Tuesday 9 May 2023

Tuesday's Serial: “Le Fantôme de l'Opéra” By Gaston Leroux (in French) - III

 

IV - LA LOGE N°5

Armand Moncharmin a écrit de si volumineux mémoires qu'en ce qui concerne particulièrement la période assez longue de sa co-direction, on est en droit de se demander s'il trouva jamais le temps de s'occuper de l'Opéra autrement qu'en racontant ce qui s'y passait. M. Moncharmin ne connaissait pas une note de musique, mais il tutoyait le ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, avait fait un peu de journalisme sur le boulevard et jouissait d'une assez grosse fortune. Enfin, c'était un charmant garçon et qui ne manquait point d'intelligence puisque, décidé à commanditer l'Opéra, il avait su choisir celui qui en serait l'utile directeur et était allé tout droit à Firmin Richard.

Firmin Richard était un musicien distingué et un galant homme. Voici le portrait qu'en trace, au moment de sa prise de possession, la Revue des théâtres: «M. Firmin Richard est âgé de cinquante ans environ, de haute taille, de robuste encolure, sans embonpoint. Il a de la prestance et de la distinction, haut en couleur, les cheveux plantés drus, un peu bas et taillés en brosse, la barbe à l'unisson des cheveux, l'aspect de sa physionomie a quelque chose d'un peu triste que tempère aussitôt un regard franc et droit joint à un sourire charmant.

«M. Firmin Richard est un musicien très distingué. Harmoniste habile, contrepointiste savant, la grandeur est le principal caractère de sa composition. Il a publié de la musique de chambre très appréciée des amateurs, de la musique pour piano, sonates ou pièces fugitives remplies d'originalité, un recueil de mélodies. Enfin, La Mort d'Hercule, exécutée aux concerts du Conservatoire, respire un souffle épique qui fait songer à Gluck, un des maîtres vénérés de M. Firmin Richard. Toutefois, s'il adore Gluck, il n'en aime pas moins Piccini; M. Richard, prend son plaisir où il le trouve. Plein d'admiration pour Piccini, il s'incline devant Meyerbeer, il se délecte de Cimarosa et nul n'apprécie mieux que lui l'inimitable génie de Weber. Enfin, en ce qui concerne Wagner. M. Richard n'est pas loin de prétendre qu'il est, lui, Richard, le premier en France et peut-être le seul à l'avoir compris.»

J'arrête ici ma citation, d'où il me semble résulter assez clairement que si M. Firmin Richard aimait à peu près toute la musique et tous les musiciens, il était du devoir de tous les musiciens d'aimer M. Firmin Richard. Disons en terminant ce rapide portrait que M. Richard était ce qu'on est convenu d'appeler un autoritaire, c'est-à-dire qu'il avait un fort mauvais caractère.

Les premiers jours que les deux associés passèrent à l'Opéra furent tout à la joie de se sentir les maîtres d'une aussi vaste et belle entreprise et ils avaient certainement oublié cette curieuse et bizarre histoire du fantôme, quand se produisit un incident qui leur prouva que—s'il y avait farce—la farce n'était point terminée.

M. Firmin Richard arriva ce matin-là à onze heures à son bureau. Son secrétaire, M. Rémy, lui montra une demi-douzaine de lettres qu'il n'avait point décachetées parce qu'elles portaient la mention «personnelle». L'une de ces lettres attira tout de suite l'attention de Richard non seulement parce que la suscription de l'enveloppe était à l'encre rouge, mais encore parce qu'il lui sembla avoir vu déjà quelque part cette écriture. Il ne chercha point longtemps: c'était l'écriture rouge avec laquelle on avait complété si étrangement le cahier des charges. Il en reconnut l'allure bâtonnante et enfantine. Il la décacheta et lut:

 

«Mon cher directeur, je vous demande pardon de venir vous troubler en ces moments si précieux où vous décidez du sort des meilleurs artistes de l'Opéra, où vous renouvelez d'importants engagements et où vous en concluez de nouveaux; et cela avec une sûreté de vue, une entente du théâtre, une science du public et de ses goûts, une autorité qui a été bien près de stupéfier ma vieille expérience. Je suis au courant de ce que vous venez de faire pour la Carlotta, la Sorelli et la petite Jammes, et pour quelques autres dont vous avez deviné les admirables qualités, le talent ou le génie.—(Vous savez bien de qui je parle quand j'écris ces mots-là; ce n'est évidemment point pour la Carlotta, qui chante comme une seringue et qui n'aurait jamais dû quitter les Ambassadeurs ni le café Jacquin; ni pour la Sorelli, qui a surtout du succès dans la carrosserie; ni pour la petite Jammes, qui danse comme un veau dans la prairie. Ce n'est point non plus pour Christine Daaé, dont le génie est certain, mais que vous laissez avec un soin jaloux à l'écart de toute importante création.)—Enfin, vous êtes libres d'administrer votre petite affaire comme bon vous semble, n'est-ce pas? Tout de même, je désirerais profiter de ce que vous n'avez pas encore jeté Christine Daaé à la porte pour l'entendre ce soir dans le rôle de Siebel, puisque celui de Marguerite, depuis son triomphe de l'autre jour, lui est interdit, et je vous prierai de ne point disposer de ma loge aujourd'hui ni les jours suivants; car je ne terminerai pas cette lettre sans vous avouer combien j'ai été désagréablement surpris, ces temps derniers, en arrivant à l'Opéra, d'apprendre que ma loge avait été louée,—au bureau de location,—sur vos ordres.

Je n'ai point protesté, d'abord parce que je suis l'ennemi du scandale, ensuite parce que je m'imaginais que vos prédécesseurs, MM. Debienne et Poligny, qui ont toujours été charmants pour moi, avaient négligé avant leur départ de vous parler de mes petites manies. Or, je viens de recevoir la réponse de MM. Debienne et Poligny à ma demande d'explications, réponse qui me prouve que vous êtes au courant de mon cahier des charges et par conséquent que vous vous moquez outrageusement de moi. Si vous voulez que nous vivions en paix, il ne faut pas commencer par m'enlever ma loge! Sous le bénéfice de ces petites observations, veuillez me considérer, mon cher directeur, comme votre très humble et très obéissant serviteur.

Signé: F. de l'Opéra.

 

Cette lettre était accompagnée d'un extrait de la petite correspondance de la Revue théâtrale, où on lisait ceci: «F. de l'O: R et M sont inexcusables. Nous les avons prévenus et nous leur avons laissé entre les mains votre cahier des charges. Salutations!»

M. Firmin Richard avait à peine terminé cette lecture que la porte de son cabinet s'ouvrait et que M. Armand Moncharmin venait au-devant de lui, une lettre à la main, absolument semblable à celle que son collègue avait reçue. Ils se regardèrent en éclatant de rire.

—La plaisanterie continue, fit M. Richard; mais elle n'est pas drôle!

—Qu'est-ce que ça signifie? demanda M. Moncharmin. Pensent-ils que parce qu'ils ont été directeurs de l'Opéra nous allons leur concéder une loge à perpétuité?

Car, pour le premier comme pour le second, il ne faisait point de doute que la double missive ne fût le fruit de la collaboration facétieuse de leurs prédécesseurs.

—Je ne suis point d'humeur à me laisser longtemps berner! déclara Firmin Richard.

—C'est inoffensif! observa Armand Moncharmin.

Au fait, qu'est-ce qu'ils veulent? Une loge pour ce soir?

M. Firmin Richard donna l'ordre à son secrétaire d'envoyer la première loge n° 5 à MM. Debienne et Poligny, si elle n'était pas louée.

Elle ne l'était pas. Elle leur fut expédiée sur-le-champ. MM. Debienne et Poligny habitaient: le premier, au coin de la rue Scribe et du boulevard des Capucines; le second, rue Auber. Les deux lettres du fantôme F. de l'Opéra avaient été mises au bureau de poste du boulevard des Capucines. C'est Moncharmin qui le remarqua en examinant les enveloppes.

—Tu vois bien! fit Richard.

Ils haussèrent les épaules et regrettèrent que des gens de cet âge s'amusassent encore à des jeux aussi innocents.

—Tout de même, ils auraient pu être polis! fit observer Moncharmin. As-tu vu comme ils nous traitent à propos de la Carlotta, de la Sorelli et de la petite Jammes?

—Eh bien! cher, ces gens-là sont malades de jalousie!... Quand je pense qu'ils sont allés jusqu'à payer une petite correspondance à la Revue théâtrale!... Ils n'ont donc plus rien à faire?

—À propos! dit encore Moncharmin, ils ont l'air de s'intéresser beaucoup à la petite Christine Daaé...

—Tu sais aussi bien que moi qu'elle a la réputation d'être sage! répondit Richard.

—On vole si souvent sa réputation, répliqua Moncharmin. Est-ce que je n'ai pas, moi, la réputation de me connaître en musique, et j'ignore la différence qu'il y a entre la clef de sol et la clef de fa.

—Tu n'as jamais eu cette réputation-là, déclara Richard, rassure-toi.

Là-dessus, Firmin Richard donna l'ordre à l'huissier de faire entrer les artistes qui, depuis deux heures, se promenaient dans le grand couloir de l'administration en attendant que la porte directoriale s'ouvrît, cette porte derrière laquelle les attendaient la gloire et l'argent... ou le congé.

Toute cette journée se passa en discussions, pourparlers, signatures ou ruptures de contrats; aussi je vous prie de croire que ce soir-là—le soir du 25 janvier—nos deux directeurs, fatigués par une âpre journée de colères, d'intrigues, de recommandations, de menaces, de protestations d'amour ou de haine, se couchèrent de bonne heure, sans avoir même la curiosité d'aller jeter un coup d'œil dans la loge numéro 5, pour savoir si MM. Debienne et Poligny trouvaient le spectacle à leur goût. L'Opéra n'avait point chômé depuis le départ de l'ancienne direction, et M. Richard avait fait procéder aux quelques travaux nécessaires, sans interrompre le cours des représentations.

Le lendemain matin, MM. Richard et Moncharmin trouvèrent dans leur courrier, d'une part, une carte de remerciement du fantôme, ainsi conçue:

 

«Mon cher Directeur.

»Merci. Charmante soirée. Daaé exquise. Soignez les chœurs. La Carlotta, magnifique et banal instrument. Vous écrirai bientôt pour les 240.000 francs,—exactement 233.424. fr. 70; MM. Debienne et Poligny m'ayant fait parvenir les 6.575 fr. 30, représentant les dix premiers jours de ma pension de cette année,—leurs privilèges finissant le 10 au soir.

»Serviteur.

«F. de l'O.»

 

D'autre part, une lettre de MM. Debienne et Poligny:

 

«Messieurs,

«Nous vous remercions de votre aimable attention, mais vous comprendrez facilement que la perspective de réentendre Faust, si douce soit-elle à d'anciens directeurs de l'Opéra, ne puisse nous faire oublier que nous n'avons aucun droit à occuper la première loge numéro 5, qui appartient exclusivement à celui dont nous avons eu l'occasion de vous parler, en relisant avec vous, une dernière fois, le cahier des charges,—dernier alinéa de l'article 63.

«Veuillez agréer, messieurs, etc.»

 

—Ah! mais, ils commencent à m'agacer, ces gens-là! déclara violemment Firmin Richard, en arrachant la lettre de MM. Debienne et Poligny.

Ce soir-là, la première loge n° 5 fut louée.

Le lendemain, en arrivant dans leur cabinet, MM. Richard et Moncharmin trouvaient un rapport d'inspecteur relatif aux événements qui s'étaient déroulés la veille au soir dans la première loge n° 5. Voici le passage essentiel du rapport, qui est bref:

 

«J'ai été dans la nécessité, écrit l'inspecteur, de requérir, ce soir—l'inspecteur avait écrit son rapport la veille au soir—un garde municipal pour faire évacuer par deux fois, au commencement et au milieu du second acte, la première loge n° 5. Les occupants—ils étaient arrivés au commencement du second acte—y causaient un véritable scandale par leurs rires et leurs réflexions saugrenues. De toutes parts autour d'eux, des chut! se faisaient entendre et la salle commençait à protester quand l'ouvreuse est venue me trouver; je suis entré dans la loge et je fis entendre les observations nécessaires. Ces gens ne paraissaient point jouir de tout leur bon sens et me tinrent des propos stupides. Je les avertis que si un pareil scandale se renouvelait je me verrais forcé de faire évacuer la loge. Je n'étais pas plutôt parti que j'entendis de nouveau leurs rires et les protestations de la salle. Je revins avec un garde municipal qui les fit sortir. Ils réclamèrent, toujours en riant, déclarant qu'ils ne s'en iraient point si on ne leur rendait pas leur argent. Enfin, ils se calmèrent, et je les laissai rentrer dans la loge; aussitôt les rires recommencèrent, et, cette fois, je les fis expulser définitivement. »

 

—Qu'on fasse venir l'inspecteur, cria Richard à son secrétaire, qui avait lu, le premier, ce rapport et qui l'avait déjà annoté au crayon bleu.

Le secrétaire, M. Rémy—vingt-quatre ans, fine moustache, élégant, distingué, grande tenue—dans ce temps-là redingote obligatoire dans la journée, intelligent et timide devant le directeur, 2.400 d'appointements par an, payé par le directeur, compulse les journaux, répond aux lettres, distribue des loges et des billets de faveur, règle les rendez-vous, cause avec ceux qui font antichambre, court chez les artistes malades, cherche les doublures, correspond avec les chefs de service, mais avant tout est le verrou du cabinet directorial, peut être sans compensation aucune jeté à la porte du jour au lendemain, car il n'est pas reconnu par l'administration—le secrétaire, qui avait fait déjà chercher l'inspecteur, donna l'ordre de le faire entrer.

L'inspecteur entra, un peu inquiet.

—Racontez-nous ce qui s'est passé, fit brusquement Richard.

L'inspecteur bredouilla tout de suite et fit allusion au rapport.

—Enfin! ces gens-là, pourquoi riaient-ils? demanda Moncharmin.

—Monsieur le directeur, ils devaient avoir bien dîné et paraissaient plus préparés à faire des farces qu'à écouter de la bonne musique. Déjà, en arrivant, ils n'étaient pas plutôt entrés dans la loge qu'ils en étaient ressortis et avaient appelé l'ouvreuse qui leur a demandé ce qu'ils avaient. Ils ont dit à l'ouvreuse: «Regardez dans la loge, il n'y a personne, n'est-ce pas?...—Non, a répondu l'ouvreuse.—Eh bien, ont-ils affirmé, quand nous sommes entrés nous avons entendu une voix qui disait qu'il y avait quelqu'un.

M. Moncharmin ne put regarder M. Richard sans sourire, mais M. Richard, lui, ne souriait point. Il avait jadis trop «travaillé» dans le genre pour ne point reconnaître dans le récit que lui faisait, le plus naïvement du monde, l'inspecteur, toutes les marques d'une de ces méchantes plaisanteries qui amusent d'abord ceux qui en sont victimes puis qui finissent par les rendre enragés.

M. l'inspecteur, pour faire sa cour à M. Moncharmin, qui souriait, avait cru devoir sourire, lui aussi. Malheureux sourire! Le regard de M. Richard foudroya l'employé, qui s'occupa aussitôt de montrer un visage effroyablement consterné.

—Enfin, quand ces gens-là sont arrivés, demanda en grondant le terrible Richard, il n'y avait personne dans la loge?

—Personne, monsieur le directeur! personne! Ni dans la loge de droite, ni dans la loge de gauche, personne, je vous le jure! j'en mets la main au feu! et c'est ce qui prouve bien que tout cela n'est qu'une plaisanterie.

—Et l'ouvreuse, qu'est-ce qu'elle a dit?

—Oh! pour l'ouvreuse, c'est bien simple, elle dit que c'est le fantôme de l'Opéra. Alors!

Et l'inspecteur ricana. Mais encore il comprit qu'il avait eu tort de ricaner, car il n'avait point plutôt prononcé ces mots: elle dit que c'est le fantôme de l'Opéra! que la physionomie de M. Richard, de sombre qu'elle était, devint farouche.

—Qu'on aille me chercher l'ouvreuse! commanda-t-il... Tout de suite! Et que l'on me la ramène! Et que l'on me mette tout ce monde-là à la porte!

L'inspecteur voulut protester, mais Richard lui ferma la bouche d'un redoutable: «Taisez-vous!» Puis, quand les lèvres du malheureux subordonné semblèrent closes pour toujours, M. le directeur ordonna qu'elles se rouvrissent à nouveau.

—Qu'est-ce que le «fantôme de l'Opéra»? se décida-t-il à demander avec un grognement.

Mais l'inspecteur était maintenant incapable de dire un mot. Il fit entendre par une mimique désespérée qu'il n'en savait rien ou plutôt qu'il n'en voulait rien savoir.

—Vous l'avez vu, vous, le fantôme de l'Opéra?

Par un geste énergique de la tête, l'inspecteur nia l'avoir jamais vu.

—Tant pis! déclara froidement M. Richard.

L'inspecteur ouvrit des yeux énormes, des yeux qui sortaient de leurs orbites, pour demander pourquoi M. le directeur avait prononcé ce sinistre: tant pis!

—Parce que je vais faire régler leur compte à tous ceux qui ne l'ont pas vu! expliqua M. le directeur. Puisqu'il est partout, il n'est pas admissible qu'on ne l'aperçoive nulle part. J'aime qu'on fasse son service, moi!

 

V - SUITE DE «LA LOGE N° 5»

Ayant dit, M. Richard ne s'occupa plus du tout de l'inspecteur et traita de diverses affaires avec son administrateur qui venait d'entrer. L'inspecteur avait pensé qu'il pouvait s'en aller et tout doucement, tout doucement, oh! mon Dieu! si doucement!... à reculons, il s'était rapproché de la porte, quand M. Richard, s'apercevant de la manœuvre, cloua l'homme sur place d'un tonitruant: «Bougez pas!»

Par les soins de M. Rémy, on était allé chercher l'ouvreuse, qui était concierge rue de Provence, à deux pas de l'Opéra. Elle fit bientôt son entrée.

—Comment vous appelez-vous?

—Mame Giry. Vous me connaissez bien, monsieur le directeur; c'est moi la mère de la petite Giry, la petite Meg, quoi!

Ceci fut dit d'un ton rude et solennel qui impressionna un instant M. Richard. Il regarda Mame Giry (châle déteint, souliers usés, vieille robe de taffetas, chapeau couleur de suie). Il était de toute évidence, à l'attitude de M. le directeur, que celui-ci rie connaissait nullement ou ne se rappelait point avoir connu Mame Giry, ni même la petite Giry, «ni même la petite Meg!» Mais l'orgueil de Mame Giry était tel que cette célèbre ouvreuse (je crois bien que c'est de son nom que l'on a fait le mot bien connu dans l'argot des coulisses: «giries». Exemple: une artiste reproche à une camarade ses potins, ses papotages; elle lui dira: «Tout ça, c'est des giries»), que cette ouvreuse, disons-nous, s'imaginait être connue de tout le monde.

—Connais pas! finit par proclamer M. le directeur... Mais, mame Giry, il n'empêche que je voudrais bien savoir ce qui vous est arrivé hier soir, pour que vous ayez été forcée, vous et M. l'inspecteur, d'avoir recours à un garde municipal...

—J'voulais justement vous voir pour vous en parler, m'sieur le directeur, à seule fin qu'il ne vous arrive pas les mêmes désagréments qu'à MM. Debienne et Poligny... Eux, non plus, au commencement, ils ne voulaient pas m'écouter...

—Je ne vous demande pas tout ça. Je vous demande ce qui vous est arrivé hier soir!

Mame Giry devint rouge d'indignation. On ne lui avait jamais parlé sur un ton pareil. Elle se leva comme pour partir, ramassant déjà les plis de sa jupe et agitant avec dignité les plumes de son chapeau couleur de suie; mais, se ravisant, elle se rassit et dit d'une voix rogue:

—Il est arrivé qu'on a encore embêté le fantôme!

Là-dessus, comme M. Richard allait éclater, M. Moncharmin intervint et dirigea l'interrogatoire, d'où il résulta que mame Giry trouvait tout naturel qu'une voix se fît entendre pour proclamer qu'il y avait du monde dans une loge où il n'y avait personne. Elle ne pouvait s'expliquer ce phénomène, qui n'était point nouveau pour elle, que par l'intervention du fantôme. Ce fantôme, personne ne le voyait dans la loge, mais tout le monde pouvait l'entendre. Elle l'avait entendu souvent, elle, et on pouvait l'en croire, car elle ne mentait jamais. On pouvait demander à MM. Debienne et Poligny et à tous ceux qui la connaissaient, et aussi à M. Isidore Saack, à qui le fantôme avait cassé la jambe!

—Oui-dà? interrompit Moncharmin. Le fantôme a cassé la jambe à ce pauvre Isidore Saack?

Mame Giry ouvrit de grands yeux où se peignait l'étonnement qu'elle ressentait devant tant d'ignorance. Enfin, elle consentit à instruire ces deux malheureux innocents. La chose s'était passée du temps de MM. Debienne et Poligny, toujours dans la loge n° 5 et aussi pendant une représentation de Faust.

Mame Giry tousse, assure sa voix... elle commence... on dirait qu'elle se prépare à chanter toute la partition de Gounod.

—Voilà, monsieur. Il y avait, ce soir-là, au premier rang M. Maniera et sa dame, les lapidaires de la rue Mogador, et, derrière Mme Maniera, leur ami intime, M. Isidore Saack. Méphistophélès chantait (Mame Giry chante): «Vous qui faites l'endormie», et alors M. Maniera entend dans son oreille droite (sa femme était à sa gauche) une voix qui lui dit: «Ah! ah! ce n'est pas Julie qui fait l'endormie!» (Sa dame s'appelle justement Julie). M. Maniera se retourne à droite pour voir qui est-ce qui lui parlait ainsi. Personne! Il se frotte l'oreille et se dit à lui-même: «Est-ce que je rêve?» Là-dessus, Méphistophélès continuait sa chanson... Mais j'ennuie peut-être messieurs les directeurs?

—Non! non! continuez...

—Messieurs les directeurs sont trop bons!

(Une grimace de Mame Giry.) Donc, Méphistophélès continuait sa chanson (Mame Giry chante): «Catherine que j'adore—pourquoi refuser—à l'amant qui vous implore—un si doux baiser?» et aussitôt M. Maniera entend, toujours dans son oreille droite, la voix qui lui dit: «Ah! ah! ce n'est pas Julie qui refuserait un baiser à Isidore?» Là-dessus, il se retourne, mais cette fois, du côté de sa dame et d'Isidore, et qu'est-ce qu'il voit? Isidore qui avait pris par derrière la main de sa dame et qui la couvrait de baisers dans le petit creux du gant... comme ça, mes bons messieurs. (Mame Giry couvre de baisers le coin de chair laissé à nu par son gant de filoselle.) Alors, vous pensez bien que ça ne s'est pas passé à la douce! Clic! Clac! M. Maniera, qui était grand et fort comme vous, monsieur Richard; distribua une paire de gifles à M. Isidore Saack, qui était mince et faible comme M. Moncharmin, sauf le respect que je lui dois. C'était un scandale. Dans la salle, on criait: «Assez! Assez! Il va le tuer!...» Enfin, M. Isidore Saack put s'échapper...

—Le fantôme ne lui avait donc pas cassé la jambe? demande M. Moncharmin, un peu vexé de ce que son physique ait fait une si petite impression sur Mame Giry.

—Il la lui a cassée, mossieu, réplique Mame Giry avec hauteur (car elle a compris l'intention blessante). Il la lui a cassée tout net dans la grande escalier, qu'il descendait trop vite, mossieu! et si bien, ma foi, que le pauvre ne la remontera pas de sitôt!...

—C'est le fantôme qui vous a raconté les propos qu'il avait glissés dans l'oreille droite de M. Maniera? questionne toujours avec un sérieux qu'il croit du plus haut comique, le juge d'instruction Moncharmin.

—Non! mossieu, c'est mossieu Maniera lui-même. Ainsi...

—Mais vous, vous avez parlé déjà au fantôme, ma brave dame?

—Comme je vous parle, mon brav'mossieu...

—Et quand il vous parle, le fantôme, qu'est-ce qu'il vous dit?

—Eh bien! il me dit de lui apporter un p'tit banc!

À ces mots prononcés solennellement, la figure de Mame Giry devint de marbre, de marbre jaune, veiné de raies rouges, comme celui des colonnes qui soutiennent le grand escalier et que l'on appelle marbre sarrancolin.

Cette fois, Richard était reparti à rire de compagnie avec Moncharmin et le secrétaire Rémy; mais instruit par l'expérience, l'inspecteur ne riait plus. Appuyé au mur, il se demandait, en remuant fébrilement ses clefs dans sa poche, comment cette histoire allait finir. Et plus Mame Giry le prenait sur un ton «rogue», plus il craignait le retour de la colère de M. le directeur! Et maintenant, voilà que devant l'hilarité directoriale, Mame Giry osait devenir menaçante! menaçante en vérité!

—Au lieu de rire du fantôme, s'écria-t-elle indignée, vous feriez mieux de faire comme M. Poligny, qui, lui, s'est rendu compte par lui-même...

—Rendu compte de quoi? interroge Moncharmin, qui ne s'est jamais tant amusé.

—Du fantôme!... Puisque je vous le dis... Tenez!... (Elle se calme subitement, car elle juge que l'heure est grave.) Tenez!... Je m'en rappelle comme si c'était d'hier. Cette fois, on jouait la Juive. M. Poligny avait voulu assister, tout seul, dans la loge du fantôme, à la représentation. Mme Krauss avait obtenu un succès fou. Elle venait de chanter, vous savez bien, la machine du second acte (Mame Giry chante à mi-voix):

Près de celui que j'aime Je veux vivre et mourir, Et la mort, elle-même, Ne peut nous désunir.

—Bien! Bien! j'y suis... fait observer avec un sourire décourageant M. Moncharmin.

Mais Mame Giry continue à mi-voix, en balançant la plume de son chapeau couleur de suie:

Partons! partons! Ici-bas, dans les deux, Même sort désormais nous attend tous les deux.

—Oui! Oui! nous y sommes? répète Richard, à nouveau impatienté... et alors? et alors?

—Et alors, c'est à ce moment-là que Léopold s'écrie: «Fuyons!» n'est-ce pas? et qu'Eléazar les arrête, en leur demandant: «Où courez-vous?» Eh bien, juste à ce moment-là, M. Poligny, que j'observais du fond d'une loge à côté, qui était restée vide, M. Poligny s'est levé tout droit, et est parti raide comme une statue, et je n'ai eu que le temps de lui demander, comme Eléazar: «Où allez-vous?» Mais il ne m'a pas répondu et il était plus pâle qu'un mort! Je l'ai regardé descendre l'escalier, mais il ne s'est pas cassé la jambe... Pourtant, il marchait comme dans un rêve, comme dans un mauvais rêve, et il ne retrouvait seulement pas son chemin... lui qui était payé pour bien connaître l'Opéra!

Ainsi s'exprima Mame Giry, et elle se tut pour juger de l'effet qu'elle avait produit. L'histoire de Poligny avait fait hocher la tête à Moncharmin.

—Tout cela ne me dit pas dans quelles circonstances, ni comment le fantôme de l'Opéra vous a demandé un petit banc? insista-t-il, en regardant fixement la mère Giry, comme on dit, entre «quatre-z-yeux».

—Eh bien, mais, c'est depuis ce soir-là... car, à partir de ce soir-là, on l'a laissé tranquille not' fantôme... on n'a plus essayé de lui disputer sa loge. MM. Debienne et Poligny ont donné des ordres pour qu'on la lui laisse à toutes les représentations. Alors, quand il venait, il me demandait son petit banc...

—Euh! euh! un fantôme qui demande un petit banc? C'est donc une femme, votre fantôme? interrogea Moncharmin.

—Non, le fantôme est un homme.

—Comment le savez-vous?

Il a une voix d'homme, oh! une douce voix d'homme! Voilà comment ça se passe: Quand il vient à l'Opéra, il arrive d'ordinaire vers le milieu du premier acte, il frappe trois petits coups secs à la porte de la loge n° 5. La première fois que j'ai entendu ces trois coups-là, alors que je savais très bien qu'il n'y avait encore personne dans la loge, vous pensez si j'ai été intriguée! J'ouvre la porte, j'écoute, je regarde: personne! et puis voilà-t-il pas que j'entends une voix qui me dit: «Mame Jules» (c'est le nom de défunt mon mari), un petit «banc, s.v.p.?» Sauf vot'respect, m'sieur le directeur, j'en étais comme une tomate... Mais la voix continua: « Vous effrayez pas, Mame Jules, c'est moi le fantôme de l'Opéra!!!» Je regardai du côté d'où venait la voix qui était, du reste si bonne, et si «accueillante», qu'elle ne me faisait presque plus peur. La voix, m'sieur le directeur, était assise sur le premier fauteuil du premier rang, à droite. Sauf que je ne voyais personne sur le fauteuil, on aurait juré qu'il y avait quelqu'un dessus, qui parlait, et quelqu'un de bien poli, ma foi.

—La loge à droite de la loge n° 5, demanda Moncharmin, était-elle occupée?

—Non; la loge n° 7 comme la loge n° 3 à gauche n'étaient pas encore occupées. On n'était qu'au commencement du spectacle.

—Et qu'est-ce que vous avez fait?

—Eh bien, j'ai apporté le petit banc. Évidemment, ça n'était pas pour lui qu'il demandait un petit banc, c'était pour sa dame! Mais elle, je ne l'ai jamais entendue ni vue...

Hein? Quoi? le fantôme avait une femme maintenant! De Mame Giry, le double regard de MM. Moncharmin et Richard monta jusqu'à l'inspecteur, qui, derrière l'ouvreuse, agitait les bras dans le dessein d'attirer sur lui l'attention de ses chefs. Il se frappait le front d'un index désolé pour faire comprendre aux directeurs que la mère Jules était bien certainement folle, pantomime qui engagea définitivement M. Richard à se séparer d'un inspecteur qui gardait dans son service une hallucinée. La bonne femme continuait, toute à son fantôme, vantant maintenant sa générosité.

—À la fin du spectacle, il me donne toujours une pièce de quarante sous, quelquefois cent sous, quelquefois même dix francs, quand il a été plusieurs jours sans venir. Seulement, depuis qu'on a recommencé à l'ennuyer, il ne me donne plus rien du tout...

—Pardon, ma brave femme... (Révolte nouvelle de la plume du chapeau couleur de suie, devant une aussi persistante familiarité) pardon!... Mais comment le fantôme fait-il pour vous remettre vos quarante sous? interroge Moncharmin, né curieux.

—Bah! il les laisse sur la tablette de la loge. Je les trouve là avec le programme que je lui apporte toujours; des soirs je retrouve même des fleurs dans ma loge, une rose qui sera tombée du corsage de sa dame... car, sûr, il doit venir quelquefois avec une dame, pour qu'un jour, ils aient oublié un éventail.

—Ah! ah! le fantôme a oublié un éventail? Et qu'en avez-vous fait?

—Eh bien! je le lui ai rapporté la fois suivante.

Ici, la voix de l'inspecteur se fit entendre:

—Vous n'avez pas observé le règlement, Mame Giry, je vous mets à l'amende.

—Taisez-vous, imbécile! (Voix de basse de M. Firmin Richard.)

—Vous avez rapporté l'éventail! Et alors?

—Et alors, ils l'ont remporté, m'sieur le directeur; je ne l'ai plus retrouvé à la fin du spectacle, à preuve qu'ils ont laissé à la place une boîte de bonbons anglais que j'aime tant, m'sieur le directeur. C'est une des gentillesses du fantôme...

—C'est bien, Mame Giry... Vous pouvez vous retirer.

Quand Mame Giry eut salué respectueusement, non sans une certaine dignité qui ne l'abandonnait jamais, ses deux directeurs, ceux-ci déclarèrent à M. l'inspecteur qu'ils étaient décidés à se priver des services de cette vieille folle. Et ils congédièrent M. l'inspecteur.

Quand M. l'inspecteur se fut retiré à son tour, après avoir protesté de son dévouement à la maison, MM. les directeurs avertirent M. l'administrateur qu'il eût à faire régler le compte de M. l'inspecteur. Quand ils furent seuls, MM. les directeurs se communiquèrent une même pensée, qui leur était venue en même temps à tous deux, celle d'aller faire un petit tour du côté de la loge n° 5.

Nous les y suivrons bientôt.

Saturday 6 May 2023

Good Reading: "The Eagle and the Jackdaw" by Aesop (translated into English)

 

An eagle, flying down from his perch on a lofty rock, seized upon a lamb and carried him aloft in his talons. A Jackdaw, who witnessed the capture of the lamb, was stirred with envy and determined to emulate the strength and flight of the Eagle. He flew around with a great whir of his wings and settled upon a large ram, with the intention of carrying him off, but his claws became entangled in the ram's fleece and he was not able to release himself, although he fluttered with his feathers as much as he could. The shepherd, seeing what had happened, ran up and caught him. He at once clipped the Jackdaw's wings, and taking him home at night, gave him to his children. On their saying, "Father, what kind of bird is it?' he replied, "To my certain knowledge he is a Daw; but he would like you to think an Eagle."

Friday 5 May 2023

Friday's Sung Word: "Sei que Vou Perder" by Noel Rosa (in Portuguese)

 Noel Rosa wrote the second part of the lyric.

Music and the first part lyric by Nonô and  Nonô, and Alfredo Lopes Quintas.

 

Sei que vou perder
Um bem, que era só meu
Que não soube sofrer
Por que se arrependeu
Depois que me viu
Perdido de amor
Sem pena me traiu
E eu que fiquei com a dor

O capricho da mulher
Faz o homem padecer
É veneno quando quer
Que mal-trata e faz morrer

O amor mais verdadeiro
A mulher despreza a toa
Só não despreza o primeiro
Mas quando pode mágoa

 

You can listen "Sei que Vou Perder" sung by Francisco Alves with Nonô playing piano here.

Thursday 4 May 2023

Thursday's Serial: "Threads of Grey and Gold” by Myrtle Reed (in English) - V

THE COMING OF MY SHIP

Straight to the sunrise my ship’s sails are leaning,

Brave at the masthead her new colours fly;

Down on the shore, her lips trembling with meaning,

Love waits, but unanswering, I heed not her cry.

The gold of the East shall be mine in full measure,

My ship shall come home overflowing with treasure,

And love is not need, but only a pleasure,

So I wait for my ship to come in.

 

Silent, half troubled, I wait in the shadow,

No sail do I see between me and the dawn;

Out in the blue and measureless meadow,

My ship wanders widely, but Love has not gone.

“My arms await thee,” she cries in her pleading,

“Why wait for its coming, when I am thy needing?”

I pass by in stillness, all else unheeding,

And wait for my ship to come in.

 

See, in the East, surrounded by splendour,

My sail glimmers whitely in crimson and blue;

I turn back to Love, my heart growing tender,

“Now I have gold and leisure for you.

Jewels she brings for thy white breast’s adorning,

Measures of gold beyond a queen’s scorning”—

To-night I shall rest—joy comes in the morning,

So I wait for my ship to come in.

 

Remembering waters beat cold on the shore,

And the grey sea in sadness grows old;

I listen in vain for Love’s pleading once more,

While my ship comes with spices and gold.

The sea birds cry hoarsely, for this is their songing,

On masthead and colours their white wings are thronging,

But my soul throbs deep with love and with longing,

And I wait for my ship to come in.

 

 

ROMANCE AND THE POSTMAN

A letter! Do the charm and uncertainty of it ever fade? Who knows what may be written upon the pages within!

Far back, in a dim, dream-haunted childhood, the first letter came to me. It was “a really, truly letter,” properly stamped and addressed, and duly delivered by the postman. With what wonder the chubby fingers broke the seal! It did not matter that there was an inclosure to one’s mother, and that the thing itself was written by an adoring relative; it was a personal letter, of private and particular importance, and that day the postman assumed his rightful place in one’s affairs.

In the treasure box of many a grandmother is hidden a pathetic scrawl that the baby made for her and called “a letter.” To the alien eye, it is a mere tangle of pencil marks, and the baby himself, grown to manhood, with children of his own, would laugh at the yellowed message, which is put away with his christening robe and his first shoes, but to one, at least, it speaks with a deathless voice.

It is written in books and papers that some unhappy mortals are swamped with mail. As a lady recently wrote to the President of the United States: “I suppose you get so many letters that when you see the postman coming down the street, you don’t care whether he has anything for you or not.”

Indeed, the President might well think the universe had gone suddenly wrong if the postman passed him by, but there are compensations in everything. The First Gentleman of the Republic must inevitably miss the pleasant emotions which letters bring to the most of us.

The clerks and carriers in the business centres may be pardoned if they lose sight of the potentialities of the letters that pass through their hands. When a skyscraper is a postal district in itself, there is no time for the man in grey to think of the burden he carries, save as so many pounds of dead weight, becoming appreciably lighter at each stop. But outside the hum and bustle, on quiet streets and secluded by-ways, there are faces at the windows, watching eagerly for the mail.

The progress of the postman is akin to a Roman triumph, for in his leathern pack lies Fate. Long experience has given him a sixth sense, as if the letters breathed a hint of their contents through their superscriptions.

The business letter, crisp and to the point, has an atmosphere of its own, even where cross lines of typewriting do not show through the envelope.

The long, rambling, friendly hand is distinctive, and if it has been carried in the pocket a long time before mailing, the postman knows that the writer is a married woman with a foolish trust in her husband.

Circulars addressed mechanically, at so much a thousand, never deceive the postman, though the recipient often opens them with pleasurable sensations, which immediately sink to zero. And the love-letters! The carrier is a veritable Sherlock Holmes when it comes to them.

Gradually he becomes acquainted with the inmost secrets of those upon his route. Friendship, love, and marriage, absence and return, death, and one’s financial condition, are all as an open book to the man in grey. Invitations, cards, wedding announcements, forlorn little letters from those to whom writing is not as easy as speech, childish epistles with scrap pictures pasted on the outside, all give an inkling of their contents to the man who delivers them.

When the same bill comes to the same house for a long and regular period, then ceases, even the carrier must feel relieved to know that it has been paid. When he isn’t too busy, he takes a friendly look at the postal cards, and sometimes saves a tenant in a third flat the weariness of two flights of stairs by shouting the news up the tube!

If the dweller in a tenement has ingratiating manners, he may learn how many papers, and letters are being stuffed into the letter-box, by a polite inquiry down the tube when the bell rings. Through the subtle freemasonry of the postman’s voice a girl knows that her lover has not forgotten her—and her credit is good for the “two cents due” if the tender missive is overweight.

“All the world loves a lover,” and even the busy postman takes a fatherly interest in the havoc wrought by Cupid along his route. The little blind god knows neither times nor seasons—all alike are his own—but the man in grey, old and spectacled though he may be, is his confidential messenger.

Love-letters are seemingly immortal. A clay tablet on which one of the Pharaohs wrote, asking for the heart and hand of a beautiful foreign princess, is now in the British Museum. But suppose the postman had not been sure-footed, and all the clay letters had been smashed into fragments in a single grand catastrophe! What a stir in high places, what havoc in Church and State, and how many fond hearts broken, if the postman had fallen down!

“Nothing feeds the flame like a letter,” said Emerson; “it has intent, personality, secrecy.” Flimsy and frail as it is, so easily torn or destroyed, the love-letter many times outlasts the love. Even the Father of his Country, though he has been dead this hundred years or more, has left behind him a love-letter, ragged and faded, but still legible, beginning: “My Dearest Life and Love.”

“Matter is indestructible,” so the scientists say, but what of the love-letter that is reduced to ashes? Does its passion live again in some far-off violet flame, or, rising from its dust, bloom once more in a fragrant rose, to touch the lips of another love?

In countless secret places, the tender missives are hidden, for the lover must always keep his joy in tangible form, to be sure that it was not a dream. They fly through the world by day and night, like white-winged birds that can say, “I love you”—over mountain, hill, stream, and plain; past sea and lake and river, through the desert’s fiery heat and amid the throbbing pulses of civilisation, with never a mistake, to bring exquisite rapture to another heart and wings of light to the loved one’s soul.

Under the pillow of the maiden, her lover’s letter brings visions of happiness too great for the human heart to hold. Even in her dreams, her fingers tighten upon his letter—the visible assurance of his unchanging and unchangeable love.

When the bugle sounds the charge, and dimly through the flash and flame the flag signals “Follow!” many a heart, leaping to answer with the hot blood of youth, finds a sudden tenderness in the midst of its high courage, from the loving letter which lies close to the soldier’s breast.

Bunker Hill and Gettysburg, Moscow and the Wilderness, Waterloo, Mafeking, and San Juan—the old blood-stained fields and the modern scenes of terror have all alike known the same message and the same thrill. The faith and hope of the living, the kiss and prayer of the dying, the cries of the wounded, and the hot tears of those who have parted forever, are on the blood-stained pages of the love-letters that have gone to war.

“Ich liebe Dich,” “Je t’aime,” or, in our dear English speech, “I love you,”—it is all the same, for the heart knows the universal language, the words of which are gold, bedewed with tears that shine like precious stones.

Every attic counts old love-letters among its treasures, and when the rain beats on the roof and grey swirls of water are blown against the pane, one may sit among the old trunks and boxes and bring to light the loves of days gone by.

The little hair-cloth trunk, with its rusty lock and broken hinges, brings to mind a rosy-cheeked girl in a poke bonnet, who went a-visiting in the stage-coach. Inside is the bonnet itself—white, with a gorgeous trimming of pink “lute-string” ribbon, which has faded into ashes of roses at the touch of the kindly years.

From the trunk comes a musty fragrance—lavender, sweet clover, rosemary, thyme, and the dried petals of roses that have long since crumbled to dust. Scraps of brocade and taffeta, yellowed lingerie, and a quaint old wedding gown, daguerreotypes in ornate cases, and then the letters, tied with faded ribbon, in a package by themselves.

The fingers unconsciously soften to their task, for the letters are old and yellow, and the ink has faded to brown. Every one was cut open with the scissors, not hastily torn according to our modern fashion, but in a slow and seemly manner, as befits a solemn occasion.

Perhaps the sweet face of a great-grandmother grew much perplexed at the sight of a letter in an unfamiliar hand, and perhaps, too, as is the way of womankind, she studied the outside a long time before she opened it. As the months passed by, the handwriting became familiar, but a coquettish grandmother may have flirted a bit with the letter, and put it aside—until she could be alone.

All the important letters are in the package, from the first formal note asking permission to call, which a womanly instinct bade the maiden put aside, to the last letter, written when twilight lay upon the long road they had travelled together, but still beginning: “My Dear and Honoured Wife.”

Bits of rosemary and geranium, lemon verbena, tuberose, and heliotrope, fragile and whitened, but still sweet, fall from the opened letters and rustle softly as they fall.

Far away in the “peace which passeth all understanding,” the writer of the letters sleeps, but the old love keeps a fragrance that outlives the heart in which it bloomed.

At night, when the fires below are lighted, and childish voices make the old house ring with laughter, Memory steals into the attic to sing softly of the past, as a mother croons her child to sleep.

Rocking in a quaint old attic chair, with the dear familiar things of home gathered all about her, Memory’s voice is sweet, like a harp tuned in the minor mode when the south wind sweeps the strings.

Bunches of herbs swing from the rafters and fill the room with the wholesome scent of an old-fashioned garden, where rue and heartsease grew. With the fragrance comes the breath from that garden of Mnemosyne, where the simples for heartache nod beside the River of Forgetfulness.

In a flash the world is forgotten, and into the attic come dear faces from that distant land of childhood, where a strange enchantment glorified the commonplace, and made the dreams of night seem real. Footsteps that have long been silent are heard upon the attic floor, and voices, hushed for years, whisper from the shadows from the other end of the room.

A moonbeam creeps into the attic and transfigures the haunted chamber with a sheen of silver mist. From the spinning-wheel come a soft hum and a delicate whir; then a long-lost voice breathes the first notes of an old, old song. The melody changes to a minuet, and the lady in the portrait moves, smiling, from the tarnished gilt frame that surrounds her—then a childish voice says: “Mother, are you asleep?”

Down the street the postman passes, bearing his burden of joy and pain: letters from far-off islands, where the Stars and Stripes gleam against a forest of palms; from the snow-bound fastnesses of the North, where men are searching for gold; from rose-scented valleys and violet fields, where the sun forever shines, and from lands across the sea, where men speak an alien tongue—single messages from one to another; letters that plead for pardon cross the paths of those that are meant to stab; letters written in jest too often find grim earnest at the end of their journey, and letters written in all tenderness meet misunderstandings and pain, when the postman brings them home; letters that deal with affairs of state and shape the destiny of a nation; tidings of happiness and sorrow, birth and death, love and trust, and the thousand pangs of trust betrayed; an hundred joys and as many griefs are all in the postman’s hands.

No wonder, then, that there is a stir in the house, that eyes brighten, hearts beat quickly, and eager steps hasten to the door of destiny, when the postman rings the bell!

 

 

A SUMMER REVERIE

I sit on the shore of the deep blue sea

As the tide comes rolling in,

And wonder, as roaming in sunlit dreams,

The cause of the breakers’ din.

 

For each of the foam-crowned billows

Has a wonderful story to tell,

And the surge’s mystical music

Seems wrought by a fairy spell.

 

I wander through memory’s portals,

Through mansions dim and vast,

And gaze at the beautiful pictures

That hang in the halls of the past.

 

And dream-faces gather around me,

With voices soft and low,

To draw me back to the pleasures

Of the lands of long ago.

 

There are visions of beauty and splendour,

And a fame that I never can win—

Far out on the deep they are sailing—

My ships that will never come in.

 

 

A VIGNETTE

It was a muddy down-town corner and several people stood in the cold, waiting for a street-car. A stand of daily papers was on the sidewalk, guarded by two little newsboys. One was much younger than the other, and he rolled two marbles back and forth in the mud by the curb. Suddenly his attention was attracted by something bright above him, and he looked up into a bunch of red carnations a young lady held in her hands. He watched them eagerly, seemingly unable to take his eyes from the feast of colour. She saw the hungry look in the little face, and put one into his hand. He was silent, until his brother said: “Say thanky to the lady.” He whispered his thanks, and then she bent down and pinned the blossom upon his ragged jacket, while the big policeman on the corner smiled approvingly.

 “My, but you’re gay now, and you can sell all your papers,” the bigger boy said tenderly.

“Yep, I can sell ’em now, sure!”

Out of the crowd on the opposite corner came a tiny, dark-skinned Italian girl, with an accordion slung over her shoulder by a dirty ribbon; she made straight for the carnations and fearlessly cried, “Lady, please give me a flower!” She got one, and quickly vanished in the crowd.

The young woman walked up the street to a flower-stand to replenish her bunch of carnations, and when she returned, another dark-skinned mite rushed up to her without a word, only holding up grimy hands with a gesture of pathetic appeal. Another brilliant blossom went to her, and the young woman turned to follow her; on through the crowd the child fled, until she reached the corner where her mother stood, seamed and wrinkled and old, with the dark pathetic eyes of sunny Italy. She held the flower out to her, and the weary mother turned and snatched it eagerly, then pressed it to her lips, and kissed it as passionately as if it had been the child who brought it to her.

Just then the car came, and the big grey policeman helped the owner of the carnations across the street, and said as he put her on the car, “Lady, you’ve sure done them children a good turn to-day.”

 

 

MEDITATION

I sail through the realms of the long ago,

Wafted by fancy and visions frail,

On the river Time with its gentle flow,

In a silver boat with a golden sail.

 

My dreams, in the silence are hurrying by

On the brooklet of Thought where I let them flow,

And the “lilies nod to the sound of the stream”

As I sail through the realms of the long ago.

 

On the shores of life’s deep-flowing stream

Are my countless sorrows and heartaches, too,

And the hills of hope are but dimly seen,

Far in the distance, near heaven’s blue.

 

I find that my childish thoughts and dreams

Lie strewn on the sands by the cruel blast

That scattered my hopes on the restless streams

That flow through the mystic realms of the past.

 

 

POINTERS FOR THE LORDS OF CREATION

Some wit has said that the worst vice in the world is advice, and it is also quite true that one ignorant, though well-meaning person can sometimes accomplish more damage in a short time, than a dozen people who start out for the purpose of doing mischief.

The newspapers and periodicals of to-day are crowded with advice to women, and while much of it is found in magazines for women, written and edited by men, it is also true that a goodly quantity of it comes from feminine writers; it is all along the same lines, however, the burden of effort being to teach the weaker sex how to become more attractive and more lovable to the lords of creation. It is, of course, all intended for our good, for if we can only please the men, and obey their slightest wish even before they take the trouble to mention the matter, we can then be perfectly happy.

A man can sit down any day and give us directions enough to keep us busy for a lifetime, and we seldom or never return the compliment. This is manifestly unfair, and so this little preachment is meant for the neglected and deserving men, and for them only, so that all women who have read thus far are invited to leave the matter right here and turn their attention to the column of “Advice to Women” which they can find in almost any periodical.

In the first place, gentlemen, we must admit that you do keep us guessing, though we do not sit up nights nor lose much sleep over your queer notions.

We can’t ask you many questions, either, dear brethren, for, as you know, you rather like to fib to us, and sometimes we are able to find it out, and then we never believe you any more.

We may venture, however, to ask small favours of you, and one of these is that you do not wear red ties. You look so nice in quiet colours that we dislike exceedingly to have you make crazy quilts of yourselves, and that is just what you do when you begin experimenting with colours which we naturally associate with the “cullud pussons.”

And a cane may be very ornamental, but it’s of no earthly use, and we would rather you would not carry it when you go out with us.

Never tell us you haven’t had time to come and see us, or write to us, because we know perfectly well that if you wanted to badly enough, you would take the time, so the excuse makes us even madder than does the neglect. Still, when you don’t want to come, we would not have you do it for anything.

There is an old saying that “absence makes the heart grow fonder”—so it does—of the other fellow. We don’t propose to shed any tears over you; we simply go to the theatre with the other man and have an extremely good time. When you are every, very bright, you can manage some way not to allow us to forget you for a minute, nor give us much time to think of anything else.

When we are angry, for heaven’s sake don’t ask us why, because that shows your lack of penetration. Just simply call yourself a brute, and say you are utterly unworthy of even our faint regard, and you will soon realise that this covers a lot of ground, and everything will be all right in a few minutes.

And whatever you do, don’t show any temper yourself. A woman requires of a man that he shall be as immovable as the rock of Gibraltar, no matter what she does to him. And you play your strongest card when you don’t mind our tantrums—even though it’s a state secret we are telling you.

Don’t get huffy when you meet us with another man; in nine cases out of ten, that’s just what we do it for. And don’t make the mistake of retaliating by asking another girl somewhere. You’ll have a perfectly miserable time if you do, both then and afterward.

When you do come to see us, it is not at all nice to spend the entire evening talking about some other girl. How would you like to have the graces of some other man continually dinned into your ears? Sometimes we take that way in order to get a rest from your overweening raptures over the absent girl.

We have a well-defined suspicion that you talk us over with your chums and compare notes. But, bless you, it can’t possibly hold a candle to the thorough and impartial discussions that some of you get when girls are together, either in small bevies, or with only one chosen friend. And we don’t very much care what you say about us, for a man never judges a woman by the opinion of any one else, but another woman’s opinion counts for a great deal with us, so you would better be careful.

If you are going to say things that you don’t mean, try to stamp them with the air of sincerity—if you can once get a woman to fully believe in your sincerity, you have gone a long way toward her heart.

Haven’t you found out that women are not particularly interested in anecdotes? Please don’t tell us more than fifteen in the same evening.

And don’t begin to make love to us before you have had time to make a favourable impression along several lines—a man, as well as a woman, loses ground and forfeits respect by making himself too cheap.

If a girl runs and screams when she has been caught standing under the mistletoe, it means that she will not object; if she stiffens up and glares at you, it means that she does. The same idea is sometimes delicately conveyed by the point of a pin. But a woman will be able to forgive almost anything which you can make her believe was prompted by her own attractiveness, at least unless she knows men fairly well.

You know, of course, that we will not show your letters, nor tell when you ask us to marry you and are refused. This much a woman owes to any man who has honoured her with an offer of marriage—to keep his perfect trust sacredly in her own heart. Even her future husband has no business to know of this—it is her lover’s secret, and she has no right to betray it.

Keeping the love-letters and the offers of marriage from any honourable man safe from a prying world are points of honour which all good women possess, although we may sometimes quote certain things from your letters, as you do from ours.

There’s nothing you can tell a woman which will please her quite so much as that knowing her has made you better, especially if you can prove it by showing a decided upward tendency in your morals. That’s your good right bower, but don’t play it too often—keep it for special occasions.

There’s one mistake you make, dear brethren, and that is telling a woman you love her as soon as you find it out yourself, and the most of you will do that very thing. There is one case on record where a man waited fifteen minutes, but he nearly died of the strain. The trouble is that you seldom stop to consider whether we are ready to hear you or not, nor whether the coast is clear, nor what the chances are in your favour. You simply relieve your mind, and trust in your own wonderful charms to accomplish the rest.

And we wish that when the proper time comes for you to speak your mind you’d try to do it artistically. Of course you can’t write it, unless you are far away from her, for if you can manage an opportunity to speak, a resort to the pen is cowardly. And don’t mind our evading the subject—we always do that on principle, but please don’t be scared, or at least don’t show it, whatever you may feel. If there is one thing a woman dislikes more than another it is a man who shows cowardice at the crucial point in life.

Every man, except yourself, dear reader, is conceited. And one particular sort of it makes us very, very weary. You are so blinded by your own perfections, so sure that we are desperately in love with you, that you sometimes give us little unspoken suggestions to that effect, and then our disgust is beyond words.

Another cowardly thing you sometimes do, and that is to say that we have spoiled your life—that we could have made you anything we pleased—and that you are going straight to perdition. If one woman is all that keeps you from going to ruin, you have secured a through ticket anyway, and it’s too late to save you. You don’t want a woman who might marry you only out of pity, and you are not going to die of a broken heart. Men die of broken vanity, sometimes, but their hearts are pretty tough, being made of healthy muscle.

You get married very much as you go down town in the morning. You run, like all possessed, until you catch your car, and then you sit down and read your newspaper. When you think your wife looks unusually well, it would not hurt you in the least to tell her so, and the way you leave her in the morning is going to settle her happiness for the day, though she may be too proud to let you know that it makes any difference. Women are quick to detect a sham, and they don’t want you to say anything that you don’t feel, but you are pretty sure to feel tenderly toward her sometimes, careless though you may be, and then is the time to tell her so. You don’t want to wait until she is dead, and then buy a lily to put on her coffin. You’d better bring her the lily some time when you’ve been cross and grumpy.

But don’t imagine that a present of any kind ever atones for a hurt that has been given in words. There’s nothing you can say which is more manly or which will do you both so much good as the simple “forgive me” when you have been wrong.

Rest assured, gentlemen, that you who spend the most of your evenings in other company, and too often find fault with your meals when you come home, are the cause of many sorrowful talks among the women who are wise enough to know, even though your loyal wife may put up a brave front in your defense.

How often do you suppose the brave woman who loves you has been actually driven in her agony to some married friend whom she can trust and upon her sympathetic bosom has cried until she could weep no more, simply because of your thoughtless neglect? How often do you think she has planned little things to make your home-coming pleasant, which you have never noticed? And how often do you suppose she has desperately fought down the heartache and tried to believe that your absorption in business is the reason for your forgetfulness of her?

Do you ever think of these things? Do you ever think of the days before you were sure of her, when you treasured every line of her letters, and would have bartered your very hopes of heaven for the earthly life with her?

But perhaps you can hardly be expected to remember the wild sprint that you made from the breakfast table to the street-car.

 

 

TRANSITION

I am thy Pleasure. See, my face is fair—

With silken strands of joy I twine thee round;

Life has enough of stress—forget with me!

Wilt thou not stay? Then go, thou art not bound.

 

I am thy Pastime. Let me be to thee

A daily refuge from the haunting fears

That bind thee, choke thee, fill thy soul with woe.

Seek thou my hand, let me assuage thy tears.

 

I am thy Habit. Nay, start not, thy will

Is yet supreme, for art thou not a man?

Then draw me close to thee, for life is brief—

A little space to pass as best one can.

 

I am thy Passion. Thou shalt cling to me

Through all the years to come. The silken cord

Of Pleasure has become a stronger bond,

Not to be cleft, nor loosened at a word.

 

I am thy Master. Thou shalt crush for me

The grapes of truth for wine of sacrifice;

My clanking chains were forged for such as thee,

I am thy Master—yea, I am thy vice!

Wednesday 3 May 2023

Good Reading: "Alphonso of Castile" by Ralph W. Emerson (in English)

I, Alphonso, live and learn,
Seeing Nature go astern.
Things deteriorate in kind;
Lemons run to leaves and rind;
Meagre crop of figs and limes;
Shorter days and harder times.
Flowering April cools and dies
In the insufficient skies.
Imps, at high midsummer, blot
Half the sun's disk with a spot;
'Twill not now avail to tan
Orange cheek or skin of man.
Roses bleach, the goats are dry,
Lisbon quakes, the people cry.
Yon pale, scrawny fisher fools,
Gaunt as bitterns in the pools,
Are no brothers of my blood;—
They discredit Adamhood.
Eyes of gods! ye must have seen,
O'er your ramparts as ye lean,
The general debility;
Of genius the sterility;
Mighty projects countermanded;
Rash ambition, brokenhanded;
Puny man and scentless rose
Tormenting Pan to double the dose.
Rebuild or ruin: either fill
Of vital force the wasted rill,
Or tumble all again in heap
To weltering Chaos and to sleep.


Say, Seigniors, are the old Niles dry,
Which fed the veins of earth and sky,
That mortals miss the loyal heats,
Which drove them erst to social feats;
Now, to a savage selfness grown,
Think nature barely serves for one;
With science poorly mask their hurt;
And vex the gods with question pert,
Immensely curious whether you
Still are rulers, or Mildew?


Masters, I 'm in pain with you;
Masters, I 'll be plain with you;
In my palace of Castile,
I, a king, for kings can feel.
There my thoughts the matter roll,
And solve and oft resolve the whole.
And, for I 'm styled Alphonse the Wise,
Ye shall not fail for sound advice.
Before ye want a drop of rain,
Hear the sentiment of Spain.


You have tried famine: no more try it;
Ply us now with a full diet;
Teach your pupils now with plenty,
For one sun supply us twenty.
I have thought it thoroughly over,—
State of hermit, state of lover;
We must have society,
We cannot spare variety.
Hear you, then, celestial fellows!
Fits not to be overzealous;
Steads not to work on the clean jump,
Nor wine nor brains perpetual pump.
Men and gods are too extense;
Could you slacken and condense?
Your rank overgrowths reduce
Till your kinds abound with juice?
Earth, crowded, cries, 'Too many men!'
My counsel is, kill nine in ten,
And bestow the shares of all
On the remnant decimal.
Add their nine lives to this cat;
Stuff their nine brains in one hat;
Make his frame and forces square
With the labors he must dare;
Thatch his flesh, and even his years
With the marble which he rears.
There, growing slowly old at ease
No faster than his planted trees,
He may, by warrant of his age,
In schemes of broader scope engage.
So shall ye have a man of the sphere
Fit to grace the solar year.