Il y avait une fois un seigneur qui avait deux
filles jumelles, à qui l’on avait donné deux noms qui leur convenaient
parfaitement. L’aînée, qui était très belle, fut nommée Belote, et la
seconde, qui était fort laide, fut nommée Laidronette. On leur donna des
maîtres, et jusqu’à l’âge de douze ans, elles s’appliquèrent à leurs exercices;
mais alors leur mère fit une sottise, car sans penser qu’il leur restait encore
bien des choses à apprendre, elle les mena avec elle dans les assemblées. Comme ces deux filles aimaient à se
divertir, elles furent bien contentes de voir le monde, et elles n’étaient plus
occupées que de cela, même pendant le temps de leurs leçons; en sorte que leurs
maîtres commencèrent à les ennuyer. Elles trouvèrent mille prétextes pour ne
plus apprendre; tantôt il fallait célébrer le jour de leur naissance une autre
fois elles étaient priées à un bal, à une assemblée, et il fallait passer le
jour à se coiffer; en sorte qu’on écrivait souvent des cartes aux maîtres, pour
les prier de ne point venir. D’un autre côté les maîtres, qui voyaient que les
deux petites filles ne s’appliquaient plus, ne se souciaient pas beaucoup de
leur donner des leçons; car dans ce pays, les maîtres ne donnaient pas leçon
seulement pour gagner de l’argent, mais pour avoir le plaisir de voir avancer
leurs écolières. Ils n’y allaient donc guère souvent, et les jeunes
filles en étaient bien aises. Elles vécurent ainsi jusqu’à quinze ans, et à cet
âge, Belote était devenue si belle, qu’elle faisait l’admiration de tous ceux
qui la voyaient. Quand la mère menait ses filles en compagnie, tous les
cavaliers faisaient la cour à Belote; l’un louait sa bouche, l’autre ses yeux,
sa main, sa taille; et pendant qu’on lui donnait toutes ces louanges, on ne
pensait seulement pas que sa sœur fût au monde. Laidronette mourait de dépit
d’être laide, et bientôt elle prit un grand dégoût pour le monde et les
compagnies, où tous les honneurs et les préférences étaient pour sa sœur. Elle
commença donc à souhaiter de ne plus sortir: et un jour qu’elles étaient priées
à une assemblée, qui devait finir par un bal, elle dit à sa mère, qu’elle avait
mal à la tête, et qu’elle souhaitait de rester à la maison. Elle s’y ennuya
d’abord à mourir, et pour passer le temps, elle fut à la bibliothèque de sa
mère, pour chercher un roman, et fut bien fâchée de ce que sa sœur en avait
emporté la clef. Son père aussi avait une bibliothèque, mais c’étaient des
livres sérieux, et elle les haïssait beaucoup. Elle fut pourtant forcée d’en
prendre un: c’était un recueil de lettres, et en ouvrant le livre, elle trouva
celle que je vais vous rapporter :
Vous
me demandez, d’où vient que la plus grande partie des belles personnes sont
extrêmement sottes et stupides? Je crois pouvoir vous en dire la raison. Ce
n’est pas qu’elles aient moins d’esprit que les autres, en venant au monde;
mais c’est qu’elles négligent de le cultiver. Toutes les femmes ont de la
vanité; elles veulent plaire. Une laide connaît qu’elle ne peut être aimée à
cause de son visage; cela lui donne la pensée de se distinguer par son esprit.
Elle étudie donc beaucoup, et elle parvient à devenir aimable, malgré la
nature. La belle, au contraire, n’a qu’à se montrer pour plaire, sa vanité est
satisfaite: comme elle ne réfléchit jamais, elle ne pense pas que sa beauté n’aura
qu’un temps; d’ailleurs elle est si occupée de sa parure, du soin de courir les
assemblées pour se montrer, pour recevoir des louanges, qu’elle n’aurait pas le
temps de cultiver son esprit, quand même elle en connaîtrait la nécessité. Elle
devient donc une sotte tout occupée de puérilités, de chiffons, de spectacles;
cela dure jusqu’à trente ans, quarante ans au plus, pourvu que la petite
vérole, ou quelque autre maladie, ne viennent pas déranger sa beauté plus tôt.
Mais quand on n’est plus jeune, on ne peut plus rien apprendre: ainsi, cette
belle fille, qui ne l’est plus, reste une sotte pour toute sa vie, quoique la
nature lui ait donné autant d’esprit qu’à une autre; au lieu que la laide, qui
est devenue fort aimable, se moque des maladies et de la vieillesse, qui ne
peuvent rien lui ôter…
Laidronette,
après avoir lu cette lettre qui semblait avoir été écrite pour elle, résolut de
profiter des vérités qu’elle lui avait découvertes. Elle redemande ses maîtres,
s’applique à la lecture, fait de bonnes réflexions sur ce qu’elle lit, et en
peu de temps, devient une fille de mérite. Quand elle était obligée de suivre
sa mère dans les compagnies, elle se mettait toujours à côté des personnes en
qui elle remarquait de l’esprit, et de la raison, elle leur faisait des
questions, et retenait toutes les bonnes choses qu’elle leur entendait dire;
elle prit même l’habitude de les écrire, pour s’en mieux souvenir, et à
dix-sept ans, elle parlait et écrivait si bien, que toutes les personnes de
mérite se faisaient un plaisir de la connaître, et d’entretenir un commerce de
lettres avec elle. Les deux sœurs se marièrent le même jour. Belote épousa un
jeune prince qui était charmant, et qui n’avait que vingt-deux ans. Laidronette épousa le ministre de ce
prince: c’était un homme de quarante-cinq ans. Il avait reconnu l’esprit de
cette fille, et il l’estimait beaucoup; car le visage de celle qu’il prenait
pour sa femme, n’était pas propre à lui inspirer de l’amour, il avoua à
Laidronette qu’il n’avait que de l’amitié pour elle: c’était justement ce
qu’elle demandait, et elle n’était point jalouse de sa sœur qui épousait un
prince, qui était si fort amoureux d’elle, qu’il ne pouvait la quitter une
minute, et qu’il rêvait d’elle toute la nuit. Belote fut fort heureuse pendant
trois mois; mais au bout de ce temps, son mari, qui l’avait vue tout à son
aise, commença à s’accoutumer à sa beauté, et à penser qu’il ne fallait pas
renoncer à tout pour sa femme. Il fut à la chasse, et fit d’autres parties de
plaisir dont elle n’était pas, ce qui parut fort extraordinaire à Belote; car
elle s’était persuadée que son mari l’aimerait toujours de la même force: et
elle se crut la plus malheureuse personne du monde, quand elle vit que son
amour diminuait. Elle lui en fit des plaintes; il se fâcha; ils se
raccommodèrent: mais comme ces plaintes recommençaient tous les jours, le
prince se fatigua de l’entendre. D’ailleurs Belote ayant eu un fils, elle
devint maigre, et sa beauté diminua considérablement; en sorte qu’à la fin, son
mari, qui n’aimait en elle que cette beauté, ne l’aima plus du tout. Le
chagrin qu’elle en conçut acheva de gâter son visage; et comme elle ne savait
rien, sa conversation était fort ennuyeuse. Les jeunes gens s’ennuyaient avec
elle, parce qu’elle était triste; les personnes plus âgées, et qui avaient du
bon sens, s’ennuyaient aussi avec elle, parce qu’elle était sotte: en sorte
qu’elle restait seule presque toute la journée. Ce qui augmentait son
désespoir, c’est que sa sœur Laidronette était la plus heureuse personne du
monde. Son mari la consultait sur les affaires, il lui confiait tout ce qu’il
pensait, il se conduisait par ses conseils, et disait partout que sa femme
était le meilleur ami qu’il eût au monde. Le prince même, qui était un homme
d’esprit, se plaisait dans la conversation de sa belle-sœur, et disait qu’il
n’y avait pas moyen de rester une demi-heure sans bâiller avec Belote, parce
qu’elle ne savait parler que de coiffures, et d’ajustements, en quoi il ne
connaissait rien. Son dégoût pour sa femme devint tel, qu’il l’envoya à la campagne,
où elle eut le temps de s’ennuyer tout à son aise, et où elle serait morte de
chagrin, si sa sœur Laidronette n’avait pas eu la charité de l’aller voir le
plus souvent qu’elle pouvait. Un jour qu’elle tâchait de la consoler, Belote
lui dit:
«Mais ma sœur, d’où vient donc la
différence qu’il y a entre vous et moi? Je ne puis pas m’empêcher de voir que
vous avez beaucoup d’esprit, et que je ne suis qu’une sotte; cependant quand
nous étions jeunes, on disait que j’en avais pour le moins autant que vous.»
Laidronette alors
raconta son aventure à sa sœur, et lui dit:
«Vous
êtes fort fâchée contre votre mari, parce qu’il vous a envoyée à la campagne et
cependant cette chose, que vous regardez comme le plus grand malheur de votre
vie, peut faire votre bonheur, si vous le voulez. Vous n’avez pas encore
dix-neuf ans, ce serait trop tard pour vous appliquer, si vous étiez dans la
dissipation de la ville; mais la solitude, dans laquelle vous vivez, vous
laisse tout le temps nécessaire pour cultiver votre esprit. Vous n’en manquez pas, ma chère sœur ; mais il
faut l’orner par la lecture, et les réflexions.»
Belote trouva d’abord
beaucoup de difficultés à suivre les conseils de sa sœur, par l’habitude
qu’elle avait contractée de perdre son temps en niaiseries; mais à force de se
gêner, elle y réussit, et fit des progrès surprenants dans toutes les sciences,
à mesure qu’elle devenait aussi raisonnable: et comme la philosophie la
consolait de ses malheurs, elle reprit son embonpoint, et devint plus belle qu’elle
n’avait jamais été; mais elle ne s’en souciait pas du tout, et ne daignait même
pas se regarder dans le miroir. Cependant, son mari avait pris un si
grand dégoût pour elle, qu’il fit casser son mariage. Ce dernier malheur pensa
l’accabler, car elle aimait tendrement son mari; mais sa sœur Laidronette vint
à bout de la consoler.
«Ne vous affligez pas, lui disait-elle, je
sais le moyen de vous rendre votre mari; suivez seulement mes conseils, et ne
vous embarrassez de rien.»
Comme le prince avait eu
un fils de Belote, qui devait être son héritier, il ne se pressa point de
prendre une autre femme, et ne pensa qu’à se bien divertir. Il goûtait
extrêmement la conversation de Laidronette, et lui disait quelquefois, qu’il ne
se remarierait jamais, à moins qu’il ne trouvât une femme qui eût autant
d’esprit qu’elle.
«Mais, si elle était aussi
laide que moi, lui répondit-elle, en riant.
— En vérité, madame, lui
dit le prince, cela ne m’arrêterait pas un moment: on s’accoutume à un laid
visage, le vôtre ne me paraît plus choquant, par l’habitude que j’ai de vous
voir; quand vous parlez, il ne s’en faut de rien que je ne vous trouve jolie;
et puis, à vous dire la vérité, Belote m’a dégoûté des belles, toutes les fois
que j’en rencontre une, stupide, je n’ose lui parler, dans la crainte qu’elle
ne me réponde une sottise.»
Cependant, le temps du
carnaval arriva, et le prince crut qu’il se divertirait beaucoup, s’il pouvait
courir le bal sans être connu de personne. Il ne se confia qu’à Laidronette, et
la pria de se masquer avec lui; car, comme elle était sa belle-sœur, personne
ne pouvait y trouver à redire, et quand on l’aurait su, cela n’aurait pu nuire
à sa réputation; cependant, Laidronette en demanda la permission à son mari,
qui y consentit, d’autant plus volontiers qu’il avait lui-même mis cette
fantaisie en tête du prince, pour faire réussir le dessein qu’il avait, de le
réconcilier avec Belote. Il écrivit à cette princesse abandonnée de concert
avec son épouse, qui marqua en même temps à sa sœur, comment le prince devait
être habillé. Dans le milieu du bal, Belote vint s’asseoir entre son mari et sa
sœur, et commença une conversation extrêmement agréable avec eux : d’abord, le
prince crut reconnaître la voix de sa femme; mais elle n’eut pas parlé un
demi-quart d’heure, qu’il perdit le soupçon qu’il avait eu au commencement. Le
reste de la nuit passa si vite, à ce qu’il lui sembla, qu’il se frotta les yeux
quand le jour parut, croyant rêver, et demeura charmé de l’esprit de
l’inconnue, qu’il ne put jamais engager à se démasquer: tout ce qu’il en put
obtenir, c’est qu’elle reviendrait au premier bal avec le même habit. Le prince
s’y trouva des premiers; et quoique l’inconnue y arrivât un quart d’heure après
lui, il l’accusa de paresse, et lui jura qu’il s’était beaucoup impatienté. Il
fut encore plus charmé de l’inconnue cette seconde fois que la première, et
avoua à Laidronette qu’il était amoureux comme un fou de cette personne.
«J’avoue qu’elle a
beaucoup d’esprit, lui répondit sa confidente; mais si vous voulez que je vous
dise mon sentiment, je soupçonne qu’elle est encore plus laide que moi: elle
connaît que vous l’aimez, et craint de perdre votre cœur, quand vous verrez son
visage.
— Ah ! madame, dit le
prince, que ne peut-elle lire dans mon âme! L’amour qu’elle m’a inspiré, est
indépendant de ses traits: j’admire ses lumières, l’étendue de ses
connaissances, la supériorité de son esprit, et la bonté de son cœur.
— Comment pouvez-vous
juger de la bonté de son cœur? lui dit Laidronette.
— Je vais vous le dire,
reprit le prince, quand je lui ai fait remarquer de belles femmes, elle les a
louées de bonne fois et elle m’a même fait remarquer avec adresse des beautés
qu’elles avaient, et qui échappaient à ma vue. Quand j’ai voulu, pour l’éprouver,
lui conter les mauvaises histoires qu’on mettait sur le compte de ces femmes,
elle a détourné adroitement le discours, ou bien elle m’a interrompu, pour me
raconter quelque belle action de ces personnes; et enfin, quand j’ai voulu
continuer, elle m’a fermé la bouche, en me disant qu’elle ne pouvait souffrir
la médisance. Vous voyez bien, madame, qu’une femme qui n’est point jalouse de
celles qui sont belles, une femme qui prend plaisir à dire du bien du prochain,
une femme qui ne peut souffrir la médisance, doit être d’un excellent
caractère, et ne peut manquer d’avoir un bon cœur. Que me manquera-t-il pour
être heureux avec une telle femme, quand même elle serait aussi laide que vous
le pensez? Je suis donc résolu à lui déclarer mon nom, et à lui offrir de
partager ma puissance.»
Effectivement, dans le
premier bal, le prince apprit sa qualité à l’inconnue, et lui dit qu’il n’y
avait point de bonheur à espérer pour lui, s’il n’obtenait pas sa main; mais,
malgré ces offres, Belote s’obstina à demeurer masquée, ainsi qu’elle en était
convenue avec sa sœur. Voilà le pauvre prince dans une inquiétude épouvantable.
il pensait comme Laidronette, que cette personne si spirituelle devait être un
monstre, puisqu’elle avait tant de répugnance à se laisser voir; mais quoiqu’il
se la peignît de la manière du monde la plus désagréable, cela ne diminuait
point l’attachement, l’estime, et le respect, qu’il avait conçus pour son
esprit et pour sa vertu. Il était tout prêt à tomber malade de chagrin, lorsque
l’inconnue lui dit:
«Je vous aime, mon
prince, et je ne chercherai point à vous le cacher; mais plus mon amour est
grand, plus je crains de vous perdre, quand vous me connaîtrez. Vous vous
figurez, peut-être, que j’ai de grands yeux, une petite bouche, de belles
dents, un teint de lis et de roses; et si par aventure j’allais me trouver des
yeux louches, une grande bouche, un nez camard, des dents gâtées, vous me
prieriez bien vite, de remettre mon masque. D’ailleurs, quand je ne serais pas si horrible, je sais que vous êtes
inconstant: vous avez aimé Belote à la folie, et cependant vous vous en êtes
dégoûté.
— Ah ! madame, dit le
prince, soyez mon juge; j’étais jeune, quand j’épousai Belote, et je vous avoue
que je ne m’était jamais occupé qu’à la regarder, et point à l’écouter; mais
lorsque je fus son mari, et que l’habitude de la voir eut dissipé mon illusion,
imaginez-vous si ma situation dut être bien agréable? Quand je me trouvais seul
avec mon épouse, elle me parlait d’une robe nouvelle qu’elle devait mettre le
lendemain, des souliers de celle-ci, des diamants de celle-là. S’il se trouvait
à ma table une personne d’esprit, et que l’on voulût parler de quelque chose de
raisonnable, Belote commençait par bâiller, et finissait par s’endormir. Je
voulus essayer de l’engager à s’instruire, cela l’impatienta; elle était si
ignorante, qu’elle me faisait trembler et rougir toutes les fois qu’elle
ouvrait la bouche. D’ailleurs, elle avait tous les défauts des sottes:
quand elle s’était fourré une chose dans la tête, il n’était pas possible de
l’en faire revenir, en lui donnant de bonnes raisons car elle ne pouvait les
comprendre. Encore, s’il m’avait été permis de me désennuyer d’un autre côté,
j’aurais eu patience, mais ce n’était pas là son compte: elle eût voulu que le
sot amour, qu’elle m’avait inspiré, eût duré toute ma vie, et m’eût rendu son
esclave. Vous voyez bien qu’elle m’a
mise dans la nécessité de faire casser mon mariage.
— J’avoue que vous étiez à
plaindre, lui répondit l’inconnue; mais tout ce que vous dites, ne me rassure
point. Vous dites que vous m’aimez, voyez si vous serez assez hardi pour
m’épouser aux yeux de tous vos sujets, sans m’avoir vue.
— Je suis le plus heureux
de tous les hommes, puisque vous ne demandez que cela, répondit le prince;
venez dans mon palais avec Laidronette, et demain, dès le matin, je ferai
assembler mon conseil, pour vous épouser à ses yeux.»
Le reste de la nuit parut
bien long au prince, et avant de quitter le bal, s’étant démasqué, il ordonna à
tous les seigneurs de la cour, de se rendre dans son palais, et fit avertir
tous les ministres. Ce fut en leur présence qu’il raconta ce qui lui était
arrivé avec l’inconnue; et après avoir fini son discours, il jura de n’avoir
jamais d’autre épouse qu’elle, telle que pût être sa figure. Il n’y eut personne
qui ne crût, comme le prince, que celle qu’il épousait ainsi ne fût horrible à
voir: quelle fut la surprise de tous les assistants, lorsque Belote s’étant
démasquée, leur fit voir la plus belle personne qu’on pût imaginer? Ce
qu’il y eut de plus singulier, c’est que le prince, ni les autres, ne la
reconnurent pas d’abord, tant le repos et la solitude l’avaient embellie ; on
se disait seulement tout bas, que l’autre princesse lui ressemblait en laid. Le prince extasié, d’être trompé si
agréablement, ne pouvait parler; mais Laidronette rompit le silence, pour
féliciter sa sœur du retour de la tendresse de son époux.
«Quoi! s’écria le roi,
cette charmante et spirituelle personne est Belote? Par quel enchantement
a-t-elle joint aux charmes de la figure, ceux de l’esprit et du caractère qui
lui manquaient absolument? Quelque fée favorable a-t-elle fait ce
miracle en sa faveur?
— Il n’y a point de miracle, reprit
Belote, j’avais négligé de cultiver les dons de la nature; mes malheurs, la
solitude et les conseils de ma sœur, m’ont ouvert les yeux, et m’ont engagée à
acquérir des grâces à l’épreuve du temps et des maladies.
— Et ces grâces m’ont
inspiré un attachement à l’épreuve de l’inconstance», lui dit le prince en
l’embrassant.
Effectivement, il
l’aima toute sa vie avec une fidélité, qui lui fit oublier ses malheurs passés.
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