours! s'exclamèrent Richard et Moncharmin subitement très intéressés; malheureusement pour l'espoir qu'ils avaient conçu un instant d'apprendre quelque détail susceptible de les mettre sur la trace de leur mystificateur, ils durent bientôt se rendre à cette triste évidence que M. Raoul de Chagny avait complètement perdu la tête. Toute cette histoire de Perros Guirec, de têtes de mort, de violon enchanté, ne pouvait avoir pris naissance que dans la cervelle détraquée d'un amoureux.

Il était visible, du reste, que M. le commissaire Mifroid partageait de plus en plus cette manière de voir, et certainement le magistrat eût mis fin à ces propos désordonnés, dont nous avons donné un aperçu dans la première partie de ce récit, si les circonstances, elles-mêmes, ne s'étaient chargées de les interrompre.

La porte venait de s'ouvrir et un individu singulièrement vêtu d'une vaste redingote noire et coiffé d'un chapeau haut de forme à la fois râpé et luisant, qui lui entrait jusqu'aux deux oreilles, fit son entrée. Il courut au commissaire et lui parla à voix basse. C'était quelque agent de la Sûreté sans doute qui venait rendre compte d'une mission pressée.

Pendant ce colloque, M. Mifroid ne quittait point Raoul des yeux.

Et enfin, s'adressant à lui, il dit:

—Monsieur, c'est assez parlé du fantôme. Nous allons parler un peu de vous, si vous n'y voyez aucun inconvénient; vous deviez enlever ce soir Mlle Christine Daaé?

—Oui, monsieur le commissaire.

—À la sortie du théâtre?

—Oui, monsieur le commissaire.

—Toutes vos dispositions étaient prises pour cela?

—Oui, monsieur le commissaire.

—La voiture qui vous a amené devait vous emporter tous les deux. Le cocher était prévenu... son itinéraire était tracé à l'avance... Mieux! Il devait trouver à chaque étape des chevaux tout frais...

—C'est vrai, monsieur le commissaire.

—Et cependant, votre voiture est toujours là, attendant vos ordres, du côté de la Rotonde, n'est-ce pas?

—Oui, monsieur le commissaire.

—Saviez-vous qu'il y avait, à côté de la vôtre, trois autres voitures?

—Je n'y ai point prêté la moindre attention...

—C'étaient celles de Mlle Sorelli, laquelle n'avait point trouvé de place dans la cour de l'administration; de la Carlotta et de votre frère, M. le comte de Chagny...

—C'est possible...

—Ce qui est certain, en revanche... c'est que, si votre propre équipage, celui de la Sorelli et celui de la Carlotta sont toujours à leur place, au long du trottoir de la Rotonde... celui de M. le comte de Chagny ne s'y trouve plus...

—Ceci n'a rien à voir, monsieur le commissaire...

—Pardon! M. le comte n'était-il pas opposé à votre mariage avec Mlle Daaé?

—Ceci ne saurait regarder que la famille.

—Vous m'avez répondu... il y était opposé... et c'est pourquoi vous enleviez Christine Daaé, loin des entreprises possibles de monsieur votre frère... Eh bien, monsieur de Chagny, permettez-moi de vous apprendre que votre frère a été plus prompt que vous!... C'est lui qui a enlevé Christine Daaé!

—Oh! gémit Raoul, en portant la main à son cœur, ce n'est pas possible... Vous êtes sûr de cela?

—Aussitôt après la disparition de l'artiste qui a été organisée avec des complicités qui nous resteront à établir, il s'est jeté dans sa voiture qui a fourni une course furibonde à travers Paris.

—À travers Paris? râle le pauvre Raoul... Qu'entendez-vous par à travers Paris?

—Et hors de Paris...

—Hors de Paris... quelle route?

—La route de Bruxelles.

Un cri rauque s'échappe de la bouche du malheureux jeune homme.

—Oh! s'écrie-t-il, je jure bien que je les rattraperai.

Et, en deux bonds, il fut hors du bureau.

—Et ramenez-nous là, crie joyeusement le commissaire... Hein? Voilà un tuyau qui vaut bien celui de l'Ange de la musique!

Sur quoi M. Mifroid se retourne sur son auditoire stupéfait et lui administre ce petit cours de police honnête mais nullement puéril:

—Je ne sais point du tout si c'est réellement M. le comte de Chagny qui a enlevé Christine Daaé... mais j'ai besoin de le savoir, et je ne crois point qu'à cette heure nul mieux que le vicomte son frère ne désire me renseigner... En ce moment, il court, il vole! Il est mon principal auxiliaire! Tel est, messieurs, l'art que l'on croit si compliqué, de la police, et qui apparaît cependant si simple dès que l'on a découvert qu'il doit consister à faire faire cette police surtout par des gens qui n'en sont pas!

Mais monsieur le commissaire de police Mifroid n'eût peut-être pas été si content de lui-même, s'il avait su que la course de son rapide messager avait été arrêtée dès l'entrée de celui-ci dans le premier corridor, vide cependant de la foule des curieux que l'on avait dispersée. Le corridor paraissait désert.

Cependant Raoul s'était vu barrer le chemin par une grande ombre.

—Où allez-vous si vite, monsieur de Chagny? avait demandé l'ombre.

Raoul, impatienté, avait levé la tête et reconnu le bonnet d'astrakan de tout à l'heure. Il s'arrêta.

—C'est encore vous! s'écria-t-il d'une voix fébrile, vous qui connaissez les secrets d'Erik et qui ne voulez pas que j'en parle. Et qui donc êtes-vous?

—Vous le savez bien!... Je suis le Persan! fit l'ombre

Saturday 8 July 2023

Good Reading: "A Grave" by Lilla Poole Price (in English)

O, bury me under the soft, blue waves,
’Mid the swirl of the billows free;
Let me find sweet rest
’Neath their foam-tipp’d crest
In the depths of the murmuring sea.

No bell shall be toll’d with its mournful sound,
No funeral pall shall be spread,
But a solemn hush
And a soft, sad rush
As the waters close over my head.

A tangle of seaweed shall be my shroud,
And a mound of coral my bier;
The voice of the sea
Shall my requiem be,
And my sleep will be tranquil here.

No roses nor lilies may deck my grave,
Nor marble shall mark my rest,
But the wonderful flow’rs
Of the ocean bow’rs
Shall lovingly twine o’er my breast.

Then bury me under the sad sea waves,
Where the winds moan soft and low;
Let the tears that are shed
For the deep-cover’d dead
With the shimmering wavelets flow.

Friday 7 July 2023

Friday's Sung Word: "O Século do Progresso" by Noel Rosa (in Portuguese)

A noite estava estrelada
Quando a roda se formou
A lua veio atrasada
E o samba começou

Um tiro a pouca distância
No espaço forte ecoou
Mas ninguém deu importância
E o samba continuou

Entretanto ali bem perto
Morria de um tiro certo
Um valente muito sério
Professor dos desacatos
Que ensinava aos pacatos
O rumo do cemitério

Chegou alguém apressado
Naquele samba animado
Que cantando assin dizia:
No século do progresso
O revólver teve ingresso
Pra acabar com a valentia


You can liste "O Século do Progresso" sung by Aracy de Almeida and the Boêmios da Cidade (Regional de Benedito Lacerda) here.

Thursday 6 July 2023

Thursday's Serial: “The Story of the Other Wise Man” by Henry van Dyke (in English) - III

 

II - BY THE WATERS OF BABYLON

All night long Vasda, the swiftest of Artaban’s horses, had been waiting, saddled and bridled, in her stall, pawing the ground impatiently and shaking her bit as if she shared the eagerness of her master’s purpose, though she knew not its meaning.

Before the birds had fully roused to their strong, high, joyful chant of morning song, before the white mist had begun to lift lazily from the plain the other wise man was in the saddle, riding swiftly along the highroad, which skirted the base of Mount Orontes, westward.

How close, how intimate is the comradeship between a man and his favorite horse on a long journey. It is a silent, comprehensive friendship, an intercourse beyond the need of words.

They drink at the same wayside spring, and sleep under the same guardian stars. They are conscious together of the subduing spell of nightfall and the quickening joy of daybreak. The master shares his evening meal with his hungry companion, and feels the soft, moist lips caressing the palm of his hand as they close over the morsel of bread. In the gray dawn he is roused from his bivouac by the gentle stir of a warm, sweet breath over his sleeping face, and looks up into the eyes of his faithful fellow-traveler, ready and waiting for the toil of the day. Surely, unless he is a pagan and an unbeliever, by whatever name he calls upon his God, he will thank Him for this voiceless sympathy, this dumb affection, and his morning prayer will embrace a double blessing—God bless us both, and keep our feet from falling and our souls from death!

And then, through the keen morning air, the swift hoofs beat their spirited music along the road, keeping time to the pulsing of two hearts that are moved with the same eager desire—to conquer space, to devour the distance, to attain the goal of the journey.

Artaban must, indeed, ride wisely and well if he would keep the appointed hour with the other Magi; for the route was a hundred and fifty parasangs, and fifteen was the utmost that he could travel in a day. But he knew Vasda’s strength, and pushed forward without anxiety, making the fixed distance every day, though he must travel late into the night, and in the morning long before sunrise.

He passed along the brown slopes of Mount Orontes, furrowed by the rocky courses of a hundred torrents.

He crossed the level plains of the Nisæans, where the famous herds of horses, feeding in the wide pastures, tossed their heads at Vasda’s approach and galloped away with a thunder of many hoofs, and flocks of wild birds rose suddenly from the swampy meadows, wheeling in great circles with a shining flutter of innumerable wings and shrill cries of surprise.

He traversed the fertile fields of Concabar, where the dust from the threshing-floors filled the air with a golden mist, half hiding the huge Temple of Astarte with its four hundred pillars.

At Baghistan, among the rich gardens watered by fountains from the rock, he looked up at the mountain thrusting its immense rugged brow out over the road, and saw the figure of King Darius trampling upon his fallen foes, and the proud list of his wars and conquests graven high upon the face of the eternal cliff.

Over many a cold and desolate pass, crawling painfully across the wind-swept shoulders of the hills; down many a black mountain gorge, where the river roared and raced before him like a savage guide; across many a smiling vale, with terraces of yellow limestone full of vines and fruit trees; through the oak groves of Carine and the dark Gates of Zagros, walled in by precipices; into the ancient city of Chala, where the people of Samaria had been kept in captivity long ago; and out again by the mighty portal, riven through the encircling hills, where he saw the image of the High Priest, of the Magi sculptured on the wall of rock, with hand uplifted as if to bless the centuries of pilgrims; past the entrance of the narrow defile, filled from end to end with orchards of peaches and figs, through which the river Gyndes foamed down to meet him; over the broad rice-fields, where the autumnal vapors spread their deathly mists; following along the course of the river, under tremulous shadows of poplar and tamarind, among the lower hills; and out upon the flat plain, where the road ran straight as an arrow through the stubble — fields and parched meadows; past the city of Ctesiphon, where the Parthian emperors reigned, and the vast metropolis of Seleucia which Alexander built; across the swirling floods of Tigris and the many channels of Euphrates, flowing yellow through the corn-lands—Artaban pressed onward until he arrived, at nightfall of the tenth day, beneath the shattered walls of populous Babylon.

Vasda was almost spent, and he would gladly have turned into the city to find rest and refreshment for himself and for her. But he knew that it was three hours’ journey yet to the Temple of the Seven Spheres, and he must reach the place by midnight if he would find his comrades waiting. So he did not halt, but rode steadily across the stubble-fields.

A grove of date-palms made an island of glooms in the pale yellow sea. As she passed into the shadow Vasda slackened her pace, and began to pick her way more carefully.

Near the farther end of the darkness an access of caution seemed to fall upon her. She scented some danger or difficulty; it was not in her heart to fly from it—only to be prepared for it, and to meet it wisely as a good horse should do. The grove was close and silent as the tomb; not a leaf rustled, not a bird sang.

She felt her steps before her delicately, carrying her head low, and sighing now and then with apprehension. At last she gave a quick breath of anxiety and dismay, and stood stock-still, quivering in every muscle, before a dark object in the shadow of the last palm-tree.

Artaban dismounted. The dim starlight revealed the form of a man lying across the road. His humble dress and the outline of his haggard face showed that he was probably one of the poor Hebrew exiles who still dwelt in great numbers in the vicinity. His pallid skin, dry and yellow as parchment, bore the mark of the deadly fever which ravaged the marshlands in autumn. The chill of death was in his lean hand, and, as Artaban released it, the arm fell back inertly upon the motionless breast.

He turned away with a thought of pity, consigning the body to that strange burial which the Magians deemed most fitting—the funeral of the desert, from which the kites and vultures rise on dark wings, and the beasts of prey slink furtively away, leaving only a heap of white bones in the sand.

But, as he turned, a long, faint, ghostly sigh came from the man’s lips. The brown, bony fingers closed convulsively on the hem of the Magian’s robe and held him fast.

Artaban’s heart leaped to his throat, not with fear, but with a dumb resentment at the importunity of this blind delay.

How could he stay here in the darkness to minister to a dying stranger? What claim had this unknown fragment of human life upon his compassion or his service? If he lingered but for an hour he could hardly reach Borsippa at the appointed time. His companions would think he had given up the journey. They would go without him. He would lose his quest.

But if he went on now, the man would surely die. If he stayed, life might be restored. His spirit throbbed and fluttered with the urgency of the crisis. Should he risk the great reward of his divine faith for the sake of a single deed of human love? Should he turn aside, if only for a moment, from the following of the star, to give a cup of cold water to a poor, perishing Hebrew?

“God of truth and purity,” he prayed, “direct me in the holy path, the way of wisdom which only Thou knowest.”

Then he turned back to the sick man. Loosening the grasp of his hand, he carried him to a little mound at the foot of the palm-tree.

He unbound the thick folds of the turban and opened the garment above the sunken breast. He brought water from one of the small canals near by, and moistened the sufferer’s brow and mouth. He mingled a draught of one of those simple but potent remedies which he carried always in his girdle—for the Magians were physicians as well as astrologers—and poured it slowly between the colorless lips. Hour after hour he labored as only a skilful healer of disease can do; and, at last, the man’s strength returned; he sat up and looked about him.

“Who art thou?” he said, in the rude dialect of the country, “and why hast thou sought me here to bring back my life?”

“I am Artaban the Magian, of the city of Ecbatana, and I am going to Jerusalem in search of one who is to be born King of the Jews, a great Prince and Deliverer of all men. I dare not delay any longer upon my journey, for the caravan that has waited for me may depart without me. But see, here is all that I have left of bread and wine, and here is a potion of healing herbs. When thy strength is restored thou canst find the dwellings of the Hebrews among the houses of Babylon.”

The Jew raised his trembling hand solemnly to heaven.

“Now may the God of Abraham and Isaac and Jacob bless and prosper the journey of the merciful, and bring him in peace to his desired haven. But stay; I have nothing to give thee in return—only this: that I can tell thee where the Messiah must be sought. For our prophets have said that he should be born not in Jerusalem, but in Bethlehem of Judah. May the Lord bring thee in safety to that place, because thou hast had pity upon the sick.”

It was already long past midnight. Artaban rode in haste, and Vasda, restored by the brief rest, ran eagerly through the silent plain and swam the channels of the river. She put forth the remnant of her strength, and fled over the ground like a gazelle.

But the first beam of the sun sent her shadow before her as she entered upon the final stadium of the journey, and the eyes of Artaban, anxiously scanning the great mound of Nimrod and the Temple of the Seven Spheres, could discern no trace of his friends.

The many-colored terraces of black and orange and red and yellow and green and blue and white, shattered by the convulsions of nature, and crumbling under the repeated blows of human violence, still glittered like a ruined rainbow in the morning light.

Artaban rode swiftly around the hill. He dismounted and climbed to the highest terrace, looking out toward the west.

The huge desolation of the marshes stretched away to the horizon and the border of the desert. Bitterns stood by the stagnant pools and jackals skulked through the low bushes; but there was no sign of the caravan of the wise men, far or near.

At the edge of the terrace he saw a little cairn of broken bricks, and under them a piece of parchment. He caught it up and read: “We have waited past the midnight and can delay no longer. We go to find the King. Follow us across the desert.”

Artaban sat down upon the ground and covered his head in despair.

“How can I cross the desert,” said he, “with no food and with a spent horse? I must return to Babylon, sell my sapphire, and buy a train of camels, and provision for the journey. I may never overtake my friends. Only God the merciful knows whether I shall not lose the sight of the King because I tarried to show mercy.”

 

 

III - FOR THE SAKE OF A LITTLE CHILD

There was a silence in the Hall of Dreams, where I was listening to the story of the Other Wise Man. And through this silence I saw, but very dimly, his figure passing over the dreary undulations of the desert, high upon the back of his camel, rocking steadily onward like a ship over the waves.

The land of death spread its cruel net around him. The stony wastes bore no fruit but briers and thorns. The dark ledges of rock thrust themselves above the surface here and there, like the bones of perished monsters. Arid and inhospitable mountain ranges rose before him, furrowed with dry channels of ancient torrents, white and ghastly as scars on the face of nature.

Shifting hills of treacherous sand were heaped like tombs along the horizon. By day, the fierce heat pressed its intolerable burden on the quivering air; and no living creature moved on the dumb, swooning earth but tiny jerboas scuttling through the parched bushes, or lizards vanishing in the clefts of the rock. By night the jackals prowled and barked in the distance, and the lion made the black ravines echo with his hollow roaring, while a bitter, blighting chill followed the fever of the day. Through heat and cold, the Magian moved steadily onward.

Then I saw the gardens and orchards of Damascus, watered by the streams of Aldana and Pharpar, with their sloping swards inlaid with bloom, and their thickets of myrrh and roses. I saw also the long, snowy ridge of Hermon, and the dark groves of cedars, and the valley of the Jordan, and the blue waters of the Lake of Galilee, and the fertile plain of Esdraelon and the hills of Ephraim, and the highlands of Judah. Through all these I followed the figure of Artaban moving steadily onward, until he arrived at Bethlehem. And it was the third day after the three wise men had come to that place and had found Mary and Joseph, with the young child, Jesus, and had lain their gifts of gold and frankincense and myrrh at his feet.

Then the other wise man drew near, weary, but full of hope, bearing his ruby and his pearl to offer to the King. “For now at last,” he said, “I shall surely find him, though it be alone, and later than my brethren. This is the place of which the Hebrew exile told me that the prophets had spoken, and here I shall behold the rising of the great light. But I must inquire about the visit of my brethren, and to what house the star directed them, and to whom they presented their tribute.”

The streets of the village seemed to be deserted, and Artaban wondered whether the men had all gone up to the hill-pastures to bring down their sheep. From the open door of a low stone cottage he heard the sound of a woman’s voice singing softly. He entered and found a young mother hushing her baby to rest. She told him of the strangers from the Far East who had appeared in the village three days ago, and how they said that a star had guided them to the place where Joseph of Nazareth was lodging with his wife and her new-born child, and how they had paid reverence to the child and given him many rich gifts.

“But the travelers disappeared again,” she continued, “as suddenly as they had come. We were afraid at the strangeness of their visit. We could not understand it. The man of Nazareth took the babe and his mother and fled away that same night secretly, and it was whispered that they were going far away to Egypt. Ever since there has been a spell upon the village; something evil hangs over it. They say that the Roman soldiers are coming from Jerusalem to force a new tax from us, and the men have driven the flocks and herds far back among the hills, and hidden themselves to escape it.”

Artaban listened to her gentle, timid speech and the child in her arms looked up in his face and smiled, stretching out its rosy hands to grasp at the winged circle of gold on his breast. His heart warmed to the touch. It seemed like a greeting of love and trust to one who had journeyed long in loneliness and perplexity, fighting with his own doubts and fears, and following a light that was veiled in clouds.

“Might not this child have been the promised Prince?” he asked within himself, as he touched its soft cheek. “Kings have been born ere now in lowlier houses than this, and the favorite of the stars may rise even from a cottage. But it has not seemed good to the God of wisdom to reward my search so soon and so easily. The one whom I seek has gone before me; and now I must follow the King to Egypt.”

The young mother laid the babe in its cradle, and rose to minister to the wants of the strange guest that fate had brought into her house. She set food before him, the plain fare of peasants, but willingly offered, and therefore full of refreshment for the soul as well as for the body. Artaban accepted it gratefully; and, as he ate, the child fell into a happy slumber, and murmured sweetly in its dreams, and a great peace filled the quiet room.

But suddenly there came the noise of a wild confusion and uproar in the streets of the village, a shrieking and wailing of women’s voices, a clangor of swords, and a desperate cry: “The soldiers! the soldiers of Herod! They are killing our children.”

The young mother’s face grew white with terror. She clasped her child to her bosom, and crouched motionless in the darkest corner of the room, covering him with the folds of her robe, lest he should wake and cry.

But Artaban went quickly and stood in the doorway of the house. His broad shoulders filled the portal from side to side, and the peak of his white cap all but touched the lintel.

The soldiers came hurrying down the street with bloody hands and dripping swords. At the sight of the stranger in his imposing dress they hesitated with surprise. The captain of the band approached the threshold to thrust him aside. But Artaban did not stir. His face was as calm as though he were watching the stars, and in his eyes there burned that steady radiance before which even the half-tamed hunting-leopard shrinks and the fierce bloodhound pauses in his leap. He held the soldier silently for an instant, and then said, in a low voice:

“I am all alone in this place, and I am waiting to give this jewel to the prudent captain who will leave me in peace.”

He showed the ruby, glistening in the hollow of his hand like a great drop of blood.

The captain was amazed at the splendor of the gem. The pupils of his eyes expanded with desire, and the hard lines of greed wrinkled around his lips. He stretched out his hand and took the ruby.

“March on!” he cried to his men. “There is no child here. The house is still.”

The clamor and the clang of arms passed down the street as the headlong fury of the chase sweeps by the secret covert where the trembling deer is hidden. Artaban re-entered the cottage. He turned his face to the east and prayed:

“God of truth, forgive my sin! I have said the thing that is not, to save the life of a child. And two of my gifts are gone. I have spent for man that which was meant for God. Shall I ever be worthy to see the face of the King?”

But the voice of the woman, weeping for joy in the shadow behind him, said, very gently:

“Because thou hast saved the life of my little one, may the Lord bless thee and keep thee; the Lord make His face to shine upon thee and be gracious unto thee; the Lord lift up His countenance upon thee and give thee peace.”

Wednesday 5 July 2023

Excellent Readings: Sonnet XCIX by William Shakespeare (in English)

The forward violet thus did I chide:
Sweet thief, whence didst thou steal thy sweet that smells,
If not from my love's breath? The purple pride
Which on thy soft cheek for complexion dwells
In my love's veins thou hast too grossly dy'd.
The lily I condemned for thy hand,
And buds of marjoram had stol'n thy hair;
The roses fearfully on thorns did stand,
One blushing shame, another white despair;
A third, nor red nor white, had stol'n of both,
And to his robbery had annexed thy breath;
But, for his theft, in pride of all his growth
A vengeful canker eat him up to death.
   More flowers I noted, yet I none could see,
   But sweet, or colour it had stol'n from thee.