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REVIENS À LA MAISON DE TON PÈRE...
RELATION D’AVRIL 1843
Déclaration
“Avant
de commencer cette relation, je déclare dans la vérité et la simplicité de mon
âme qu’il n’y a que la gloire de Dieu seul et l’accomplissement de sa très
sainte Volonté qui me pressent de faire connaître ce que je crois que
Notre-Seigneur m’a communiqué dans sa miséricorde par rapport à l’Œuvre de la
Réparation des Blasphèmes. Je prendrai copie des lettres que j’ai adressées à
notre très Révérende Mère prieure, en y ajoutant ce qui sera nécessaire pour me
faire mieux comprendre, avec les remarques que j’ai faites de vive voix ou dont
je me suis souvenue depuis.
Je
déclare que le motif qui me porte à ces corrections est que j’écris
ordinairement à la hâte, à cause des occupations de mon office de portière, me
bornant à exposer le plus brièvement possible ce que Notre-Seigneur a opéré en
moi.
La
Révérende Mère elle-même, vu ses nombreuses occupations, n’a pas toujours le
temps suffisant pour que je lui rende un compte détaillé au moment même où je
reçois ces lumières. Mais, comme il m’arrive de souffrir beaucoup jusqu’à ce
que j’aie exposé à ma supérieure ce qui s’est passé, j’ai pris la résolution
d’en prendre note, et je me sens soulagée aussitôt que je l’ai remise.
Après
ce petit préambule, je vais écrire tout simplement sous l’étoile de l’obéissance;
je vais donc parler dans la simplicité de mon âme, ayant peu de capacité, et
des difficultés à exprimer certaines choses que j’ai vues, ou entendues, ou
comprises...
Je
déclare encore que, s’il ne fallait qu’un léger mensonge pour obtenir
l’établissement de cette œuvre, assurément, je ne consentirais jamais à le
faire, car Dieu est vérité: j’ai la ferme confiance qu’il défendra Lui-même sa
cause, car Il me l’a promis...» [1]
«Je
vous obéi, ma Mère, et je priai Notre-Seigneur de votre part de me pardonner.
J’avais alors l’âme extrêmement agitée; l’oraison m’était difficile, mon
imagination était comme un coursier fougueux que je ne pouvais retenir; mais
Notre-Seigneur, dans sa bonté, entendit ma prière dictée par l’obéissance. Je
ne sais si c’est le lendemain, à mon réveil, j’entendis une voix intérieure qui
me dit:
—
Reviens à la maison de ton Père, qui n’est autre que mon Cœur.
Ces paroles ont de suite mis mon âme dans un grand
calme. M’étant rendue à l’oraison, je me suis unie à Notre-Seigneur au très
Saint-Sacrement et je crus entendre qu’Il me disait ces paroles:
— Appliquez-vous à honorer mon Cœur et celui de ma
Mère, ne les séparez point; priez-les pour vous et pour les pécheurs; alors
j’oublierai vos ingratitudes passées et je vous ferai plus de grâces
qu’autrefois parce que vous m’êtes plus unie par vos vœux. [2]
— C’est moi, [3] Jésus,
présent au Saint-Sacrement, qui vous parle. J’ai plusieurs manières de me
communiquer aux âmes: ne voyez-vous pas comme la votre est calme et attachée à
moi, tandis que ces jours derniers elle était comme une vagabonde ? Commencez à faire ce que je vous dis, et
vous en verrez bientôt les effets.» [4]
Ensuite, il me fit comprendre qu’il ne fallait
point m’attacher à une dévotion sensible, me donnant lumière pour voir comme on
s’attachait aux douceurs intérieures, croyant s’attacher à lui. Alors, selon sa
recommandation, je me suis appliquée à honorer ces aimables Cœurs
intérieurement et même extérieurement, en brodant des scapulaires où ils
étaient représentés, et je le priai de sauver ceux qui les auraient portés.
Puis j’ajoutai:
— Je ne souhaite point ces grâces sensibles.
Pourvu que vous soyez bien glorifié et que beaucoup d’âmes soient sauvées,
voilà tout ce que je désire.
A cette intention, j’ai offert ma volonté au Père,
ma mémoire au Fils, et mon entendement au Saint-Esprit. Je me suis aussi toute livrée aux mains de Dieu,
et j’ai senti qu’il s’appliquait à mon âme pour la purifier par la souffrance
intérieure. Alors j’ai été plongée dans l’amertume, perdue dans les ténèbres,
et attaquée par les tentations. Mais ce qui me faisait le plus souffrir,
c’était le désir d’aimer et de glorifier le Seigneur; mon âme endurait une faim
de Dieu, et il me semblait que tout ce que je faisais n’était rien, ne sentant
en moi qu’incapacité, péché et misère.
J’eus
envie d’avoir un livre qui m’aurait soulagée, et je le demandai à notre
Révérende Mère; elle me le refusa, malgré sa bonté ordinaire, me disant:
— Ma
fille, il ne faut pas sacrifier à Dieu seulement une chose; c’est le tout que
vous devez immoler. »
“Une
autre fois, étant plus souffrante encore, je voulus lui ouvrir mon âme; mais le
bon Dieu lui inspira d’agir de concert avec lui pour me faire marcher dans ce
chemin de mort; elle, toujours si compatissante, ne me permit pas cette fois
d’épancher mon cœur dans le sien, et me défendit de parler de mes peines à mon
confesseur avant quinze jours. Par la grâce de Dieu, je me soumis de bon cœur à
cette épreuve.
Le
démon du blasphème ne me faisait pas le moins souffrir, mais je me tenais
fortement attachée à la Croix pendant la tempête, n’osant pas dire à Dieu:
—
Rendez-moi la joie de votre assistance salutaire.
J’offrais
mes souffrances à Notre-Seigneur pour le salut des âmes et l’accomplissement de
ses desseins. Je lui dis un jour:
— Mon
Dieu, vous voyez que je connais bien à présent mon néant et ma misère!
Voulant dire:
— C’est assez, mon Dieu ! Je saurai maintenant discerner vos dons, et je ne
pourrai me les attribuer ; je le vois clairement, je ne suis que pauvreté et
impuissance. »
[1] Document B; page 1 et 2.
[2] Relation du mois d’Avril 1843.
[3] Sœur Saint-Pierre avait un doute sur l’origine de la
communication.
[4] Document B; page 4.
8
LE GRAND ORAGE – LA “FLÈCHE
D’OR”
Lettre du 26 août 1843
“Mon Nom est partout blasphémé”
“Le 26 du mois d’août, il y eut un terrible orage;
je n’ai jamais senti la justice d’un Dieu irrité comme dans ce moment-là;
aussi, prosternée, j’offrais sans cesse Notre-Seigneur Jésus-Christ à son Père
pour l’expiation de mes péchés et pour les besoins de la sainte Église. Une de mes sœurs éprouva la même chose, et
il n’est pas inutile que je dise ceci qui fut comme la première impression de
ce que je vais dire.
Le soir
de ce même orage, à l’oraison, je me suis mise au pied de la croix et je
m’approchai de Notre-Seigneur pour Lui demander le sujet de son courroux et lui
parler un peu de cet orage; alors Il changea sa conduite d’épreuves envers moi
et Il dit à peu près ces paroles :
— J’ai
entendu vos soupirs et vos gémissements, j’ai vu le désir que vous avez de me
glorifier; désir ne vient pas de vous, c’est moi qui l’ai fait naître dans
votre âme.
Alors
il m’a ouvert son Cœur, y a recueilli les puissances de mon âme et m’a adressé
ces paroles :
— Mon Nom est partout blasphémé ; même les enfants
blasphèment !
Alors, Il m’a fait entendre combien cet affreux
péché blessait douloureusement et plus que tous les autres son divin Cœur plus
que les autres.
— Par le blasphème, le pécheur le maudit en face,
l’attaque ouvertement, anéanti la Rédemption, et prononce lui-même sa condamnation
et son jugement.
Il me fit envisager le blasphème comme une flèche
empoisonnée, qui blessait continuellement son divin Cœur: alors Il me fit
entendre qu’Il voulait me donner une “flèche d’or” pour le blesser
délicieusement, ou pour cicatriser les blessures de la malice que lui font les
pécheurs.
Voici la formule de louange que Notre-Seigneur,
malgré ma grande indignité, me dicta pour la réparation des blasphèmes contre
son saint Nom et qu’Il me donna comme une flèche d’or, m’assurant qu’à chaque
fois que je la dirai, je blesserai son Cœur d’une blessure d’amour :
“Qu’à jamais soit loué, béni, aimé, adoré,
glorifié le très saint, très sacré, très adorable, très inconnu, très
inexprimable Nom de Dieu, au ciel, sur la terre et dans les enfers, par toutes
les créatures sorties des mains de Dieu et par le Sacré-Cœur de Notre-Seigneur
Jésus-Christ au très Saint-Sacrement de l’autel. Ainsi soit-il.” [1]
Comme je sentais en mon âme un certain étonnement
de ce que Notre-Seigneur ma disait “dans les enfers”, Il eut la bonté de me
faire comprendre que sa justice y était glorifiée. Je prie d’ailleurs, de remarquer qu’il ne m’a pas
dit dans l’enfer, mais dans les enfers: ce qui peut s’entendre du purgatoire,
où il est aimé et glorifié par les âmes souffrantes. Le mot enfer ne s’applique
pas seulement au lieu où sont les réprouvés; la foi nous enseigne que le
Sauveur, après sa mort, descendit dans les enfers, où étaient les âmes des
justes, et la sainte Église ne prie-t-elle pas son divin Époux d’arracher les
âmes de ses enfants aux portes de l’enfer: A porta inferi erue, Domine, animas
eorum ? [2]
Mais
revenons à notre sujet. Notre-Seigneur m’ayant donné cette flèche, ajouta :
— Faites attention à cette faveur, car je vous en
demanderai compte.
A ce
moment il me sembla voir sortir du Sacré-Cœur de Jésus, blessé par cette flèche
d’or, des torrents de grâces pour la conversion des pécheurs, ce qui me donna
la confiance de dire:
— Mon Seigneur, me chargez-vous donc des
blasphémateurs ?
Mais Notre-Seigneur ne me répondit rien. Moi, sentant ma faiblesse et
craignant le démon, j’ai prié la sainte Vierge de vouloir bien me garder ce que
son divin Fils venait de me confier, et j’ai pensé que Dieu était irrité à
cause des blasphèmes dont la ville était coupable.
Depuis cette communication, j’ai senti mon âme
toute changée; elle a été toute occupée à glorifier le très saint Nom de Dieu. Notre-Seigneur m’a inspiré un petit
exercice de réparation joint à cette louange de la Flèche d’Or, pour réparer,
par vingt-quatre adorations, les blasphèmes qui sont proférés à chaque heure du
jour; Notre-Seigneur a eu la bonté de me faire connaître que cet exercice lui
était agréable, mais Il désire que cette dévotion se répande. Ce divin Sauveur
m’a fait participer au désir qu’Il ressent de voir glorifier le Nom de son
Père; et il me semble que, de même que les anges qui, sans cesse chantent
Sanctus! Sanctus! Sanctus!, il fallait que je m’applique à glorifier son saint
Nom; qu’en faisant cet exercice, j’accomplirais l’ordre qu’Il m’avait donné
d’honorer son divin Cœur et celui de sa sainte Mère, car ils sont l’un et
l’autre blessés par le blasphème. Il m’a fait également comprendre que cela ne
m’empêcherait pas de l’honorer das ses mystères, comme j’en ai l’habitude,
parce que dans les mystères de sa vie son Cœur a souffert pour le péché du blasphème.
Je
compris encore que, plus une chose était agréable à Dieu, plus Satan la rendait
amère pour en dégoûter l’âme ; mais si l’on est fidèle, on acquiert beaucoup de
mérites. Notre divin Sauveur me donnait ces instructions pour me soutenir dans
les combats que devait me livrer le démon, à cause de cette œuvre qu’il
voudrait l’anéantir, comme Notre-Seigneur me l’a fait connaître, mais ses
efforts seront vains.» [3]
(On commence par le “Magnificat”)
1 En union avec le Sacré-Cœur de
Jésus : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.
2 En union avec le saint Cœur de
Marie : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.
3 En union avec le glorieux saint
Joseph : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.
4 En union avec saint Jean-Baptiste:
Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.
5 En union avec les chœur des
Séraphins : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout
nom.
6 En union avec le chœur de Chérubins
: Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.
7 En union avec le chœur de Trônes :
Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.
8 En union avec le chœur des
Dominations : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout
nom.
9 En union avec le chœur des Vertus :
Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.
10 En union avec le chœur des
Puissances : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout
nom.
11 En union avec le chœur des
Principautés : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de
tout nom.
12 En union avec le chœur des
Archanges : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout
nom.
13 En union avec le chœur des Anges :
Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.
14 En union avec les sept Esprits qui
sont devant le trône de Dieu et les vingt-quatre vieillards : Venez, adorons le
Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.
15 En union avec le chœur des
Patriarches : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout
nom.
16 En union avec le chœur des
Prophètes : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout
nom.
17 En union avec le chœur des Apôtres
et les quatre Évangélistes : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est
au-dessus de tout nom.
18 En union avec le chœur des Martyrs
: Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.
19 En union avec le chœur des saints
Pontifes : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout
nom.
20 En union avec le chœur des saints
Confesseurs : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout
nom.
21 En union avec le chœur des saintes
Vierges : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout
nom.
22 En union avec le chœur des saintes
Femmes : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.
23 En union avec toute la cour
céleste : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.
24 En union avec toute l’Église et au
nom de tous les hommes : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est
au-dessus de tout nom, et prosternons-nous devant lui. Pleurons en présence du
Seigneur qui nous a faits, car il est le Seigneur notre Dieu ; nous sommes son
peuple et les brebis qu’il conduit lui-même à ses pâturages.
* * *
“Un
jour que j’allai chez notre Révérende Mère lui rendre compte de mes
dispositions intérieures, je lui dis que, dans mon oraison, je me trouvais tout
occupée à réparer les outrages faits à Dieu par les; elle me gronda beaucoup et
me défendit de continuer, m’enjoignant de m’appliquer à méditer simplement sur
mes fins dernières ou sur quelque autre sujet. Elle me reprocha de vouloir me
mêler de faire réparation pour les autres, tandis que moi-même j’avais
peut-être blasphémé Dieu dans mon cœur.
— Et ne
feriez-vous pas mieux de méditer ces paroles qui peuvent vous être dites un
jour: “Allez, maudits, au feu éternel!»
Voyant
que notre bonne Mère avait l’air d’être si mécontente de moi, j’allai dire mes
peines à Notre-Seigneur; car je me trouvais fort embarrassée pour changer ma
méthode d’oraison et résister à l’attrait qu’il me donnait. J’avais aussi très
grand peur de désobéir. C’est pourquoi je m’acquittai de mon mieux de la
méditation qu’on m’avait indiquée; puis j’en rendis compte à notre Mère, et
lorsqu’elle m’eut dit que j’avais bien rempli son intention, le calme revint
dans mon âme. Un jour, Notre-Seigneur me fit entendre qu’il fallait que
j’obéisse à mes supérieurs plutôt qu’à ce que je croirais qu’il me disait
lui-même; aussi, avec le secours de la grâce, je me suis toujours soumise à
leurs sages conseils.»
LE POIDS DE LA CROIX
[Je ne
trouvais nulle part du réconfort, ni dans mon confesseur, ni dans mes
supérieurs], “lesquels, dans leur sagesse, voulaient éprouver mon esprit pour
s’assurer de l’œuvre de Dieu. Ah! c’est alors que je sentis la pesanteur de la
croix que Notre-Seigneur, avant mon entrée au Carmel, avait promis de me donner
en religion.»
“Quand
Notre-Seigneur me communiquait quelque chose au sujet de son œuvre, je n’osais
en parler à notre bonne Mère; mais je l’écrivais, et je lui portais cet écrit
dans son office; j’étais bien aise quand je ne la trouvais pas. Une fois
entre autres, j’étais toute tremblante devant le Saint-Sacrement, ayant en main
ma petite lettre pour la présenter à Notre-Seigneur avant d’aller la remettre.
Quelquefois l’œuvre de réparation était en moi comme un feu dévorant; je
sentais le besoin d’en parler à quelqu’un qui s’y serait peut-être intéressé,
mais on ne voulait point me le permettre.
A la fin pourtant, Notre-Seigneur me donna une
grande consolation: j’étais un jour aux pieds de notre Révérende Mère à lui
rendre compte des souffrances intérieures que m’occasionnait l’œuvre dont
j’étais chargée. La bonne Mère me
disait :
— Que
voulez-vous, ma fille ? Je n’y puis rien faire ; il faut que vous l’enfantiez,
cette œuvre, dans la douleur.
Voilà
tout à coup que, par un trait de la Providence, il tombe, d’un livre qu’elle
tenait à la main, un petit imprimé où il y avait une amende honorable au très
saint Nom de Dieu, suivie d’un “avertissement au peuple français” pour apaiser
la colère de Dieu irrité à cause des blasphèmes. Cet écrit avait un
rapport frappant avec les communications que je recevais, et qui paraissaient
alors une chimère de mon imagination. La Révérende Mère était dans le plus
grand étonnement. Elle ne connaissait pas auparavant cet imprimé; personne ne
savait qu’il fût dans la maison; le livre qui le contenait n’était peut-être
pas sorti de la bibliothèque depuis vingt ans, et ce fut en ma présence que cet
incident arriva. J’étais ravie de
joie, et ne pouvais m’empêcher de reconnaître que le ciel commençait à parler
en ma faveur. [4]
Dans sa surprise, notre bonne Mère me dit en
souriant :
— Ma
sœur, si je ne vous connaissais pas, je vous prendrais pour une sorcière.
Je
répondis :
— Ma
Mère, ce sont les saints anges qui vous ont mis cela entre les mains.
Je me
rappelais, en effet, les avoir invoqués avant d’entrer dans la cellule de notre
Mère, et sans doute qu’ils avaient contribué à cet événement en faisant sortir
à propos ce livre de la bibliothèque.»
UNE COÏNCIDENCE FORT REMARQUABLE…
“C’est
qu’un Monsieur très pieux avait porté, dans plusieurs communautés de Tours, une
prière à la gloire du saint Nom de Dieu pour obtenir, par l’intercession de
saint Louis, roi de France, de voir disparaître les ennemis de ce nom divin. La
prière s’était faite avant la fête du saint, et, ce qui est plus admirable dans
la conduite de la Providence, on avait fait circuler cette prière dans toutes
les maisons religieuses de la ville, comme on l’a su depuis, excepté aux
Carmélites, et, le lendemain, le Seigneur communiquait à la plus indigne de ses
servantes le fruit des prières de ces saintes âmes.» [5]
MOINS DE SÉVÉRITÉ ENVERS SŒUR SAINT-PIERRE
“Il me
fut permis de m’occuper de l’œuvre de Dieu selon l’inspiration que
Notre-Seigneur m’en donnerait. Notre Révérende Mère m’ayant rendu les prières de
la Réparation, j’en fus ravie de joie, et tous les jours je les récitais avec
une grande dévotion. Le bon Maître me fit connaître qu’elles lui étaient
agréables. Bientôt après, il me dit
que je devais demander à mes supérieurs de les faire imprimer; nouvelle peine
pour moi, car notre sage et prudente Mère, voyant que Notre-Seigneur continuait
à mon égard les poursuites de son œuvre, voulut l’asseoir sur un fondement
solide; c’est pourquoi elle continua de m’éprouver, afin de mieux voir si
c’était vraiment l’esprit de Dieu qui me conduisait.
Un
jour, elle me dit que je lui faisais l’effet d’un nouveau Pierre Michel.
C’était un illuminé, qui avait trompé bien du monde pars ses fausses
révélations; il vint rendre visite à notre Révérende Mère ; mais elle ne se
laissa point séduire par ses impostures, et vit tout de suite l’esprit qui
l’animait. Effectivement, cet homme fut traduit en justice, reconnu
comme escroc, et condamné à plusieurs années de prison. Me voyant mise en
parallèle avec cet individu, je ne savais trop que penser de mes
communications. Notre-Seigneur me rassura en me disant :
— Tant
que vous serez obéissante et humble, soyez sûre que vous n’êtes point dans
l’illusion.
Bientôt
notre Révérende Mère tomba très malade. Quoiqu’elle me grondât souvent pour le
bien de mon âme et pour assurer l’œuvre de Dieu, cependant je l’aimais
beaucoup, et j’avais une très grande confiance en elle. Un jour, pendant mon
oraison, c’était le soir de la fête de saint Michel, Notre-Seigneur me fit
entendre que son divin Cœur avait pour agréable ma petite Réparation; que ces
prières lui faisaient oublier mes ingratitudes ; que, si la communauté voulait
obtenir la grâce que notre Révérende Mère fût en état de vaquer à ses affaires,
non sans souffrir, mais moins vivement, il fallait faire une neuvaine
satisfatoire devant le Saint-Sacrement pour la réparation des blasphèmes contre
le saint Nom de Dieu, et dire les prières du petit exercice qu’il m’avait
inspiré; qu’il était bien juste à des enfants d’aider leur mère; enfin que, si
l’on donnait cette satisfaction à son Cœur, il l’ouvrirait pour combler de
grâces la communauté.
Je ne
pouvais plus me refuser à faire la commission de Notre-Seigneur, qui ajouta,
afin de m’y engager :
— Oh !
si vous saviez ce que j’ai fait pour vous, et combien je me suis appliqué à
votre âme, vous seriez dans l’étonnement et voir le Créateur ainsi abaissé vers
sa créature !.
Alors
j’ai dit :
— Eh
bien : mon Seigneur, je vais me mettre encore en gage pour vous; car je ne
risque autre chose que de recevoir des humiliations, et vous serez glorifié de
cette neuvaine.
Je me
suis placée donc sous la protection de la sainte Vierge, et j’ai communiqué ma
pensée à notre Révérende Mère, qui, ce jour-là, se trouvait dans l’état le plus
pénible par la violence des douleurs. Elle consenti à faire la neuvaine; mais,
afin que les sœurs n’aient aucun soupçon que c’était moi qui avais composé ces
prières, et afin qu’on ne reconnût point mon écriture, mon confesseur eut la
bonté de les copier. On crut que cette nouvelle dévotion venait de lui.
Pour
moi, je ne me suis pas repentie de m’être engagée au nom de Notre-Seigneur, qui
ne se laisse jamais vaincre en générosité. En effet, ce même jour, qui était la
fête de saint Michel, le divin Maître me déclara sa volonté que notre Mère
s’occupât de répandre ces prières réparatrices; comme elle était bien
souffrante, il me donna pour gage de ma mission l’amélioration de sa santé. Il
m’assura qu’il n’y avait, dans cette dévotion, rien de contraire à l’esprit de
l’Église ; car que fait l’Église, si ce n’est de glorifier continuellement le
saint Nom de Dieu ? Je lui promis que, s’il guérissait notre Mère, elle ne
négligerait point ses affaires; aussi, lorsqu’elle fut mieux :
— Mon
Seigneur, lui dis-je, je ferai encore vos commissions quand vous en aurez.
Le
céleste Époux, en effet, fidèle à sa parole, rendit la santé à la chère malade,
qui fut bientôt en état de vaquer aux fonctions alors si importantes de sa
charge.
[1] A réciter chaque jour
et, à chaque fois que vous entendrez blasphémer.
[2] Office des morts.
[3] Lettre du 26 août 1843.
[4] Vie manuscrite; page
65. Document A, page 69.
“L’écrit en question avait
été publié, en 1819, par l’abbé Soyer, alors vicaire général de Poitiers, et
devenu plus tard évêque de Luçon. A son premier titre d’Avertissement au peuple
français, il s’en joignait un second: ou Réparation inspirée pour apaiser la
colère de Dieu; on y proclamait hautement que les blasphèmes attiraient “la
colère de Dieu” sur la France, et on y proposait des supplications analogues à
celles qui étaient demandées à Marie de Saint-Pierre. (...) La Mère supérieure
poussa plus loin ses informations; elle écrivit à Monseigneur Soyer, qui vivait
encore, pour avoir quelques renseignements à ce sujet. Le prélat répondit qu’effectivement c’était lui-même
qui avait publié cet “avertissement” à la prière d’une carmélite de Poitiers,
nommée sœur Adélaïde, âme d’élite, à laquelle Notre-Seigneur s’était très
intimement communiqué. (...) Or la Mère Adélaïde venait de mourir le 31 juillet
de la même année 1843; et c’était vingt-six jours après son décès que la sœur
Saint-Pierre, religieuse du même ordre recevait la mission de demander l’œuvre
réparatrice du blasphème, comme si Dieu avait attendu la mort d’un de ses
prophètes pour en susciter un autre ». Abbé Janvier: “Vie de la Sœur
Saint-Pierre”. Carmel de Tours 1884; pages 126-127.
[5] Document A, page 70. Le
“Monsieur très pieux” n’était autre que Monsieur Dupont, le saint homme de
Tours.