Exhortation Apostolique Post-Synodale “Ecclesia in Europa” de sa Sainteté le Pape Jean-Paul II aux
Évêques, aux Prêtres et aux Diacres, aux Personnes Consacrées et à Tous les
Fidèles Laïcs Sur Jésus Christ, Vivant Dans L'église, Source D'espérance
Pour L'europe
INTRODUCTION
Annonce joyeuse pour l'Europe
1. L'Église en Europe a accompagné en esprit de participation ses
évêques réunis en Synode pour la deuxième fois, tandis qu'ils se livraient à
une méditation sur Jésus Christ, vivant dans l'Église, source d'espérance pour
l'Europe.
C'est un thème
que je veux moi aussi, reprenant avec mes frères évêques les paroles de la
Première Lettre de saint Pierre, proclamer à tous les chrétiens d'Europe au
début du troisième millénaire. «N'ayez aucune crainte [...], ne vous laissez
pas troubler. C'est le Seigneur, le Christ, que vous devez reconnaître dans vos
cœurs comme le seul Saint. Vous
devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent
de rendre compte de l'espérance qui est en vous» (3, 14-15).
Cette annonce a retenti continuellement tout au long
du grand Jubilé de l'An 2000, auquel le Synode, qui s'est tenu juste avant, a
été étroitement lié, étant en quelque sorte une porte qui s'ouvrait sur lui. Le
Jubilé a été «un chant unique, ininterrompu, de louange à la Trinité», un vrai
«chemin de réconciliation» et un «signe d'espérance authentique pour ceux qui
regardent le Christ et son Église». Nous laissant en héritage la joie de la
rencontre vivifiante avec le Christ, qui est «le même, hier, aujourd'hui et
pour l'éternité» (He 13, 8), il nous a proposé de nouveau le Seigneur Jésus
comme fondement unique et indéfectible de la véritable espérance.
Un deuxième Synode pour l'Europe
2. L'approfondissement du
thème de l'espérance constituait dès le début le but principal de la Deuxième
Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques. Dernier des séries de
Synodes de caractère continental tenus en préparation du grand Jubilé de l'An
2000, il avait pour buts d'analyser la situation de l'Église en Europe et de
donner des orientations pour promouvoir une nouvelle annonce de l'Évangile,
comme je l'ai souligné dans la convocation que j'ai rendue publique le 23 juin
1996, au terme de l'Eucharistie célébrée au stade olympique de Berlin.
L'Assemblée synodale ne pouvait omettre de reprendre,
de vérifier et de développer ce qui était ressorti lors du précédent Synode
consacré à l'Europe, qui s'était réuni en 1991, au lendemain de la chute des
murs, sur le thème «Pour que nous soyons témoins du Christ qui nous a libérés».
Dans cette première Assemblée spéciale étaient apparues l'urgence et la
nécessité de la «nouvelle évangélisation», dans la certitude que «l'Europe ne
doit pas purement et simplement en appeler aujourd'hui à son héritage chrétien
antérieur: il lui faut trouver la capacité de décider à nouveau de son avenir
dans la rencontre avec la personne et le message de Jésus Christ».
Neuf ans après, la conviction que «l'Église a le
devoir pressant d'apporter à nouveau aux Européens l'annonce libératrice de
l'Évangile» s'est présentée encore une fois avec sa force stimulante. Le thème
choisi pour la nouvelle Assemblée synodale proposait encore, sous l'angle de
l'espérance, le même défi. Il s'agissait donc de proclamer cette annonce
d'espérance à une Europe qui semblait l'avoir perdue.
L'expérience du Synode
3. L'Assemblée synodale,
qui a eu lieu du 1er au 23 octobre 1999, s'est avérée une précieuse occasion de
rencontre, d'écoute et de confrontation: on y a approfondi la connaissance
réciproque entre évêques des diverses parties de l'Europe et avec le Successeur
de Pierre, et tous ensemble nous avons pu nous édifier mutuellement, grâce
surtout au témoignage de ceux qui, sous les anciens régimes totalitaires, ont
supporté pour la foi de dures et longues persécutions. Une fois encore, nous
avons vécu des moments de communion dans la foi et dans la charité, animés par
le désir de réaliser un fraternel “échange de dons”, enrichis réciproquement
par la diversité des expériences de chacun.
Il en est ressorti la volonté d'accueillir l'appel
que l'Esprit adresse aux Églises en Europe pour les mobiliser face aux nouveaux
défis. Le regard rempli d'amour, les participants de la rencontre synodale
n'ont pas craint d'observer la réalité actuelle du continent, notant ses
lumières et ses ombres. Il en ressort une claire conscience que la situation
est marquée par de graves incertitudes dans les domaines culturel,
anthropologique, éthique et spirituel. Une volonté croissante s'est
affirmée tout aussi clairement, celle de pénétrer dans cette situation et de
l'interpréter pour voir les tâches qui attendent l'Église; il en est résulté «des
orientations utiles afin de rendre toujours plus visible le visage du Christ
par une annonce plus incisive, corroborée par un témoignage cohérent».
4. Le fait de vivre
l'expérience synodale avec un discernement évangélique a fait mûrir
progressivement la conscience de l'unité qui, sans nier les différences
provenant des vicissitudes historiques, lie les diverses parties de l'Europe. C'est
une unité qui, s'enracinant dans une commune inspiration chrétienne, sait
harmoniser les traditions culturelles et qui requiert, sur le plan social comme
sur le plan ecclésial, une progression constante dans la connaissance
réciproque ouverte à un plus grand partage des valeurs de chacun.
Peu à peu, au cours du Synode, est devenue
évidente une forte propension à l'espérance. Tout en faisant leurs les analyses
de la complexité caractéristique du continent, les Pères synodaux ont compris
que la plus grande urgence peut-être qui l'envahit, à l'Est comme à l'Ouest,
est un besoin accru d'espérance, capable de donner un sens à la vie et à
l'histoire, et d'aider à marcher ensemble. Toutes les réflexions du Synode ont
cherché à répondre à ce besoin à partir du mystère du Christ et du mystère
trinitaire. Le Synode a voulu proposer à nouveau la figure de Jésus vivant dans
son Église, révélateur du Dieu Amour qui est communion des trois Personnes
divines.
L'icône de l'Apocalypse
5. Par la présente
Exhortation post-synodale, je suis heureux de pouvoir partager avec l'Église
qui est en Europe les fruits de cette Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe
du Synode des Évêques. Je désire ainsi répondre au souhait exprimé au terme des
assises synodales, quand les Pasteurs m'ont transmis les textes de leurs
réflexions, et m'ont prié de donner à l'Église en marche en Europe un document
sur le thème même du Synode.
«Celui qui a des oreilles, qu'il entende ce que
l'Esprit dit aux Églises!» (Ap 2, 7). En annonçant à l'Europe l'Évangile de
l'espérance, je prendrai pour guide le Livre de l'Apocalypse, «révélation
prophétique» qui révèle à la communauté des croyants le sens caché et profond
de ce qui arrivera (cf. Ap 1, 1). L'Apocalypse nous place devant une parole
adressée aux communautés chrétiennes, afin qu'elles sachent interpréter et
vivre leur insertion dans l'histoire, avec ses interrogations et ses
tribulations, à la lumière de la victoire définitive de l'Agneau immolé et
ressuscité. En même temps, nous nous trouvons face à une parole qui engage à
vivre en abandonnant la tentation permanente de bâtir la cité des hommes sans
tenir compte de Dieu ou même contre lui. En effet, si cela se vérifiait, ce
serait la convivialité humaine elle-même qui essuierait, à plus ou moins brève
échéance, une défaite irrémédiable.
L'Apocalypse contient un encouragement adressé
aux croyants: au-delà de toute apparence, et même si l'on n'en voit pas encore
les effets, la victoire du Christ est déjà advenue et elle est définitive. Il s'ensuit une tendance à se placer face
aux vicissitudes humaines dans une attitude de confiance fondamentale, qui
découle de la foi dans le Ressuscité, présent et agissant dans l'histoire.
CHAPITRE I
JÉSUS CHRIST EST NOTRE
ESPÉRANCE
“Sois sans crainte. Je suis le Premier et le
Dernier, je suis le Vivant” (Ap 1, 17-18)
Le Ressuscité est toujours avec
nous
6. En un temps de persécutions, de tribulations et d'égarement pour
l'Église à l'époque de l'auteur de l'Apocalypse (cf. Ap 1, 9), la parole qui
retentit dans la vision est une parole d'espérance: «Sois sans crainte. Je suis
le Premier et le Dernier, je suis le Vivant: j'étais mort, mais me voici vivant
pour les siècles des siècles, et je détiens les clés de la mort et du séjour
des morts» (Ap 1, 17- 18). Nous
sommes ainsi placés face à l'Évangile, à la “bonne nouvelle”, qui est Jésus
Christ lui- même. Il est le Premier et le Dernier: en Lui, toute
l'histoire trouve son commencement, sa signification, sa direction, son
accomplissement; en Lui et avec Lui, dans sa mort et sa résurrection, tout a
déjà été dit. Il est le Vivant: il était mort, mais maintenant il vit pour
toujours. Il est l'Agneau qui se tient debout face au trône de Dieu (cf. Ap 5,
6): il est immolé, car il a versé son sang pour nous sur le bois de la Croix;
il est debout, car il est revenu à la vie pour toujours et il nous a montré la
toute-puissance infinie de l'amour du Père. Il tient fermement dans ses mains les sept étoiles (cf. Ap 1, 16),
c'est-à-dire l'Église de Dieu persécutée, en lutte contre le mal et contre le
péché, mais qui a également le droit d'être joyeuse et victorieuse parce
qu'elle est entre les mains de Celui qui a déjà vaincu le mal. Il marche
au milieu des sept chandeliers d'or (cf. Ap 2, 1): il est présent et agissant
dans son Église en prière. Il est aussi “celui qui vient” (Ap 1, 4) à travers
la mission et l'action de l'Église tout au long de l'histoire humaine; il vient
comme le moissonneur eschatologique, à la fin des temps, pour porter toute
chose à son accomplissement (cf. Ap 14, 15-16; 22, 20).
I. Défis et signes d'espérance pour
l'Église en Europe
L'obscurcissement de
l'espérance
7. Cette parole est aussi adressée aujourd'hui aux Églises en Europe,
souvent tentées par l'obscurcissement de l'espérance. En effet, le temps que
nous vivons, avec les défis qui lui sont propres, apparaît comme une époque
d'égarement. Beaucoup d'hommes et de femmes semblent désorientés, incertains,
sans espérance, et de nombreux chrétiens partagent ces états d'âme. Nombreux
sont les signes préoccupants qui, au début du troisième millénaire, troublent
l'horizon du continent européen, lequel, “tout en étant riche d'immenses signes
de foi et de témoignage, et dans le cadre d'une vie commune certainement plus
libre et plus unie, ressent toute l'usure que l'histoire ancienne et récente a
provoquée dans les fibres les plus profondes de ses populations, entraînant
souvent la déception”.
Parmi les
nombreux aspects, amplement rappelés aussi à l'occasion du Synode, je voudrais
mentionner la perte de la mémoire et de l'héritage chrétiens, accompagnée d'une
sorte d'agnosticisme pratique et d'indifférentisme religieux, qui fait que
beaucoup d'Européens donnent l'impression de vivre sans terreau spirituel et
comme des héritiers qui ont dilapidé le patrimoine qui leur a été légué par
l'histoire. On n'est donc plus tellement étonné par les tentatives de donner à
l'Europe un visage qui exclut son héritage religieux, en particulier son âme
profondément chrétienne, fondant les droits des peuples qui la composent sans
les greffer sur le tronc irrigué par la sève vitale du christianisme.
Certes, les
prestigieux symboles de la présence chrétienne ne manquent pas dans le
continent européen, mais avec l'expansion lente et progressive de la
sécularisation, ils risquent de devenir un pur vestige du passé. Beaucoup
n'arrivent plus à intégrer le message évangélique dans l'expérience quotidienne;
il est de plus en plus difficile de vivre la foi en Jésus dans un contexte
social et culturel où le projet chrétien de vie est continuellement mis au défi
et menacé; dans de nombreux milieux de vie, il est plus facile de se dire athée
que croyant; on a l'impression que la non-croyance va de soi tandis que la
croyance a besoin d'une légitimation sociale qui n'est ni évidente ni
escomptée.
8. Cette perte de la
mémoire chrétienne s'accompagne d'une sorte de peur d'affronter l'avenir. L'image
du lendemain qui est cultivée s'avère souvent pâle et incertaine. Face à l'avenir, on ressent plus de peur
que de désir. On en trouve des signes préoccupants, entre autres, dans le vide
intérieur qui tenaille de nombreuses personnes et dans la perte du sens de la
vie. Parmi les expressions et les conséquences de cette angoisse existentielle,
il faut compter en particulier la dramatique diminution de la natalité, la
baisse des vocations au sacerdoce et à la vie consacrée, la difficulté, sinon
le refus, de faire des choix définitifs de vie, même dans le mariage.
On assiste à une fragmentation diffuse de l'existence;
ce qui prévaut, c'est une sensation de solitude; les divisions et les
oppositions se multiplient. Parmi les autres symptômes de cet état de fait, la
situation actuelle de l'Europe connaît le grave phénomène des crises de la
famille et de la disparition du concept même de famille, la persistance ou la réactivation
de conflits ethniques, la résurgence de certaines attitudes racistes, les
tensions interreligieuses elles-mêmes, l'attitude égocentrique qui enferme les
personnes et les groupes sur eux-mêmes, la croissance d'une indifférence
éthique générale et de la crispation excessive sur ses propres intérêts et
privilèges. Pour beaucoup de personnes, au lieu d'orienter vers une plus grande
unité du genre humain, la mondialisation en cours risque de suivre une logique
qui marginalise les plus faibles et qui accroît le nombre des pauvres sur la
terre.
Parallèlement à l'expansion de l'individualisme, on
note un affaiblissement croissant de la solidarité entre les personnes: alors
que les institutions d'assistance accomplissent un travail louable, on observe
une disparition du sens de la solidarité, de sorte que, même si elles ne
manquent pas du nécessaire matériel, beaucoup de personnes se sentent plus
seules, livrées à elles-mêmes, sans réseau de soutien affectif.
9. À la racine de la perte
de l'espérance se trouve la tentative de faire prévaloir une anthropologie sans
Dieu et sans le Christ. Cette manière de penser a conduit à considérer l'homme
comme “le centre absolu de la réalité, lui faisant occuper faussement la place
de Dieu. On oublie alors que ce n'est pas l'homme qui fait Dieu, mais Dieu qui
fait l'homme. L'oubli de Dieu a conduit à l'abandon de l'homme”, et c'est
pourquoi, “dans ce contexte, il n'est pas surprenant que se soient largement
développés le nihilisme en philosophie, le relativisme en gnoséologie et en
morale, et le pragmatisme, voire un hédonisme cynique, dans la manière
d'aborder la vie quotidienne”. La culture européenne donne l'impression d'une “apostasie
silencieuse” de la part de l'homme comblé qui vit comme si Dieu n'existait pas.
Dans une telle perspective prennent corps les
tentatives, renouvelées tout récemment encore, de présenter la culture
européenne en faisant abstraction de l'apport du christianisme qui a marqué son
développement historique et sa diffusion universelle. Nous sommes là devant
l'apparition d'une nouvelle culture, pour une large part influencée par les
médias, dont les caractéristiques et le contenu sont souvent contraires à
l'Évangile et à la dignité de la personne humaine. De cette culture fait partie
aussi un agnosticisme religieux toujours plus répandu, lié à un relativisme
moral et juridique plus profond, qui prend racine dans la perte de la vérité de
l'homme comme fondement des droits inaliénables de chacun. Les signes de la disparition de l'espérance se
manifestent parfois à travers des formes préoccupantes de ce que l'on peut
appeler une “culture de mort”.
L'inéluctable nostalgie de l'espérance
10. Mais, comme l'ont
souligné les Pères synodaux, “l'homme ne peut pas vivre sans espérance: sa vie
serait vouée à l'insignifiance et deviendrait insupportable”. Bien souvent,
celui qui a besoin d'espérance croit pouvoir trouver un apaisement dans des
réalités éphémères et fragiles. Et ainsi, l'espérance, emprisonnée dans un
milieu purement humain fermé à la transcendance, est identifiée, par exemple,
au paradis promis par la science et par la technique, ou à des formes diverses
de messianisme, au bonheur de nature hédoniste procuré par le consumérisme ou
au bonheur imaginaire et artificiel produit par des stupéfiants, à certaines
formes de millénarisme, à l'attrait des philosophies orientales, à la recherche
de formes de spiritualité ésotériques, aux divers courants du New Age.
Mais tout cela se révèle profondément illusoire et
incapable de satisfaire la soif de bonheur que le cœur de l'homme continue à
ressentir en lui-même. Ainsi subsistent et s'intensifient les signes
préoccupants de la disparition de l'espérance, qui parfois se manifestent même
à travers des formes d'agressivité et de violence.
Signes d'espérance
11. Aucun être humain ne
peut vivre sans perspectives d'avenir, et moins encore l'Église, qui vit dans
l'attente du Royaume qui vient et qui est déjà présent dans ce monde. Il serait
injuste de ne pas voir les signes de l'influence de l'Évangile du Christ dans
la vie des sociétés. Les Pères synodaux les ont recherchés et soulignés.
Il faut inscrire parmi ces signes le retour à la
liberté pour l'Église dans l'Est européen, avec les nouvelles possibilités
ainsi ouvertes pour l'action pastorale; le fait pour l'Église de se concentrer
sur sa mission spirituelle et sur son engagement à vivre le primat de
l'évangélisation, même dans ses rapports avec la réalité sociale et politique;
la prise de conscience accrue de la mission propre de tous les baptisés, dans
la diversité et la complémentarité des dons et des tâches; la présence plus
marquée de la femme dans les structures et dans les milieux de la communauté
chrétienne.
Une communauté de peuples
12. En considérant l'Europe
en tant que communauté de citoyens, on ne manque pas de signes qui ouvrent à
l'espérance; malgré les contradictions de l'histoire, nous pouvons, avec un
regard de foi, voir en eux la présence de l'Esprit de Dieu qui renouvelle la
face de la terre. Les Pères synodaux les ont décrits ainsi à la fin de leurs
travaux: “Nous constatons avec joie l'ouverture croissante des peuples les uns
aux autres, la réconciliation entre nations longtemps hostiles et ennemies,
l'élargissement progressif du processus d'unification aux pays de l'Est
européen. Reconnaissances, collaborations et échanges de tous ordres sont en
développement, de sorte que se crée peu à peu une culture européenne, on peut
même dire une conscience européenne, dont nous espérons qu'elle pourra faire
croître, spécialement auprès des jeunes, le sentiment de la fraternité et la
volonté du partage. Nous enregistrons comme positif le fait que tout ce
processus se développe selon des méthodes démocratiques, sur un mode pacifique
et dans un esprit de liberté qui respecte et valorise les légitimes diversités,
suscitant et soutenant le processus d'unification de l'Europe. Nous saluons
avec satisfaction ce qui a été fait pour préciser les conditions et les
modalités du respect des droits humains. Dans le contexte, enfin, de la
légitime et nécessaire unité économique et politique en Europe, tandis que nous
enregistrons les signes de l'espérance qu'offre la considération accordée au
droit et à la qualité de la vie, nous souhaitons vivement que, dans une
fidélité créatrice à la tradition humaniste et chrétienne de notre continent,
soit garanti le primat des valeurs éthiques et spirituelles”.
Les martyrs et les témoins de la foi
13. Mais je voudrais
attirer l'attention en particulier sur certains signes qui se sont manifestés
dans la vie proprement ecclésiale. Tout d'abord, avec les Pères synodaux, je
veux proposer de nouveau à tous, afin qu'il ne soit jamais oublié, le grand
signe d'espérance constitué par les nombreux témoins de la foi chrétienne qui
ont vécu au siècle dernier, à l'Est comme à l'Ouest. Ils ont su faire leur
l'Évangile dans des situations d'hostilité et de persécution, souvent jusqu'à
l'épreuve finale de l'effusion du sang.
Ces témoins, en particulier ceux qui ont affronté
l'épreuve du martyre, sont un signe éloquent et grandiose, qu'il nous est
demandé de contempler et d'imiter. Ils attestent à nos yeux la vitalité de
l'Église; ils nous apparaissent comme une lumière pour l'Église et pour
l'humanité, car ils ont fait resplendir dans les ténèbres la lumière du Christ;
appartenant à diverses confessions chrétiennes, ils resplendissent de ce fait
comme un signe d'espérance pour le cheminement œcuménique, dans la certitude
que leur sang “est aussi une sève d'unité pour l'Église”.
Plus radicalement encore, ils nous disent que le
martyre est l'incarnation suprême de l'Évangile de l'espérance: “En effet, les
martyrs annoncent cet Évangile et en témoignent par leur vie jusqu'à l'effusion
du sang, car ils sont certains de ne pas pouvoir vivre sans le Christ et ils
sont prêts à mourir pour lui, dans la conviction que Jésus est le Seigneur et
le Sauveur des hommes et qu'en lui seulement l'homme peut donc trouver la
véritable plénitude de la vie. De cette façon, selon l'avertissement de
l'Apôtre Pierre, ils se montrent prêts à rendre compte de l'espérance qui est
en eux (cf. 1 P 3, 15). En outre, les martyrs célèbrent l' “Évangile de
l'espérance”, car l'offrande de leur vie est la manifestation la plus grande et
la plus radicale de ce sacrifice vivant, saint et accepté par Dieu, qui
constitue le véritable culte spirituel (cf. Rm 12, 1), origine, âme et sommet
de toute célébration chrétienne. Enfin, ils servent l' “Évangile de
l'espérance” parce que, par leur martyre, ils expriment au plus haut degré
l'amour et le service de l'homme, en ce qu'ils démontrent que l'obéissance à la
loi évangélique engendre une vie morale et une convivialité qui honorent et
promeuvent la dignité et la liberté de chaque personne”.
La sainteté de beaucoup
14. La conversion opérée
par l'Évangile a donné comme fruit la sainteté de beaucoup d'hommes et de
femmes de notre temps. Non seulement de ceux qui ont été proclamés
officiellement comme tels par l'Église, mais aussi de ceux qui, avec simplicité
et dans la vie quotidienne, ont donné le témoignage de leur fidélité au Christ.
Comment ne pas penser aux innombrables fils et filles de l'Église qui,
tout au long de l'histoire du continent européen, ont vécu une généreuse et
authentique sainteté dans le secret de la vie familiale, professionnelle et
sociale ? “Tous ensemble, tels des “pierres vivantes” adhérant au Christ, la
“pierre angulaire”, ils ont construit l'Europe comme édifice spirituel et
moral, en laissant à la postérité l'héritage le plus précieux. Le Seigneur Jésus l'avait promis: “Celui qui croit
en moi accomplira les mêmes œuvres que moi. Il en accomplira même de plus
grandes, puisque je pars vers le Père” (Jn 14, 12). Les saints sont la preuve
vivante de l'accomplissement de cette promesse et ils encouragent à croire que
cela est possible, même dans les heures les plus difficiles de l'histoire”.
La paroisse et les mouvements ecclésiaux
15. L'Évangile continue à
porter ses fruits dans les communautés paroissiales, parmi les personnes
consacrées, dans les associations de laïcs, dans les groupes de prière et
d'apostolat, dans diverses communautés de jeunes, comme aussi à travers la
présence et la diffusion de réalités et de mouvements ecclésiaux nouveaux. En
chacun d'eux, en effet, le même Esprit sait susciter un don de soi renouvelé à
l'Évangile, une généreuse disponibilité pour le service, une vie chrétienne
marquée par la radicalité évangélique et par l'élan missionnaire.
Aujourd'hui encore en Europe, dans les pays
anciennement communistes comme en Occident, la paroisse, tout en ayant besoin
d'un renouvellement constant, garde encore et continue d'exercer une mission
indispensable et de grande actualité dans le domaine pastoral et ecclésial.
Elle reste en mesure d'offrir aux fidèles le milieu adapté pour un exercice
réel de la vie chrétienne et d'être le lieu d'une authentique humanisation et
socialisation, que ce soit dans un contexte de dispersion et d'anonymat propre
aux grandes villes modernes, ou dans les zones rurales peu peuplées.
16. En même temps, tandis que j'exprime ma grande estime pour la
présence et l'action des diverses associations et organisations d'apostolat, en
particulier de l'Action catholique, avec les Pères synodaux je voudrais
souligner la contribution propre que peuvent offrir, en communion avec les
autres réalités ecclésiales et jamais de manière isolée, les nouveaux
mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés ecclésiales. En effet, “ils
aident les chrétiens à vivre plus radicalement selon l'Évangile; ils sont le
berceau de diverses vocations et ils engendrent de nouvelles formes de
consécration; ils promeuvent surtout la vocation des laïcs et l'amènent à
s'exprimer dans les divers milieux de vie; ils favorisent la sainteté du peuple;
ils peuvent être une annonce et une exhortation pour ceux qui n'ont pas d'autre
occasion de rencontrer l'Église; bien souvent, ils soutiennent le cheminement
œcuménique et ouvrent les voies au dialogue interreligieux; ils sont un
antidote contre la diffusion des sectes; ils apportent une aide importante à la
diffusion de la vivacité et de la joie dans l'Église”.
Le cheminement œcuménique
17. Nous remercions le Seigneur pour le grand et stimulant signe
d'espérance constitué par les progrès qu'a su réaliser le cheminement
œcuménique à l'enseigne de la vérité, de la charité et de la réconciliation. Il s'agit là de l'un des grands dons de
l'Esprit Saint pour un continent comme l'Europe, qui a donné naissance aux
graves divisions entre les chrétiens du deuxième millénaire et qui souffre
encore beaucoup de leurs conséquences.
Je me
souviens avec émotion de certains moments de grande intensité vécus durant les
travaux synodaux et de la conviction unanime, exprimée également par les
Délégués fraternels, que ce cheminement – malgré les problèmes qui subsistent
encore et ceux, nouveaux, qui naissent peu à peu – ne peut être interrompu,
mais qu'il doit se poursuivre avec une ardeur renouvelée, avec une
détermination plus profonde et avec l'humble disposition de tous au pardon
réciproque. Je fais volontiers miennes certaines expressions des Pères
synodaux, car “le progrès dans le dialogue œcuménique, qui a son fondement le
plus profond dans le Verbe même de Dieu, représente un signe de grande
espérance pour l'Église d'aujourd'hui: la croissance de l'unité entre les
chrétiens est en effet un enrichissement mutuel pour tous”. Il faut “considérer
avec joie les progrès obtenus jusqu'à maintenant dans le dialogue, tant avec
les frères des Églises orthodoxes qu'avec ceux des Communautés ecclésiales
provenant de la Réforme, reconnaissant en eux un signe de l'action de l'Esprit,
pour laquelle nous devons louer et remercier le Seigneur”.
II. Revenir au Christ, source de toute espérance
Confesser notre foi
18. De l'Assemblée synodale
a jailli, lumineuse et puissante, la certitude que l'Église doit offrir à
l'Europe le bien le plus précieux, que personne d'autre ne peut lui donner: la
foi en Jésus Christ, source de l'espérance qui ne déçoit pas. Ce don est à
l'origine de l'unité spirituelle et culturelle des peuples européens et,
aujourd'hui encore comme à l'avenir, il peut constituer une contribution
essentielle à leur développement et à leur intégration. Oui, en ce début
du troisième millénaire, après vingt siècles, l'Église se présente toujours
avec la même annonce, qui constitue son unique trésor: Jésus Christ est le
Seigneur; en Lui et en nul autre est le salut (cf. Ac 4, 12). La source de
l'espérance, pour l'Europe et pour le monde entier, c'est le Christ, et
l'Église est “le chemin par lequel passe et se répand la vague de grâce surgie
du Cœur transpercé du Rédempteur”.
À partir de cette confession de foi jaillit de nos
cœurs et de nos lèvres “une joyeuse [...] confession d'espérance: Toi, Seigneur
ressuscité et vivant, [...] tu es l'unique et vraie espérance de l'homme et de
l'histoire; tu es “parmi nous l'espérance de la gloire” (Col 1, 27), déjà en
cette vie et aussi par-delà la mort. En toi et avec toi, nous pouvons accéder à
la vérité, notre existence a un sens, la communion est possible, la diversité
peut devenir richesse, la puissance du Règne est à l'œuvre dans l'histoire et
aide à l'édification de la cité des hommes, la charité donne une valeur durable
aux efforts de l'humanité, la souffrance peut devenir salvifique, la vie
vaincra la mort, la création participera à la gloire des fils de Dieu”.
Jésus Christ, notre espérance
19. Jésus Christ est notre
espérance parce que Lui, le Verbe éternel qui est éternellement dans le sein du
Père (cf. Jn 1, 18), nous a aimés au point d'assumer notre nature humaine,
excepté le péché, partageant notre vie pour nous sauver. La confession de cette
vérité est au cœur même de notre foi. La perte de la vérité sur Jésus Christ ou
son incompréhension empêchent de pénétrer dans le mystère même de l'amour de
Dieu et de la communion trinitaire.
Jésus Christ est notre espérance parce qu'Il révèle
le mystère de la Trinité. Tel est le centre de la foi chrétienne qui peut
encore offrir, comme elle l'a fait jusqu'à présent, une importante contribution
à la mise en place de structures qui, en s'inspirant des grandes valeurs
évangéliques ou en se mesurant à leur aune, promeuvent la vie, l'histoire et la
culture des différents peuples du continent.
Nombreuses sont les racines qui, par leur sève, ont
conduit à reconnaître la valeur de la personne et de sa dignité inaliénable, le
caractère sacré de la vie humaine et le rôle central de la famille,
l'importance de l'enseignement et de la liberté de pensée, d'expression et de
religion, tout comme elles ont conduit à la protection juridique des individus
et des groupes, à la promotion de la solidarité et du bien commun, à la reconnaissance
de la dignité du travail. Ces racines ont favorisé la sujétion du pouvoir
politique à la loi et au respect du droit des personnes et des peuples. Il
convient de rappeler ici l'esprit de la Grèce antique et de Rome, l'apport des
peuples celtes, germaniques, slaves, finno-ougriens, ainsi que de la culture
juive et du monde de l'islam. Mais il faut reconnaître que, historiquement
parlant, ces inspirations ont trouvé dans la tradition judéo-chrétienne une
force capable de les harmoniser, de les consolider et de les promouvoir. C'est
un fait que l'on ne peut ignorer; au contraire, dans le processus de
construction de la “maison commune européenne”, il faut reconnaître que cet
édifice doit s'appuyer aussi sur les valeurs qui ont trouvé dans la tradition
chrétienne leur pleine manifestation. En prendre acte tourne à l'avantage de
tous.
L'Église “n'a pas qualité pour exprimer une
préférence en faveur de l'une ou l'autre solution institutionnelle ou
constitutionnelle” de l'Europe, et elle veut donc respecter de manière
cohérente la légitime autonomie de l'ordre civil. Mais elle a le devoir de
raviver dans le cœur des chrétiens d'Europe la foi en la Trinité, en sachant
bien qu'une telle foi est un signe avant-coureur d'une authentique espérance
pour le continent. Bien des grands paradigmes de référence mentionnés
ci-dessus, qui sont à la base de la civilisation européenne, ont leurs racines
les plus profondes dans la foi trinitaire. Cette dernière porte en elle une
extraordinaire puissance spirituelle, culturelle et éthique, capable, entre
autres, d'éclairer aussi certaines grandes questions qui se posent aujourd'hui
en Europe, telles que la désagrégation sociale et la perte d'une référence qui
donne un sens à la vie et à l'histoire. Il apparaît donc nécessaire de
renouveler la réflexion théologique, spirituelle et pastorale du mystère
trinitaire.
20. Les Églises
particulières en Europe ne sont pas de simples entités ou organisations
privées. En réalité, elles déploient leur action dans une dimension
institutionnelle spécifique qui mérite d'être mise en valeur sur le plan
juridique, dans le plein respect du bon ordonnancement civil. Réfléchissant sur
elles-mêmes, les communautés chrétiennes doivent se découvrir à nouveau comme
un don par lequel Dieu enrichit les peuples qui vivent sur le continent. Telle
est l'annonce joyeuse qu'elles sont appelées à transmettre à toute personne. En
approfondissant la dimension missionnaire qui leur est propre, elles doivent
attester constamment que Jésus Christ “est l'unique médiateur, porteur de salut
pour l'humanité tout entière: en lui seulement l'humanité, l'histoire et le
cosmos trouvent leur signification définitivement positive et se réalisent en
totalité; il recèle en lui-même, dans son événement et dans sa personne, les
raisons ultimes du salut; il n'est pas seulement un médiateur de salut, il est
aussi la source même de ce salut”.
Dans le contexte actuel du pluralisme éthique et
religieux qui caractérise de plus en plus l'Europe, il est donc nécessaire de
confesser et de proposer à nouveau la vérité sur le Christ, unique Médiateur
entre Dieu et les hommes, et unique Rédempteur du monde. C'est pourquoi – comme
je l'ai fait à la fin de l'Assemblée synodale – avec toute l'Église j'invite
mes frères et sœurs dans la foi à savoir constamment s'ouvrir en toute
confiance au Christ et à se laisser renouveler par lui, annonçant à toute
personne de bonne volonté, avec la force de la paix et de l'amour, que celui
qui rencontre le Seigneur connaît la Vérité, découvre la Vie, trouve la Voie
qui y conduit (cf. Jn 14, 6; Ps 16 [15], 11). Par le style de vie des chrétiens
et par leur témoignage en parole, les habitants de l'Europe pourront découvrir
que le Christ est l'avenir de l'homme. Dans la foi de l'Église, “il n'y a pas
sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés”
(Ac 4, 12).
21. Pour les croyants, Jésus Christ est l'espérance de toute personne
parce qu'il donne la vie éternelle. Il est “le Verbe de vie” (1 Jn 1, 1), venu
dans le monde pour que les hommes “aient la vie et l'aient en surabondance” (Jn
10, 10). Il nous montre ainsi que le
sens véritable de l'existence de l'homme ne reste pas enfermé sur l'horizon
humain, mais qu'il s'ouvre sur l'éternité. Chaque Église particulière en Europe
a la mission de prendre en compte la soif de vérité de toute personne et le
besoin de valeurs authentiques susceptibles d'animer les peuples du continent.
Avec une énergie renouvelée, il lui revient de présenter la nouveauté qui la
fait vivre. Il s'agit de mettre en œuvre une action culturelle et missionnaire
organique qui, par des activités et des argumentations convaincantes, montre
que la nouvelle Europe a besoin de retrouver ses racines profondes. Dans ce
contexte, ceux qui s'inspirent des valeurs évangéliques ont une fonction
essentielle à exercer, qui fait partie du fondement solide sur lequel doit être
édifiée une convivialité plus humaine et plus pacifique, parce qu'elle respecte
tous et chacun.
Il est nécessaire que les Églises particulières en
Europe sachent redonner à l'espérance sa dimension eschatologique originale. La
véritable espérance chrétienne est en effet théologale et eschatologique,
fondée sur le Ressuscité qui viendra de nouveau comme Rédempteur et Juge, et
qui nous appelle à la résurrection et au bonheur éternel.
Jésus Christ vivant dans
l'Église
22. En retournant au Christ, les peuples européens pourront retrouver
l'espérance qui seule offre une plénitude de sens à la vie. Aujourd'hui encore, ils peuvent le rencontrer car
Jésus est présent, il vit et il agit au cœur de son Église: il est dans
l'Église et l'Église est en lui (cf. Jn 15, 1ss; Ga 3, 28; Ep 4, 15-16; Ac 9,
5). En elle, par le don de l'Esprit Saint, il poursuit constamment son
œuvre de salut.
Avec les yeux de la foi, nous devenons capables de
voir la présence mystérieuse de Jésus dans les divers signes qu'il nous a
laissés. Avant tout, il est présent dans la sainte Écriture, qui, en toutes ses
parties, parle de Lui (cf. Lc 24, 27. 44- 47). Cependant, de manière vraiment
unique, il est présent sous les espèces eucharistiques. Cette “présence, on la
nomme “réelle”, non à titre exclusif, comme si les autres présences n'étaient
pas “réelles”, mais par excellence parce qu'elle est substantielle et que par
elle le Christ, Homme-Dieu, se rend présent tout entier”. En effet, dans
l'Eucharistie “sont contenus vraiment, réellement et substantiellement, le
Corps et le Sang conjointement avec l'âme et la divinité de notre Seigneur
Jésus Christ, et, par conséquent, le Christ tout entier”. “L'Eucharistie est vraiment “mysterium fidei”,
mystère qui dépasse notre intelligence et qui ne peut être accueilli que dans
la foi”. Réelle aussi est la présence de Jésus dans les autres actions
liturgiques que l'Église célèbre en son nom. Au nombre de celles-ci, il faut
compter les sacrements, actions du Christ qu'il accomplit par l'intermédiaire
des hommes.
Jésus est aussi présent dans le monde par d'autres
modes tout à fait réels, et spécialement dans ses disciples qui, fidèles au
double commandement de la charité, adorent Dieu en esprit et en vérité (cf. Jn
4, 24) et témoignent par leur vie de l'amour fraternel qui les fait reconnaître
comme disciples du Seigneur (cf. Mt 25, 31-46; Jn 13, 35; 15, 1-17).
CHAPITRE II
L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE CONFIÉ À L'ÉGLISE DU NOUVEAU MILLÉNAIRE
“Réveille-toi,
ranime ce qui te reste de vie défaillante !” (Ap 3, 2)
I. Le Seigneur appelle à la
conversion
Jésus s'adresse aujourd'hui à nos Églises
23. “Ainsi parle celui qui
tient les sept étoiles en sa droite et qui marche au milieu des sept
candélabres d'or [...], le Premier et le Dernier, celui qui fut mort et qui a
repris vie [...], le Fils de Dieu” (Ap 2, 1. 8. 18). C'est Jésus lui-même qui
parle à son Église. Son message s'adresse à toutes les Églises particulières et
concerne leur vie interne, parfois marquée par la présence de conceptions et de
mentalités incompatibles avec la tradition évangélique, souvent en butte à
diverses formes de persécutions et, de façon plus périlleuse encore, menacée
par des symptômes préoccupants de sécularisation, de perte de la foi des
origines, de compromis avec la logique du monde. Il est fréquent que les
communautés aient perdu l'amour d'antan (cf. Ap 2, 4).
On constate que nos communautés ecclésiales sont
affrontées à des faiblesses, à des lassitudes et à des contradictions. Elles
ont besoin, elles aussi, d'écouter à nouveau la voix de l'Époux qui les invite
à la conversion, qui les pousse à se lancer avec audace sur des chemins
nouveaux et qui les appelle à s'engager dans la grande œuvre de la “nouvelle
évangélisation”. L'Église doit constamment se soumettre au jugement de
la parole du Christ et vivre son existence humaine dans un état de purification
pour être toujours plus et toujours mieux l'Épouse sans tache ni ride, revêtue
de lin d'une blancheur éclatante (cf. Ep 5, 27; Ap 19, 7-8).
C'est ainsi que
Jésus Christ appelle nos Églises en Europe à la conversion et elles deviennent
alors, avec leur Seigneur et par la force de sa présence, porteuses d'espérance
pour l'humanité.
L'action de l'Évangile tout au
long de l'histoire
24. L'Europe a été largement et profondément pénétrée par le
christianisme. “Il n'y a pas de
doute que, dans l'histoire complexe de l'Europe, le christianisme représente un
élément central et caractéristique, renforcé par le solide fondement de
l'héritage classique et des contributions multiples apportées par divers
mouvements ethniques et culturels qui se sont succédée au cours des siècles. La
foi chrétienne a façonné la culture du continent et a été mêlée de façon inextricable
à son histoire, au point que celle-ci serait incompréhensible sans référence
aux événements qui ont caractérisé d'abord la grande période de
l'évangélisation, puis les longs siècles au cours desquels le christianisme,
malgré la douloureuse division entre l'Orient et l'Occident, s'est affirmé
comme la religion des Européens eux-mêmes. Dans la période moderne et contemporaine aussi, lorsque l'unité religieuse
s'est progressivement fractionnée tant à cause de nouvelles divisions
intervenues entre les chrétiens qu'en raison des processus qui ont amené la
culture à se détacher des perspectives de la foi, le rôle de cette dernière a
gardé un relief non négligeable”.
25. L'intérêt que l'Église
porte à l'Europe provient de sa nature même et de sa mission. Tout au long des
siècles en effet, l'Église a eu des liens très étroits avec notre continent, si
bien que le visage spirituel de l'Europe s'est trouvé modelé par les efforts de
grands missionnaires, par le témoignage de saints et de martyrs, et par l'action
assidue de moines, de religieux et de pasteurs. À partir de la conception
biblique de l'homme, l'Europe a forgé sa culture humaniste dans ce qu'elle a de
meilleur; elle y a puisé son inspiration pour ses créations intellectuelles et
artistiques; elle a élaboré des normes de droit et, par-dessus tout, elle a
promu la dignité de la personne, source de droits inaliénables. Ainsi l'Église,
dépositaire de l'Évangile, a contribué à répandre et à affermir les valeurs qui
ont donné un caractère universel à la culture européenne.
Se souvenant de tout cela, l'Église d'aujourd'hui se
rend compte, avec une responsabilité renouvelée, qu'il est urgent de ne pas
perdre ce précieux patrimoine et d'aider l'Europe à se construire elle-même en
redonnant vie aux racines chrétiennes de ses origines.
Pour façonner un véritable
visage d'Église
26. Que l'ensemble de
l'Église en Europe entende comme lui étant adressés le commandement et
l'invitation du Seigneur: reviens à moi, convertis-toi, “Réveille-toi, ranime
ce qui te reste de vie défaillante !” (Ap 3, 2). C'est une exigence qui se fait
jour aussi lorsqu'on observe notre temps: “La grave situation d'indifférence
religieuse de tant d'Européens, le grand nombre de ceux qui, sur notre
continent aussi, ne connaissent pas encore Jésus Christ et son Église, et qui
ne sont pas encore baptisés, le sécularisme qui gagne une large frange de
chrétiens qui pensent, décident et vivent de manière habituelle comme si “le
Christ n'existait pas”, tout cela, loin d'éteindre notre espérance, la rend
plus humble et plus capable de se fier à Dieu seul. De sa miséricorde, nous
recevons la grâce et l'engagement de la conversion”.
27. Même si parfois, comme
dans l'épisode évangélique de la tempête apaisée (cf. Mc 4, 35-41; Lc 8,
22-25), on a l'impression que le Christ dort et abandonne sa barque à la fureur
des vagues, il est demandé à l'Église en Europe de cultiver la certitude que le
Seigneur, par le don de son Esprit, est toujours présent et agit toujours en
elle et dans l'histoire de l'humanité. Il prolonge sa mission dans le temps,
faisant de l'Église un fleuve de vie nouvelle qui se répand dans la vie de
l'humanité comme un signe d'espérance pour tous.
Dans un contexte où l'on est facilement tenté par
l'activisme, même sur le plan pastoral, il est demandé aux chrétiens en Europe
de continuer à être un vrai reflet du Ressuscité, en vivant dans une communion
intime avec lui. On a besoin de communautés qui, contemplant et imitant la
Vierge Marie, figure et modèle de l'Église par sa foi et sa sainteté, gardent
le sens de la vie liturgique et de la vie intérieure. Avant tout et
surtout, elles devront louer le Seigneur, le prier, l'adorer et écouter sa
Parole. Ce n'est qu'ainsi qu'elles pourront assimiler son mystère, vivant
totalement pour Lui, comme membres de son Épouse fidèle.
28. Face aux influences permanentes qui poussent à la division et à
l'opposition, les diverses Églises particulières en Europe, fortes de leur lien
avec le Successeur de Pierre, doivent s'engager à être véritablement lieu et instrument
de communion pour tout le peuple de Dieu, dans la foi et dans l'amour. C'est
pourquoi elles cultiveront un climat de charité fraternelle, vécue avec une
radicalité évangélique, au nom de Jésus et de son amour; elles développeront
une ambiance de rapports amicaux, de communication, de coresponsabilité, de
participation, de conscience missionnaire, d'attention et de service; elles
seront animées par des attitudes d'estime, d'accueil et de correction mutuelle
(cf. Rm 12, 10; 15, 7-14), ainsi que de service et de soutien réciproque (cf.
Ga 5, 13; 6, 2), de pardon mutuel (cf. Col 3, 13) et d'édification les uns des
autres (1 Th 5, 11); elles s'emploieront à poursuivre une pastorale qui,
mettant en valeur toutes les légitimes diversités, favorise en même temps une
collaboration cordiale entre tous les fidèles et leurs différentes
associations; elles relanceront pour cela les organismes de participation, qui
sont de précieux instruments de communion en vue d'une action missionnaire
concertée, suscitant la présence d'agents pastoraux préparés de manière
appropriée et dûment qualifiés. Ainsi,
ces Églises, animées par la communion qui est manifestation de l'amour de Dieu,
fondement et raison de l'espérance qui ne déçoit pas (cf. Rm 5, 5), seront à la
fois un reflet plus resplendissant de la Trinité et un signe qui interpelle et
invite à croire (cf. Jn 17, 21).
29. Pour que la communion
dans l'Église puisse être vécue plus pleinement, il convient de mettre en
valeur la variété des charismes et des vocations, qui convergent toujours plus
vers l'unité et qui peuvent l'enrichir (cf. 1 Co 12). Dans cette perspective,
il est également nécessaire, d'une part, que les nouveaux mouvements et les
nouvelles communautés d'Église, “renonçant à toute tentation de revendiquer des
droits d'aînesse et à toute incompréhension des uns à l'égard des autres”,
progressent sur le chemin d'une plus authentique communion entre eux et avec
toutes les autres réalités ecclésiales, et qu'ils “vivent avec amour dans la
pleine obéissance aux Évêques”; d'autre part, il est nécessaire aussi que les
Évêques, “en leur manifestant l'amour paternel qui est le propre des pasteurs”,
sachent reconnaître, mettre en valeur et coordonner leurs charismes et leur
présence, pour l'édification de l'unique Église.
En effet, par une collaboration croissante entre les
différentes réalités ecclésiales sous la conduite aimante des pasteurs,
l'Église entière pourra présenter à tous un visage plus beau et plus crédible,
reflet plus limpide de celui du Seigneur, et elle pourra ainsi contribuer à
redonner espérance et consolation à ceux qui la cherchent comme à ceux qui,
bien qu'ils ne la cherchent pas, en ont besoin.
Afin de pouvoir répondre à l'appel de l'Évangile à la
conversion, “il nous faut faire tous ensemble un humble et courageux examen de
conscience pour reconnaître nos peurs et nos erreurs, pour confesser avec
sincérité nos lenteurs, nos omissions, nos infidélités et nos fautes”. Loin de
favoriser des attitudes défaitistes de découragement, la reconnaissance évangélique
de ses propres fautes ne pourra que susciter dans la communauté l'expérience
que vit le baptisé: la joie d'une profonde libération et la grâce d'un nouveau
départ, ce qui permet de poursuivre avec une vigueur renouvelée le chemin de
l'évangélisation.
Pour progresser vers l'unité des chrétiens
30. Enfin, c'est aussi dans
le domaine œcuménique que l'Évangile de l'espérance est une force et un appel à
la conversion. Dans la certitude que l'unité des chrétiens répond à la volonté
du Seigneur “pour qu'ils soient un” (cf. Jn 17, 11) et qu'elle se présente
aujourd'hui comme une nécessité pour une plus grande crédibilité de
l'évangélisation et comme une contribution à l'unité de l'Europe, il faut que
toutes les Églises et Communautés ecclésiales “soient aidées et encouragées à
interpréter le cheminement œcuménique comme un mouvement où l'on “va ensemble”
vers le Christ” et vers l'unité visible voulue par lui, de telle sorte que
l'unité dans la diversité resplendisse dans l'Église comme don de l'Esprit Saint,
artisan de communion.
Pour que cela se réalise, il convient que tous
fournissent un effort patient et constant, animé d'une authentique espérance et
en même temps d'un sobre réalisme, et visant à “la mise en valeur de ce qui
déjà nous unit, à l'estime sincère et réciproque, à l'élimination des préjugés,
à la connaissance et à l'amour mutuels”. Dans ce sens, le fait de s'engager
pour l'unité, si l'on veut que cet engagement repose sur des bases solides, ne
peut pas ne pas comporter la recherche passionnée de la vérité, par un dialogue
et une confrontation qui, tout en reconnaissant les résultats déjà obtenus,
sachent les utiliser comme une incitation à aller de l'avant pour surmonter les
divergences qui divisent encore les chrétiens.
31. Il est indispensable de
poursuivre le dialogue avec détermination, sans capituler devant les
difficultés et les épreuves. Ce dialogue doit être mené “sous divers aspects
(doctrinal, spirituel et pratique), en suivant la logique de l'échange des
dons, que l'Esprit suscite dans chaque Église, et en éduquant les communautés
et les fidèles, surtout les jeunes, à vivre des moments de rencontres et à
faire de l'œcuménisme bien compris une dimension ordinaire de la vie et de
l'action ecclésiales”.
Ce dialogue est une des préoccupations majeures de
l'Église, surtout en Europe, elle qui, au cours du précédent millénaire, a vu
naître trop de divisions entre les chrétiens et qui progresse aujourd'hui vers
une plus grande unité. Nous ne pouvons pas nous arrêter en chemin ni
retourner en arrière ! Nous devons poursuivre notre marche et vivre dans la
confiance, car, avec la grâce de Dieu, l'estime réciproque, la recherche de la
vérité, la collaboration dans la charité et surtout l'œcuménisme de la sainteté
ne pourront pas ne pas porter leurs fruits.
32. Malgré les inévitables difficultés, j'invite tout le monde à
reconnaître et à apprécier, avec amour et dans un esprit fraternel, la
contribution que les Églises catholiques orientales, par leur présence même,
par la richesse de leur tradition, par le témoignage de leur “unité dans la
diversité”, par l'inculturation qu'elles ont réalisée dans l'annonce de
l'Évangile et par la diversité de leurs rites, peuvent apporter à une édification
plus réelle de l'unité. En même temps, je veux une fois encore assurer les
pasteurs, ainsi que nos frères et sœurs des Églises orthodoxes, que la nouvelle
évangélisation ne peut en aucune manière être confondue avec le prosélytisme,
restant sauf le devoir de respecter la vérité, la liberté et la dignité de toute
personne.
II. L'Église entière envoyée en
mission
33. Servir l'Évangile de l'espérance par une charité qui évangélise
est un devoir et une responsabilité pour tous. Quel que soit en effet le charisme ou le ministère de chacun, la charité
est la voie royale indiquée à tous et que tous peuvent parcourir: c'est la voie
que la communauté ecclésiale tout entière est appelée à suivre sur les pas de
son Maître.
L'engagement des ministres ordonnés
34. Les prêtres, en vertu
de leur ministère, sont appelés de manière spéciale à célébrer, à enseigner et
à servir l'Évangile de l'espérance. En raison du sacrement de l'Ordre qui les
configure au Christ, Chef et Pasteur, les évêques et les prêtres doivent
conformer toute leur vie et toute leur action à Jésus; par la prédication de la
Parole, par la célébration des sacrements et en guidant la marche de la
communauté chrétienne, ils rendent présent le mystère du Christ et, à travers
l'exercice même de leur ministère, ils “sont appelés à prolonger la présence du
Christ, unique et souverain Pasteur, en retrouvant son style de vie et en se
rendant en quelque sorte transparents à lui au milieu du troupeau qui leur est
confié”.
Insérés dans le monde sans être du monde (cf. Jn 17,
15-16), ils sont appelés, dans la situa- tion culturelle et spirituelle
présente du continent européen, à être signes de contradiction et d'espérance
pour une société qui est malade de vivre à un niveau horizontal et qui a besoin
de s'ouvrir au Transcendant.
35. De ce point de vue, le célibat sacerdotal prend un relief
particulier comme signe d'une espérance fondée totalement sur le Seigneur. Le
célibat n'est pas une simple discipline ecclésiastique imposée par l'autorité;
au contraire, il est avant tout une grâce, un don inestimable de Dieu pour l'Église,
valeur prophétique pour le monde actuel, don de soi dans le Christ pour son
Église, source de vie spirituelle intense et de fécondité pastorale, témoignage
du Royaume eschatologique, signe de l'amour de Dieu envers ce monde en même
temps que signe de l'amour sans partage du prêtre envers Dieu et envers son
peuple. Vécu comme réponse au don de Dieu et dépassement des tentations d'une
société hédoniste, non seulement le célibat favorise l'épanouissement humain de
celui qui y est appelé, mais il se révèle un facteur de croissance pour les
autres aussi.
Estimé dans toute
l'Église comme un bien pour le sacerdoce, exigé comme une obligation par
l'Église latine, tenu en grand respect par les Églises orientales, le célibat,
dans le contexte de la culture actuelle, apparaît comme un signe éloquent qui
doit être conservé comme un bien précieux pour l'Église. Une révision de la
discipline actuelle en ce domaine ne permettrait pas de résoudre la crise des
vocations au presbytérat à laquelle on assiste en de nombreuses régions
d'Europe. Le service de l'Évangile de l'espérance requiert aussi que, dans
l'Église, on s'efforce de présenter le célibat dans toute sa richesse biblique,
théologique et spirituelle.
36. Nous ne pouvons ignorer
que l'exercice du ministère sacré est confronté de nos jours à bien des
difficultés liées tant à l'ambiance culturelle qu'à la diminution du nombre de
prêtres, avec l'accroissement des charges pastorales et la fatigue qui en
découlent. En conséquence, les prêtres qui se consacrent avec un dévouement et
une fidélité admirables au ministère qui leur est confié sont encore plus
dignes d'estime, de gratitude et d'affection.
Avec confiance et gratitude, je veux moi aussi leur
exprimer mes encouragements, en reprenant les propos des Pères du Synode: “Ne
perdez pas cœur et ne vous laissez pas accabler par la fatigue; en pleine
communion avec nous, évêques, en fraternité joyeuse avec les autres prêtres, en
cordiale responsabilité avec les consacrés et tous les fidèles laïcs, continuez
votre œuvre précieuse et irremplaçable”!
Outre les prêtres, je désire évoquer aussi les
diacres, qui participent au sacrement de l'Ordre, bien qu'à un degré différent.
Envoyés pour servir la communion ecclésiale, ils exercent, sous la direction de
l'Évêque et avec son presbyterium, la “diaconie” de la liturgie, de la parole
et de la charité. De cette manière qui leur est propre, ils sont au service de
l'Évangile de l'espérance.
Le témoignage des personnes consacrées
37. Le témoignage des
personnes consacrées est particulièrement éloquent. À ce propos, il faut avant
tout reconnaître le rôle fondamental qu'ont eu le monachisme et la vie
consacrée dans l'évangélisation de l'Europe et dans l'édification de son
identité chrétienne. Un tel rôle ne doit pas disparaître de nos jours,
au moment où une “nouvelle évangélisation” du continent se fait urgente et où
l'établissement de structures et de liens plus complexes le met en face d'un
tournant délicat. L'Europe a
toujours besoin de la sainteté, de l'esprit prophétique, de l'activité
d'évangélisation et de service des personnes consacrées. Il convient aussi de
souligner la contribution spécifique que les Instituts séculiers et les
Sociétés de Vie apostolique peuvent apporter grâce à leur aspiration à
transformer le monde, de l'intérieur, par la puissance des béatitudes.
38. L'apport spécifique que
les personnes con- sacrées peuvent fournir à l'Évangile de l'espérance trouve
son point de départ dans quelques aspects qui caractérisent de nos jours le
visage culturel et social de l'Europe. Ainsi, la demande de nouvelles formes de
spiritualité, qui se fait sentir aujourd'hui dans la société, doit trouver une
réponse dans la reconnaissance du primat absolu de Dieu, vécu par les personnes
consacrées dans le don total d'elles-mêmes, dans la conversion permanente d'une
existence offerte comme un vrai culte spirituel. Dans un monde marqué par le
laïcisme et soumis au vertige de la consommation, la vie consacrée, don de
l'Esprit à l'Église et pour l'Église, devient toujours plus signe d'espérance
dans la mesure où elle témoigne de la dimension transcendante de l'existence.
D'autre part, dans la situation pluriculturelle et multireligieuse actuelle, le
témoignage de fraternité évangélique qui caractérise la vie consacrée est
exigé, faisant de cette dernière une incitation à la purification et à
l'intégration de valeurs différentes grâce au dépassement des antagonismes. La
présence de nouvelles formes de pauvreté et de marginalisation doit susciter la
créativité qui fut celle de tant de fondateurs d'Instituts religieux pour venir
en aide à ceux qui sont dans le besoin. Enfin, la tendance à un certain
repliement sur soi demande que l'on trouve un antidote dans la disponibilité
des personnes consacrées, afin que soit poursuivie l'œuvre de l'évangélisation
sur d'autres continents, malgré la diminution du nombre de membres que l'on
constate dans certains Instituts.
Le souci des vocations
39. L'engagement des
ministres ordonnés et des personnes consacrées étant déterminant, on ne peut
passer sous silence le manque inquiétant de séminaristes et de candidats à la
vie religieuse, surtout en Europe occidentale. Une telle situation exige
l'engagement de tous en faveur d'une pastorale appropriée des vocations. C'est
seulement “quand on présente aux jeunes la personne du Christ dans toute sa
plénitude que naît en eux une espérance qui les pousse à tout laisser pour le
suivre, en réponse à son appel, et pour être ses témoins auprès de leurs
contemporains”. Le souci des vocations est donc une question vitale pour
l'avenir de la foi chrétienne en Europe et, par suite, pour le progrès
spirituel des peuples qui y vivent; c'est un passage obligé pour l'Église, si
elle veut annoncer, célébrer et servir l'Évangile de l'espérance.
40. Pour mettre en œuvre l'indispensable pastorale des vocations, il
convient de présenter aux fidèles la foi de l'Église concernant la nature et la
dignité du sacerdoce ministériel; d'encourager les familles à vivre comme de
véritables “Églises domestiques”, afin que les diverses vocations puissent y
être discernées, accueillies et accompagnées; de réaliser une action pastorale
qui aide les fidèles, surtout les jeunes, à faire le choix d'une vie fondée sur
le Christ et totalement consacrée à l'Église.
Sachant que
l'Esprit Saint est à l'œuvre aujourd'hui encore et que les signes de sa
présence ne manquent pas, il s'agit avant tout d'insérer la pastorale des
vocations dans tous les secteurs de la pastorale ordinaire. Pour ce faire, il
est nécessaire de “raviver, surtout chez les jeunes, une profonde nostalgie de
Dieu, créant ainsi le contexte capable de faire surgir de généreuses réponses
de vocations”; “il est urgent qu'un grand mouvement de prière traverse les
communautés ecclésiales du continent européen”, car “le changement des
conditions historiques et culturelles exige que la pastorale des vocations soit
perçue comme un des objectifs premiers de toute la communauté chrétienne”. Il
est indispensable aussi que les prêtres eux-mêmes vivent et agissent en
parfaite harmonie avec leur identité sacramentelle véritable. En effet, si
l'image qu'ils donnent d'eux-mêmes est opaque ou terne, comment pourraient-ils
pousser les jeunes à les imiter ?
La mission des laïcs
41. La participation des fidèles laïcs à la vie de l'Église est
unique: le rôle qui leur revient dans l'annonce et le service de l'Évangile de
l'espérance est en effet irremplaçable, car, “par eux, l'Église du Christ est
présente dans les secteurs les plus variés du monde, comme signe et source
d'espérance et d'amour”. Participant
pleinement à la mission de l'Église dans le monde, ils sont appelés à montrer
que la foi chrétienne est la seule réponse exhaustive aux interrogations que la
vie pose à tout homme et à toute société, et ils peuvent implanter dans le
monde les valeurs du Royaume de Dieu, promesse et gage d'une espérance qui ne
déçoit pas.
L'Europe d'hier et d'aujourd'hui connaît une
présence significative et l'exemple lumineux de telles figures de laïcs. Comme
l'ont souligné les Pères du Synode, il faut évoquer entre autres, avec gratitude,
le souvenir d'hommes et de femmes qui ont témoigné et qui témoignent du Christ
et de son Évangile, par leur service de la vie publique et les responsabilités
que celle-ci comporte. Il est d'une
importance capitale “de susciter et de soutenir des vocations spécifiques au
service du bien commun: des personnes qui, à l'exemple et avec le style de ceux
qui ont été appelés “les pères de l'Europe”, sachent être les artisans de la
société européenne de l'avenir, en l'asseyant sur les bases solides de l'esprit”.
Il faut apprécier tout autant l'œuvre accomplie par
des laïcs chrétiens, hommes et femmes, souvent dans une vie ordinaire et
cachée, à travers d'humbles services qui leur permettent d'annoncer la
miséricorde de Dieu à ceux qui sont plongés dans la pauvreté; nous devons leur
être reconnaissants pour l'audacieux témoignage de charité et de pardon qu'ils
donnent, évangélisant par ces valeurs les vastes horizons de la politique, de
la vie sociale, de l'économie, de la culture, de l'écologie, de la vie internationale,
de la famille, de l'éducation, de la vie professionnelle, du travail et de la
souffrance. À cette fin, il est utile d'avoir des itinéraires pédagogiques qui
rendent les fidèles laïcs capables d'un engagement de foi au sein des réalités
temporelles. De tels parcours, fondés sur un sérieux apprentissage de la vie
ecclésiale, en particulier sur l'étude de la doctrine sociale, doivent être en
mesure de leur apporter non seulement la doctrine et le dynamisme, mais aussi
les éléments spirituels adaptés qui soutiennent leur engagement vécu comme un
authentique chemin de sainteté.
Le rôle de la femme
42. L'Église est bien
consciente de l'apport spécifique de la femme dans le service de l'Évangile de
l'espérance. L'histoire de la communauté chrétienne montre que les femmes ont
toujours eu une place importante dans le témoignage évangélique. Il faut se
souvenir de tout ce qu'elles ont fait, souvent dans le silence et de manière
cachée, dans l'accueil et la transmission du don de Dieu, aussi bien par la maternité
physique ou spirituelle, les activités éducatives, la catéchèse,
l'accomplissement de grandes œuvres de charité, que par la vie de prière et de
contemplation, les expériences mystiques et la rédaction d'écrits remplis de
sagesse évangélique.
À la lumière des très riches témoignages du passé,
l'Église manifeste sa confiance dans ce que les femmes peuvent faire
aujourd'hui pour la croissance de l'espérance à tous les niveaux. Il y a des
aspects de la société européenne contemporaine qui constituent un défi pour la
capacité qu'ont les femmes d'accueillir, de partager et d'engendrer dans
l'amour, avec ténacité et générosité. Que l'on pense, par exemple, à la
mentalité scientifique et technique largement répandue, qui relègue dans
l'ombre la dimension affective et le rôle des sentiments, à l'absence du sens
de la gratuité, à la crainte diffuse de donner la vie à des êtres nouveaux, à
la difficulté de se placer dans une relation de réciprocité avec l'autre et
d'accueillir celui qui est différent de soi. C'est dans ce contexte que
l'Église attend des femmes l'apport vivifiant d'une nouvelle vague d'espérance.
43. Mais pour que cela puisse se vérifier, il est nécessaire que,
avant tout dans l'Église, soit promue la dignité de la femme, car l'homme et la
femme ont la même dignité, ayant été créés tous deux à l'image et à la
ressemblance de Dieu (cf. Gn 1, 27), et comblés chacun de dons propres et
particuliers.
Comme cela a été
souligné durant le Synode, il est souhaitable que, pour favoriser la pleine
participation des femmes à la vie et à la mission de l'Église, leurs talents
soient davantage mis en valeur, y compris par l'attribution de fonctions
ecclésiales qui reviennent de droit aux laïcs. Il faut aussi mettre
convenablement en valeur la mission de la femme comme épouse et mère, et son
dévouement dans la vie familiale.
L'Église ne manque pas d'élever la voix pour
dénoncer les injustices et les violences perpétrées contre les femmes, en
quelque lieu ou circonstance qu'elles se produisent. Elle demande que soient
véritablement appliquées les lois qui protègent les femmes et que soient prises
des mesures efficaces contre l'usage humiliant d'images féminines dans la
publicité commerciale et contre le fléau de la prostitution; elle souhaite que
le service rendu par les mères dans le cadre de la vie familiale, au même titre
que le service rendu par les pères, soit considéré comme une contribution au
bien commun, y compris à travers des formes de reconnaissance économique.
CHAPITRE III
ANNONCER L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE
“Va prendre le petit livre ouvert [...] et
mange-le” (Ap 10, 8. 9)
I. Proclamer le mystère du
Christ
La révélation donne un sens à
l'histoire
44. La vision de l'Apocalypse nous parle d'“un Livre en forme de
rouleau, écrit à l'intérieur et à l'extérieur, scellé de sept sceaux”, tenu “dans
la main droite de Celui qui siège sur le Trône céleste” (Ap 5, 1). Ce texte
contient le plan créateur et sauveur de Dieu, son projet détaillé sur toute la
réalité, sur les personnes, sur les choses, sur les événements. Aucun être créé, terrestre ou céleste, n'est en
mesure d'“ouvrir le livre et d'en regarder le texte” (Ap 5, 3), ni d'en
comprendre le contenu. Dans la confusion de l'histoire humaine, nul ne
sait indiquer la direction et le sens ultime des choses.
Seul Jésus Christ
entre en possession du Livre scellé (cf. Ap 5, 6-7); Lui seul est “digne de
recevoir le Livre scellé et de l'ouvrir” (Ap 5, 9). En effet, seul Jésus est en mesure de révéler et
de réaliser le projet de Dieu qu'il contient. Laissé à lui-même, l'homme n'est
pas en mesure de donner, par ses propres efforts, un sens à l'histoire et aux
événements: la vie demeure sans espérance. Seul le Fils de Dieu est en mesure
de dissiper les ténèbres et de montrer la route.
Le Livre ouvert est remis à Jean et, à travers lui, à
l'Église entière. Jean est invité à prendre le livre et à le manger: “Va
prendre le petit livre ouvert dans la main de l'ange qui se tient debout sur la
mer et sur la terre [...]. Prends et mange-le” (Ap 10, 8-9). Ce n'est qu'après
l'avoir assimilé en profondeur, qu'il pourra le communiquer comme il convient
aux autres, à qui il est envoyé avec l'ordre de “parler sur un grand nombre de
peuples, de nations, de langues et de rois” (Ap 10, 11).
Nécessité et urgence de l'annonce
45. L'Évangile de
l'espérance, remis à l'Église et assimilé par elle, demande que, chaque jour,
on l'annonce et on en témoigne. Telle est la vocation propre de l'Église
en tout temps et en tout lieu. Telle est aussi la mission de l'Église
aujourd'hui en Europe. “Évangéliser est, en effet, la grâce et la vocation
propre de l'Église, son identité la plus profonde. Elle existe pour
évangéliser, c'est-à-dire pour prêcher et enseigner, être le canal du don de la
grâce, réconcilier les pécheurs avec Dieu, perpétuer le sacrifice du Christ
dans la sainte messe, qui est le mémorial de sa mort et de sa résurrection
glorieuse”.
Église en Europe,
la “nouvelle évangélisation” est le devoir qui t'attend! Sache retrouver
l'enthousiasme de l'annonce. Entends la prière qui t'est adressée aujourd'hui,
en ce début du troisième millénaire, et qui avait déjà résonné à l'aube du
premier millénaire, alors qu'apparaissait à Paul la vision d'un Macédonien qui
le suppliait: “Traverse la mer pour venir en Macédoine à notre secours !” (Ac
16, 9). Que la prière soit inexprimée ou même refoulée, c'est l'appel le plus
profond et le plus vrai qui jaillit du cœur des Européens d'aujourd'hui,
assoiffés d'une espérance qui ne déçoit pas. Cette espérance t'a été donnée en partage pour que tu la redonnes toi-même
avec joie à toute époque et sous toutes les latitudes. Que l'annonce de Jésus,
qui est l'Évangile de l'espérance, soit donc ta fierté et ta raison d'être !
Avance avec une ardeur renouvelée, gardant le même esprit missionnaire qui,
tout au long de ces vingt siècles, en commençant par la prédication des Apôtres
Pierre et Paul, a animé tant de saints et de saintes, authentiques
évangélisateurs du continent européen.
Première annonce et annonce renouvelée
46. Dans différentes
parties de l'Europe, une première annonce de l'Évangile est nécessaire: le
nombre des personnes non baptisées grandit, soit en raison de la présence
notable de personnes immigrées appartenant à d'autres religions, soit encore
parce que les enfants de familles de tradition chrétienne n'ont pas reçu le
Baptême ou à cause de la domination communiste ou d'une indifférence religieuse
diffuse. En réalité, l'Europe se situe désormais parmi les lieux
traditionnellement chrétiens dans lesquels, hormis une nouvelle évangélisation,
s'impose dans certains cas une première évangélisation.
L'Église
ne peut se soustraire au devoir d'un diagnostic courageux qui ouvre la voie à
des thérapies appropriées. Même dans le “vieux” continent, il y a des aires
sociales et culturelles étendues où est rendue nécessaire une véritable mission
ad gentes.
47. Partout se fait sentir
le besoin d'une annonce renouvelée, même pour ceux qui sont déjà baptisés.
Beaucoup d'Européens d'aujourd'hui pensent savoir ce qu'est le christianisme
mais ils ne le connaissent pas réellement. Souvent même, les notions et les
éléments les plus fondamentaux de la foi ne sont plus connus. De nombreux
baptisés vivent comme si le Christ n'existait pas: on répète les gestes et les
signes de la foi, spécialement à travers les pratiques du culte, mais, à ces
signes, ne correspondent ni un véritable accueil du contenu de la foi, ni une
adhésion à la personne de Jésus. Aux grandes certitudes de la foi s'est
substitué chez beaucoup un sentiment religieux vague et qui n'engage guère; des
formes variées d'agnosticisme et d'athéisme pratique se diffusent, contribuant
à aggraver l'écart entre la foi et la vie; certains se sont laissés influencer
par un esprit d'humanisme immanentiste qui a affaibli leur foi, les poussant
souvent, malheureusement, jusqu'à l'abandonner complètement; on assiste à une
sorte d'interprétation sécularisante de la foi chrétienne qui la ronge et à
laquelle s'ajoute une profonde crise de la conscience et de la pratique morale
chrétienne. Les grandes valeurs qui ont amplement inspiré la culture européenne
ont été séparées de l'Évangile, perdant ainsi leur âme la plus profonde et
laissant le champ libre à de nombreuses déviations.
“Le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il
la foi sur terre ?” (Lc 18, 8). La trouvera-t-il sur cette terre de notre
Europe de vieille tradition chrétienne ? C'est une question ouverte qui indique
avec lucidité la profondeur et le caractère dramatique de l'un des défis les
plus graves que nos Églises sont appelées à affronter. On peut dire – comme le
Synode l'a souligné – qu'un tel défi consiste souvent non pas tant à baptiser
les nouveaux convertis qu'à conduire les baptisés à se convertir au Christ et à
son Évangile: dans nos communautés, il faut se préoccuper sérieusement
d'apporter l'Évangile de l'espérance à ceux qui sont loin de la foi ou qui se
sont éloignés de la pratique chrétienne.
Fidélité à l'unique message
48. Pour pouvoir annoncer
l'Évangile de l'espérance, une solide fidélité à l'Évangile lui-même est
nécessaire. La prédication de l'Église doit donc, sous toutes ses
formes, être toujours plus centrée sur la personne de Jésus et elle doit
toujours plus orienter vers lui. Il faut veiller à ce qu'Il soit présenté dans
son intégralité: non seulement comme modèle éthique, mais avant tout comme le
Fils de Dieu, l'unique et nécessaire Sauveur de tous, qui vit et qui agit dans
son Église. Pour que l'espérance soit vraie et indestructible, “la prédication
intègre, claire et renouvelée de Jésus Christ ressuscité, de la Résurrection et
de la Vie éternelle” devra constituer une priorité dans l'action pastorale des
prochaines années.
Si l'Évangile à
annoncer est le même en tout temps, les manières de réaliser cette annonce sont
diverses. Chacun est donc invité à “proclamer” Jésus et la foi en lui en toute
circonstance; à “attirer” les autres à la foi, en adoptant des modes de vie
personnelle, familiale, professionnelle et communautaire qui reflètent
l'Évangile; à “rayonner” autour de soi la joie, l'amour et l'espérance, en
sorte que beaucoup voient nos bonnes œuvres et en glorifient le Père qui est
aux cieux (cf. Mt 5, 16), jusqu'à en être “imprégnés” et conquis; à devenir le “levain”
qui transforme et qui anime de l'intérieur toute expression culturelle.
Par le témoignage de la vie
49. L'Europe réclame des
évangélisateurs crédibles, dans la vie desquels resplendisse la beauté de
l'Évangile, en communion avec la croix et la résurrection du Christ. Ces
évangélisateurs seront formés comme il convient. Aujourd'hui, il est plus que
jamais nécessaire que tout chrétien ait une conscience missionnaire, à
commencer par les évêques, les prêtres, les diacres, les consacrés, les
catéchistes et les professeurs de religion: “Tout baptisé, en tant que témoin
du Christ, doit acquérir une formation appropriée à sa situation, non seulement
pour éviter que sa foi ne s'épuise par manque de vigilance dans un milieu
hostile comme l'est le milieu sécularisé, mais aussi pour soutenir son
témoignage évangélisateur et lui donner un nouvel élan”.
“L'homme contemporain écoute plus volontiers les
témoins que les maîtres ou, s'il écoute les maîtres, c'est parce qu'ils sont
des témoins”. La présence et les signes de la sainteté sont donc décisifs: la
sainteté est un présupposé essentiel à une authentique évangélisation, capable
de redonner l'espérance. Il faut des témoignages forts de vie nouvelle
dans le Christ, sur le plan personnel et communautaire. Il ne suffit pas en
effet que la vérité et la grâce soient offertes à travers la proclamation de la
Parole et la célébration des Sacrements; il faut qu'elles soient accueillies et
vécues en toute circonstance concrète, dans la façon d'être des chrétiens et
des communautés ecclésiales. C'est là un des défis les plus importants qui
attendent l'Église en Europe au début du nouveau millénaire.
Former à une foi adulte
50. “L'actuelle situation culturelle et religieuse de l'Europe exige
la présence de catholiques adultes dans la foi et de communautés chrétiennes
missionnaires qui témoignent de la charité de Dieu devant tous les hommes”. L'annonce de l'Évangile de l'espérance
implique donc d'avoir à promouvoir le passage d'une foi qui s'appuie sur des
habitudes sociales, pourtant appréciables, à une foi plus personnelle et
adulte, éclairée et convaincue.
Les chrétiens sont donc appelés à avoir une foi qui
leur permette de se confronter de manière critique à la culture actuelle,
résistant à ses séductions; d'influer avec efficacité sur les milieux
culturels, économiques, sociaux et politiques; de manifester que la communion
entre les membres de l'Église catholique et avec les autres chrétiens est plus
forte que tout lien ethnique; de transmettre avec joie la foi aux nouvelles
générations; d'édifier une culture chrétienne capable d'évangéliser la culture
toujours plus vaste dans laquelle nous vivons.
51. En plus de veiller à ce
que le ministère de la Parole, la célébration de la liturgie et l'exercice de
la charité soient orientés vers l'édification et le soutien d'une foi mûre et
personnelle, il faut que les communautés chrétiennes s'activent pour proposer
une catéchèse adaptée aux différents itinéraires spirituels des fidèles, selon
la diversité de leur âge et de leurs conditions de vie, prévoyant également des
formes appropriées d'accompagnement spirituel et de redécouverte de leur
Baptême. Dans ce programme, la référence fondamentale sera évidemment le
Catéchisme de l'Église catholique.
En particulier, reconnaissant qu'il s'agit là d'une
indiscutable priorité dans l'action pastorale, il faut cultiver et, si
nécessaire, relancer le ministère de la catéchèse en tant qu'éducation et
croissance de la foi chez toute personne, de sorte que la semence, déposée par
l'Esprit Saint et transmise par le Baptême, pousse et parvienne à maturité. En
référence constante à la Parole de Dieu, conservée dans la Sainte Écriture,
proclamée dans la liturgie et interprétée par la Tradition de l'Église, une
catéchèse organique et systématique constitue, sans nul doute, un instrument
essentiel et primordial pour former une foi adulte chez les chrétiens.
52. Dans la même ligne, il faut également souligner
le rôle important de la théologie. Il existe en effet un lien intrinsèque et
inséparable entre l'évangélisation et la réflexion théologique, car cette
dernière, en tant que science ayant un statut et une méthodologie propres, vit
de la foi de l'Église et est au service de sa mission. Elle naît de la foi et
elle est appelée à l'interpréter, en gardant son lien imprescriptible avec la
communauté chrétienne dans toutes ses composantes; au service de la croissance
spirituelle de tous les fidèles, elle introduit ces derniers à la compréhension
approfondie du message du Christ.
En exerçant sa mission d'annoncer l'Évangile de
l'espérance, l'Église qui est en Europe apprécie avec gratitude la vocation des
théologiens, elle reconnaît la valeur de leur travail et elle en assure la
promotion. Avec estime et affection, je les invite à persévérer dans le service
qu'ils accomplissent, en unissant toujours recherche scientifique et prière, en
entretenant un dialogue attentif avec la culture contemporaine, en adhérant
fidèlement au Magistère et en collaborant avec lui en esprit de communion, dans
la vérité et dans la charité, en s'imprégnant du sensus fidei du peuple de Dieu
et en contribuant à le nourrir.
II. Témoigner dans l'unité et dans le dialogue
La communion entre les Églises particulières
53. L'annonce de l'Évangile
de l'espérance aura une force d'autant plus efficace qu'elle sera liée au
témoignage d'une unité et d'une communion profondes au sein de l'Église. Les
Églises particulières ne peuvent pas affronter seules le défi qui les attend.
Il faut une authentique collaboration entre toutes les Églises particulières du
continent, qui soit l'expression de leur communion profonde; collaboration
d'ailleurs requise par la nouvelle réalité européenne. Dans ce cadre prend place l'apport des organismes
ecclésiaux européens, à commencer par le Conseil des Conférences épiscopales
d'Europe. C'est un instrument efficace pour rechercher ensemble des
voies appropriées pour évangéliser l'Europe. Par l' “échange des dons” entre
les différentes Églises particulières, sont mises en commun les expériences et
les réflexions de l'Europe de l'Ouest et de l'Est, du Nord et du Sud, et sont
partagées des orientations pastorales communes; ainsi se manifeste de manière
toujours plus significative le sentiment collégial qui unit les évêques du
continent, pour annoncer ensemble, avec audace et fidélité, le nom de Jésus
Christ, seule source d'espérance pour tous en Europe.
Avec tous les chrétiens
54. Dans le même temps, apparaît comme un impératif imprescriptible le
devoir d'une collaboration œcuménique fraternelle et convaincue.
Le sort de
l'évangélisation est étroitement lié au témoignage d'unité que sauront donner
tous les disciples du Christ: “Tous les chrétiens sont appelés à accomplir
cette mission selon leur vocation. La tâche de l'évangélisation implique
d'avancer l'un vers l'autre et d'avancer ensemble, en partant de l'intérieur;
évangélisation et unité, évangélisation et œcuménisme sont étroitement liés
entre eux”. C'est pourquoi je fais miennes de nouveau les paroles écrites par
Paul VI au Patriarche œcuménique Athenagoras Ier: “Puisse l'Esprit Saint nous
guider dans la voie de la réconciliation, afin que l'union de nos Églises
devienne un signe toujours plus lumineux d'espérance et de réconfort au sein de
l'humanité entière”.
En dialogue avec les autres
religions
55. Comme pour tout l'engagement de la “nouvelle évangélisation”, il
faut également, en ce qui concerne l'annonce de l'Évangile de l'espérance, que
soit instauré un dialogue interreligieux profond et intelligent, en particulier
avec le judaïsme et avec l'islam. “Entendu comme méthode et comme moyen en vue
d'une connaissance et d'un enrichissement réciproques, il ne s'oppose pas à la
mission ad gentes, au contraire il lui est spécialement lié et il en est une
expression”. Dans ce dialogue, il
n'est pas question de se laisser prendre par une “mentalité marquée par
l'indifférentisme, malheureusement très répandue parmi les chrétiens, souvent
fondée sur des conceptions théologiques inexactes et imprégnées d'un
relativisme religieux qui porte à considérer que “toutes les religions se
valent”“.
56. Il s'agit plutôt de
prendre une plus vive conscience du rapport qui lie l'Église au peuple juif et
du rôle singulier d'Israël dans l'histoire du salut. Comme il était déjà apparu
lors de la première Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques et
comme l'a rappelé également le dernier Synode, il faut reconnaître les racines
communes qui existent entre le christianisme et le peuple juif, appelé par Dieu
à une alliance qui reste irrévocable (cf. Rm 11, 29), puisqu'elle est parvenue
à sa plénitude définitive dans le Christ.
Il est donc nécessaire de favoriser le dialogue avec
le judaïsme, sachant qu'il est d'une importance fondamentale pour la conscience
chrétienne de soi et pour le dépassement des divisions entre les Églises, et
aussi d'œuvrer pour que fleurisse un nouveau printemps dans les relations
mutuelles. Cela implique que chaque communauté ecclésiale ait à pratiquer,
chaque fois que les circonstances le permettront, le dialogue et la
collaboration avec les croyants de la religion juive. Un tel exercice suppose,
entre autres, que “l'on se souvienne de la part que les fils de l'Église ont pu
avoir dans la naissance et dans la diffusion d'une telle attitude antisémite au
cours de l'histoire, et que l'on en demande pardon à Dieu, favorisant de toutes
les manières possibles les rencontres de réconciliation et d'amitié avec les
fils d'Israël”. On devra par ailleurs, dans ce contexte, se souvenir aussi des
nombreux chrétiens qui, parfois au prix de leur vie, ont aidé et sauvé leurs “frères
aînés”, surtout dans des périodes de persécution.
57. Il s'agit également de
se laisser inciter à une meilleure connaissance des autres religions, pour
pouvoir instaurer un dialogue fraternel avec les personnes de l'Europe
d'aujourd'hui qui y adhèrent. En particulier, il est important d'avoir
un juste rapport avec l'islam. Comme cela s'est révélé plusieurs fois ces dernières
années à la conscience des évêques européens, ce rapport “doit être conduit
avec prudence, il faut en connaître clairement les possibilités et les limites,
et garder confiance dans le dessein de salut de Dieu, qui concerne tous ses
fils”. Il faut être conscient, entre
autres, de la divergence notable entre la culture européenne, qui a de
profondes racines chrétiennes, et la pensée musulmane.
À cet égard, il est nécessaire de préparer
convenablement les chrétiens qui vivent au contact quotidien des musulmans à
connaître l'islam de manière objective et à savoir s'y confronter; une telle
préparation doit concerner en particulier les séminaristes, les prêtres et tous
les agents pastoraux. On comprend par ailleurs que l'Église, alors qu'elle
demande aux Institutions européennes d'avoir à promouvoir la liberté religieuse
en Europe, se fasse également un devoir de rappeler que la réciprocité dans la
garantie de la liberté religieuse doit être observée aussi dans les pays de
tradition religieuse différente, où les chrétiens sont en minorité.
Dans ce domaine, on comprend “l'étonnement et le
sentiment de frustration des chrétiens qui accueillent, par exemple en Europe,
des croyants d'autres religions en leur donnant la possibilité d'exercer leur
culte et qui se voient interdire tout exercice du culte chrétien dans les pays
où ces croyants majoritaires” ont fait de leur religion la seule qui soit
autorisée et encouragée. La personne humaine a droit à la liberté religieuse
et, en tout point du monde, tous “doivent être exempts de toute contrainte de
la part soit d'individus, soit de groupes sociaux, et de quelque pouvoir humain
que ce soit”.
III. Évangéliser la vie sociale
Évangélisation de la culture et inculturation de l'Évangile
58. L'annonce de Jésus
Christ doit rejoindre aussi la culture européenne contemporaine.
L'évangélisation de la culture doit montrer qu'aujourd'hui encore, dans cette
Europe, il est possible de vivre en plénitude l'Évangile comme chemin qui donne
sens à l'existence. Dans cette perspective, la pastorale doit assumer la tâche
de façonner une mentalité chrétienne dans la vie ordinaire: en famille, à
l'école, dans les communications sociales, dans le monde de la culture, du
travail et de l'économie, dans la politique, dans les loisirs, dans le temps de
la santé et celui de la maladie. Il faut se confronter de manière critique et
sereine à l'actuelle situation culturelle de l'Europe, évaluant les tendances
qui se manifestent, les faits et les situations d'importance de notre temps à
la lumière du caractère central du Christ et de l'anthropologie chrétienne.
Aujourd'hui encore, en se souvenant de la fécondité
culturelle du christianisme tout au long de l'histoire de l'Europe, il faut
présenter l'approche évangélique, théorique et pratique, de la réalité et de
l'homme. Considérant, en outre, la grande importance des sciences et des
réalisations technologiques dans la culture et dans la société de l'Europe,
l'Église est appelée, à travers ses moyens d'approfondissement théorique et
d'initiative pratique, à offrir des propositions en regard des connaissances
scientifiques et de leurs applications, montrant les insuffisances et le
caractère inadéquat d'une conception inspirée du scientisme qui ne reconnaît
comme valeur objective que le savoir expérimental, et indiquant les critères
éthiques que l'homme possède parce qu'ils sont inscrits dans sa nature.
59. Sur le chemin de
l'évangélisation de la culture prend place l'important service accompli par les
écoles catholiques. Il faudra travailler à faire reconnaître une effective
liberté d'éducation et la parité juridique entre les écoles publiques et les
écoles privées. Ces dernières sont parfois l'unique moyen de proposer la
tradition chrétienne à ceux qui en sont loin. J'exhorte les fidèles engagés dans
le monde de l'éducation à persévérer dans leur mission, en portant la lumière
du Christ Sauveur dans leurs propres activités éducatives, scientifiques et
académiques. En particulier, il faut donner toute son importance à la
contribution des chrétiens engagés dans la recherche et dans l'enseignement au
sein des universités: par le “service de la pensée”, ils transmettent aux
jeunes générations les valeurs d'un patrimoine culturel enrichi par deux
millénaires d'expérience humaniste et chrétienne. Convaincu de l'importance des
institutions académiques, je demande aussi que soit promue dans les différentes
Églises particulières une pastorale universitaire adaptée, favorisant ainsi ce
qui correspond aux nécessités culturelles actuelles.
60. On ne peut oublier l'apport positif de la mise en valeur des biens
culturels de l'Église. Ils peuvent en effet représenter un facteur particulier
pour susciter à nouveau un humanisme d'inspiration chrétienne. Grâce à une
conservation appropriée et à une utilisation intelligente des biens culturels,
ceux-ci, en tant que témoignage vivant de la foi professée au long des siècles,
peuvent constituer un instrument valable pour la nouvelle évangélisation et
pour la catéchèse, et inviter à redécouvrir le sens du mystère.
En même temps, il faut promouvoir de nouvelles
expressions artistiques de la foi, au moyen d'un dialogue constant avec les
spécialistes de l'art. L'Église a en effet besoin de l'art, de la littérature,
de la musique, de la peinture, de la sculpture et de l'architecture, parce
qu'elle doit “rendre perceptible et même, autant que possible, fascinant le
monde de l'esprit, de l'invisible, de Dieu” et que la beauté artistique, comme
reflet de l'Esprit de Dieu, est une marque du mystère, une invitation à
rechercher le visage de Dieu, qui s'est rendu visible en Jésus de Nazareth.
L'éducation des jeunes à la foi
61. Par ailleurs,
j'encourage l'Église en Europe à porter une attention croissante à l'éducation
des jeunes à la foi. Fixant notre regard vers l'avenir, nous ne pouvons
pas ne pas tourner nos pensées vers eux: nous devons nous faire proches de
l'esprit, du cœur, du caractère des jeunes, pour leur offrir une solide
formation humaine et chrétienne.
Chaque fois que se rassemblent de nombreux jeunes,
il n'est pas difficile de distinguer chez eux la présence d'attitudes
diversifiées. On constate leur désir de vivre ensemble pour sortir de
l'isolement, leur soif plus ou moins consciente d'absolu; on découvre chez eux
une foi cachée qui demande à être purifiée et qui veut suivre le Seigneur; on
perçoit la décision de poursuivre le chemin déjà entrepris et l'exigence de
partager la foi.
62. À cette fin, il
convient de renouveler la pastorale des jeunes, organisée par tranches d'âge et
attentive aux diverses conditions des enfants, des adolescents et des jeunes.
Il sera en outre nécessaire de lui conférer une plus grande structure organique
et une plus grande cohérence, avec une écoute patiente des demandes des jeunes,
pour les rendre acteurs de l'évangélisation et de la construction de la
société.
Dans cet esprit, il est important de promouvoir des
occasions de rencontres entre jeunes, de manière à favoriser un climat d'écoute
mutuelle et de prière. Il ne faut pas avoir peur d'être exigeant avec eux en ce
qui concerne leur croissance spirituelle. On leur montrera la route de la
sainteté, les invitant à faire des choix fermes à la suite du Christ, ce à quoi
ils seront encouragés par une vie sacramentelle intense. Ils pourront ainsi
résister aux séductions d'une culture qui souvent ne leur propose que des
valeurs éphémères ou même contraires à l'Évangile, et devenir eux-mêmes
capables de faire preuve d'une mentalité chrétienne dans tous les domaines de
leur existence, y compris les divertissements et les loisirs.
J'ai encore vivement présent devant les yeux les
joyeux visages de tant de jeunes, véritable espérance de l'Église et du monde,
signe éloquent de l'Esprit qui ne se lasse pas de susciter des énergies
nouvelles. Je les ai rencontrés aussi bien au cours de mes voyages dans les différents
pays que lors des inoubliables Journées mondiales de la Jeunesse.
L'attention aux médias
63. Étant donné
l'importance des moyens de communication sociale, l'Église en Europe ne peut
pas ne pas réserver une attention particulière au monde multiforme des médias.
Cela implique entre autres la formation appropriée des chrétiens qui œuvrent
dans les médias et des usagers des médias, en vue d'une bonne maîtrise des
nouveaux langages. Un soin spécial sera apporté au choix de personnes préparées
pour la communication du message à travers les médias. Il sera très utile aussi
de procéder à un échange d'informations et de stratégies entre les Églises sur
les divers aspects et les initiatives concernant une telle communication. Il ne
faudra pas non plus négliger la création de moyens locaux de communication
sociale, y compris au niveau paroissial.
En même temps, il s'agit d'assurer une présence dans
les processus de la communication sociale, pour la rendre plus respectueuse de
la vérité de l'information et de la dignité de la personne humaine. À ce
propos, j'invite les catholiques à participer à l'élaboration d'un code de
déontologie pour ceux qui travaillent dans les milieux de la communication
sociale, en se laissant éclairer par les critères que les organismes compétents
du Saint-Siège ont récemment indiqués et que les Évêques réunis en Synode
avaient énumérés ainsi: “Respect de la dignité de la personne humaine, de ses
droits, y compris le droit à la vie privée; service de la vérité, de la justice
et des valeurs humaines, culturelles et spirituelles; estime des différentes
cultures pour éviter qu'elles ne se fondent dans la masse; protection des
minorités et des plus faibles; recherche du bien commun, au-delà des intérêts
particuliers et de la prédominance des critères purement économiques”.
La mission ad gentes
64. Une annonce de Jésus
Christ et de son Évangile qui se limiterait au seul contexte européen serait le
signe d'un manque préoccupant d'espérance. L'œuvre d'évangélisation est animée
par une véritable espérance chrétienne quand elle s'ouvre aux horizons
universels, qui incitent à offrir gratuitement à tous ce qu'on a soi-même reçu
en don. La mission ad gentes devient ainsi expression d'une Église modelée par
l'Évangile de l'espérance, qui continuellement se renouvelle et se rajeunit.
Telle a été au long des siècles la conscience de l'Église en Europe:
d'innombrables générations de missionnaires, hommes et femmes, allant à la
rencontre d'autres peuples et d'autres civilisations, ont annoncé l'Évangile de
Jésus Christ aux populations du monde entier.
La même ardeur missionnaire doit animer l'Église dans
l'Europe d'aujourd'hui. La diminution du nombre de prêtres et de personnes
consacrées dans certains pays ne doit empêcher aucune Église particulière de
faire siennes les exigences de l'Église universelle. Chacune saura favoriser la
préparation à la mission ad gentes, de manière à répondre généreusement à
l'appel qui provient encore de beaucoup de nations et de peuples désireux de
connaître l'Évangile. Les Églises d'autres continents, particulièrement de
l'Asie et de l'Afrique, se tournent encore vers les Églises d'Europe et
attendent qu'elles continuent à répondre à leur vocation missionnaire. Les
chrétiens en Europe ne peuvent être infidèles à leur histoire.
L'Évangile: un livre pour l'Europe d'aujourd'hui et de toujours
65. En franchissant la
Porte sainte, au début du grand Jubilé de l'An 2000, j'ai présenté à l'Église
et au monde le livre de l'Évangile. Ce geste, accompli par chaque évêque dans
les diverses cathédrales du monde, indique l'engagement qui attend aujourd'hui
et toujours l'Église dans notre continent.
Église en Europe, entre dans le nouveau millénaire
avec le Livre de l'Évangile ! Que soit entendue par chaque fidèle l'exhortation
conciliaire “à acquérir, par une fréquente lecture des divines Écritures, “la
science éminente de Jésus Christ” (Ph 3, 8). “L'ignorance des Écritures
est, en effet, l'ignorance du Christ”“. Que la sainte Bible continue d'être un
trésor pour l'Église et pour tout chrétien: nous trouverons dans l'étude
attentive de la Parole la nourriture et la force pour accomplir chaque jour
notre mission.
Prenons ce Livre dans nos mains! Recevons-le de la
part du Seigneur qui nous l'offre continuellement à travers son Église (cf. Ap
10, 8). Mangeons-le (cf. Ap 10, 9), pour qu'il devienne la vie de notre vie.
Goûtons-le à fond: il nous réservera des difficultés, mais il nous donnera
aussi la joie car il est doux comme le miel (cf. Ap 10, 9-10). Nous serons
comblés d'espérance et capables de communiquer cette espérance à tout homme et
à toute femme que nous rencontrons sur notre route.
CHAPITRE IV
CÉLÉBRER L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE
“À Celui
qui siège sur le trône, et à l'Agneau, bénédiction, honneur, gloire et
domination, dans les siècles des siècles !” (Ap 5, 13)
Une communauté priante
66. L'Évangile de
l'espérance, annonce de la vérité qui libère (cf Jn, 8, 32), doit être célébré.
Devant l'Agneau de l'Apocalypse commence une liturgie solennelle de louange et
d'adoration: “À Celui qui siège sur le trône, et à l'Agneau, bénédiction,
honneur, gloire et domination, dans les siècles des siècles !” (Ap 5, 13). La
même vision, qui révèle Dieu et le sens de l'histoire, se produit “le jour du
Seigneur” (Ap 1, 10), le jour de la résurrection revécu par l'assemblée
dominicale.
L'Église qui accueille cette révélation est
une communauté qui prie. En priant, elle écoute son Seigneur et ce que l'Esprit
lui dit: elle adore, elle loue, elle rend grâce, et enfin elle invoque la venue
du Seigneur, “Viens, Seigneur Jésus !” (cf. Ap 22, 16-20), affirmant ainsi
qu'elle attend le salut de Lui seul.
À toi aussi, Église de Dieu qui vis en Europe, il
est demandé d'être une communauté qui prie, célébrant ton Seigneur par les
Sacrements, par la liturgie et par toute ta vie. Dans la prière, tu
redécouvriras la présence vivifiante du Seigneur. Ainsi, enracinant en lui
chacune de tes actions, tu pourras proposer de nouveau aux Européens la
rencontre avec lui-même, véritable espérance qui seule peut satisfaire pleinement
le désir ardent de Dieu, lui qui est caché sous les diverses formes de
recherche religieuse qui se font jour dans l'Europe contemporaine.
I. Redécouvrir la liturgie
Le sens religieux dans l'Europe d'aujourd'hui
67. Malgré les vastes zones
de déchristianisation dans le continent européen, un certain nombre de signes
permettent d'esquisser le visage d'une Église qui, en croyant, annonce, célèbre
et sert son Seigneur. En effet, il ne manque pas d'exemples de chrétiens
authentiques qui vivent des moments de silence contemplatif, qui participent
fidèlement aux propositions spirituelles qui leurs sont faites, qui vivent
l'Évangile dans leur existence quotidienne et qui en témoignent dans les divers
milieux où ils sont engagés. On peut aussi discerner des manifestations d'une “sainteté
populaire”, qui attestent que même dans l'Europe actuelle il n'est pas
impossible de vivre l'Évangile, aussi bien à un niveau personnel que dans une
authentique expérience communautaire.
68. Parallèlement à de
nombreux exemples de foi authentique, il existe aussi en Europe une religiosité
vague et parfois déviante. Ses indices revêtent souvent un caractère
général et superficiel, quand ils ne sont pas carrément en contradiction les
uns avec les autres chez les personnes mêmes dont ils proviennent. Ce sont des phénomènes manifestes de fuite
dans le spiritualisme, de syncrétisme religieux et ésotérique, de recherche à
tout prix de “l'extraordinaire”, qui peuvent conduire à des choix déviants,
telle la participation à des sectes dangereuses ou à des expériences
pseudo-religieuses.
Le désir diffus d'une nourriture spirituelle
doit être accueilli avec compréhension et purifié. À l'homme qui, même confusément, prend conscience
qu'il ne peut vivre seulement de pain, il est nécessaire que l'Église puisse
témoigner de manière convaincante de la réponse que Jésus fit au tentateur: “Ce
n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre, mais de toute parole qui
sort de la bouche de Dieu” (Mt 4,4).
Une Église qui célèbre
69. Dans le contexte de la
société actuelle, souvent fermée à la transcendance, étouffée par des
comportements consuméristes, propice aux formes anciennes et nouvelles
d'idolâtrie, et en même temps assoiffée de quelque chose qui aille au-delà de
l'immédiat, la mission qui attend l'Église en Europe est tout à la fois
exigeante et exaltante. Elle consiste à redécouvrir le sens du “mystère”; à
renouveler les célébrations liturgiques afin qu'elles soient des signes
toujours plus éloquents de la présence du Christ Seigneur; à assurer de
nouveaux espaces au silence, à la prière et à la contemplation; à revenir aux
Sacrements, surtout l'Eucharistie et la Pénitence, car ils sont source de
liberté et de nouvelle espérance.
C'est pourquoi, à toi, Église qui vis en Europe,
j'adresse un appel pressant: Sois une Église qui prie, qui loue Dieu, qui en
reconnaît la primauté absolue et qui l'exalte avec une foi joyeuse. Redécouvre
le sens du mystère: vis-le avec une humble gratitude; témoignes-en avec une
joie convaincue et contagieuse. Célèbre le Salut du Christ: accueille-le comme
un don qui fait de toi son sacrement; fais de ta vie le vrai culte spirituel
qui plaît à Dieu (cf. Rm 12, 1).
Le sens du mystère
70. Certains symptômes révèlent un affaiblissement du sens du mystère
dans les célébrations liturgiques elles-mêmes, qui devraient au con- traire y
introduire. Il est donc urgent que
dans l'Église soit ravivé le sens authentique de la liturgie. Celle-ci,
comme l'ont rappelé les Pères synodaux, est un instrument de sanctification;
elle est une célébration de la foi de l'Église; elle est un moyen de
transmission de la foi. Avec l'Écriture sainte et les enseignements des Pères
de l'Église, elle est source vivante d'une authentique et solide spiritualité.
Comme le souligne bien aussi la tradition des vénérables Églises d'Orient, par
la liturgie, les fidèles entrent en communion avec la Sainte Trinité, faisant
l'expérience de leur participation à la nature divine, en tant que don de la
grâce. La liturgie devient ainsi
anticipation de la béatitude finale et participation à la gloire céleste.
71. Dans les célébrations,
il faut redonner à Jésus la place centrale, afin de nous laisser éclairer et
guider par lui. Nous pouvons trouver là l'une des réponses les plus claires que
nos communautés sont appelées à donner à une religiosité vague et
inconsistante. La liturgie de l'Église n'a pas pour but d'apaiser les désirs et
les peurs de l'homme, mais d'écouter et d'accueillir Jésus le Vivant, qui
honore et loue son Père, afin que nous puissions le louer et l'honorer avec
lui. Les célébrations ecclésiales proclament que notre espérance nous vient de
Dieu, par Jésus notre Seigneur.
Il
s'agit de vivre la liturgie comme œuvre de la Trinité. C'est le Père qui agit
pour nous dans les mystères célébrés; c'est lui qui nous parle, qui nous
pardonne, qui nous écoute et qui nous donne son Esprit; c'est vers lui que nous
nous tournons, lui que nous écoutons, que nous louons et que nous invoquons. C'est
Jésus qui agit pour notre sanctification, nous rendant participants de son
mystère. C'est l'Esprit Saint qui opère avec sa grâce et fait de nous le Corps
du Christ, l'Église.
La liturgie doit être vécue comme annonce et
anticipation de la gloire future, terme ultime de notre espérance. Comme
l'enseigne en effet le Concile:
“Dans la liturgie terrestre nous participons, en y
goûtant par avance, à cette liturgie céleste qui est célébrée dans la sainte
cité de Jérusalem vers laquelle nous tendons dans notre pèlerinage [...],
jusqu'à ce que [le Christ], qui est notre vie, se manifeste et que nous soyons
manifestés nous-mêmes avec lui dans la gloire”.
Formation liturgique
72. Si, après le Concile
œcuménique Vatican II, une partie du chemin a été accomplie pour vivre le sens
authentique de la liturgie, il reste encore beaucoup à faire. Il faut un
renouveau régulier et une formation constante de tous, ministres ordonnés,
personnes consacrées et laïcs.
Le véritable renouveau, loin de provenir d'actes
arbitraires, consiste à développer toujours mieux la conscience du sens du
mystère, de façon à faire des liturgies des moments de communion avec le grand
et saint mystère de la Trinité. En célébrant les actions sacrées comme relation
à Dieu et accueil de ses dons, expressions d'une authentique vie spirituelle,
l'Église en Europe pourra vraiment nourrir son espérance et l'offrir à ceux qui
l'ont perdue.
73. À cette fin, un grand effort de formation est nécessaire. Destinée
à favoriser la compréhension du sens véritable des célébrations de l'Église,
elle requiert, en plus d'une formation appropriée sur les rites, une
spiritualité authentique et une éducation qui permette de la vivre en
plénitude. On doit donc promouvoir plus intensément une véritable “mystagogie
liturgique”, avec la participation active de tous les fidèles, chacun selon ses
attributions, aux actions sacrées, en particulier à l'Eucharistie.
II. Célébrer les Sacrements
74. Une place toute particulière doit être réservée à la célébration
des Sacrements, en tant qu'actions du Christ et de l'Église ordonnées au culte
à rendre à Dieu, à la sanctification des hommes et à l'édification de la
communauté ecclésiale. Conscients qu'en eux c'est le Christ lui-même qui agit
par l'action du Saint-Esprit, nous devons célébrer les sacrements avec le plus
grand soin, en en créant les conditions favorables. Les Églises particulières
du continent auront à cœur d'intensifier leur pastorale sacramentelle pour en
faire reconnaître la profonde vérité. Les Pères synodaux ont mis en lumière
cette exigence pour répondre à deux dangers: d'une part, certains milieux
ecclésiaux semblent avoir perdu le sens authentique du sacrement et
risqueraient donc de banaliser les mystères célébrés; d'autre part, de nombreux
baptisés, attachés aux usages et aux traditions, continuent à recourir aux
sacrements aux moments significatifs de leur existence, sans pour autant vivre
conformément aux indications de l'Église.
L'Eucharistie
75. L'Eucharistie, don suprême du Christ à l'Église, rend
mystérieusement présent le sacrifice du Christ pour notre salut: “La très
sainte Eucharistie contient en effet l'ensemble des biens spirituels de
l'Église, à savoir le Christ lui-même, notre Pâque”. C'est en elle, “source et
sommet de toute la vie chrétienne”, que l'Église puise au long de son
pèlerinage, y trouvant la source de toute espérance. En effet, l'Eucharistie “donne
une impulsion à notre marche dans l'histoire, faisant naître un germe de vive
espérance dans le dévouement quotidien de chacun à ses propres tâches”.
Nous sommes tous invités à confesser la foi dans
l'Eucharistie, “gage de la gloire future”, dans la certitude que la communion
avec le Christ, que nous vivons actuellement comme pèlerins dans notre
existence mortelle, anticipe la rencontre suprême le jour où “nous serons
semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est” (1 Jn 3, 2).
L'Eucharistie est un “avant-goût de l'éternité dans le temps”; elle est
présence divine et communion à cette présence; mémorial de la Pâque du Christ,
elle est par nature dispensatrice de la grâce dans l'histoire humaine. Elle
ouvre à l'avenir de Dieu; étant communion avec le Christ, en son corps et son
sang, elle est participation à la vie éternelle de Dieu.
La Réconciliation
76. Avec l'Eucharistie, le sacrement de la Réconciliation doit aussi
jouer un rôle fondamental pour retrouver l'espérance: “L'expérience personnelle
du pardon de Dieu pour chacun de nous est en effet le fondement essentiel de
toute espérance pour notre avenir”. L'une des racines de la résignation qui assaille tant de personnes
aujourd'hui doit être cherchée dans l'incapacité de se reconnaître pécheur et
de se laisser pardonner, incapacité souvent due à la solitude de ceux qui,
vivant comme si Dieu n'existait pas, n'ont personne à qui demander pardon. En
revanche, celui qui se reconnaît pécheur et qui se confie à la miséricorde du
Père céleste fait l'expérience de la joie d'une vraie libération et il peut
avancer dans l'existence sans se replier sur sa propre misère. Il reçoit ainsi
la grâce d'un nouveau départ et il retrouve des raisons d'espérer.
C'est pourquoi il est nécessaire que dans
l'Église en Europe le sacrement de la Réconciliation soit ravivé. Il faut
cependant redire que la forme du sacrement est la confession personnelle des
péchés, suivie de l'absolution individuelle. Cette rencontre entre le pénitent et le prêtre doit être favorisée, quelles
que soient les formes prévues du rite du Sacrement. Face à la perte largement
répandue du sens du péché et à l'affirmation d'une mentalité marquée par le
relativisme et le subjectivisme dans le domaine moral, il est nécessaire que,
dans toute communauté ecclésiale, on pourvoie à une sérieuse formation des
consciences. Les Pères du Synode ont insisté pour que l'on reconnaisse
clairement la vérité du péché personnel et la nécessité du pardon personnel de
Dieu à travers le ministère du prêtre.
Les absolutions collectives ne sont pas une modalité
laissée à la libre appréciation dans l'administration du sacrement de la
Réconciliation.
77. Je m'adresse aux
prêtres, les exhortant à être généreusement disponibles pour écouter les
confessions et à être eux-mêmes des exemples en s'approchant avec régularité du
sacrement de la Pénitence. Je les invite à mettre soigneusement à jour leurs
connaissances dans le domaine de la théologie morale, de manière à pouvoir
affronter avec compétence les problèmes apparus récemment dans le domaine de la
morale personnelle et sociale. Puissent-ils porter aussi une particulière
attention aux conditions concrètes de vie dans lesquelles se trouvent les
fidèles et savoir les conduire patiemment à reconnaître les exigences de la loi
morale chrétienne, les aidant à vivre le sacrement comme une joyeuse rencontre
avec la miséricorde du Père céleste !
Prière et vie
78. En plus de la
célébration eucharistique, il convient de promouvoir aussi les autres formes de
prières communautaires, aidant à redécouvrir le lien qui existe entre ces
dernières et la prière liturgique. En particulier, tout en maintenant vivante
la tradition de l'Église latine, on doit développer les diverses expressions du
culte eucharistique en dehors de la Messe: adoration personnelle, exposition et
procession, qui sont à comprendre comme des expressions de la foi en la
permanence de la présence réelle du Seigneur dans le Sacrement de l'autel. À
propos de la célébration personnelle ou communautaire de la Liturgie des
Heures, dont le Concile a aussi rappelé la grande valeur pour les fidèles
laïcs, on s'attachera à faire voir le lien qui la relie au mystère
eucharistique. Les familles seront encouragées à réserver un temps pour la
prière en commun, de façon à interpréter à la lumière de l'Évangile toute leur
vie conjugale et familiale. Ainsi, à partir de là et dans l'écoute de la Parole
de Dieu, se développera cette liturgie domestique qui accompagnera tous les
moments de la vie familiale.
Toute forme de prière communautaire présuppose la
prière individuelle. Entre la personne et Dieu naît ce colloque en vérité qui
s'exprime dans la louange, dans l'action de grâce, dans la supplication
adressée au Père, par Jésus Christ et dans l'Esprit Saint. Jamais ne sera
délaissée la prière personnelle, qui est comme la respiration du chrétien. À
tous aussi, on apprendra à redécouvrir le lien entre cette dernière et la
prière liturgique.
79. On réservera aussi une
attention particulière à la piété populaire. Largement présente en diverses
régions d'Europe grâce aux confréries, aux pèlerinages et aux processions
auprès de nombreux sanctuaires, elle enrichit le cours de l'année liturgique, inspirant
coutumes et usages familiaux et sociaux. Toutes ces formes doivent être
considérées avec attention, moyennant une pastorale de promotion et de
renouveau, qui les aide à développer ce qui est expression authentique de la
sagesse du peuple de Dieu. Tel est assurément le saint Rosaire. En cette année
qui lui est consacrée, il m'est cher d'en recommander de nouveau la récitation,
car, “s'il est redécouvert dans sa pleine signification, le Rosaire conduit au
cœur même de la vie chrétienne et offre une occasion spirituelle et pédagogique
ordinaire mais féconde pour la contemplation personnelle, la formation du
peuple de Dieu et la nouvelle évangélisation”.
En matière de piété populaire, il faut veiller
constamment aux aspects ambigus de certaines manifestations, les préservant des
dérives séculières, du consumérisme irréfléchi ou encore des risques de
superstition, afin de les maintenir dans le cadre de formes assurées et
authentiques. On fera œuvre d'éducation, expliquant que la piété populaire doit
toujours être vécue en harmonie avec la liturgie de l'Église et en relation
avec les Sacrements.
80. Il ne faut pas oublier
que le “culte spirituel capable de plaire à Dieu” (cf. Rm 12, 1) se réalise
avant tout dans l'existence quotidienne, vécue dans la charité à travers le don
de soi libre et généreux, même dans les moments d'apparente impuissance. Ainsi,
la vie est animée par une espérance indéfectible parce qu'elle s'appuie
uniquement sur la certitude de la puissance de Dieu et de la victoire du Christ:
c'est une vie remplie des consolations de Dieu, par lesquelles nous sommes
appelés à consoler à notre tour ceux que nous rencontrons sur notre route (cf.
2 Co 1, 4).
Le jour du Seigneur
81. Le jour du Seigneur est le moment par excellence et hautement évocateur
en ce qui concerne la célébration de l'Évangile de l'espérance.
Dans le contexte actuel, les circonstances rendent
précaire pour les chrétiens la possibilité de vivre pleinement le dimanche
comme jour de la rencontre avec le Seigneur. Il n'est pas rare qu'il se réduise
à n'être qu'une “fin de semaine”, un simple temps d'évasion. C'est pourquoi il
faut une action pastorale organique au niveau éducatif, spirituel et social,
qui aide à en vivre le sens véritable.
82. Je renouvelle donc
l'appel à redécouvrir le sens profond du jour du Seigneur: qu'il soit sanctifié
par la participation à l'Eucharistie et par un repos rempli de joie chrétienne
et de fraternité. Qu'il soit célébré comme le centre de tout le culte, comme
l'annonce incessante de la vie sans fin, qui ranime l'espérance et redonne
courage sur le chemin. Ne craignons pas alors de le défendre contre toute
attaque et de tout mettre en œuvre pour que, dans l'organisation du travail, il
soit sauvegardé, de manière à être un jour pour l'homme, au bénéfice de la
société entière. En effet, si le dimanche était privé de sa signification
originelle et s'il devenait impossible en ce jour de réserver un temps
convenable à la prière, au repos, à la communion et à la joie, il pourrait
arriver “que l'homme reste enfermé dans un horizon si réduit qu'il ne peut plus
voir le ciel; alors, même revêtu d'un habit de fête, il devient profondément
incapable de faire la fête”. Et sans la dimension de la fête, l'espérance ne
trouverait pas de maison où habiter.
CHAPITRE V
SERVIR L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE
“Je connais ta conduite, ton amour, ta foi, ton sens
du service, ta persévérance” (Ap 2, 19)
Le chemin de l'amour
83. La Parole que l'Esprit
adresse aux Églises contient un jugement sur leur vie. Elle concerne les
actes et les comportements: “Je connais ta conduite” est l'introduction qui,
tel un refrain et avec peu de variantes, apparaît dans les lettres écrites aux
sept Églises. Quand les œuvres
s'avèrent positives, elles sont le fruit du labeur, de la persévérance, de
l'acceptation des épreuves, des tribulations, de la pauvreté, de la fidélité
dans la persécution, de la charité, de la foi, du service. En ce sens,
elles peuvent être lues comme la description d'une Église qui non seulement
annonce et célèbre le salut venant du Seigneur, mais qui en “vit” réellement.
Pour servir l'Évangile de l'espérance, l'Église
qui est en Europe est elle aussi appelée à suivre la route de l'amour. C'est
une route qui passe par la charité évangélisatrice, l'engagement multiforme
dans le service, la détermination dans une générosité sans trêve ni frontière.
I. Le service de la charité
Dans la communion et dans la
solidarité
84. Pour toute personne, l'amour reçu et donné constitue l'expérience
originaire dans laquelle naît l'espérance. “L'homme ne peut vivre sans amour.
Il demeure pour lui-même un être incompréhensible, sa vie est privée de sens
s'il ne reçoit pas la révélation de l'amour, s'il ne rencontre pas l'amour,
s'il n'en fait pas l'expérience et s'il ne le fait pas sien, s'il n'y participe
pas fortement”.
Le défi pour
l'Église dans l'Europe d'aujourd'hui consiste donc à aider l'homme contemporain
à faire l'expérience de l'amour de Dieu le Père et du Christ dans l'Esprit
Saint, à travers le témoignage de l'amour, qui en lui-même possède une force
évangélisatrice intrinsèque.
En définitive,”l'Évangile”,
joyeuse annonce faite à tout homme, consiste en ceci: Dieu nous a aimés le
premier (cf. Jn 4, 10.19); Jésus nous a aimés jusqu'au bout (cf. Jn 13, 1).
Grâce au don de l'Esprit, l'amour de Dieu est offert aux croyants, les rendant
participants de sa capacité d'aimer: il saisit le cœur de tout disciple et de
l'Église entière (cf. 2 Co 5, 14). Précisément parce qu'il est donné par Dieu,
l'amour devient commandement pour l'homme (cf. Jn 13, 34).
Vivre dans
l'amour devient ainsi une joyeuse nouvelle pour tout homme, rendant visible
l'amour de Dieu qui n'abandonne personne. En fin de compte, cela signifie donner à l'homme égaré de véritables
raisons pour continuer à espérer.
85. C'est la vocation de
l'Église, comme “signe tangible, bien que toujours inadéquat, de l'amour vécu,
de faire que les hommes et les femmes rencontrent l'amour de Dieu et du Christ
qui vient à leur recherche”. “Signe et instrument de l'union intime avec Dieu
et de l'unité de tout le genre humain”, l'Église en témoigne lorsque les
personnes, les familles et les communautés vivent intensément l'Évangile de la
charité. En d'autres termes, nos communautés ecclésiales sont appelées à être
de véritables lieux privilégiés d'entraînement à la communion.
De par
sa nature même, le témoignage de la charité est appelé à s'étendre au-delà des
limites de la communauté ecclésiale, pour atteindre toute personne, de sorte
que l'amour pour tous les hommes devienne incitation à une authentique
solidarité pour l'ensemble de la vie sociale. Quand l'Église sert la charité,
elle fait en même temps croître la “culture de la solidarité”, contribuant
ainsi à redonner vie aux valeurs universelles de la convivialité humaine.
Dans
cette perspective, il convient de redécouvrir le sens authentique du bénévolat
chrétien. Naissant de la foi et étant continuellement nourri par elle, il doit
conjuguer les compétences professionnelles et l'amour authentique, poussant
ceux qui s'y livrent à “élever leurs sentiments de simple philanthropie à la
hauteur de la charité du Christ; à reconquérir chaque jour, dans le labeur et
la fatigue, la conscience de la dignité de tout homme; à aller à la découverte
des besoins des personnes en ouvrant, s'il le faut, de nouvelles voies là où le
besoin se fait le plus urgent, et là où l'attention et le soutien sont les plus
déficients”.
II. Servir l'homme dans la société
Redonner espérance aux pauvres
86. À toute l'Église il est
demandé de redonner espérance aux pauvres. Les accueillir et les servir
signifie pour elle accueillir et servir le Christ (cf. Mt 25, 40). L'amour
préférentiel pour les pauvres est une dimension nécessaire de l'être chrétien
et du service de l'Évangile. Aimer les personnes et leur témoigner qu'elles
sont particulièrement aimées de Dieu veut dire reconnaître qu'elles ont une
valeur en elles-mêmes, quelles que soient les conditions économiques,
culturelles et sociales dans lesquelles elles vivent, les aidant à développer
leurs potentialités.
87. Il faut par ailleurs se
laisser interpeller par le phénomène du chômage, qui, dans beaucoup de pays
d'Europe, constitue un grave fléau social. À cela s'ajoutent aussi les
problèmes liés à l'accroissement des flux migratoires. Il est demandé à
l'Église de rappeler que le travail est un bien que toute la société doit
prendre en charge.
Présentant à nouveau les critères éthiques qui
doivent guider le marché et l'économie, dans un respect scrupuleux de la place
centrale que l'homme y occupe, l'Église ne peut négliger la recherche du
dialogue avec les personnes engagées dans le domaine politique et syndical, et
dans le monde de l'entreprise. Le dialogue doit tendre à l'édification d'une
Europe entendue comme communauté de peuples et de personnes, communauté
solidaire dans l'espérance, non soumise exclusivement aux lois du marché, mais
fermement préoccupée de sauvegarder la dignité de l'homme même dans ses
rapports économiques et sociaux.
88. Qu'une attention
particulière soit aussi portée à la pastorale des malades. Considérant que la
maladie est une situation qui suscite des questions essentielles sur le sens de
la vie, “dans une société de la prospérité et de l'efficacité, dans une culture
caractérisée par l'idolâtrie du corps, par le refus de la souffrance et de la
douleur, et par le mythe de la jeunesse éternelle”, l'attention envers les
malades doit être considérée comme une priorité. À cette fin, il faut
promouvoir, d'une part, une présence pastorale appropriée dans les différents lieux
de la souffrance, par exemple à travers l'engagement d'aumôniers d'hôpitaux, de
membres d'associations de bénévolat, d'institutions sanitaires liées à
l'Église, et, d'autre part, un soutien aux familles des malades. De plus, il
est nécessaire d'être proche du personnel médical et paramédical, avec des
moyens pastoraux adaptés, pour le soutenir dans son exigeante vocation au
service des malades. En effet, dans leur activité professionnelle, les
personnes qui travaillent dans le monde de la santé rendent chaque jour un
noble service à la vie. Il leur est demandé d'offrir aussi aux patients le
soutien spirituel particulier qui suppose la chaleur d'un contact humain
authentique.
89. Enfin, on ne saurait oublier qu'il est parfois fait un usage indu
des biens de la terre. Manquant en effet à la mission de cultiver et de garder
la terre avec sagesse et amour (cf Gn 2, 15), l'homme a, dans de nombreuses
régions, dévasté plaines et forêts, pollué les eaux, rendu l'air irrespirable,
bouleversé les systèmes hydrogéologiques et atmosphériques, et provoqué la
désertification de vastes zones.
Même
dans ce cas, servir l'Évangile de l'espérance veut dire s'engager de manière
nouvelle pour un usage correct des biens de la terre, développant l'attention
qui, en plus de sauvegarder des habitats naturels, défend la qualité de vie des
personnes, afin de préparer pour les générations futures un monde plus conforme
au projet du Créateur.
La vérité sur le mariage et la famille
90. L'Église en Europe,
dans toutes ses composantes, doit proposer à nouveau, avec fidélité, la vérité sur
le mariage et la famille. C'est une nécessité qu'elle ressent intensément en
elle-même, car elle sait qu'elle est qualifiée pour accomplir cette tâche, en
vertu de la mission évangélisatrice que lui a confiée son Époux et Seigneur, et
que cette tâche s'impose aujourd'hui de nouveau avec une insistance inégalée.
De nombreux facteurs culturels, sociaux et politiques contribuent en effet à
provoquer une crise, toujours plus évidente, de la famille. Ils
compromettent, dans certaines mesures, la vérité et la dignité de la personne
humaine, et ils remettent en cause, en la dénaturant, l'idée même de famille.
La valeur de l'indissolubilité du mariage est de plus en plus méconnue; on
revendique des formes de reconnaissance légale des unions de fait, les mettant
sur le même plan que les mariages légitimes; on observe même des tentatives
visant à faire accepter des modèles de couples où la différence sexuelle ne
serait plus essentielle.
Dans ce contexte,
il est demandé à l'Église d'annoncer avec une vigueur renouvelée ce que dit
l'Évangile sur le mariage et la famille, pour en saisir la signification et la
valeur dans le dessein salvifique de Dieu. Il est en particulier nécessaire de réaffirmer que ces institutions sont
des réalités qui proviennent de la volonté de Dieu. Il faut redécouvrir la
vérité de la famille, en tant que communauté intime de vie et d'amour, ouverte
à la génération de nouvelles vies; et aussi sa dignité “d'Église domestique” et
sa participation à la mission de l'Église et à la vie de la société.
91. Selon les Pères du
Synode, il faut reconnaître que de nombreuses familles, dans le quotidien d'une
existence vécue dans l'amour, sont des témoins visibles de la présence de Jésus
qui les accompagne et qui les soutient par le don de son Esprit. Pour affermir
leur marche, on devra approfondir la théologie et la spiritualité du mariage et
de la famille; proclamer avec fermeté et intégrité, et montrer au moyen
d'exemples efficaces la vérité et la beauté de la famille fondée sur le mariage
entendu comme union stable et féconde d'un homme et d'une femme; promouvoir
dans toute communauté ecclésiale une pastorale familiale organique et adaptée.
En même temps, il sera nécessaire d'offrir, avec une sollicitude maternelle de
la part de l'Église, une aide à ceux qui se trouvent dans des situations
difficiles, par exemple les mères célibataires, les personnes séparées, les
divorcés, les enfants abandonnés. Dans tous les cas, il conviendra d'encourager,
d'accompagner et de soutenir une juste participation des familles, seules ou
associées, dans l'Église et dans la société, et de veiller à ce que les États
et l'Union européenne elle-même mettent en place des politiques familiales
authentiques et adaptées.
92. Une attention
particulière doit être réservée à l'éducation des jeunes et des fiancés à
l'amour, grâce à des parcours spécifiques de préparation à la célébration du
sacrement de Mariage, qui les aident à arriver jusqu'à ce jour en vivant dans
la chasteté. Dans son œuvre éducative, l'Église se montrera prévenante,
accompagnant également les jeunes époux après la célébration de leur mariage.
93. Enfin, l'Église est
aussi appelée à rencontrer, avec une bonté maternelle, tous ceux qui sont dans
des situations matrimoniales qui peuvent facilement faire perdre l'espérance.
En particulier, “face aux nombreuses familles disloquées, l'Église se sent
appelée, non pas à exprimer un jugement sévère et distant, mais plutôt à
introduire dans les plaies de tant de drames humains la lumière de la Parole de
Dieu, accompagnée du témoignage de sa miséricorde. Tel est l'esprit avec lequel
la pastorale familiale cherche à prendre en charge également les situations des
croyants qui sont divorcés et se sont remariés civilement. Ils ne sont pas
exclus de la communauté: ils sont même invités à participer à sa vie, en
accomplissant un chemin de croissance dans la ligne des exigences évangéliques.
Sans leur taire la vérité du désordre moral objectif dans lequel ils se
trouvent et des conséquences qui en découlent quant à la pratique
sacramentelle, l'Église entend leur montrer toute sa proximité maternelle”.
94. S'il est nécessaire,
pour servir l'Évangile de l'espérance, d'apporter une attention particulière et
prioritaire à la famille, il est tout aussi vrai que les familles elles-mêmes
ont une tâche irremplaçable à accomplir à l'égard de ce même Évangile de
l'espérance. C'est pourquoi, en toute confiance et affection, je
renouvelle mon invitation à toutes les familles chrétiennes qui vivent en
Europe: “Familles, devenez ce que vous êtes !” Vous êtes une représentation
vivante de l'amour de Dieu: Vous avez la “mission de garder, de révéler et de
communiquer l'amour, reflet vivant et participation réelle de l'amour de Dieu
pour l'humanité et de l'amour du Christ Seigneur pour l'Église son Épouse”.
Vous êtes le “sanctuaire
de la vie [...]: le lieu où la vie, don de Dieu, peut être convenablement
accueillie et protégée contre les nombreuses attaques auxquelles elle est
exposée, le lieu où elle peut se développer suivant les exigences d'une
croissance humaine authentique”.
Vous êtes le fondement de la société, en tant que
lieu premier de l'“humanisation” de la personne et du “vivre ensemble”, modèle
pour l'instauration de rapports sociaux vécus dans l'amour et la solidarité.
Soyez vous-mêmes des témoins crédibles de
l'Évangile de l'espérance ! Car vous êtes “Gaudium et spes”.
Servir l'Évangile de la vie
95. Le vieillissement et la
diminution de la population auxquels on assiste dans divers pays d'Europe ne
peuvent pas ne pas être des motifs de préoccupation; en effet, la chute des
naissances est le symptôme d'un rapport perturbé avec l'avenir; c'est une
manifestation évidente d'un manque d'espérance, c'est le signe de la “culture
de mort” qui traverse la société contemporaine.
Avec la
chute de la natalité, il faut rappeler d'autres signes qui concourent à
provoquer l'éclipse de la valeur de la vie et à déchaîner une sorte de
conjuration contre elle. Parmi eux, il faut tout d'abord mentionner avec
tristesse la diffusion de l'avortement, même en utilisant des préparations
chimiques et pharmaceutiques qui le rendent possible sans devoir recourir à un
médecin, et en le soustrayant ainsi à toute forme de responsabilité sociale;
cela est favorisé par la présence, dans les législations de nombreux États du
continent, de lois permettant un geste qui demeure un “crime abominable” et qui
constitue toujours un grave désordre moral. On ne peut pas oublier non plus les
attentats perpétrés à travers les interventions “sur les embryons humains qui,
bien que poursuivant des buts en soi légitimes, en comportent inévitablement le
meurtre”, ou bien l'utilisation détournée des techniques de diagnostic
prénatal, qui sont mises non pas au service de thérapies précoces, parfois
envisageables, mais “d'une mentalité eugénique qui accepte l'avortement
sélectif”.
Il faut aussi mentionner la tendance, que l'on
observe dans certaines parties de l'Europe, à penser qu'il pourrait être permis
de mettre fin sciemment à ses jours ou à ceux d'autrui: d'où une diffusion de
l'euthanasie, cachée ou effectuée au grand jour, en faveur de laquelle les
demandes et les tristes exemples de légalisation ne manquent pas.
96. Face à cet état de
fait, il est nécessaire de “servir l'Évangile de la vie” également grâce “à une
mobilisation générale des consciences et à un effort commun d'ordre éthique,
pour mettre en œuvre une grande stratégie pour le service de la vie. Nous
devons construire tous ensemble une nouvelle culture de la vie”. C'est là un
grand défi qu'il faut affronter avec responsabilité, dans la certitude que “l'avenir
de la civilisation européenne dépend en grande partie d'une défense et d'une
promotion résolues des valeurs de la vie, centre de son patrimoine culturel”;
il s'agit en effet de rendre à l'Europe sa véritable dignité, qui est d'être le
lieu où toute personne est reconnue dans son incomparable dignité.
Je fais
volontiers miennes ces paroles des Pères du synode: “Le synode des évêques
européens incite les communautés chrétiennes à se faire les évangélisatrices de
la vie. Il encourage les couples chrétiens et les familles chrétiennes à se
soutenir mutuellement pour demeurer fidèles à leur mission de collaborer avec
Dieu dans la génération et l'éducation de nouvelles créatures; il apprécie
toute généreuse tentative de réagir à l'égoïsme en matière de transmission de
la vie, égoïsme nourri par de faux modèles de sécurité et de bonheur; il
demande aux États et à l'Union européenne de mettre en œuvre des politiques
clairvoyantes qui promeuvent les conditions concrètes de logement, de travail
et d'aide sociale, en vue d'aider à la constitution de la famille et à répondre
à la vocation à la maternité et à la paternité, et qui en plus assurent à
l'Europe d'aujourd'hui la ressource la plus précieuse: les Européens de demain”.
Bâtir une cité digne de l'homme
97. La charité active nous
engage à hâter la venue du Règne de Dieu. C'est pourquoi elle apporte son
concours à la promotion des valeurs authentiques qui sont à la base d'une
civilisation digne de l'homme. Comme le rappelle en effet le Concile
Vatican II, “dans leur marche vers la cité céleste, les chrétiens doivent
rechercher et goûter les choses d'en haut; mais, par là, la gravité du devoir
de travailler en collaboration avec tous les hommes à l'édification d'un monde
plus humain, loin d'être diminuée, est plutôt accrue”. L'attente des cieux
nouveaux et de la terre nouvelle, loin d'éloigner de l'histoire, intensifie la
sollicitude pour le monde présent où, jusqu'à aujourd'hui, croît la nouveauté
qui est germe et figure du monde à venir.
Animés par ces certitudes de foi, engageons-nous à
construire une cité digne de l'homme! Même s'il n'est pas possible de réaliser
dans l'histoire un ordre social parfait, nous savons pourtant que tout effort
sincère pour construire un monde meilleur est accompagné de la bénédiction de
Dieu et que toute semence de justice et d'amour plantée dans le temps présent
donnera son fruit dans l'éternité.
98. Dans la construction
d'une cité digne de l'homme, un rôle d'inspiration doit être reconnu à la
doctrine sociale de l'Église. À travers elle, en effet, l'Église pose au
continent européen la question de la valeur morale de sa civilisation. Cette
doctrine tire son origine de la rencontre entre, d'une part, le message
biblique et la raison, et, d'autre part, les problèmes et les situations
concernant la vie de l'homme et de la société. Par l'ensemble des principes
qu'elle propose, cette doctrine contribue à poser des bases solides pour une
vie sociale à la mesure de l'homme, dans la justice, la vérité, la liberté et
la solidarité. Tournée vers la défense et la promotion de la dignité de la
personne, fondement non seulement de la vie économique et politique, mais aussi
de la justice sociale et de la paix, elle apparaît capable d'assurer des bases
solides aux piliers sur lesquels se bâtit l'avenir du continent européen. La
doctrine sociale de l'Église comporte aussi les points de repères qui
permettent de défendre la structure morale de la liberté, de manière à
sauvegarder la culture et la société européennes aussi bien de l'utopie
totalitaire de la “justice sans liberté” que de celle d'une “liberté sans
vérité” qui s'accompagne d'une fausse conception de la “tolérance”, toutes deux
porteuses d'erreurs et d'horreurs pour l'humanité, comme en témoigne
malheureusement l'histoire récente de l'Europe elle-même.
99. La doctrine sociale de
l'Église, en raison de son lien intrinsèque avec la dignité de la personne, est
faite pour être comprise aussi par ceux qui n'appartiennent pas à la communauté
des croyants. Il est donc urgent d'en répandre la connaissance et l'étude, dans
le but de surmonter l'ignorance que même les chrétiens ont à son endroit. C'est
ce qu'exige l'Europe nouvelle en voie de construction, elle qui a besoin de
personnes éduquées selon ces valeurs et disposées à travailler à la réalisation
du bien commun. À cette fin s'avère nécessaire la présence de laïcs chrétiens
qui, dans les diverses responsabilités de la vie civique, économique,
culturelle, dans le monde de la santé, de l'éducation et de la politique,
agissent de manière à pouvoir y diffuser les valeurs du Royaume.
Pour une culture de l'accueil
100. Parmi les défis qui se
posent aujourd'hui pour le service de l'Évangile de l'espérance apparaît celui
du phénomène croissant de l'immigration, qui interroge l'Église sur sa capacité
d'accueillir chaque personne, quel que soit le peuple ou la nation auquel elle
appartient. Il incite également toute la société européenne et ses institutions
à rechercher un ordre juste et des modes de convivialité respectueux de tous,
comme aussi de la législation, en vue d'une éventuelle intégration.
Devant l'état de pauvreté, de sous-développement ou
même d'insuffisance de liberté qui, malheureusement, caractérise encore divers
pays et qui pousse de nombreuses personnes à abandonner leur terre, se fait
sentir le besoin d'un engagement courageux de tous pour la réalisation d'un
ordre économique international plus juste, qui soit en mesure de promouvoir
l'authentique développement de tous les peuples et de tous les pays.
101. Face au phénomène
migratoire, l'Europe est mise au défi de trouver des formes nouvelles et
intelligentes d'accueil et d'hospitalité. C'est la vision “universaliste” du
bien commun qui l'exige: il faut dilater son regard jusqu'à embrasser les
exigences de toute la famille humaine. Le phénomène même de la mondialisation
demande ouverture et partage s'il veut être non pas une source d'exclusion et de
marginalisation, mais au contraire de participation solidaire de tous à la
production et à l'échange des biens.
Chacun doit s'employer à la croissance d'une solide
culture de l'accueil qui, tenant compte de l'égale dignité de toute personne et
du devoir de solidarité à l'égard des plus faibles, demande que soient reconnus
les droits fondamentaux de tout migrant. Il est de la responsabilité des
autorités publiques d'exercer un contrôle sur les flux migratoires en fonction
des exigences du bien commun. L'accueil doit toujours se réaliser dans le
respect des lois et donc se conjuguer, si nécessaire, avec une ferme répression
des abus.
102. Il faut également
s'employer à découvrir les formes possibles d'une véritable intégration des
immigrés légitimement accueillis dans le tissu social et culturel des diverses
nations européennes. Cela exige que l'on ne cède pas à l'indifférence à l'égard
des valeurs humaines universelles et que l'on soit attentif à sauvegarder le
patrimoine culturel propre à chaque nation. Une convivialité pacifique et un
échange des richesses intérieures réciproques rendront possible l'édification
d'une Europe qui sache être la maison commune, où chacun puisse être accueilli,
où nul ne fasse l'objet de discrimination, où tous soient traités et vivent de
façon responsable comme membres d'une seule grande famille.
103. Pour sa part, l'Église
est appelée à “continuer son action pour créer et améliorer sans cesse ses
services d'accueil et ses attentions pastorales à l'égard des immigrés et des réfugiés”,
pour faire en sorte que soient respectées leur dignité et leur liberté, et que
soit favorisée leur intégration.
On
veillera en particulier à assurer une assistance pastorale à l'intégration des
immigrés catholiques, en respectant leur culture et l'originalité de leurs
traditions religieuses. À cette fin, il est bon de favoriser les contacts
entres les Églises d'origine des immigrés et celles qui les accueillent, en vue
d'étudier des formes d'aide qui peuvent également prévoir la présence, parmi
les immigrés, de prêtres, de personnes consacrées et d'agents pastoraux,
convenablement formés, provenant de leur pays.
Le service de l'Évangile exige en outre que l'Église,
défendant la cause des opprimés et des exclus, demande aux autorités politiques
des divers États et aux responsables des Institutions européennes de
reconnaître la condition de réfugié à ceux qui fuient leur pays d'origine en
raison de menaces pour leur vie, et aussi de faciliter leur retour dans leur
pays, ainsi que de créer les conditions pour que soit respectée la dignité de
tous les immigrés et que soient défendus leurs droits fondamentaux.
III. Optons pour la charité
104. L'appel à vivre une
charité active, adressé par les Pères synodaux à tous les chrétiens du
continent européen, représente la synthèse heureuse d'un service authentique
rendu à l'Évangile de l'espérance. Aujourd'hui, je te propose à mon tour
cet appel, Église du Christ qui vis en Europe. Que les joies et les espérances, que les tristesses et les angoisses des
Européens d'aujourd'hui, surtout des pauvres et de ceux qui souffrent, soient
aussi tes joies et tes espérances, tes tristesses et tes angoisses, et que rien
de ce qui est authentiquement humain ne manque de trouver un écho dans ton cœur
! Regarde l'Europe et son cheminement, avec la sympathie de celui qui apprécie
tout élément positif, mais qui, en même temps, ne ferme pas les yeux sur ce qui
n'est pas en harmonie avec l'Évangile et qui le dénonce avec force!
105. Église en Europe,
accueille chaque jour avec une fraîcheur renouvelée le don de la charité que le
Seigneur t'offre et dont il te rend capable! Apprends de lui le contenu et la
mesure de l'amour ! Et sois l'Église des Béatitudes, continuellement
conformée au Christ (cf. Mt 5, 1-12).
Libre de toute
entrave et de toute dépendance, sois pauvre et amie des plus pauvres,
accueillante envers toute personne et attentive à toute forme de pauvreté,
qu'elle soit ancienne ou nouvelle !
Continuellement purifiée par la bonté du Père,
reconnais dans l'attitude de Jésus, qui a toujours défendu la vérité tout en se
montrant miséricordieux envers les pécheurs, la norme suprême de ton action.
En Jésus, à la naissance duquel la paix fut annoncée
(cf. Lc 2, 14), en lui qui dans sa mort a abattu toute inimitié (cf. Ep 2, 14)
et qui a donné la paix véritable (cf. Jn 14, 27), sois un artisan de paix,
invitant tes fils à laisser purifier leur cœur de toute hostilité, égoïsme ou
esprit partisan, favorisant en toute circonstance le dialogue et le respect
réciproques !
En Jésus, justice de Dieu, ne te lasse jamais de
dénoncer toute forme d'injustice! En vivant dans le monde avec les valeurs du
Règne qui vient, tu seras l'Église de la charité, tu apporteras ton
indispensable contribution à l'édification en Europe d'une civilisation
toujours plus digne de l'homme.
CHAPITRE VI
L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE POUR UNE EUROPE NOUVELLE
“J'ai vu descendre du ciel, d'auprès de Dieu, la cité
sainte, la Jérusalem nouvelle” (Ap 21, 2)
La nouveauté de Dieu dans l'histoire
106. L'Évangile de
l'espérance qui résonne dans l'Apocalypse ouvre le cœur à la contemplation de
la nouveauté opérée par Dieu: “Alors j'ai vu un ciel nouveau et une terre
nouvelle, car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et il n'y
avait plus de mer” (Ap 21, 1). C'est Dieu lui-même qui proclame cette nouveauté
avec des mots expliquant la vision qui vient d'être décrite: “Voici que je fais
toutes choses nouvelles” (Ap 21, 5).
La nouveauté de Dieu – pleinement compréhensible sur
l'arrière-plan des choses du passé, faites de larmes, de deuil, d'affliction et
de mort (cf. Ap 21, 4) – consiste à sortir de la condition du péché et de ses
conséquences, dans laquelle se trouve l'humanité; c'est le ciel nouveau et la
nouvelle terre, la Jérusalem nouvelle, par opposition à un ciel et à une terre
anciens, à un antique ordre des choses et à une Jérusalem vétuste, tourmentée
par ses rivalités.
Il n'est pas indifférent pour la construction de la
cité de l'homme d'utiliser l'image de la Jérusalem nouvelle qui descend “du
ciel, d'auprès de Dieu, toute prête, comme une fiancée parée pour son époux” (Ap
21, 2) et qui se réfère directement au mystère de l'Église. C'est une image qui
parle d'une réalité eschatologique: elle va au-delà de tout ce que l'homme peut
faire; elle est un don de Dieu qui s'accomplira dans les derniers temps. Mais
elle n'est pas une utopie: elle est une réalité déjà présente. C'est ce
qu'indique le verbe au présent utilisé par Dieu – “Voici que je fais toutes
choses nouvelles” (Ap 21, 5) – avec la précision qui suit: “Tout est réalisé
désormais” (Ap 21, 6). Car Dieu est déjà en train d'agir pour renouveler le
monde; la Pâque de Jésus est déjà la nouveauté de Dieu. Elle fait naître
l'Église, elle en anime l'existence, elle renouvelle et transforme l'histoire.
107. Cette nouveauté commence à prendre forme avant tout dans la
communauté chrétienne, qui est déjà aujourd'hui “la demeure de Dieu avec les
hommes” (cf. Ap 21, 3), au sein de laquelle Dieu est déjà à l'œuvre,
renouvelant la vie de ceux qui se soumettent au souffle de l'Esprit. L'Église
est pour le monde signe et instrument du Royaume qui se réalise avant tout dans
les cœurs. Un reflet de cette même
nouveauté se manifeste aussi dans toute forme de convivialité humaine animée
par l'Évangile. Il s'agit d'une nouveauté qui interroge la société à tout
moment de l'histoire et en tout point de la terre, particulièrement la société
européenne qui, depuis de nombreux siècles, écoute l'Évangile du Règne inauguré
par Jésus.
I. La vocation spirituelle de l'Europe
L'Europe promotrice des valeurs universelles
108. L'histoire du
continent européen est marquée par l'influence vivifiante de l'Évangile. “Si
nous tournons notre regard vers les siècles passés, nous ne pouvons pas manquer
de rendre grâce au Seigneur pour le fait que le christianisme a été pour notre
continent un facteur primordial d'unité entre les peuples et les cultures et de
promotion intégrale de l'homme et de ses droits”.
On ne peut certes pas douter que la foi chrétienne
fait partie, de façon radicale et déterminante, des fondements de la culture
européenne. Le christianisme a en effet donné sa forme à l'Europe, y faisant
pénétrer certaines valeurs fondamentales. La modernité européenne elle- même,
qui a donné au monde l'idéal démocratique et les droits humains, puise ses
valeurs dans son héritage chrétien. Plus qu'un espace géographique, cet
héritage peut être qualifié de “concept majoritairement culturel et historique,
caractérisant une réalité née comme continent grâce, entre autres, à la force
unificatrice du christianisme; celui-ci a su fondre entre eux des peuples
différents et des cultures diverses, et il est intimement lié à la culture
européenne tout entière”.
Cependant, au moment même où l'Europe d'aujourd'hui
renforce et élargit son union économique et politique, elle semble aussi
souffrir d'une profonde crise de valeurs. Bien qu'elle dispose de moyens
accrus, elle donne l'impression de manquer d'élan pour nourrir un projet commun
et pour redonner à ses citoyens des raisons d'espérer.
Le nouveau visage de l'Europe
109. Dans le processus de
transformation qu'elle vit actuellement, l'Europe est appelée avant tout à
retrouver sa véritable identité. En effet, bien qu'elle soit parvenue à
constituer une réalité fortement diversifiée, elle doit édifier un nouveau
modèle d'unité dans la diversité, une communauté de nations réconciliées,
ouverte aux autres continents et engagée dans le processus actuel de
mondialisation.
Pour donner un nouvel élan à son histoire, elle doit “reconnaître
et retrouver, dans une fidélité créatrice, les valeurs fondamentales à
l'acquisition desquelles le christianisme a apporté une contribution
déterminante, et qui peuvent se résumer dans l'affirmation de la dignité
transcendante de la personne, de la valeur de la raison, de la liberté, de la
démocratie, de l'état de droit et de la distinction entre politique et religion”.
110. L'Union européenne
continue à s'élargir. Tous les peuples qui partagent le même héritage
fondamental ont pour vocation d'en faire partie à plus ou moins longue
échéance. Il faut souhaiter que, en plus d'assurer une mise en œuvre plus
affermie des principes de subsidiarité et de solidarité, une telle expansion se
réalise dans le respect de tous, valorisant les particularités historiques et
culturelles, les identités nationales et la richesse des apports que pourront fournir
les nouveaux membres. Dans le processus d'intégration du continent, il est
capital de prendre en compte le fait que l'Union n'aurait pas de consistance si
elle était réduite à ses seules composantes géographiques et économiques, mais
qu'elle doit avant tout consister en une harmonisation des valeurs appelées à
s'exprimer dans le droit et dans la vie.
Promouvoir la solidarité et la paix dans le monde
111. Dire “Europe” doit
vouloir dire “ouverture”. Malgré les expériences et les signes contraires qui
d'ailleurs n'ont pas manqué, c'est son histoire même qui l'exige: “L'Europe
n'est pas vraiment un territoire clos ou isolé; elle s'est construite en
allant, au-delà des mers, à la rencontre d'autres peuples, d'autres cultures,
d'autres civilisations”. C'est pourquoi l'Europe doit être un continent ouvert
et accueillant qui continue à pratiquer, dans l'actuelle mondialisation, des
formes de coopération non seulement économique, mais également sociale et
culturelle.
Il y a une exigence à laquelle le continent doit
répondre de manière positive pour que son visage soit véritablement nouveau: “L'Europe
ne saurait se replier sur elle-même. Elle ne peut ni ne doit se désintéresser
du reste du monde; elle doit au contraire garder pleine conscience que d'autres
pays, d'autres continents, attendent d'elle des initiatives audacieuses, pour
offrir aux peuples les plus pauvres les moyens de leur développement et de leur
organisation sociale, et pour édifier un monde plus juste et plus fraternel”.
Pour réaliser une telle mission de manière appropriée, il sera nécessaire “de
repenser la coopération internationale en termes de nouvelle culture de
solidarité. Considérée comme ferment de paix, la coopération ne peut pas se
réduire à l'aide et à l'assistance, surtout quand on envisage en retour de
tirer profit des ressources mises à disposition. Au contraire, elle doit
exprimer un engagement concret et tangible de solidarité qui vise à faire des
pauvres les acteurs de leur développement et qui permette au plus grand nombre
possible de personnes d'exercer, dans les circonstances économiques et
politiques concrètes dans lesquelles elles vivent, la créativité propre à la
personne humaine, d'où dépend aussi la richesse des nations”.
112. De plus, l'Europe doit prendre une part active dans la promotion
et dans la mise en pratique d'une mondialisation “dans la” solidarité. Comme condition de cette dernière, il faut
ajouter une sorte de mondialisation “de la” solidarité et des valeurs connexes
d'équité, de justice et de liberté, dans la ferme conviction que le marché
requiert d'être “dûment contrôlé par les forces sociales et par l'État, de
manière à garantir la satisfaction des besoins fondamentaux de toute la société”.
L'Europe qui nous est léguée par l'histoire a vu,
surtout au siècle dernier, s'affirmer des idéologies totalitaires et des
nationalismes exacerbés qui, faisant perdre l'espérance aux hommes et aux
peuples du continent, ont nourri des conflits au sein des Nations et entre les
Nations elles-mêmes, jusqu'à l'effroyable tragédie des deux guerres mondiales.
Les luttes ethniques plus récentes, qui ont à nouveau ensanglanté le continent
européen, ont montré elles aussi à tous que la paix est fragile, qu'elle a
besoin d'un engagement actif de tous et qu'elle ne peut être garantie qu'en
ouvrant de nouvelles perspectives d'échange, de pardon et de réconciliation
entre les personnes, entre les peuples et entre les Nations.
Face à cet état de fait, l'Europe, avec tous ses
habitants, doit s'employer inlassablement à construire la paix à l'intérieur de
ses frontières et dans le monde entier. À ce propos, il convient de rappeler “d'une
part que les différences nationales doivent être maintenues et cultivées comme
le fondement de la solidarité européenne; et, d'autre part, que l'identité
nationale elle-même ne se réalise que dans l'ouverture aux autres peuples et à
travers la solidarité envers eux”.
II. La construction européenne
Le rôle des Institutions
européennes
113. Si l'on veut dessiner le nouveau visage du continent, c'est, sous
de nombreux aspects déterminants, par leur rôle que les Institutions
internationales qui sont principalement liées au territoire européen, et qui y
agissent, ont contribué à marquer le cours historique des événements sans
s'engager dans des opérations à caractère militaire. À ce sujet, je voudrais
mentionner avant tout l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en
Europe, qui travaille au maintien de la paix et à la stabilité, y compris par
la protection et la promotion des droits humains et des libertés fondamentales,
comme aussi à la coopération économique et environnementale.
Il y a aussi le Conseil de l'Europe, dont font
partie les États qui ont signé la Convention européenne pour la sauvegarde des
droits humains fondamentaux de 1950 et la Charte sociale de 1961. La Cour
européenne des droits de l'homme lui est rattachée. Ces deux institutions
visent, à travers la coopération politique, sociale, juridique et culturelle,
comme aussi à travers la promotion des droits humains et de la démocratie, à la
réalisation de l'Europe de la liberté et de la solidarité. Enfin,
l'Union européenne, avec son Parlement, avec le Conseil des Ministres et avec
la Commission, propose un modèle d'intégration qui se perfectionne
progressivement, dans la perspective d'adopter un jour une charte fondamentale
commune. Cet organisme a pour but de
réaliser une plus grande unité politique, économique et monétaire entre les
États membres, aussi bien les membres actuels que ceux qui en feront partie à
l'avenir. Dans leur diversité et à partir de l'identité propre à chacune
d'elles, les Institutions mentionnées ci-dessus ont pour but de promouvoir
l'unité du continent, et plus profondément sont au service de l'homme.
114. Aux Institutions
européennes elles-mêmes et aux divers États d'Europe, je demande avec les Pères
synodaux de reconnaître qu'un bon ordonnancement de la société doit s'enraciner
dans d'authentiques valeurs éthiques et civiques, partagées le plus possible
par les citoyens, en notant que de telles valeurs constituent avant tout le
patrimoine des divers corps sociaux. Il est important que les Institutions et
les États reconnaissent que, parmi ces corps sociaux, il y a aussi les Églises
et Communautés ecclésiales, ainsi que les autres organisations religieuses. À
plus forte raison, quand elles existent déjà avant la fondation des nations
européennes, elles ne sont pas réductibles à de simples entités privées, mais
elles agissent avec un poids institutionnel spécifique, qui mérite d'être
sérieusement pris en considération. Dans le déroulement de leurs activités, les
différentes Institutions étatiques ou européennes doivent agir en sachant que
leurs systèmes juridiques ne seront pleinement respectueux de la démocratie que
s'ils prévoient des formes de “saine collaboration” avec les Églises et les
Organisations religieuses.
À la lumière de ce qui vient d'être souligné, je
voudrais m'adresser encore une fois aux rédacteurs du futur traité
constitutionnel de l'Europe, pour que, dans ce dernier, figure une référence au
patrimoine religieux et spécialement chrétien de l'Europe. Dans le plein
respect de la laïcité des Institutions, je souhaite par-dessus tout que soient
reconnus trois aspects complémentaires: le droit des Églises et des communautés
religieuses de s'organiser librement, en conformité avec leurs propres statuts
et leurs propres convictions; le respect de l'identité spécifique des
Confessions religieuses et le fait de prévoir un dialogue structuré entre
l'Union européenne et ces mêmes Confessions; le respect du statut juridique
dont les Églises et les institutions religieuses jouissent déjà en vertu des
législations des États membres de l'Union.
115. Les Institutions
européennes ont pour but déclaré la défense des droits de la personne humaine.
Par cet engagement, elles contribuent à construire l'Europe des valeurs et du
droit. Les Pères synodaux ont fait appel aux responsables européens, leur disant:
“Élevez la voix quand sont violés les droits humains des individus, des
minorités et des peuples, à commencer par le droit à la liberté religieuse;
réservez la plus grande attention à tout ce qui regarde la vie humaine de sa
conception jusqu'à sa mort naturelle, et la famille fondée sur le mariage:
telles sont les bases sur lesquelles repose la maison commune européenne; [...]
affrontez, en toute justice et équité, et avec un grand sens de la solidarité,
le phénomène croissant des migrations, faisant en sorte qu'elles soient une
nouvelle ressource pour l'avenir européen; faites tous vos efforts pour qu'aux
jeunes soit garanti un avenir vraiment humain, par le travail, la culture,
l'éducation aux valeurs morales et spirituelles”.
L'Église pour la nouvelle Europe
116. L'Europe a besoin d'une dimension religieuse. Pour être “nouvelle”, à la manière de ce qui est
dit de la “cité nouvelle” de l'Apocalypse (cf. 21, 2), elle doit se laisser
rejoindre par l'action de Dieu. L'espérance de construire un monde plus
juste et plus digne de l'homme ne peut en effet faire abstraction de la prise
de conscience que les efforts humains ne conduiraient à rien s'ils n'étaient
pas accompagnés par le soutien divin, car, “si le Seigneur ne bâtit la maison,
les bâtisseurs travaillent en vain” (Ps 127 [126], 1). Pour que l'Europe puisse
être édifiée sur des bases solides, il est nécessaire de s'appuyer sur les
valeurs authentiques, qui ont leur fondement dans la loi morale universelle,
inscrite dans le cœur de tout homme. “Non seulement les chrétiens peuvent
s'unir à tous les hommes de bonne volonté pour travailler à la construction de
ce grand projet, mais plus encore ils sont invités à en être en quelque sorte
l'âme, en montrant le véritable sens de l'organisation de la cité terrestre”.
Une et
universelle, tout en étant présente dans la multiplicité des Églises
particulières, l'Église catholique peut offrir une contribution unique à
l'édification d'une Europe ouverte au monde. De l'Église en effet se dégage un modèle d'unité essentielle dans la
diversité des expressions culturelles, la conscience d'appartenir à une
communauté universelle qui s'enracine dans les communautés locales mais ne
s'épuise pas en elles, le sens de ce qui unit au-delà de ce qui distingue.
117. Dans ses relations
avec les pouvoirs publics, l'Église ne demande pas un retour à des formes
d'État confessionnel. Mais en même temps, elle déplore tout type de laïcisme
idéologique ou de séparation hostile entre les institutions civiles et les
confessions religieuses.
Pour sa part, dans la logique d'une saine
collaboration entre communauté ecclésiale et société politique, l'Église
catholique est convaincue de pouvoir apporter une contribution spécifique à la
perspective de l'unification, offrant aux institutions européennes, en
continuité avec sa tradition et en harmonie avec les directives de sa doctrine
sociale, la présence de communautés de croyants qui cherchent à réaliser
l'humanisation de la société à partir de l'Évangile vécu sous le signe de
l'espérance. Dans cette optique, il est nécessaire que des chrétiens,
convenablement formés et compétents, soient présents dans les diverses
instances et Institutions européennes, pour concourir, dans le respect des
justes dynamismes démocratiques et à travers une confrontation des
propositions, à définir une convivialité européenne toujours plus respectueuse
de tout homme et de toute femme, et donc conforme au bien commun.
118. L'Europe qui est en
train de se construire comme “union” pousse aussi les chrétiens vers l'unité
pour qu'ils soient de vrais témoins d'espérance. Dans ce cadre, il faut
poursuivre et développer cet échange de dons, qui a revêtu ces dernières années
des expressions significatives. Réalisé entre communautés ayant des histoires
et des traditions diverses, il incite à nouer des liens plus durables entre les
Églises des divers pays et il conduit à leur enrichissement mutuel, à travers
rencontres, confrontations et aides réciproques. Il faut en particulier
mettre en valeur la contribution de la tradition culturelle et spirituelle
offerte par les Églises catholiques orientales.
Un rôle important
pour la croissance de cette unité peut être joué par les organismes
continentaux de communion ecclésiale, qui attendent d'être ultérieurement
encouragés. Parmi ceux-ci, il convient d'attribuer un rôle particulier au
Conseil des Conférences épiscopales d'Europe dont la mission est, au niveau de
tout le continent, d'“assurer la promotion d'une communion toujours plus
intense entre les diocèses et les Conférences épiscopales nationales,
l'accroissement de la collaboration œcuménique entre les chrétiens,
l'élimination des obstacles qui menacent l'avenir de la paix et le progrès des
peuples, le renforcement de la collégialité affective et effective et de la “communio”
hiérarchique”. De même, il faut reconnaître le service de la Commission des
Épiscopats de la Communauté européenne qui, suivant le processus de
consolidation et d'élargissement de l'Union européenne, favorise l'information
mutuelle et coordonne les initiatives pastorales des Églises d'Europe
concernées.
119. Le renforcement de l'Union au sein du continent européen incite
les chrétiens à coopérer au processus d'intégration et de réconciliation à
travers un dialogue théologique, spirituel, éthique et social.188 En effet, “dans
l'Europe en marche vers l'unité politique, pouvons-nous admettre que ce soit
précisément l'Église du Christ qui soit un facteur de désunion et de discorde ?
Ne serait-ce pas là un des plus grands scandales de notre temps ?”.
À partir de l'Évangile, un nouvel élan pour l'Europe
120. L'Europe a besoin d'un
saut qualitatif dans la prise de conscience de son héritage spirituel. Un tel
élan ne peut lui venir que d'une écoute renouvelée de l'Évangile du Christ. Il
appartient à tous les chrétiens de s'employer à satisfaire cette faim et cette
soif de vie.
C'est pourquoi “l'Église éprouve le devoir de
renouveler avec vigueur le message d'espérance qui lui a été confié par Dieu” et
elle répète à l'Europe: ““Le Seigneur ton Dieu est en toi, c'est lui, le héros
qui apporte le salut” (So 3, 17). Son invitation à l'espérance ne se fonde pas
sur une idéologie utopiste. [...] C'est, au contraire, le message éternel du
salut proclamé par le Christ (cf. Mc 1, 15). Avec l'autorité qui lui vient de
son Seigneur, l'Église répète à l'Europe d'aujourd'hui:
Europe du troisième millénaire, “que tes mains ne
défaillent pas ! ” (So 3, 16); ne cède pas au découragement, ne te résigne pas
à des modes de penser et de vivre qui n'ont pas d'avenir, car ils ne sont pas
fondés sur la ferme certitude de la Parole de Dieu !”.
Reprenant cette invitation à l'espérance, je te le
répète encore aujourd'hui, Europe qui es au début du troisième millénaire: “Retrouve-toi
toi- même. Sois toi-même. Découvre tes origines. Avive tes racines”. Au cours
des siècles, tu as reçu le trésor de la foi chrétienne. Il fonde ta vie sociale
sur les principes tirés de l'Évangile et on en voit les traces dans l'art, la
littérature, la pensée et la culture de tes nations. Mais cet héritage
n'appartient pas seulement au passé; c'est un projet pour l'avenir, à
transmettre aux générations futures, car il est la matrice de la vie des
personnes et des peuples qui ont forgé ensemble le continent européen.
121. Ne crains pas ! L'Évangile
n'est pas contre toi, il est en ta faveur. Cela est confirmé par la
constatation que l'inspiration chrétienne peut transformer l'ensemble des
composantes politiques, culturelles et économiques en une convivialité où tous
les Européens se sentent chez eux et forment une famille de nations dont
d'autres régions du monde peuvent s'inspirer de manière fructueuse.
Aie confiance ! Dans l'Évangile, qui est Jésus, tu
trouveras l'espérance forte et durable à laquelle tu aspires. C'est une
espérance fondée sur la victoire du Christ sur le péché et sur la mort. Cette
victoire, il a voulu qu'elle soit tienne, pour ton salut et pour ta joie.
Sois-en sûre ! L'Évangile de l'espérance ne déçoit
pas. Dans les vicissitudes de ton histoire d'hier et d'aujourd'hui, c'est une
lumière qui éclaire et oriente ton chemin; c'est une force qui te soutient dans
l'épreuve; c'est une prophétie d'un monde nouveau; c'est le signe d'un nouveau
départ; c'est une invitation à tous, croyants ou non, à tracer des chemins
toujours nouveaux qui ouvrent sur l'“Europe de l'Esprit”, pour en faire une
véritable “maison commune” où l'on trouve la joie de vivre.
CONCLUSION
Consécration à Marie
“Un signe
grandiose apparut dans le ciel: une Femme, ayant le soleil pour manteau” (Ap
12, 1)
La femme, le dragon et l'enfant
122. L'histoire de l'Église
s'accompagne de “signes” qui sont sous les yeux de tous, mais qui demandent à
être interprétés. Parmi eux, l'Apocalypse présente le “signe grandiose” apparu
dans le ciel, qui parle d'une lutte entre la femme et le dragon.
La femme ayant le soleil pour manteau, qui est en
train d'accoucher dans la souffrance (cf. Ap 12, 1-2), peut désigner l'Israël
des prophètes qui enfante le Messie, “celui qui sera le berger de toutes les
nations, les menant avec un sceptre de fer” (Ap 12, 5; cf. Ps 2, 9). Mais elle
représente aussi l'Église, peuple de la nouvelle Alliance, en proie à la
persécution, mais protégée par Dieu. Le dragon est “le serpent des origines,
celui qu'on nomme Démon ou Satan, celui qui égarait le monde entier” (Ap 12,
9). Le combat est inégal: le dragon semble avoir l'avantage, tant est grande
son outrecuidance face à la femme sans défense et souffrante. En réalité, le
vainqueur, c'est le fils que la femme vient de mettre au monde. Dans ce
combat, une chose est certaine: le grand dragon a déjà été vaincu, “il fut jeté
sur la terre, et ses anges avec lui” (Ap 12, 9). Ceux qui l'ont vaincu, ce sont
le Christ, Dieu fait homme, par sa mort et sa résurrection, et les martyrs, “par
le sang de l'Agneau et le témoignage de leur parole” (Ap 12, 11). Et même si le
dragon persiste dans son opposition, il n'y a rien à craindre, car sa défaite
est déjà consommée.
123. Telle est la certitude qui anime l'Église au long de son chemin,
tandis qu'elle relit son histoire de toujours à partir de la femme et du
dragon. La femme qui met au monde un enfant mâle nous rappelle aussi la Vierge
Marie, surtout au moment où, transpercée par la souffrance au pied de la Croix,
elle engendre de nouveau le Fils, comme vainqueur du prince de ce monde. Elle
est confiée à Jean qui, à son tour, lui est confié (cf. Jn 19, 26-27), et elle
devient ainsi la Mère de l'Église. Grâce au lien qui unit Marie à l'Église, et
l'Église à Marie, le mystère de la femme prend une clarté nouvelle: “En effet,
Marie, présente dans l'Église comme Mère du Rédempteur, participe
maternellement au “dur combat contre les puissances des ténèbres” qui se
déroule à travers toute l'histoire des hommes. Et par cette identification
ecclésiale avec la “femme enveloppée de soleil” (Ap 12, 1), on peut dire que
“l'Église, en la personne de la bienheureuse Vierge, atteint déjà la perfection
qui la fait sans tache ni ride”“.
124. L'Église entière regarde donc Marie. Grâce aux multiples
sanctuaires mariaux disséminés dans toutes les nations du continent, la
dévotion à Marie est très vivante et fort répandue parmi les peuples européens.
Église en Europe,
continue à contempler Marie, et reconnais qu'elle apporte “sa présence et son
assistance maternelles dans les problèmes multiples et complexes qui
accompagnent aujourd'hui la vie des personnes, des familles et des nations” et
qu'elle vient au secours “du peuple chrétien dans la lutte incessante entre le
bien et le mal, afin qu'il “ne tombe pas” ou, s'il est tombé, qu'il “se relève”“.
Prière à Marie, Mère de l'espérance
125. Dans cette
contemplation, animée par un amour authentique, Marie nous apparaît comme la
figure de l'Église qui, nourrie par l'espérance, reconnaît l'action salvifique
et miséricordieuse de Dieu, à la lumière duquel elle lit son propre chemin et
toute l'histoire. Elle nous aide à interpréter, aujourd'hui encore, nos
itinéraires en référence à son Fils Jésus. Créature nouvelle modelée par
l'Esprit Saint, Marie fait croître en nous la vertu de l'espérance.
À Elle, Mère de l'espérance et de la consolation,
nous adressons avec confiance notre prière: nous lui confions l'avenir de
l'Église en Europe et l'avenir de toutes les femmes et tous les hommes de ce
continent:
Marie,
Mère de l'espérance,
marche
avec nous !
Apprends-nous
à proclamer le Dieu vivant;
Aide-nous
à témoigner de Jésus,
l'unique Sauveur;
rends-nous serviables envers notre prochain,
accueillants envers ceux
qui sont dans le besoin, artisans de justice,
bâtisseurs passionnés d'un monde plus juste;
intercède
pour nous
qui
œuvrons dans l'histoire,
avec la
certitude
que le
dessein du Père s'accomplira.
Aurore
d'un monde nouveau,
montre-toi
la Mère de l'espérance
et veille sur nous !
Veille sur l'Église en Europe:
qu'elle
soit transparente à l'Évangile;
qu'elle soit un authentique lieu
de communion;
qu'elle
vive sa mission
d'annoncer,
de célébrer et de servir
l'Évangile
de l'espérance
pour la
paix et la joie de tous.
Reine de
la paix,
protège
l'humanité du troisième millénaire !
Veille sur tous les chrétiens:
qu'ils avancent dans la confiance
sur le chemin de l'unité,
comme un ferment pour la concorde
sur le continent.
Veille sur les jeunes,
espérance
de l'avenir,
qu'ils
répondent généreusement
à
l'appel de Jésus;
veille
sur les responsables des nations:
qu'ils s'emploient à édifier
une maison commune,
dans laquelle soient respectés la dignité
et les
droits de chacun.
Marie,
donne-nous Jésus !
Fais que
nous le suivions
et que
nous l'aimions !
C'est
lui l'espérance de l'Église,
de
l'Europe et de l'humanité.
C'est
lui qui vit avec nous, au milieu de nous,
dans son Église.
Avec toi, nous disons
“Viens,
Seigneur Jésus !” (Ap 22, 20):
Que
l'espérance de la gloire
déposée
par Lui en nos cœurs
porte
des fruits de justice et de paix !
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 28 juin
2003, vigile de la solennité des saints Apôtres Pierre et Paul, en la
vingt-cinquième année de mon pontificat.
JEAN-PAUL II