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Thursday, 4 December 2025

Thursday's Serial: “Journal Spirituel” by Sœur Marie de Saint-Pierre (in French) - V.

 

7

REVIENS À LA MAISON DE TON PÈRE...

RELATION D’AVRIL 1843

Déclaration

“Avant de commencer cette relation, je déclare dans la vérité et la simplicité de mon âme qu’il n’y a que la gloire de Dieu seul et l’accomplissement de sa très sainte Volonté qui me pressent de faire connaître ce que je crois que Notre-Seigneur m’a communiqué dans sa miséricorde par rapport à l’Œuvre de la Réparation des Blasphèmes. Je prendrai copie des lettres que j’ai adressées à notre très Révérende Mère prieure, en y ajoutant ce qui sera nécessaire pour me faire mieux comprendre, avec les remarques que j’ai faites de vive voix ou dont je me suis souvenue depuis.

Je déclare que le motif qui me porte à ces corrections est que j’écris ordinairement à la hâte, à cause des occupations de mon office de portière, me bornant à exposer le plus brièvement possible ce que Notre-Seigneur a opéré en moi.

La Révérende Mère elle-même, vu ses nombreuses occupations, n’a pas toujours le temps suffisant pour que je lui rende un compte détaillé au moment même où je reçois ces lumières. Mais, comme il m’arrive de souffrir beaucoup jusqu’à ce que j’aie exposé à ma supérieure ce qui s’est passé, j’ai pris la résolution d’en prendre note, et je me sens soulagée aussitôt que je l’ai remise.

Après ce petit préambule, je vais écrire tout simplement sous l’étoile de l’obéissance; je vais donc parler dans la simplicité de mon âme, ayant peu de capacité, et des difficultés à exprimer certaines choses que j’ai vues, ou entendues, ou comprises...

Je déclare encore que, s’il ne fallait qu’un léger mensonge pour obtenir l’établissement de cette œuvre, assurément, je ne consentirais jamais à le faire, car Dieu est vérité: j’ai la ferme confiance qu’il défendra Lui-même sa cause, car Il me l’a promis...» [1]

«Je vous obéi, ma Mère, et je priai Notre-Seigneur de votre part de me pardonner. J’avais alors l’âme extrêmement agitée; l’oraison m’était difficile, mon imagination était comme un coursier fougueux que je ne pouvais retenir; mais Notre-Seigneur, dans sa bonté, entendit ma prière dictée par l’obéissance. Je ne sais si c’est le lendemain, à mon réveil, j’entendis une voix intérieure qui me dit:

— Reviens à la maison de ton Père, qui n’est autre que mon Cœur.

Ces paroles ont de suite mis mon âme dans un grand calme. M’étant rendue à l’oraison, je me suis unie à Notre-Seigneur au très Saint-Sacrement et je crus entendre qu’Il me disait ces paroles:

— Appliquez-vous à honorer mon Cœur et celui de ma Mère, ne les séparez point; priez-les pour vous et pour les pécheurs; alors j’oublierai vos ingratitudes passées et je vous ferai plus de grâces qu’autrefois parce que vous m’êtes plus unie par vos vœux. [2]

— C’est moi, [3] Jésus, présent au Saint-Sacrement, qui vous parle. J’ai plusieurs manières de me communiquer aux âmes: ne voyez-vous pas comme la votre est calme et attachée à moi, tandis que ces jours derniers elle était comme une vagabonde ? Commencez à faire ce que je vous dis, et vous en verrez bientôt les effets.» [4]

Ensuite, il me fit comprendre qu’il ne fallait point m’attacher à une dévotion sensible, me donnant lumière pour voir comme on s’attachait aux douceurs intérieures, croyant s’attacher à lui. Alors, selon sa recommandation, je me suis appliquée à honorer ces aimables Cœurs intérieurement et même extérieurement, en brodant des scapulaires où ils étaient représentés, et je le priai de sauver ceux qui les auraient portés. Puis j’ajoutai:

— Je ne souhaite point ces grâces sensibles. Pourvu que vous soyez bien glorifié et que beaucoup d’âmes soient sauvées, voilà tout ce que je désire.

A cette intention, j’ai offert ma volonté au Père, ma mémoire au Fils, et mon entendement au Saint-Esprit. Je me suis aussi toute livrée aux mains de Dieu, et j’ai senti qu’il s’appliquait à mon âme pour la purifier par la souffrance intérieure. Alors j’ai été plongée dans l’amertume, perdue dans les ténèbres, et attaquée par les tentations. Mais ce qui me faisait le plus souffrir, c’était le désir d’aimer et de glorifier le Seigneur; mon âme endurait une faim de Dieu, et il me semblait que tout ce que je faisais n’était rien, ne sentant en moi qu’incapacité, péché et misère.

J’eus envie d’avoir un livre qui m’aurait soulagée, et je le demandai à notre Révérende Mère; elle me le refusa, malgré sa bonté ordinaire, me disant:

— Ma fille, il ne faut pas sacrifier à Dieu seulement une chose; c’est le tout que vous devez immoler. »

“Une autre fois, étant plus souffrante encore, je voulus lui ouvrir mon âme; mais le bon Dieu lui inspira d’agir de concert avec lui pour me faire marcher dans ce chemin de mort; elle, toujours si compatissante, ne me permit pas cette fois d’épancher mon cœur dans le sien, et me défendit de parler de mes peines à mon confesseur avant quinze jours. Par la grâce de Dieu, je me soumis de bon cœur à cette épreuve.

Le démon du blasphème ne me faisait pas le moins souffrir, mais je me tenais fortement attachée à la Croix pendant la tempête, n’osant pas dire à Dieu:

— Rendez-moi la joie de votre assistance salutaire.

J’offrais mes souffrances à Notre-Seigneur pour le salut des âmes et l’accomplissement de ses desseins. Je lui dis un jour:

— Mon Dieu, vous voyez que je connais bien à présent mon néant et ma misère!

Voulant dire:

— C’est assez, mon Dieu ! Je saurai maintenant discerner vos dons, et je ne pourrai me les attribuer ; je le vois clairement, je ne suis que pauvreté et impuissance. »

 

[1] Document B; page 1 et 2.

[2] Relation du mois d’Avril 1843.

[3] Sœur Saint-Pierre avait un doute sur l’origine de la communication.

[4] Document B; page 4.

 

 

8

LE GRAND ORAGE – LA “FLÈCHE D’OR”

 

    Lettre du 26 août 1843

“Mon Nom est partout blasphémé”

 

“Le 26 du mois d’août, il y eut un terrible orage; je n’ai jamais senti la justice d’un Dieu irrité comme dans ce moment-là; aussi, prosternée, j’offrais sans cesse Notre-Seigneur Jésus-Christ à son Père pour l’expiation de mes péchés et pour les besoins de la sainte Église. Une de mes sœurs éprouva la même chose, et il n’est pas inutile que je dise ceci qui fut comme la première impression de ce que je vais dire.

Le soir de ce même orage, à l’oraison, je me suis mise au pied de la croix et je m’approchai de Notre-Seigneur pour Lui demander le sujet de son courroux et lui parler un peu de cet orage; alors Il changea sa conduite d’épreuves envers moi et Il dit à peu près ces paroles :

— J’ai entendu vos soupirs et vos gémissements, j’ai vu le désir que vous avez de me glorifier; désir ne vient pas de vous, c’est moi qui l’ai fait naître dans votre âme.

Alors il m’a ouvert son Cœur, y a recueilli les puissances de mon âme et m’a adressé ces paroles :

— Mon Nom est partout blasphémé ; même les enfants blasphèment !

Alors, Il m’a fait entendre combien cet affreux péché blessait douloureusement et plus que tous les autres son divin Cœur plus que les autres.

— Par le blasphème, le pécheur le maudit en face, l’attaque ouvertement, anéanti la Rédemption, et prononce lui-même sa condamnation et son jugement.

Il me fit envisager le blasphème comme une flèche empoisonnée, qui blessait continuellement son divin Cœur: alors Il me fit entendre qu’Il voulait me donner une “flèche d’or” pour le blesser délicieusement, ou pour cicatriser les blessures de la malice que lui font les pécheurs.

Voici la formule de louange que Notre-Seigneur, malgré ma grande indignité, me dicta pour la réparation des blasphèmes contre son saint Nom et qu’Il me donna comme une flèche d’or, m’assurant qu’à chaque fois que je la dirai, je blesserai son Cœur d’une blessure d’amour :

“Qu’à jamais soit loué, béni, aimé, adoré, glorifié le très saint, très sacré, très adorable, très inconnu, très inexprimable Nom de Dieu, au ciel, sur la terre et dans les enfers, par toutes les créatures sorties des mains de Dieu et par le Sacré-Cœur de Notre-Seigneur Jésus-Christ au très Saint-Sacrement de l’autel. Ainsi soit-il.” [1]

Comme je sentais en mon âme un certain étonnement de ce que Notre-Seigneur ma disait “dans les enfers”, Il eut la bonté de me faire comprendre que sa justice y était glorifiée. Je prie d’ailleurs, de remarquer qu’il ne m’a pas dit dans l’enfer, mais dans les enfers: ce qui peut s’entendre du purgatoire, où il est aimé et glorifié par les âmes souffrantes. Le mot enfer ne s’applique pas seulement au lieu où sont les réprouvés; la foi nous enseigne que le Sauveur, après sa mort, descendit dans les enfers, où étaient les âmes des justes, et la sainte Église ne prie-t-elle pas son divin Époux d’arracher les âmes de ses enfants aux portes de l’enfer: A porta inferi erue, Domine, animas eorum ? [2]

Mais revenons à notre sujet. Notre-Seigneur m’ayant donné cette flèche, ajouta :

— Faites attention à cette faveur, car je vous en demanderai compte.

A ce moment il me sembla voir sortir du Sacré-Cœur de Jésus, blessé par cette flèche d’or, des torrents de grâces pour la conversion des pécheurs, ce qui me donna la confiance de dire:

— Mon Seigneur, me chargez-vous donc des blasphémateurs ?

          Mais Notre-Seigneur ne me répondit rien. Moi, sentant ma faiblesse et craignant le démon, j’ai prié la sainte Vierge de vouloir bien me garder ce que son divin Fils venait de me confier, et j’ai pensé que Dieu était irrité à cause des blasphèmes dont la ville était coupable.

Depuis cette communication, j’ai senti mon âme toute changée; elle a été toute occupée à glorifier le très saint Nom de Dieu. Notre-Seigneur m’a inspiré un petit exercice de réparation joint à cette louange de la Flèche d’Or, pour réparer, par vingt-quatre adorations, les blasphèmes qui sont proférés à chaque heure du jour; Notre-Seigneur a eu la bonté de me faire connaître que cet exercice lui était agréable, mais Il désire que cette dévotion se répande. Ce divin Sauveur m’a fait participer au désir qu’Il ressent de voir glorifier le Nom de son Père; et il me semble que, de même que les anges qui, sans cesse chantent Sanctus! Sanctus! Sanctus!, il fallait que je m’applique à glorifier son saint Nom; qu’en faisant cet exercice, j’accomplirais l’ordre qu’Il m’avait donné d’honorer son divin Cœur et celui de sa sainte Mère, car ils sont l’un et l’autre blessés par le blasphème. Il m’a fait également comprendre que cela ne m’empêcherait pas de l’honorer das ses mystères, comme j’en ai l’habitude, parce que dans les mystères de sa vie son Cœur a souffert pour le péché du blasphème.

Je compris encore que, plus une chose était agréable à Dieu, plus Satan la rendait amère pour en dégoûter l’âme ; mais si l’on est fidèle, on acquiert beaucoup de mérites. Notre divin Sauveur me donnait ces instructions pour me soutenir dans les combats que devait me livrer le démon, à cause de cette œuvre qu’il voudrait l’anéantir, comme Notre-Seigneur me l’a fait connaître, mais ses efforts seront vains.» [3]

(On commence par le “Magnificat”)

          1 En union avec le Sacré-Cœur de Jésus : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          2 En union avec le saint Cœur de Marie : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          3 En union avec le glorieux saint Joseph : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          4 En union avec saint Jean-Baptiste: Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          5 En union avec les chœur des Séraphins : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          6 En union avec le chœur de Chérubins : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          7 En union avec le chœur de Trônes : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          8 En union avec le chœur des Dominations : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          9 En union avec le chœur des Vertus : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          10 En union avec le chœur des Puissances : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          11 En union avec le chœur des Principautés : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          12 En union avec le chœur des Archanges : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          13 En union avec le chœur des Anges : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          14 En union avec les sept Esprits qui sont devant le trône de Dieu et les vingt-quatre vieillards : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          15 En union avec le chœur des Patriarches : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          16 En union avec le chœur des Prophètes : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          17 En union avec le chœur des Apôtres et les quatre Évangélistes : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          18 En union avec le chœur des Martyrs : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          19 En union avec le chœur des saints Pontifes : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          20 En union avec le chœur des saints Confesseurs : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          21 En union avec le chœur des saintes Vierges : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          22 En union avec le chœur des saintes Femmes : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          23 En union avec toute la cour céleste : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom.

          24 En union avec toute l’Église et au nom de tous les hommes : Venez, adorons le Nom admirable de Dieu qui est au-dessus de tout nom, et prosternons-nous devant lui. Pleurons en présence du Seigneur qui nous a faits, car il est le Seigneur notre Dieu ; nous sommes son peuple et les brebis qu’il conduit lui-même à ses pâturages.

 

* * *

 

“Un jour que j’allai chez notre Révérende Mère lui rendre compte de mes dispositions intérieures, je lui dis que, dans mon oraison, je me trouvais tout occupée à réparer les outrages faits à Dieu par les; elle me gronda beaucoup et me défendit de continuer, m’enjoignant de m’appliquer à méditer simplement sur mes fins dernières ou sur quelque autre sujet. Elle me reprocha de vouloir me mêler de faire réparation pour les autres, tandis que moi-même j’avais peut-être blasphémé Dieu dans mon cœur.

— Et ne feriez-vous pas mieux de méditer ces paroles qui peuvent vous être dites un jour: “Allez, maudits, au feu éternel!»

Voyant que notre bonne Mère avait l’air d’être si mécontente de moi, j’allai dire mes peines à Notre-Seigneur; car je me trouvais fort embarrassée pour changer ma méthode d’oraison et résister à l’attrait qu’il me donnait. J’avais aussi très grand peur de désobéir. C’est pourquoi je m’acquittai de mon mieux de la méditation qu’on m’avait indiquée; puis j’en rendis compte à notre Mère, et lorsqu’elle m’eut dit que j’avais bien rempli son intention, le calme revint dans mon âme. Un jour, Notre-Seigneur me fit entendre qu’il fallait que j’obéisse à mes supérieurs plutôt qu’à ce que je croirais qu’il me disait lui-même; aussi, avec le secours de la grâce, je me suis toujours soumise à leurs sages conseils.»

 

LE POIDS DE LA CROIX

[Je ne trouvais nulle part du réconfort, ni dans mon confesseur, ni dans mes supérieurs], “lesquels, dans leur sagesse, voulaient éprouver mon esprit pour s’assurer de l’œuvre de Dieu. Ah! c’est alors que je sentis la pesanteur de la croix que Notre-Seigneur, avant mon entrée au Carmel, avait promis de me donner en religion.»

“Quand Notre-Seigneur me communiquait quelque chose au sujet de son œuvre, je n’osais en parler à notre bonne Mère; mais je l’écrivais, et je lui portais cet écrit dans son office; j’étais bien aise quand je ne la trouvais pas. Une fois entre autres, j’étais toute tremblante devant le Saint-Sacrement, ayant en main ma petite lettre pour la présenter à Notre-Seigneur avant d’aller la remettre. Quelquefois l’œuvre de réparation était en moi comme un feu dévorant; je sentais le besoin d’en parler à quelqu’un qui s’y serait peut-être intéressé, mais on ne voulait point me le permettre.

A la fin pourtant, Notre-Seigneur me donna une grande consolation: j’étais un jour aux pieds de notre Révérende Mère à lui rendre compte des souffrances intérieures que m’occasionnait l’œuvre dont j’étais chargée. La bonne Mère me disait :

— Que voulez-vous, ma fille ? Je n’y puis rien faire ; il faut que vous l’enfantiez, cette œuvre, dans la douleur.

Voilà tout à coup que, par un trait de la Providence, il tombe, d’un livre qu’elle tenait à la main, un petit imprimé où il y avait une amende honorable au très saint Nom de Dieu, suivie d’un “avertissement au peuple français” pour apaiser la colère de Dieu irrité à cause des blasphèmes. Cet écrit avait un rapport frappant avec les communications que je recevais, et qui paraissaient alors une chimère de mon imagination. La Révérende Mère était dans le plus grand étonnement. Elle ne connaissait pas auparavant cet imprimé; personne ne savait qu’il fût dans la maison; le livre qui le contenait n’était peut-être pas sorti de la bibliothèque depuis vingt ans, et ce fut en ma présence que cet incident arriva. J’étais ravie de joie, et ne pouvais m’empêcher de reconnaître que le ciel commençait à parler en ma faveur. [4]

Dans sa surprise, notre bonne Mère me dit en souriant :

— Ma sœur, si je ne vous connaissais pas, je vous prendrais pour une sorcière.

Je répondis :

— Ma Mère, ce sont les saints anges qui vous ont mis cela entre les mains.

Je me rappelais, en effet, les avoir invoqués avant d’entrer dans la cellule de notre Mère, et sans doute qu’ils avaient contribué à cet événement en faisant sortir à propos ce livre de la bibliothèque.»

 

UNE COÏNCIDENCE FORT REMARQUABLE…

“C’est qu’un Monsieur très pieux avait porté, dans plusieurs communautés de Tours, une prière à la gloire du saint Nom de Dieu pour obtenir, par l’intercession de saint Louis, roi de France, de voir disparaître les ennemis de ce nom divin. La prière s’était faite avant la fête du saint, et, ce qui est plus admirable dans la conduite de la Providence, on avait fait circuler cette prière dans toutes les maisons religieuses de la ville, comme on l’a su depuis, excepté aux Carmélites, et, le lendemain, le Seigneur communiquait à la plus indigne de ses servantes le fruit des prières de ces saintes âmes.» [5]

 

MOINS DE SÉVÉRITÉ ENVERS SŒUR SAINT-PIERRE

“Il me fut permis de m’occuper de l’œuvre de Dieu selon l’inspiration que Notre-Seigneur m’en donnerait. Notre Révérende Mère m’ayant rendu les prières de la Réparation, j’en fus ravie de joie, et tous les jours je les récitais avec une grande dévotion. Le bon Maître me fit connaître qu’elles lui étaient agréables. Bientôt après, il me dit que je devais demander à mes supérieurs de les faire imprimer; nouvelle peine pour moi, car notre sage et prudente Mère, voyant que Notre-Seigneur continuait à mon égard les poursuites de son œuvre, voulut l’asseoir sur un fondement solide; c’est pourquoi elle continua de m’éprouver, afin de mieux voir si c’était vraiment l’esprit de Dieu qui me conduisait.

Un jour, elle me dit que je lui faisais l’effet d’un nouveau Pierre Michel. C’était un illuminé, qui avait trompé bien du monde pars ses fausses révélations; il vint rendre visite à notre Révérende Mère ; mais elle ne se laissa point séduire par ses impostures, et vit tout de suite l’esprit qui l’animait. Effectivement, cet homme fut traduit en justice, reconnu comme escroc, et condamné à plusieurs années de prison. Me voyant mise en parallèle avec cet individu, je ne savais trop que penser de mes communications. Notre-Seigneur me rassura en me disant :

— Tant que vous serez obéissante et humble, soyez sûre que vous n’êtes point dans l’illusion.

Bientôt notre Révérende Mère tomba très malade. Quoiqu’elle me grondât souvent pour le bien de mon âme et pour assurer l’œuvre de Dieu, cependant je l’aimais beaucoup, et j’avais une très grande confiance en elle. Un jour, pendant mon oraison, c’était le soir de la fête de saint Michel, Notre-Seigneur me fit entendre que son divin Cœur avait pour agréable ma petite Réparation; que ces prières lui faisaient oublier mes ingratitudes ; que, si la communauté voulait obtenir la grâce que notre Révérende Mère fût en état de vaquer à ses affaires, non sans souffrir, mais moins vivement, il fallait faire une neuvaine satisfatoire devant le Saint-Sacrement pour la réparation des blasphèmes contre le saint Nom de Dieu, et dire les prières du petit exercice qu’il m’avait inspiré; qu’il était bien juste à des enfants d’aider leur mère; enfin que, si l’on donnait cette satisfaction à son Cœur, il l’ouvrirait pour combler de grâces la communauté.

Je ne pouvais plus me refuser à faire la commission de Notre-Seigneur, qui ajouta, afin de m’y engager :

— Oh ! si vous saviez ce que j’ai fait pour vous, et combien je me suis appliqué à votre âme, vous seriez dans l’étonnement et voir le Créateur ainsi abaissé vers sa créature !.

Alors j’ai dit :

— Eh bien : mon Seigneur, je vais me mettre encore en gage pour vous; car je ne risque autre chose que de recevoir des humiliations, et vous serez glorifié de cette neuvaine.

Je me suis placée donc sous la protection de la sainte Vierge, et j’ai communiqué ma pensée à notre Révérende Mère, qui, ce jour-là, se trouvait dans l’état le plus pénible par la violence des douleurs. Elle consenti à faire la neuvaine; mais, afin que les sœurs n’aient aucun soupçon que c’était moi qui avais composé ces prières, et afin qu’on ne reconnût point mon écriture, mon confesseur eut la bonté de les copier. On crut que cette nouvelle dévotion venait de lui.

Pour moi, je ne me suis pas repentie de m’être engagée au nom de Notre-Seigneur, qui ne se laisse jamais vaincre en générosité. En effet, ce même jour, qui était la fête de saint Michel, le divin Maître me déclara sa volonté que notre Mère s’occupât de répandre ces prières réparatrices; comme elle était bien souffrante, il me donna pour gage de ma mission l’amélioration de sa santé. Il m’assura qu’il n’y avait, dans cette dévotion, rien de contraire à l’esprit de l’Église ; car que fait l’Église, si ce n’est de glorifier continuellement le saint Nom de Dieu ? Je lui promis que, s’il guérissait notre Mère, elle ne négligerait point ses affaires; aussi, lorsqu’elle fut mieux :

— Mon Seigneur, lui dis-je, je ferai encore vos commissions quand vous en aurez.

Le céleste Époux, en effet, fidèle à sa parole, rendit la santé à la chère malade, qui fut bientôt en état de vaquer aux fonctions alors si importantes de sa charge.

 

[1] A réciter chaque jour et, à chaque fois que vous entendrez blasphémer.

[2] Office des morts.

[3] Lettre du 26 août 1843.

[4] Vie manuscrite; page 65. Document A, page 69.

“L’écrit en question avait été publié, en 1819, par l’abbé Soyer, alors vicaire général de Poitiers, et devenu plus tard évêque de Luçon. A son premier titre d’Avertissement au peuple français, il s’en joignait un second: ou Réparation inspirée pour apaiser la colère de Dieu; on y proclamait hautement que les blasphèmes attiraient “la colère de Dieu” sur la France, et on y proposait des supplications analogues à celles qui étaient demandées à Marie de Saint-Pierre. (...) La Mère supérieure poussa plus loin ses informations; elle écrivit à Monseigneur Soyer, qui vivait encore, pour avoir quelques renseignements à ce sujet. Le prélat  répondit qu’effectivement c’était lui-même qui avait publié cet “avertissement” à la prière d’une carmélite de Poitiers, nommée sœur Adélaïde, âme d’élite, à laquelle Notre-Seigneur s’était très intimement communiqué. (...) Or la Mère Adélaïde venait de mourir le 31 juillet de la même année 1843; et c’était vingt-six jours après son décès que la sœur Saint-Pierre, religieuse du même ordre recevait la mission de demander l’œuvre réparatrice du blasphème, comme si Dieu avait attendu la mort d’un de ses prophètes pour en susciter un autre ». Abbé Janvier: “Vie de la Sœur Saint-Pierre”. Carmel de Tours 1884; pages 126-127.

[5] Document A, page 70. Le “Monsieur très pieux” n’était autre que Monsieur Dupont, le saint homme de Tours.

Tuesday, 2 December 2025

Tuesday's Serial: Book of the Prophet Amos (translated into Portuguese) - I.

Amós, 1

 

1.Oráculos de Amós, que foi um dos pastores de Técua. Revelações que recebeu acerca de Israel no tempo de Ozias, rei de Judá, e de Jeroboão, filho de Joás, rei de Israel, dois anos antes do tremor de terra.*

2. Ele diz:

O Senhor rugirá de Sião,

trovejará de Jerusalém;

os prados dos pastores estarão de luto,

o cume do Carmelo secará.

3. Oráculo do Senhor:

Por causa do triplo e do quádruplo crime de Damasco,

não mudarei meu decreto.

Porque esmagaram Galaad com grades de ferro,*

4. porei fogo à casa de Hazael,

e esse fogo devorará os palácios de Ben-Adad.*

5. Quebrarei os ferrolhos de Damasco,

exterminarei os habitantes do vale da Injustiça

e o que tem na mão o cetro em Casa do Prazer.

E o povo da Síria será deportado para Quir, diz o Senhor.

6. Oráculo do Senhor:

Por causa do triplo e do quádruplo crime de Gaza,

não mudarei meu decreto.

Porque deportaram uma multidão de exilados,

para entregá-los a Edom,*

7. porei fogo aos muros de Gaza,

e esse fogo devorará os seus palácios.

8. Exterminarei os habitantes de Azoto,

e o que tem na mão o cetro em Ascalon.

Voltarei minha mão contra Acaron para

aniquilar o resto dos filisteus, diz o Senhor Javé.

9. Oráculo do Senhor:

Por causa do triplo e do quádruplo crime de Tiro,

não mudarei meu decreto.

Porque entregaram uma multidão de cativos a Edom,

e não se lembraram do pacto fraterno,*

10. porei fogo aos muros de Tiro para que

esse fogo devore os seus palácios.

11. Oráculo do Senhor:

Por causa do triplo e do quádruplo crime de Edom,

não mudarei meu decreto.

Porque perseguiu seu irmão com a espada

abafando toda a compaixão,

e porque sua cólera não cessa de despedaçar,

e persiste em guardar perpetuamente rancor,*

12. porei fogo em Temã,

o qual devorará os palácios de Bosra.

13. Oráculo do Senhor:

Por causa do triplo e do quádruplo crime dos amonitas,

não mudarei meu decreto.

Porque rasgaram os ventres das mulheres grávidas de Galaad,

a fim de dilatar suas fronteiras,*

14. porei fogo aos muros de Rabá,

para que devore seus palácios.

Em meio aos gritos de guerra no dia da batalha,

no meio do turbilhão, no dia da tempestade,

15. seu rei irá para o exílio com seus chefes, diz o Senhor.

 

Notas de rodapé:

1:1-2 - A introdução do livro de Amós destaca a chamada do profeta, que recebe a mensagem de Deus durante o reinado de Uzias em Judá e de Jeroboão II em Israel. A voz do Senhor ruge de Sião, sinalizando o começo de um julgamento divino contra as nações, começando por Israel (veja também Joel 3:16 e Miquéias 1:2).

1:3-5 - O juízo de Deus é pronunciado contra Damasco, a capital da Síria, por sua crueldade contra os gileaditas. Essa condenação reflete a justiça de Deus sobre os inimigos de Israel e revela a importância do comportamento ético e moral nas nações (veja também Isaías 17:1 e Jeremias 49:23-27).

1:6-8 - Deus pronuncia juízo contra Gaza, cidade dos filisteus, por sua captura e venda de israelitas como escravos. Esse julgamento reflete a grave injustiça praticada pelos filisteus, que exploraram o sofrimento de outros povos (veja também Jeremias 47:4 e Zacarias 9:5-7).

1:9-10 - O julgamento contra Tiro é anunciado por causa da quebra de um tratado com Israel e o tráfico de prisioneiros. A infidelidade nos tratados e a exploração das guerras são aspectos que Deus condena em todas as nações (veja também Ezequiel 26:3-6 e 1 Reis 5:12).

1:11-12 - Edom é condenado por sua vingança implacável contra os israelitas. O pecado de Edom inclui o ódio e a violência, que são atitudes contrárias aos princípios de paz e misericórdia estabelecidos por Deus (veja também Gênesis 27:41 e Obadias 1:10-14).

Thursday, 27 November 2025

Thursday's Serial: “Journal Spirituel” by Sœur Marie de Saint-Pierre (in French) - IV.

 

5

LE NOVICIAT – MANIFESTATIONS DIVINES

« Bientôt le Dieu de miséricorde se fit entendre à mon âme pour me dire à quel dessein il m’avait appelée, dessein bien capable de me donner une haute idée de la sublime vocation que je me proposais d’embrasser. Jusqu’alors le but de toutes les communications dont Notre-Seigneur me favorisait, était la sanctification de mon âme; je travaillais uniquement pour moi, étant chargée seulement du soin de ma perfection. Mais en m’appelant au Carmel, tout dévoué à la gloire de Dieu, aux besoins de l’Église, au bien des âmes, le Seigneur voulut m’enseigner ce dévouement, cet esprit de sacrifice, ce zèle pour le salut du prochain, vertus sublimes et désintéressées que je ne connaissais pas encore. — Voici ce qui me fut communiqué à ce sujet. J’ai toujours gardé ce premier appel comme le fondement et la base de la Réparation: car Notre-Seigneur, pour me parler ouvertement de cette œuvre, attendit, pour ainsi dire, que mes supérieurs m’eussent permis de faire à Dieu l’abandon parfait qu’il me demanda en cette communication. Elle m’est restée gravée dans l’âme; mais comme je n’en ai point gardé de mémoire écrit, je ne pourrai dire les choses qu’à peu près.

 

DEMANDE D’ACTE D’ABANDON

Un jour, après que j’eus reçu la sainte Communion, Notre-Seigneur daigna se manifester à mon âme. Il était accompagné d’un ange. Il me fit voir la multitude d’âmes qui tombaient en enfer; puis il me témoigna le désir que je m’offrisse tout entière à son bon plaisir, que je lui abandonnasse aussi tout ce que je pourrais acquérir de mérites dans ma nouvelle carrière, et cela pour l’accomplissement de ses desseins. Il m’assura qu’il aurait soin de mon intérêt, me ferait part de ses propres mérites et serait lui-même le directeur de mon âme. L’ange m’engageait à consentir à une proposition si magnifique, et il semblait envier mon bonheur, parce que, n’ayant point de corps, il ne pouvait comme moi souffrir et mériter. Cet esprit céleste me dit que, si j’adhérais à la demande du Sauveur, les anges entoureraient mon lit de mort et me défendraient contre les pièges du démon. J’avais grande envie de faire ce sacrifice de moi-même; mais soit d’après l’avis que m’en donna ce divin Maître, soit par la crainte de m’écarter de l’obéissance, je ne fis pas cet acte tout de suite, pensant qu’il me fallait auparavant la permission de notre Révérende Mère. J’écrivis donc cette communication, et je la lui remis comme j’avais coutume de faire dans le monde à l’égard de mon confesseur. Notre bonne Mère, qui ne savait pas encore de quelle manière Notre-Seigneur me conduisait, n’ajouta pas grande foi à ce que lui disait sa petite postulante, et, dans sa sagesse, elle me dit :

— Mon enfant, l’acte d’abandon que vous me demandez de faire n’est point un acte ordinaire; c’est pourquoi, n’ayant encore aucun droit sur vous, je ne veux pas vous le conseiller, à plus forte raison vous le permettre.

Comme j’avais une très haute estime de obéissance, je me soumis avec respect au sentiment de notre prudente Mère: ce qui ne m’empêcha pas d’avoir le cœur navré. Je retourné à Notre-Seigneur, et lui dis :

— Vous voyez bien, mon bon Sauveur, que c’est l’obéissance qui m’empêche de faire ce que vous me demandez; mais vous voyez le fond de mon cœur, et vous savez que je vous donne tout ce que je puis vous donner.

Notre-Seigneur, pour le moment, se contenta de ma bonne volonté; néanmoins il m’inspira plusieurs fois, dans la suite, de réitérer cette demande à mes supérieurs; ce fut seulement lorsque je l’eus obtenue qu’il me communiqua pleinement l’œuvre de la Réparation. Notre sage Mère, voyant que sa fille recevait ainsi des faveurs peu ordinaires, voulut s’assurer sans doute de l’esprit qui me conduisait et me défendit de m’arrêter à ces opérations surnaturelles. Alors je n’entendis plus guère ces paroles intérieures, et Notre-Seigneur se soumit en quelque sorte avec moi à la sainte obéissance. » [1]

 

APPLIQUÉE À L’ENFANCE DE JÉSUS

« Comme je naissais à la religion du Carmel, dont je n’étais alors qu’un petit enfant, Notre-Seigneur m’appliqua d’une manière toute spéciale à sa sainte enfance, et il me faisait connaître ce qu’il voulait que je fisse pour l’honorer en cet état. Ainsi il me fut tracé dans l’esprit, pour tous les jours du mois, un exercice que je pratiquai avec une grande consolation, et, je crois, avec grand profit pour mon âme. Je me regardais comme la petite servante de la sainte Famille, et m’offrais à elle en cette qualité; et je désirais avec ardeur porter ses livrées en prenant la saint habit du Carmel. Je priai notre Révérende Mère de vouloir bien m’accorder cette faveur malgré mon indignité. Elle me fut accordée le 21 mai 1840, dans ce mois béni, consacré à celle de qui je tenais la grâce d’une si belle vocation. Je me consacré tout entière à la sainte Famille, en ce jour de joie et de bénédiction. Voici la consécration que j’écrivis, et que je mis sur mon cœur pendant la cérémonie :

O Jésus, Marie et Joseph, très sainte et illustre Famille, veuillez aujourd’hui, malgré mon indignité, me recevoir pour votre servante ; c’est là le grand désir de mon cœur ; daignez exauce ma prière. Je suis bien résolue de vous être fidèle, et si je ne puis encore m’engager à votre service par les trois vœux de la religion, du moins recevez mon désir, et faites-moi la grâce de l’accomplir aussi parfaitement que si je les avait faits. O très saint Enfant-Jésus, accordez-moi d’être aussi soumise à l’Esprit-Saint et à mes supérieurs, que vous l’étiez à la très sainte Vierge et à saint Joseph. Et vous, ô Marie conçue sans péché, si pure aux yeux de Dieu, obtenez-moi la grâce de ne jamais rien faire qui puisse ternir l’éclat de cette belle vertu de pureté. O bienheureux patriarche saint Joseph, qui avez pratiqué la sainte pauvreté dans un degré si éminent de perfection et que vous êtes sacrifié pour le saint Enfant-Jésus et pour la divine Marie, sa Mère, faites, par votre puissant crédit auprès de Dieu, qu’à votre exemple j’aime et je pratique la sainte pauvreté jusqu’au dernier soupir de ma vie, et que je me fasse un devoir et un doux plaisir de me sacrifier pour mes sœurs. Enfin, ô sainte Famille, faites que je puisse avec vérité me glorifier d’être votre très humble servante. Daignez me recevoir en ce beau jour et me donner une preuve que vous agréez mes services en m’accordant la grâce de m’acquitter dignement de l’office divin, que je le récite avec attention, respect, amour, ferveur et dévotion: faites que je sois aussi éveillée à Matines que si j’étais dans le ciel, éblouie de la beauté de Dieu et des splendeurs de sa gloire ! Amen.

 

DOMESTIQUE DE LA SAINTE FAMILLE

Depuis cette consécration, je me regardai comme la petite domestique de la sainte Famille, et dans tout ce que je faisais j’avais l’intention de la servir à Nazareth. Mais j’avais encore une ambition: c’était d’être le petit âne du saint Enfant-Jésus. Si le Roi-Prophète a pu se regarder devant Dieu comme une bête de charge, je pouvais, à bien plus juste titre, me qualifier de ce nom. En pensant que le Fils de Dieu s’était fait si pauvre pour notre amour, qu’il avait été obligé, quand il voulut faire son entrée triomphante à Jérusalem, d’envoyer ses disciples emprunter une si humble monture, et dire de sa part que le Maître en avait besoin: “Ah! disais-je, mon Sauveur, maintenant que vous êtes au ciel, je veux que vous ayez sur la terre un âne qui soit à votre service et tout à vous, et que vous conduisiez dans les routes qui vous feront plaisir; recevez-moi à ce titre”. Autant que je me rappelle, j’avais grande envie de savoir si Notre-Seigneur agréait mon offrande, et je crois que je fis des prières à la sainte Famille dans cette intention. Ensuite je procédai à mon élection en cette sorte. Nos Révérendes Mères, à cette époque, faisaient leur retraite, et pendant ce temps les postulantes et les novices prenaient leur récréation au noviciat. Un soir que nous étions toutes réunies devant le tableau de la sainte Famille à l’heure de la récréation, je proposai à mes compagnes de faire une bergerie à cette sainte Famille, de manière à ce que nous lui soyons consacrées selon le titre qui nous serait échu au sort: la proposition fut acceptée unanimement. On décida que l’une serait l’âne du saint Enfant-Jésus, l’autre le bœuf, une autre la mule. Les conventions faites, on tira au sort, et, à ma grande satisfaction, je fus choisie par la Providence pour être l’âne de l’Enfant-Jésus. Alors je m’informai du naturel des ânes, afin de pouvoir éviter leurs défauts. Une postulante, qui dans le monde en avait un, me fournit à ce sujet toute l’instruction nécessaire. On ne pouvait pas se donner une distraction plus gaie et plus innocente. On fit des billets d’élection; le mien était conçu en ces termes :

L’âne du saint enfant est entêté, paresseux; il n’aime qu’à marcher dans les petits sentiers; mais il a résolu de se corriger, et son office sera de réchauffer l’Enfant-Jésus, de le porter dans ses voyages, en un mot, de rendre à la sainte Famille tous les services qu’il pourra.

J’étais enchantée de mon nouveau titre, mais je pensai qu’il fallait encore quelque chose pour assurer mon élection; c’était l’approbation de notre Révérende Mère, que je priai en grâce de vouloir bien signer mon billet; car je disais :

— Notre Mère représente Notre-Seigneur; si je peux obtenir sa signature, c’est comme certain qu’il me reçoit à ce titre.

Nous donnâmes à notre bonne et Révérende Mère une amusante récréation avec nos billets; elle ne se souciait guère, disait-elle, d’y mettre sa signature ; à la fin, elle se fit enfant avec ses enfants, pratiquant ce que dit saint Paul, de « se faire tout à tous pour les gagner tous », et nous obtînmes les initiales de son nom. J’avais une intention sérieuse dans cette offrande de moi-même à l’Enfant-Jésus: je pensais que ce serait comme un petit contrat, par lequel je pourrais répondre à l’appel que Notre-Seigneur m’avait fait, quelques jours après mon entrée en religion, de me donner toute à lui avec mes petits mérites, pour l’accomplissement de ses desseins, car je me sentais toujours pressée de lui faire cet abandon. La permission seule me manquait. Voyant que notre Révérende Mère avait signé mon billet, j’espérait pouvoir enfin faire mon petit sacrifice au saint Enfant. Cependant, pour en être plus sûre, j’en parlai à notre bonne Mère et lui demandai si elle voulait donner tout à fait son âne au saint Enfant-Jésus, afin qu’il en fit ce qu’il voudrait. Elle me répondit :

— Non : dites-lui que je le lui prête seulement, mais que je ne le lui donne pas encore tout à fait.

Je devais essuyer bien d’autres refus: un parfait abandon à Notre-Seigneur pour l’accomplissement de ses desseins pouvait avoir des conséquences que mon ignorance dans les voies de Dieu m’empêchait de pénétrer. Notre sage et prudente Mère voulait auparavant rendre ce pauvre et misérable instrument plus souple et plus maniable, en le soumettant à l’exercice de l’obéissance et du renoncement à sa propre volonté. Je me présentai donc à Notre-Seigneur, par les mains de Marie et de Joseph, comme un âne prêté. Je crois que ce petit acte de simplicité fut agréable à ce divin enfant, car il commença à prendre sur moi une nouvelle puissance et à me diriger dans ses voies; c’était l’accomplissement d’une promesse qu’il m’avait faite lors de mon entrée au Carmel. Je regardais mon âme comme la pauvre étable de Béthléem, et, considérant le saint Enfant-Jésus dans mon cœur, je l’adorais un union avec la sainte Vierge et saint Joseph, et m’offrais à lui pour être sa petite domestique. Ainsi j’étais son âne dans l’oraison, en m’efforçant de le réchauffer par mon amour, et sa petite domestique dans l’action, en faisant pour la sainte Famille le travail qu’on m’imposait et m’imaginant être dans la maison de Nazareth. L’Enfant-Jésus me donna l’inspiration de l’honorer tous les jours du mois, par un exercice qui me fut tracé dans l’esprit. » [2]

 

DIABLERIES DE… SATAN

« Mais Satan qui est orgueilleux, était jaloux de me voir ainsi tout occupée à honorer les humiliations du Verbe incarné. Un jour, j’avais fait une action qui sans doute lui avait très fort déplu; il essaya de s’en venger sur moi. Le soir, étant couchée, je commençais à m’endormir, lorsque je sens tout d’un coup sur ma tête une grosse bête qui semblait vouloir m’étouffer: tout de suite j’eus un sentiment intérieur que c’était le démon; je sentais ses griffes s’enfoncer dans ma tête. Aussitôt, de toute ma force, j’appelai la sainte Vierge à mon secours; au nom sacré de Marie, il prit la fuite. Alors je fis une prière d’action de grâces, et, autant que je me rappelle, je me mis à chanter ces adorables paroles si terribles à l’enfer: Et Verbum caro factum est, et habitavit in nobis !... C’était pourtant l’heure du grand silence, mais j’étais toute hors de moi; quoique je ne visse point le démon des yeux du corps, néanmoins, par le sentiments que j’éprouvais dans l’âme, je compris bien que ce n’était point là un songe ordinaire. Satan voulait sans doute étouffer l’âne de l’Enfant-Jésus, mais la sainte Vierge vint à son secours. » [3]

 

[1] Document A - page 44. Vie manuscrite, page 49.

[2] Document A - page 46.

[3] Document A - page 52.

 

 

6

LA PROFESSION

« Mais à la fin, cédant à mes pressantes sollicitations, malgré mon peu de vertu et de capacité, elle se décida à s’occuper de ma réception. On me dit qu’avant d’être reçue il fallait me présenter trois fois au chapitre. Alors j’eus l’inspiration de pratiquer un petit exercice de piété, chaque fois que je m’y présentais, afin d’obtenir plus sûrement l’objet de mes désirs: le divin Enfant-Jésus pour mon céleste Époux. Je m’adressait donc aux trois personnes qui avaient des droits sur lui: au Père éternel, à la sainte Vierge et à saint Joseph. Ainsi je fis mes demandes avec grande dévotion et j’obtins ce que j’avais si vivement désiré. Malgré mon indignité, la communauté eut la charité de me recevoir à la profession. Je célébré mes noces spirituelles avec Jésus. Celui qui, dans le monde, avait dirigé ma vocation [1] vint prêcher à la cérémonie. Il prit pour texte de son sermon ces paroles de la sainte Vierge en son cantique : Beatam me dicent omnes generationes : « Toutes les générations m’appelleront bienheureuse » ; et, me montrant la beauté de l’état que j’embrassais, il me répétait toujours « vous êtes bienheureuse ». Il avait raison, je voyais ma vocation assurée et mes désirs accomplis: j’étais au comble du bonheur ! » [2]

O mon Dieu, daignez agréer le sacrifice que je vous offre en union avec Jésus mon Sauveur, immolé pour le salut du monde. Je vous fais par lui et avec lui l’entier abandon de moi-même, le sacrifice de ma vie; je remets mon âme entre vos mains pleines de miséricorde. Et à vous, ô Jésus, mon cher Époux, je m’offre tout entière sur l’autel de votre divin Cœur, par les mains de Marie et de saint Joseph; c’est par eux que j’y dépose mes vœux, afin qu’ils en soient les garants et les gardiens. Veuillez donc, ô Famille chérie de mon coeur, accepter l’entière donation et consécration que je fais de moi-même à votre service ; je m’offre toute à vous en ce jour, par les mains de notre sainte mère Thérèse et de notre père saint Jean de la Croix, pour l’accomplissement de vos desseins dans les âmes. Regardez-moi comme une propriété qui vous appartient ; chargez-vous, s’il vous plaît, de mes saints vœux; accomplissez-les en moi par votre toute-puissante protection. O Jésus, mon adorable Époux, je suis si pauvre, si misérable, si inconstante dans le bien ! Permettez-moi d’emprunter les sentiments et l’amour de votre sainte Mère et de son auguste Époux. Oui, c’est par la voix et le coeur de Marie et de Joseph que je fais ma profession et promets pauvreté, chasteté et obéissance à Dieu, Notre-Seigneur, et à la bienheureuse Vierge Marie, sous la conduite de nos supérieurs légitimes, selon la règle primitive de l’ordre du Mont-Carmel de la réforme de sainte Thérèse, qui est sans mitigation, et ce jusqu’à la mort. O divin Enfant, j’unis mon sacrifice à celui que vous fîtes à votre Père lors de votre présentation au temple : vous vous êtes sacrifié pour me racheter de mes péchés, aujourd’hui je me sacrifie pour vous racheter des mains des pécheurs. O Marie, ma tendre Mère, et vous, mon bon père saint Joseph, qui avez présenté au grand prêtre deux petites colombes pour racheter l’Enfant-Jésus, veuillez offrir au Père éternel mon corps et mon âme pour racheter de divin Enfant des mains des pécheurs et cicatriser ses plaies. Veuillez aussi le prier d’imprimer en moi les traits de sa ressemblance, ou plutôt que ce ne soit plus moi qui vive, mais que ce soit Jésus qui renaisse et vive en moi !

O Jésus, Marie et Joseph, vous savez avec quelle ardeur et quelle joie je serais allée m’offrir à votre service, si j’avais eu le bonheur de vivre au temps où vous habitiez sur la terre. C’est avec les mêmes sentiments d’amour pour vous que je veux servir cette sainte communauté, comme si je vous voyais habiter la maison: je veux vous rapporter tout ce que je ferai; tout en moi vous appartiendra. Regardez-moi désormais comme votre petite servante; disposez de moi selon votre bon plaisir.

Ainsi soit-il.

 

Soeur Marie de Saint-Pierre de la Sainte-Famille,

Carmélite indigne. »

Le 8 juin 1841.

 

« M’étant ainsi donnée tout entière à Jésus pour être sa petite domestique, il m’inspira bientôt de garder ses troupeaux sur les terres de sa divine enfance, et me traça le plan d’un petit exercice en l’honneur de ses douze mystères et ses douze années que je nommai les douze tribus d’Israël.

 

EN VOICI UN EXTRAIT :

En l’honneur de la première année, je lui offrais, par les mains de la sainte Vierge et de saint Joseph, notre Saint-Père le Pape et toute la milice sacerdotale, sous la protection de saint Pierre et de saint Paul.

Pour la deuxième année, c’étaient les âmes religieuses, sous la protection de saint Jean et des saints Apôtres ;

Pour la troisième, les rois, sous la protection du saint roi David et des mages ;

Pour la quatrième, les malheureux francs-maçons, sous la protection des saints martyrs ;

Pour la cinquième, les comédiens, sous la protection de saint Jean-Baptiste ;

Pour la sixième, les nations infidèles, sous la protection des neuf chœurs des Anges ;

Pour la septième, les hérétiques et les schismatiques, sous la protection des patriarches ;

Pour la huitième, les Juifs, sous la protection de sainte Anne et de saint Joachim ;

Pour la neuvième, les incrédules, sous la protection des saints prophètes ;

Pour la dixième année, les pécheurs endurcis, sous la protection des saints confesseurs ;

Pour la onzième, les âmes tièdes, sous la protection des saintes femmes ;

Enfin, pour la douzième, les âmes justes, sous la protection de notre sainte mère Thérèse et de toutes les saintes vierges”.

 

Cet adorable Sauveur prit bientôt, malgré mon indignité, une si grande puissance sur mon âme, que je pouvais bien dire qu’il en était devenu le directeur et le maître. »

 

LA VIE AU QUOTIDIEN

« A huit heures du soir, je m’offre à la très sainte Vierge et à saint Joseph comme leur petite domestique pour les servir et garder leurs troupeaux sur les terres de l’Enfant-Jésus, qui sont ses mystères et ses plaies sacrées, et j’adore le mystère de l’Incarnation jusqu’à neuf heures.

A neuf heures sonnent les Matines; alors je célèbre la naissance du saint Enfant-Jésus; je m’unis aux anges, aux pasteurs et aux mages qui l’ont adoré dans la crèche.

Au premier nocturne, j’adore sa naissance éternelle dans le sein de son Père et sa vie divine; au second nocturne, j’adore sa naissance dans l’étable et sa vie mortelle; au troisième nocturne, j’adore sa naissance sacramentelle dans l’Eucharistie et sa naissance spirituelle en nos cœurs.

A chacun des neuf psaumes, je m’unis aux neuf chœurs des anges.

Au Te Deum, j’adore l’Enfant-Jésus se manifestant au peuple juif en la personne des bergers.

Pendant les psaumes des Laudes, j’adore le saint Enfant circoncis et nommé Jésus; ensuite je l’adore avec les rois mages comme étant Dieu, roi et homme.

Voilà mon occupation intérieure pendant les matines. »

« Étant rentrée dans ma cellule, je m’occupe jusqu’à onze heures des troupeaux de la bergerie du saint Enfant-Jésus, priant cet aimable Sauveur de combler de bénédictions ses brebis en leur appliquant ses mérites. Ensuite je me couche, prenant mon repos en union avec le saint Enfant couché dans la crèche. Le matin, aussitôt que j’entends le réveil, je me lève, et adorant le Père éternel, je lui dis avec l’Enfant-Jésus : “Me voici, mon Père, je viens pour faire votre volonté”. Puis je me rends au chœur pour l’oraison, en union avec la sainte Vierge et saint Joseph portant l’Enfant-Jésus au temple. Pendant mon oraison, je m’offre avec lui au Père céleste; je renouvelle les saints vœux de ma profession, et me donne à ce divin Sauveur; ensuite je l’offre à son Père pour le salut de ses brebis. L’oraison finie, nous allons avec la sainte Famille à Nazareth ; bientôt la cloche sonne pour les petites heures, et nous partons pour l’Égypte. Pendant les douze psaumes des heures, j’adore les douze années du saint Enfant et j’honore sa demeure en Égypte, son retour à Nazareth, et enfin son séjour dans le temple de Jérusalem au milieu des docteurs. Après le saint sacrifice de la messe, l’heure du travail arrive; alors je m’occupe de la vie cachée et laborieuse de Notre-Seigneur. A onze heures, j’adore Jésus baptisé par saint Jean. Depuis midi jusqu’à une heure, je m’occupe de lui au désert; d’une heure à deux, de sa vie évangélique. A deux heures sonnent les vêpres: alors j’adore son entrée triomphante dans la ville de Jérusalem et j’entre au chœur en union avec notre divin Sauveur; durant l’office, je me tiens en esprit à ses pieds, honorant les sentiments de son Cœur adorable pendant la dernière semaine qu’il passa avec ses disciples, et l’excès de son amour qui le porta à instituer le sacrement de l’Eucharistie.

Ensuite nous arrivons au jardin des Olives, et, le reste de l’après-midi, je suis Notre-Seigneur dans les stations de sa Passion en union avec la sainte Vierge. A cinq heures sonne l’oraison.

A ce moment, j’adore Jésus crucifié, et je me tiens au pied de la Croix ou dans son Cœur. Je commence par faire mon examen de conscience, et, après m’être humiliée de mes fautes, je me donne toute à Notre-Seigneur, renouvelant mes saints vœux en union à son sacrifice. Après que je me suis ainsi donnée à lui, il me semble qu’il se donne réciproquement à moi avec tous ses mérites; il unit mon âme à la sienne, et me fait entrer dans ses désirs et dans les honneurs qu’il rend à son Père par son état de victime. Alors je me perds de vue pour m’occuper, avec mon céleste Époux, de la gloire de Dieu et du salut des âmes. Je trouve dans le Cœur de Notre-Seigneur tous les mystères de sa très sainte vie, ses mérites et toutes ses brebis. J’offre chaque mystère au Père éternel pour telle ou telle portion de la bergerie de l’Enfant-Jésus; ensuite je présente à ce divin Père les quatre parties du monde, que j’ai placées dans les quatre plaies des pieds et des mains de mon Sauveur; les douze troupeaux de la sainte Famille occupent la bergerie du Sacré-Cœur. J’y joins aussi les âmes du purgatoire, les ayant mises dans les autres plaies de ce corps adorable. Puis j’offre cette auguste victime au Père éternel par les mains de la sainte Vierge, en sacrifice d’holocauste, d’action de grâces, d’expiation, d’impétration, et en sacrifice de complaisance et de bienveillance pour toutes les perfections de la très Sainte-Trinité. J’adore enfin le dernier soupir de Jésus sur la Croix.

Telle est l’application que Notre-Seigneur me donne pendant mes oraisons du soir. »

« Le reste de la journée, je m’occupe jusqu’à Complies de Jésus dans le sépulcre. Enfin je l’adore sortant du tombeau par sa glorieuse résurrection, et je le contemple en son ascension.

Voilà à peu près quel est mon exercice de chaque jour. Mais pour laisser le divin Maître me conduire ainsi, il faut que je meure à tout ce qui peut flatter mes sens; point de retour sur moi-même, se ce n’est pour m’humilier. Dieu seul, sa volonté et sa gloire: voilà ma devise et ma pratique. Ces paroles : Et il leur était soumis, et ces autres: Je ne suis pas venu pour être servi, mais pour servir, me sont toujours présentes. Notre-Seigneur me fait vivement sentir mon incapacité pour tout bien et ma profonde misère. L’Enfant-Jésus conduit son âne par la bride de sa sainte grâce; je n’ai qu’à obéir et à me renoncer. »

« Je faisais ce que je pouvais pour lui obéir [3], mais je me retrouvais bientôt dans la même route. Alors elle me permit de parler à un bon Père très versé dans la vie intérieure — il était religieux —, et elle me dit :

— Mon enfant, vous allez bien lui dire comment vous faites votre oraison et de quelle manière le bon Dieu vous conduit.

Je me rendis à cette charitable invitation avec reconnaissance, et j’ouvris mon âme à ce bon Père. Après avoir tout examiné, il me dit :

— Ma fille, continuez sans crainte; laissez Notre-Seigneur vous conduire, parce que vous avez établi le fondement sur l’esprit de mortification; dites à votre Révérende Mère que je suis content; je lui parlerai.

En effet, notre prudente Mère me permit de m’abandonner à l’esprit de Dieu; mais elle me donna le sage conseil d’être bien fidèle à la grâce, et de ne point rester dans l’inaction quand l’opération divine serait passée. Comme je n’avais alors aucun emploi qui pût me distraire de la présence de Dieu, mes journées tout entières ne faisaient qu’une pièce d’oraison, si je peux m’exprimer ainsi. Le travail ne troublait en rien mon entretien avec Notre-Seigneur. N’ayant point d’occasion de pratiquer le vertu, je n’avais pas grand mérite; mais bientôt notre Révérende Mère, qui veillait toujours sur mon âme pour son avancement spirituel, me donna un office très fécond sous ce rapport, l’office de portière.

Cet emploi distrayant ne sympathisait guère avec mon attrait pour le silence et l’oraison, mais je regardai le commandement de notre Mère comme un ordre du Ciel, et je m’y soumis avec joie dans la pensée que ce jour, qui était justement la fête de l’Incarnation, l’Enfant-Jésus me donnait un signe certain qu’il m’avait élue pour être sa petite domestique, et qu’il m’occuperait dans ce nouvel emploi à faire toutes les commissions de la maison; je fis au divin Enfant une nouvelle consécration à son service. »

 

LA STATUE DE L’ENFANT-JÉSUS

« Je désirais beaucoup avoir une petite statue de l’Enfant-Jésus, afin de pouvoir lui rendre mes hommages dans la journée; je n’osais pas m’adresser pour cela à notre Révérende Mère ; mais, un jour, il me sembla que ce divin Enfant m’excitait à faire ma demande. J’obéis à son inspiration, et cette faveur me fut accordée. Alors j’eus le saint Enfant-Jésus dans notre porterie, et je fus au comble de mes vœux; je lui offrais tous mes petits travaux, et, pour prix de mes commissions, je lui demandais des âmes. Ce divin Enfant me donna, malgré mon indignité, les grâces dont j’avais besoin pour mon emploi, de sorte qu’il ne nuisit point à l’esprit intérieur, et ne m’empêchait point d’être unie à Dieu comme auparavant durant l’oraison ; je travaillais pendant la journée pour le salut des brebis du saint Enfant-Jésus, et, à l’oraison, il me payait au centuple. Quelquefois aussi, pendant la journée, il venait visiter mon âme par une grâce puissante; je laissais alors un peu mon ouvrage quand je sentais son approche, afin de l’écouter plus à mon aise; mais pensant qu’il me fallait pour cela une permission, je la demandai à notre Révérende Mère. Comme sa charité pour mon âme la portait à ne rien négliger de ce qui pouvait m’exercer dans la vertu, elle me défendit de m’arrêter à ces opérations intérieures et ajouta :

— Je vous permets seulement, quand vous aurez l’esprit bien distrait, de vous recueillir un peu.

Et, grâce à Dieu, je suivais en tout ses sages conseils. »

« Je n’ai jamais senti mon âme aussi unie à Notre-Seigneur que pendant cet espace de temps [4]. Ce divin Maître opérait en moi quelque chose que je ne peux ni expliquer ni comprendre. Il me semblait l’entendre demander grâce à son Père pour ce royaume, et d’une manière si pressante, que j’en étais étonnée. Il me faisait parler en son nom, mais je comprends qu’en voulant expliquer ce mystère d’amour je ne réussis qu’à le dénaturer, je l’abandonne à Dieu. » [5]

 

DÉMÉNAGEMENT

UNE PAGE DES ANNALES :

« Depuis longtemps notre habitation mettait obstacle aux projets d’embellissement de la ville ; de plus, nos voisins avaient fait de nouvelles constructions qui dominaient entièrement notre maison et notre jardin; il en résultait de graves inconvénients pour la régularité, sans parler de l’insalubrité du lieu. Nous n’aurions pas néanmoins osé nous déterminer à un pareil changement; car nous ne pouvions supporter l’idée de quitter cet antique berceau de notre fondation, témoin des vertus de nos premières Mères, terre des saints que nous venions de recouvrer après tant de peines et de travaux. Mais, lorsqu’on s’y attendait le moins, des circonstances imprévues vinrent hâter le moment d’un sacrifice si redouté. Plusieurs personnes firent, pour acheter la maison, des propositions avantageuses ; les désagréments que nous éprouvions s’aggravaient chaque jour; les projets de la ville touchaient à leur exécution ; il fallait décidément prendre un parti. Avant de rien conclure, on du penser d’abord à se procurer un autre emplacement. Après beaucoup de recherches, Dieu dirigea les vues de nos supérieurs sur celui que nous réservait sa providence ; il était situé dans un quartier tranquille et solitaire, près de l’archevêché. Il n’y avait là aucune construction gênante, l’air y était pur; en un mot, il semblait choisi tout exprès pour notre genre de vie. On en fit aussitôt l’acquisition, comptant sur les trésors de notre Père céleste; car nous n’avions pas la moindre partie de ce qu’il fallait pour les frais d’une telle entreprise.

La première aumône reçue dans ce but mérite d’être citée. Elle vint d’un pauvre et vertueux vieillard; touché de nos malheurs, il nous donna la seule pièce qui lui restait, comme on l’a su depuis. Son offrande ressemblait à celle de la veuve de l’Évangile ; elle fut de même agréable à Dieu, car elle devint pour nous une source de bénédictions. Mais Notre-Seigneur, afin de tenir nos âmes dans un parfait abandon, permit que ces secours ne vinssent qu’à mesure qu’ils étaient nécessaires, à des heures où tout espoir semblait perdu, et presque toujours par des voies imprévues. Dans un moment de détresse, nous nous adressâmes à saint Yves, avocat des pauvres, et nous en reçûmes une assistance vraiment extraordinaire. Il inspira à une dame de haute naissance, dont la modestie nous oblige à cacher le nom, de nous donner des marques d’une bienveillance toute particulière, bien qu’elle connût à peine notre communauté. Elle s’acquit, avec le titre et les privilèges de bienfaitrice, les plus justes droits à notre reconnaissance.» [6]

 

SŒUR SAINT-PIERRE CHARGÉE DE PRIER POUR L’OBTENTION DES FONDS

« J’ai prié ce divin Enfant à cette intention, et lui ai demandé un terrain; mais j’ai cru entendre qu’il me répondais au fond de mon cœur: “Donnez-moi le terrain de votre âme”. J’ai compris parfaitement ce qu’il voulait me dire; il avait, lui aussi, une bâtisse à élever à la gloire de son Père, et il avait depuis longtemps choisi le méchant terrain de mon âme pour l’accomplissement de ses desseins, et, malgré mon indignité, il le voulait, afin qu’un si misérable instrument fit davantage éclater sa gloire. »

 

SŒUR SAINT-PIERRE S’EXPLIQUE

« Cette bonne Mère avait besoin d’un peu de récréation; je lui en ai donné une qui la fit beaucoup rire :

— Ma bonne Mère, lui dis-je, quand on n’a point d’argent et qu’on en a besoin, on vend son âne ; si vous coulez me vendre à l’Enfant-Jésus, il vous donnera de l’argent pour bâtir sa maison.

Notre Révérende Mère sourit à ma singulière proposition; mais j’insistai, et je lui dis :

— Ma Mère, je ne vaux pas grand-chose; mais puisque le saint Enfant me veut et qu’il me demande, il m’achètera”. Enchantée de pouvoir me vendre pour Notre-Seigneur, lui qui s’était laissé vendre par Judas pour mon amour, je dis alors: “Ma Mère, combien voulez-vous me vendre ?

Notre Révérende Mère vit sans doute par l’air d’assurance et le grand désir que je lui manifestais en lui adressant une si singulière demande, que Notre-Seigneur avait peut-être quelques desseins; elle parut y condescendre et me répondit :

— Eh bien, ma fille, vous direz à l’Enfant-Jésus que, si j’étais riche, je vous donnerais à lui; mais comme je suis pauvre et que j’ai besoin d’argent pour bâtir sa sainte maison, je me trouve obligée de vous vendre ; demandez-lui donc qu’il vous achète.

Cette réponse me causa un grand plaisir; je m’adressai au saint Enfant-Jésus, et le lui ai fait la commission de notre Révérende Mère: je l’ai conjuré en grâce de vouloir bien m’acheter, afin que je sois toute à lui selon sa volonté.

Une nuit que je priais avec ferveur, lui offrant l’amour des pasteurs, des rois mages et des autres saints qui l’avaient vu et adoré, je lui ai tressé ainsi une petite couronne en l’honneur des douze années de sa très sainte Enfance. Je pense que ce petit hommage lui fut fort agréable, car alors j’ai cru le voir dans l’intérieur de mon âme, et il me fit entendre ces paroles :

— Dites à votre mère prieure qu’elle écrive à telle personne, et elle lui enverra une aumône pour bâtir sa maison.

Oh ! quelle bonne nouvelle ! Voilà déjà une preuve que le saint Enfant-Jésus veut bien acheter son âne. J’allai à notre bonne Mère lui faire la commission. La personne en question demeurait à soixante lieues de Tours ; je la connaissais un peu, mais notre Révérende Mère ne la connaissais point. Cependant elle voulut s’assurer de la communication que je disais avoir eue, et elle lui écrivit sans rien dire de cette particularité. La réponse tardait à venir et je craignais un peu; mais le saint Enfant me rassura. Enfin, une lettre de cette demoiselle arrive, dans laquelle il y avait un billet de cinq cents francs. Cette aumône était une des premières que notre Mère prieure recevait; c’était comme les arrhes de tout ce que le divin Sauveur devait lui donner par la suite. Je fus comblée de joie à l’arrivée de ce billet, et je dis au saint Enfant-Jésus cinq cents Laudate en action de grâces. J’ai demandé à notre Révérende Mère si ce n’était pas là un prix plus que suffisant pour acheter un âne, et si elle consentait à me livrer au saint Enfant qui lui avait envoyé cette somme. Mais elle voulut encore éprouver ma patience, et pénétrer de plus en plus l’esprit qui me conduisait; elle m’expliqua qu’avant de me donner la permission que je demandais, elle avait besoin de bien d’autre d’argent pour construire la maison de Notre-Seigneur.» [7]

 

LA GRANDE BÂTISSE

« Notre-Seigneur me fit entendre combien c’était une chose glorieuse et méritoire de lui élever une demeure ; il me dit que notre Mère aurait bien de sollicitudes dans son entreprise, mais que je lui fournirais des pierres. Il me chargea aussi de l’avertir d ne point se tourmenter; que, si le monastère était construit selon l’esprit de sainte Thérèse, il payerait tout, et qu’on verrait arriver des aumônes de divers côtés.

— Mais, ajouta-t-il, si au contraire la maison n’est point bâtie selon cet esprit, payera qui voudra.

Je me trouvais un peu embarrassée de ma commission ; je n’osais pas trop m’en acquitter; cependant je me fis violence pour accomplir la volonté de Notre-Seigneur. Quand j’eus communiqué à notre Révérende Mère ce qu’il m’avait fait entendre, elle me dit qu’elle n’avait guère dormi la nuit précédente, par l’inquiétude de plan que son architecte lui avait proposé, et qui ne convenait pas à nos usages. Elle en dressa un autre parfaitement conforme à l’esprit de sainte Thérèse. Alors Notre-Seigneur eut lieu d’être plus content, et fut prêt à remplir sa promesse.»

— Faites lui donc une amende honorable pour réparer vos manquements, et priez-le de mettre votre âme dans l’état où elle se trouvait lorsqu’il se communiquait à elle.[8]

 

[1] L’abbé Panager, curé de Saint-Étienne de Rennes.

[2] Document A - page 53.

[3] A la Mère supérieure qui voulait la faire marcher par une voie ordinaire.

[4] Le Seigneur l’avait appliquer à prier pour l’Espagne où les religieux étaient persécutés et envoyés en exil.

[5] Document A - page 62.

[6] Chronique de la Communauté des religieuses Carmélites de Tours; Page 75.

[7] Document A; page 63.

[8] La sœur avait parlé à la Mère prieure de ses rapports privilégiés avec Jésus, avant même qu’elle ne rentre au Carmel.