Thursday, 23 December 2021

Thursday's Serial: “Sous le Soleil de Satan” by George Bernanos (in French) - X

Chapitre VII

Il traverse à grands pas le jardin, qu’un nuage assombrit. Il reparaît sur le seuil.

— Le voilà ! s’écrie celle qui l’attendait, le cœur battant.

Elle s’avance vers lui, s’arrête, frappée jusque dans son espérance à la vue de ce visage altéré, où elle ne lit qu’une volonté farouche, visage de héros, non de saint. Mais lui, sans baisser sur elle son regard, va droit vers la porte fermée, derrière la grande table de chêne, et, la main sur la poignée, d’un signe, arrête sur place son confrère intimidé. La porte s’ouvre sur la chambre obscure et muette, dont les persiennes sont closes. Une seconde, la bougie vacille au fond. Il entre et s’enferme avec le mort.

La pièce, aux murs blanchis à la chaux, est étroite et profonde ; c’est l’arrière-cuisine, où le docteur a voulu qu’on transportât le malade parce qu’elle est plus vaste, percée de deux fenêtres au levant, face au jardin, face aux bois de Sennecourt, aux coteaux de Beauregard, pleins de haies fleuries. Sur le carrelage rouge, on a jeté un mauvais tapis. L’unique cierge éclaire à peine les murs nus. Et ce qui pénètre de jour — on ne sait comment — par des fissures invisibles, s’amasse et flotte autour des draps blancs, sans plis, roides, et qui retombent bien également, jusqu’à terre, de chaque côté du petit garçon, à présent merveilleusement sage et tranquille. Une mouche, affairée, bourdonne.

Le curé de Lumbres se tient debout au pied du lit, et regarde, sans prier, le crucifix sur la toile nette. Il n’espère pas qu’il entendra de nouveau l’ordre mystérieux. Mais la promesse a été faite, l’ordre entendu ; cela suffit. Voici le serviteur infidèle, là même où l’attendit en vain son maître, et qui écoute, impassible, le jugement qu’il a mérité.

Il écoute. Au dehors, derrière les persiennes closes, le jardin flambe et siffle sous le soleil, comme un fagot de bois vert dans le feu. Au dedans, l’air est lourd du parfum des lilas, de la cire chaude, et d’une autre odeur solennelle. Le silence, qui n’est plus celui de la terre, que les bruits extérieurs traversent sans le rompre, monte autour d’eux, de la terre profonde. Il monte, comme une invisible buée, et déjà se défont et se délient les formes vivantes, vues au travers ; déjà les sons s’y détendent, déjà s’y recherchent et s’y rejoignent mille choses inconnues. Pareil au glissement l’un sur l’autre de deux fluides d’inégale densité, deux réalités se superposent, sans se confondre, dans un équilibre mystérieux.

À ce moment, le regard du saint de Lumbres rencontra celui du mort, et s’y fixa.

Le regard d’un seul de ces yeux morts, l’autre clos. Abaissés trop tôt sans doute, et par une main tremblante, la rétraction du muscle a soulevé un peu la paupière, et l’on voit sous les cils tendus la prunelle bleue, déjà flétrie, mais étrangement foncée, presque noire. Du visage blême au creux de l’oreiller, on ne voit qu’elle, au milieu d’un cerne élargi comme d’un trou d’ombre. Le petit corps, dans son linceul jonché de lilas, a déjà cette raideur et ces angles du cadavre autour duquel notre air, si amoureux des formes vivantes, paraît solidifié comme un bloc de glace. Le lit de fer, avec son froid petit fardeau, ressemble à un merveilleux navire, qui a jeté l’ancre pour toujours. Il n’y a plus que ce regard en arrière — un long regard d’exilé — aussi net qu’un signe de la main.

Certes, le curé de Lumbres ne le craint pas, ce regard ; mais il l’interroge. Il essaie de l’entendre. Tout à l’heure, dans une espèce de défi, il a passé le seuil de la porte, prêt à jouer entre ces quatre murs blancs une partie désespérée. Il a marché vers le mort sans attendrissement, sans pitié, comme sur un obstacle à franchir, une chose à ébranler, trop pesante… Et voici que le mort l’a devancé ; c’est lui qui l’attend, pareil à un adversaire résolu, sur ses gardes.

Il fixe cet œil entr’ouvert avec une attention curieuse, où la pitié s’efface à mesure, puis avec une espèce d’impatience cruelle. Certes, il a contemplé la mort aussi souvent que le plus vieux soldat ; un tel spectacle est familier. Faire un pas, étendre la main, clore des doigts la paupière, recouvrir la prunelle qui le guette, que rien ne défend plus, quoi de plus simple ? Nulle terreur ne le retient aujourd’hui, nul dégoût. Plutôt le désir, l’attente inavouée d’une chose impossible, qui va s’accomplir en dehors de lui, sans lui. Sa pensée hésite, recule, avance de nouveau. Il tente ce mort, comme tout à l’heure sans le savoir il tentera Dieu.

Encore un coup, il essaie de prier, remue les lèvres, décontracte sa gorge serrée. Non ! encore une minute, une petite minute encore… La crainte folle, insensée, qu’une parole imprudente écarte à jamais une présence invisible, devinée, désirée, redoutée, le cloue sur place, muet. La main, qui ébauchait en l’air le signe de la croix, retombe. La large manche, au pas sage, fait vaciller la flamme du cierge, et la souffle. Trop tard ! Il a vu, deux fois, les yeux s’ouvrir et se fermer pour un appel silencieux. Il étouffe un cri. La chambre obscure est déjà plus paisible qu’avant. La lumière du dehors glisse à travers les volets, flotte alentour, dessine chaque objet sur un fond de cendre, et le lit au milieu d’un halo bleuâtre. Dans la cuisine, l’horloge sonne dix coups… Le rire d’une fille monte dans le clair matin, vibre longtemps… « Allons ! Allons !… » dit le saint de Lumbres, d’une voix mal assurée.

Il se fouille avec un empressement comique, cherche le briquet d’amadou, cadeau de M. le comte de Salpène (mais qu’il oublie toujours sur sa table), découvre une allumette, la rate. répète ; « Allons… allons », les dents serrées. En vidant ses poches, il a déposé à terre son couteau à manche de corne, des lettres, son mouchoir de coton d’un si beau rouge ! et il tâte en vain le carreau, çà et là, sans les retrouver. Le lit tout proche fait une ombre plus dense. Mais en haut, par contraste, la buée lumineuse, autour des volets clos, s’élargit, s’étale. Déjà le visage du mort apparaît… par degrés… remonte… lentement… jusqu’à la surface des ténèbres. Le bonhomme se penche à le toucher, regarde… « Les deux yeux, à présent grands ouverts, le, regardent aussi. »

Une minute encore, il soutient ce regard, avec une folle espérance. Mais aucun pli ne bouge des paupières retroussées. Les prunelles, d’un noir mat, n’ont plus de pensée humaine… Et pourtant… Une autre pensée peut-être ?… Une ironie bientôt reconnue, dans un éclair… Le défi du maître de la mort, du voleur d’hommes… C’est lui.

— C’est toi. Je te reconnais, s’écrie le misérable vieux prêtre d’une voix basse et martelée. En même temps, il lui semble que tout le sang de ses veines retombe sur son cœur en pluie glacée. Une douleur fulgurante, indicible, le traverse d’une épaule à l’autre, déjà diffuse dans le bras gauche, jusqu’aux doigts gourds. Une angoisse jamais sentie, toute physique, fait le vide dans sa poitrine, comme d’une monstrueuse succion à l’épigastre. Il se raidit pour ne pas crier, appeler.

Toute sécurité vitale a disparu : la mort est proche, certaine, imminente. L’homme intrépide lutte contre elle avec une énergie désespérée. Il trébuche, fait un pas pour rattraper son équilibre, s’accroche au lit, ne veut pas tomber. Dans ce simple faux pas, quarante ans d’une volonté magnanime, à sa plus haute tension, se dépensent en une seconde, pour un dernier effort, surhumain, capable de fixer un moment la destinée.

Il est donc vrai que, jusqu’à ce que la nuit le dérobe, le recouvre à son tour, le tenace bourreau qui s’amuse des hommes comme d’une proie l’entoure de ses prestiges, l’appelle, l’égare, ordonne ou caresse, retire ou rend l’espérance, prend toutes les voix, ange ou démon, innombrable, efficace, puissant comme un Dieu. Comme un Dieu ! Ah ! qu’importe l’enfer et sa flamme, pourvu que soit écrasée, une fois, rien qu’une fois, la monstrueuse malice ! Est-il possible. Dieu veut-il, que le serviteur qui l’a suivi trouve à sa place le roi risible des mouches, la bête sept fois couronnée ? À la bouche qui cherche la Croix, aux bras qui la pressent, donnera-t-on cela seulement ? Ce mensonge ?… Est-ce possible ? répète le saint de Lumbres à voix basse, est-ce possible ?… Et tout aussitôt :

— Vous m’avez trompé, s’écrie-t-il.

(La douleur aiguë qui le ceignait d’un effroyable baudrier desserre un peu son étreinte, mais sa respiration s’embarrasse. Son cœur bat lentement, comme noyé. « Je n’ai plus qu’un moment », se dit le malheureux homme, soulevant de terre, l’un après l’autre, ses pieds de plomb.)

Mais rien n’arrête celui qui, les mâchoires jointes et se rassemblant tout entier dans une seule pensée, avance à l’ennemi vainqueur et mesure son coup. Le saint de Lumbres glisse ses mains sous les petits bras raides, tire à demi au dehors le léger cadavre. La tête retombe et roule sur l’une et l’autre épaule, puis glisse en arrière, immobile. Elle a l’air de dire : « Non !… Non ! » avec le joli geste las des enfants gâtés. Mais qu’importe au rude paysan forcé jusque dans sa suprême espérance, et que retient debout une colère surhumaine, un de ces sentiments élémentaires, rage d’enfant ou de demi-dieu ?

Il élève le petit garçon comme une hostie. Il jette au ciel un regard farouche. Comment espérer reproduire le cri de détresse, la malédiction du héros qui ne demande pitié ni pardon, mais justice ! Non, non ! il n’implore pas ce miracle, il l’exige. Dieu lui doit. Dieu lui donnera, ou tout n’est qu’un songe. De lui ou de Vous, dites quel est le maître ! Ô la folle, folle parole, mais faite pour retentir jusqu’au ciel, et briser le silence ! Folle parole, amoureux blasphème !…

À celui qui fit entrer la mort dans la famille humaine la puissance est peut-être dispensée de détruire la vie même, de la restituer au néant dont elle est tirée. Qu’il ait souffert en vain, soit ! Mais il a cru. — Montrez-Vous, s’écrie-t-il, de cette voix intérieure, où se manifeste au monde invisible l’incompréhensible pouvoir de l’homme, montrez-Vous, avant de m’abandonner pour toujours !… Ô le misérable vieux prêtre, qui jette au vent ce qu’il a pour obtenir un signe dans le ciel ! Et ce signe ne lui sera pas refusé, car la foi qui transporte des montagnes peut bien ressusciter un mort… Mais Dieu ne se donne qu’à l’amour.

 

 

Chapitre VIII

Nous ne tenons du saint de Lumbres lui-même qu’un récit très court, ou plutôt des notes écrites à la hâte, et dans un désordre d’esprit voisin du délire. La rédaction en est maladroite, si naïve qu’il est impossible de les transcrire sans les modifier. Rien n’y rappelle l’homme extraordinaire sur qui furent essayées toutes les séductions du désespoir ; mais on y retrouve, au contraire, l’ancien curé de Lumbres, avec son humilité candide, son respect des supérieurs et même une déférence un peu basse, la crainte servile du bruit, une parfaite défiance de soi, jointe à un accablement profond, sans remède et qui fait trop prévoir sa fin.

Toutefois, quelques-unes de ces lignes méritent d’être tirées de l’oubli. Ce sont celles où, soucieux seulement de noter bien exactement la succession des faits dont il fut le seul témoin, il transcrit pour ainsi dire mot à mot les derniers instants de sa merveilleuse histoire. Les voici telles quelles :

Je tins une minute ou deux le petit cadavre entre mes bras, écrit-il, puis je tâchai de l’élever vers la Croix. Si léger qu’il fût, j’avais grand mal à le retenir, tant mon bras gauche était faible et douloureux. J’y parvins cependant. Alors, fixant Notre-Seigneur et rappelant avec force à ma pensée la pénitence et les fatigues de ma pauvre vie, le bien que j’ai pu faire parfois, les consolations que j’ai reçues, je donnai tout, sans réserves, pour que l’ennemi qui m’avait poursuivi sans repos, et qui me dérobait à présent jusqu’à l’espérance du salut, fût enfin humilié devant moi par un plus puissant que lui… Ô mon père, j’aurais sacrifié à ceci jusqu’à la vie éternelle !…

…Mon père, il est trop vrai ; le diable, qui avait de moi pris possession, est assez fort et assez subtil pour tromper mes sens, égarer mon jugement, mêler le vrai au faux. J’accepte, je reçois par avance votre décision souveraine. Mais le prodige est encore dans les yeux qui l’ont vu, dans les mains qui l’ont touché… Oui ! pendant un espace de temps que je n’ai pu fixer, le cadavre a paru revivre. Je l’ai senti tout chaud sous mes doigts, tout palpitant. La petite tête renversée en arrière s’est retournée vers moi… J’ai vu les paupières battre et le regard s’animer… Je l’ai vu. Dans ce moment une voix intérieure me répétait la parole : Nunquid cognoscentur in tenebris mirabilia tua, et justitia tua in terra oblivionis ? J’ouvrais la bouche pour la prononcer lorsque cette même douleur aiguë, indicible, que je ne peux comparer à rien, me terrassa de nouveau. Une seconde encore, j’essayai de retenir le petit corps qui m’échappait. Je le vis retomber sur le lit. C’est alors que retentit derrière moi un cri terrible.

Il l’avait entendu, en effet, ce cri terrible, suivi d’un plus affreux rire. Alors il s’était enfui de la chambre, comme un voleur, droit vers la porte ouverte et le jardin plein de soleil, sans tourner la tête, sans rien voir, que des ombres, qu’il repoussait sans les reconnaître, de ses deux bras tendus… Derrière lui, les voix s’éteignirent une à une, pour se confondre dans une seule rumeur vague, bientôt recouverte… Il fit encore quelques pas, reprit son souffle, ouvrit les yeux. Il était assis sur le talus de la route de Lumbres, son chapeau tombé près de lui, le regard encore ivre. Une carriole roulait au grand trot, dans la poussière dorée, l’homme en passant fit même un large sourire et salua du fouet… « Ai-je donc rêvé ? » disait le malheureux prêtre, le cœur battant…

Le curé de Luzarnes était devant lui.

Un curé de Luzarnes pâle, essoufflé, bégayant, mais retrouvant peu à peu son prestige et son assurance, à la vue du malheureux qui se relevait à grand’peine, s’efforçait de se tenir debout, tête nue, ses cheveux gris en désordre, pareil à un vieil écolier.

— Malheureux ! s’exclama le futur chanoine, aussitôt qu’il fut sûr de parler avec la fermeté convenable, malheureux ! Votre état peut faire pitié ; je vous plains. Mais je me plains encore d’avoir cédé à votre folie, attiré sur cette pauvre maison un autre malheur affreux, compromis notre dignité à tous — oui ! — à tous, par une manifestation ridicule… Et cette fuite ! Ah ! mon cher confrère, ce défaut de courage m’étonne de vous… Et maintenant (reprit-il après un silence, où il s’écoutait encore les yeux clos), et maintenant, qu’allez-vous faire ?

— Que voulez-vous que je fasse ? répondit le saint de Lumbres. J’ai commis une faute dont je soupçonne à peine la gravité. Dieu la connaît. Je mérite bien votre mépris.

Il ajouta tout bas quelques mots confus, hésita longtemps, puis, humblement, la tête penchée vers le sol, d’une voix presque inintelligible :

— Et maintenant… et maintenant… si vous voulez me dire… ce petit mort, que j’ai tenu dans mes bras ?…

— Ne parlez pas de lui ! répondit le curé de Luzarnes, avec une brutalité calculée.

À ce coup, il frémit sans répondre, mais jeta sur son juge un regard singulier.

— La comédie presque sacrilège que vous avez jouée (sans mauvaise intention, mon pauvre ami !) a eu un dénouement que vous ne semblez pas connaître… Soyons sérieux ! Il n’est pas possible que vous n’ayez vu ni entendu…

— Entendu… répondit le saint de Lumbres… entendu… Qu’ai-je entendu ?…

— Qu’ai-je entendu ! s’écria l’ancien professeur. Expliquez-vous ! Vous êtes bien capable, après tout, de n’avoir prêté vos oreilles qu’à des voix imaginaires. Je ne veux pas croire qu’un homme tel que vous, un ministre de paix, ait laissé derrière lui sans remords une femme, une mère, que votre odieuse mise en scène a failli tuer[1] et qui est, à la minute où je parle, en plein accès de démence ?

Mais comme le vieux prêtre le considérait avec une stupeur évidemment sincère, il baissa le ton pour continuer, avec l’empressement des sots à se vider d’un mauvais et tragique récit :

— Ainsi, vous ignorez donc ! Vous ne savez pas que la malheureuse s’était glissée dans la chambre, derrière vous ? Que s’est-il passé ? Vous devez le savoir mieux que moi… Nous avons entendu un cri, un éclat de rire… Puis vous avez traversé la pièce comme un égaré… Elle voulait vous suivre ; nous la retenions à grand’peine ; c’était un spectacle affreux… Hélas ! pourquoi m’étonnerais-je qu’une faible femme dans le malheur ait subi l’entraînement de votre éloquence, la contagion de vos gestes, de votre imagination exaltée, puisque moi-même… un cerveau comme le mien… tout à l’heure… en était à douter du vrai et du faux… Elle répétait : « Il vit ! Il vit !… Il va revivre !… » Elle voulait qu’on courût, qu’on vous ramenât… Miséricorde !

Il s’arrête un moment, souffle, et demande, les bras croisés :

— Voici les faits… Qu’en pensez-vous ?

— Je suis perdu, répondit le curé de Lumbres, avec calme, se redressant de toute sa hauteur. Puis il parut poursuivre du regard, dans le ciel vide, son invisible ennemi.

— Je suis perdu, reprit-il… J’étais fou… un dangereux fou… Je m’exécuterai moi-même — oui — je dois me rendre moi-même inoffensif… Une espérance me reste, c’est que le temps m’est mesuré, très mesuré… J’ai senti tout à l’heure, mon ami, la première attaque d’un mal que j’attribuais… enfin une douleur bien étrange et qui, je le sens, redoublera d’une minute à l’autre, pour m’emporter…

Il me décrivit fort nettement, rapporte le curé de Luzarnes dans les notes déjà citées, une crise classique d’angine de poitrine. Je le lui dis sans ménagements. J’aurais désiré ajouter quelques conseils (d’expérience, hélas ! ma vénérable mère étant morte de cette redoutable maladie). Mais, après m’avoir fait répéter deux fois ce mot d’angor pectoris qu’il ignorait, je le vis ramasser par terre son chapeau, l’essuyer de sa manche, et partir sans vouloir m’entendre, à grands pas.

 

1. On sait que Mme Havret fut guérie quelques mois après au cours d’un pèlerinage à l’église de Lumbres.

Parmi tant de conversions extraordinaires, dont on ne sait déjà plus le nombre, il est curieux de constater que cette guérison miraculeuse est la seule qui puisse être attribuée, jusqu’à ce jour, à l’intercession de l’abbé Donissan.

 

 

Chapitre IX

Qu’elle est longue la route du retour, la longue route ! Celle des armées battues, la route du soir, qui ne mène à rien, dans la poussière vaine !… Il faut aller, cependant, il faut marcher, tant que bat ce pauvre vieux cœur, — pour rien, pour user la vie, — parce qu’il n’y a pas de repos tant que dure le jour, tant que l’astre cruel nous regarde, de son œil unique, au-dessus de l’horizon. Tant que bat le pauvre vieux cœur.

Voici la première maison du village, puis le raccourci, entre deux haies inégales, à travers prés et pommiers, qui débouche à l’entrée du cimetière, dans l’ombre même de l’église. Voici l’église de Lumbres, comme une ombre.

Le curé de Lumbres est entré, sans être vu, par la petite porte qui s’ouvre dans la sacristie même. Il s’est laissé tomber sur une chaise, le regard aux briques du sol, pétrissant son chapeau dans ses mains, encore incapable de fixer à rien sa mémoire en déroute, écoutant seulement le choc régulier du sang aux artères de son cou, avec une attention stupide.

Certes, il ne reste rien du grand vieillard en pleine révolte, en plein défi ! Pas une seconde, jusqu’à la fin, il ne trouvera la force nécessaire pour rassembler ses souvenirs, ou les démêler. L’idée seule d’un discernement si douloureux lui est odieuse, insupportable. Ah ! qu’il entretienne plutôt en lui ce demi-sommeil ! L’effort a été trop rude et il est tombé de trop haut ; les tentations ordinaires ne sont que des rêves d’enfant, une rumination monotone, un ressassement, pareil au bavardage insidieux d’un juge. Mais lui, c’est le bourreau qui l’a questionné.

Il garde, par geste inconscient, la main pressée sur sa poitrine, à la place même où la douleur endormie a sa racine. Plus que la terreur, cependant, d’une agonie nouvelle, la crainte l’oppresse d’abord du jugement de ses confrères, de leurs discours, des réprimandes et des sanctions de l’archevêque. Les larmes lui montent aux yeux. Il traîne sa chaise auprès d’une petite table et, la tête vide, le cœur lâche, le dos arrondi sous la menace, il s’efforce d’écrire bien lisiblement, bien proprement, pour une enquête possible, d’une belle écriture d’écolier, cette espèce de rapport dont nous avons cité plus haut quelques lignes.

Il écrit, rature, déchire. Mais, à mesure qu’il en fixe le détail sur le papier, sa miraculeuse aventure se dissipe dans son esprit, s’efface. Il ne la reconnaît plus ; il y est comme étranger. L’effort même qu’il fait pour la ressaisir brise en lui la dernière, la fragile trame du souvenir, et le laisse les coudes sur la table, les yeux vagues, insensible.

Combien d’heures restera-t-il ainsi, regardant sans la voir une étroite fenêtre grillée, dans l’épaisseur de la pierre, où repasse au dehors la branche d’un sureau balancée par le vent, au soleil, tantôt noire et tantôt verte ? L’homme qui vint à midi sonner l’Angélus aperçut à travers la petite lucarne de la porte, dans l’ombre, son chapeau tombé à terre, et son bréviaire, dont il vit les images et les signets éparpillés sur le sol. À cinq heures, un élève du catéchisme de Première Communion, Sébastien Mallet, venu pour rechercher un livre oublié, trouva la porte close, mais, n’entendant rien, s’en fut. « Je n’osai pas frapper trop fort, ni appeler, dit-il ensuite, car l’église était déjà pleine de monde, et j’avais bien peur qu’on ne m’interrogeât. »

C’était l’heure en effet où la foule des pèlerins que la diligence automobile de Plessis-Baugrenan amène chaque jour à Lumbres se pressait au confessionnal du saint, dans la chapelle des Anges. Foule singulière, où l’on vit coude à coude tant de personnages tragiques ou comiques, tant de marionnettes illustres que la chaleur d’une grande âme élevait un moment au-dessus du banal mensonge, restituait au règne humain ! Ce soir-là, plus nombreuse encore, énervée par l’attente ou peut-être agitée d’un pressentiment obscur, dans la vieille église en rumeur… À chaque battement de la grand’porte, les visages inquiets — ces visages tendus que les familiers du pèlerinage n’oublieront jamais — se tournaient vers le seuil un instant lumineux, puis rentraient dans l’ombre tous ensemble. Les chuchotements discrets, les toux nerveuses qu’on étouffe de la main, mille petits gestes divers d’impatience ou de curiosité, finissaient par se confondre en un seul bruit étrange, comparable au piétinement d’un troupeau dans l’orage et la pluie. Soudain, ce bruit même cessa ; tout se tut. La porte de la sacristie grinçait dans un silence solennel. Le curé de Lumbres parut.

— Dieu, qu’il est pâle ! dit une voix de femme, au loin, dans la nef.

Ce cri, entendu nettement, rompit le charme. Le troupeau retrouva son maître et respira.

Déjà le vieux prêtre gagnait son confessionnal, lentement, la tête un peu penchée sur l’épaule droite, la main toujours pressée sur son cœur. Au premier pas, il crut tomber. Mais un remous de la foule l’avait déjà porté au but ; elle se refermait sur lui. Encore un coup, il était leur proie.

Il ne leur échappera plus. Il reste debout, dans l’épaisse nuit, sa haute taille pliée en deux, la nuque au plafond de chêne, cherchant son haleine. Il abandonne à la souffrance un corps inerte, humilié, sa dépouille. Sa stupide patience lasserait le bourreau.

Mais qui pourra lasser jamais celui-là qui l’observe, invisible, et se satisfait de son agonie ? Il faut que le misérable vieillard, un moment rebelle, presque vainqueur, sente sur lui jusqu’à la fin cette puissance qu’il a bravée… Plût à Dieu qu’il reconnût au moins, face à face, son ennemi ! Mais ce n’est pas cette voix qu’il entendra, ce dernier défi… Voici qu’à travers la douleur aiguë la conscience lui revient, par degrés, qu’il écoute… Il écoute un murmure bientôt plus distinct… monotone… inexorable. Il le reconnaît… Ce sont eux. Un par un, hommes et femmes, les voilà tous, dont il sent le souffle monter vers lui, moins détestable que leur parole impure, mornes litanies du péché, mots souillés depuis des siècles, ignoblement ternis par l’usage, passant de la bouche des pères dans celle des fils, pareils aux pages les plus lues d’un mauvais livre, et que le vice a marquées de son signe — contresignées — dans la crasse de milliers de doigts. Elle monte, cette parole ; elle recouvre peu à peu le saint de Lumbres encore debout. Comme ils se hâtent ! Comme ils vont vite !… Mais, sitôt le souffle revenu, vous les verrez — ah ! vous les verrez ces affreux enfants ! — chercher, tâter des lèvres la hideuse mamelle que Satan presse pour eux, gonflée du poison chéri !… Jusqu’à la mort, lève la main, pardonne, absous, homme de la Croix, vaincu d’avance !

Il écoute, il répond comme en rêve, mais avec une extrême lucidité. Jamais son cerveau ne fut plus libre, son jugement plus prompt, plus net, tandis que sa chair n’est attentive qu’à la douleur grandissante, au point fixe d’où la souffrance aiguë s’irradie, pousse en tous sens ses merveilleux rameaux, ou court sous la trame des nerfs, pareille à une navette agile. Elle a pénétré si avant qu’elle semble atteindre la division du corps et de l’esprit, faire deux parts du même homme… Le saint de Lumbres à l’agonie n’a plus commerce qu’avec les âmes. Il les voit, de ce regard sur lequel la paupière est déjà retombée, — elles seules… Crispé à la cloison sonore, les reins douloureusement pressés sur la stalle où il n’ose s’asseoir, la bouche ouverte pour respirer l’air épais, ruisselant de sueur, il n’entend que ce murmure à peine distinct, la voix de ses fils à genoux, pleine de honte. Ah ! qu’ils parlent ou se taisent, la grande âme impatiente a déjà devancé l’aveu, ordonne, menace, supplie ! L’homme de la Croix n’est pas là pour vaincre, mais pour témoigner jusqu’à la mort de la ruse féroce, de la puissance injuste et vile, de l’arrêt inique dont il appelle à Dieu. Regardez ces enfants, Seigneur, dans leur faiblesse ! leur vanité, aussi légère et aussi prompte qu’une abeille, leur curiosité sans constance, leur raison courte, élémentaire, leur sensualité pleine de tristesse…, entendez leur langage, à la fois fruste et perfide, qui n’embrasse que les contours des choses, riche de la seule équivoque, assez ferme quand il nie, toujours lâche pour affirmer, langage d’esclave ou d’affranchi, fait pour l’insolence et la caresse, souple, insidieux, déloyal. Pater, dimitte illis, non enim sciunt quid facient !

 

 

Chapitre X

— Hélas ! précisait le curé de Luzarnes, j’ai payé jadis mon expérience assez cher ! Mon infortuné confrère a failli mourir devant moi d’une crise d’angine de poitrine, et vous en conviendrez tout à l’heure…

Ce disant, il marchait à grands pas sur la route de Lumbres, suivi du jeune médecin de Chavranches, au trot. Ce praticien encore imberbe, établi depuis peu de mois, jouissait d’une réputation professionnelle à peine au-dessus de ses mérites. L’aplomb de son bavardage, ses audaces de carabin et, par-dessus tout, son mépris de la clientèle, lui avaient gagné tous les cœurs. Nulle bourgeoise qui ne rêvât, pour sa demoiselle, un aveu de cette bouche insolente, et le secours de ses deux mains expertes, aussi capables que la lance fameuse de guérir les blessures qu’elles font. Pas un mourant qui n’ambitionnât d’entendre à son lit funèbre quelqu’une de ces paroles consolantes, pimentées, mezzo voce, d’une plaisanterie de cannibale. Car le muscadin ne fait plus le compte de ceux qui, par ses soins — et pour imiter son langage — trépassèrent à la rigolade.

— Mon Dieu ! c’est bien possible, l’abbé, répondit-il d’un ton conciliant.

Appelé en grande hâte et sur le conseil de M. le curé de Luzarnes, il avait trouvé la maîtresse du Plouy en pleine crise de délire, à laquelle l’épuisement seul mit fin. Mais, vers le soir, et la malade endormie :

— Mon cher docteur, s’était-il écrié, j’ai à vous demander comme un service personnel : Votre automobile, dites-vous, doit vous reprendre ici vers sept heures ? Il en est cinq à peine. Accompagnez-moi tout doucement jusqu’à Lumbres. Une fois là-bas, qui vous empêche de téléphoner à votre mécanicien de Chavranches, qui viendra vous y chercher ? Entre temps, vous aurez examiné sérieusement mon pauvre confrère, et je connaîtrai votre avis.

— Vous le connaissez depuis longtemps ! dit le jeune praticien, non sans gaieté. Une nourriture peu substantielle, pas d’exercice, le séjour dans un presbytère vermoulu, l’église humide, le confessionnal sans lumière et sans air, une hygiène du xiiie siècle, ma parole !… Angor pectoris à part, il n’en faut pas plus pour achever un organisme déjà surmené !… Mais qu’est-ce que vous voulez bien que j’y fasse ?

— J’ai mon ministère, vous avez le vôtre, répondit le curé de Luzarnes, noblement. Notre raison d’être, c’est la pitié pour les faibles, l’humanité. Que mon pauvre collègue soit ceci ou cela, que vous importe ? Et, si vous dites vrai, ce ne serait encore qu’un de ces cas de déformation professionnelle, qui méritent l’attention de l’observateur, et les soins du praticien…

— Bon ! Bon ! j’irai… concéda-t-il. Et d’ailleurs, il y a du plaisir à discuter avec un prêtre comme vous, ajouta le docteur de Chavranches.

C’est ainsi qu’ils décidèrent de faire ensemble — et dans un sentiment peu différent — le pèlerinage de Lumbres. À l’entrée du village une pluie fine se mit à tomber ; la route blanche, sous leurs pas, se teignit d’ocre ; un brouillard au goût de lierre flottait au-dessus. On les vit hâter le pas. L’herbe du cimetière ruisselait d’eau ; la grille, sans cesse ouverte et refermée, grinçait lamentable et le haut porche de pierre grise fouetté par l’averse semblait, dans l’ombre mourante, se tendre et palpiter comme une voile. Puis ils entrèrent côte à côte, dans l’église déjà presque vide.

Là, M. le curé de Luzarnes, reposant paternellement la main sur l’épaule de son compagnon :

— Monsieur Gambillet, dit-il à voix basse, je vous aurais épargné volontiers cette visite au sanctuaire, peut-être embarrassante pour vous, mais n’attendrez-vous pas plus agréablement ici que dans une salle de presbytère, aussi froide et aussi nue qu’un parloir de dames Clarisses ? D’ailleurs, le gros de la foule est heureusement dispersé. L’abord du confessionnal me paraît libre, et, si mon vénéré confrère prend quelque repos à la sacristie, il ne fera pas difficulté, j’espère, à nous suivre aussitôt chez lui !

Ayant ainsi parlé, il disparut. Le jeune Chavranchais, toujours immobile auprès du bénitier, n’entendit plus un moment que l’écho de sa voix lointaine, le claquement d’une porte, la glissade des gros souliers sur les dalles. Devant lui, une à une, les dévotes attardées, d’un pas menu, leur main furtive au bord de la vasque de marbre, passèrent à le toucher, laissant tomber sur lui un regard de leurs yeux graves. Puis le sacristain paysan souffla les dernières lampes. Enfin le curé de Luzarnes reparut.

— Chose bien surprenante, fit-il. Mon confrère a dû quitter l’église ; nous ne l’y trouvons plus. Les confessions d’ailleurs, à ce qu’on m’a dit, sont terminées depuis quarante minutes au moins… Il faut se rendre à l’évidence, monsieur Gambillet… Par la porte du cimetière, sans doute, il a dû regagner la maison… Faites ce dernier petit effort, ajouta-t-il de ce ton familier auquel on ne refuse rien.

— Qu’est-ce que cela me fait ? répondit obligeamment le docteur de Chavranches. Mon auto me prend ici vers dix-neuf heures ; j’ai le temps… Mais pour un moribond, l’abbé, votre ami est bien ingambe…

Il acheva d’exprimer sa pensée par un sifflement distrait. Car, attendant sans impatience, avec une mâle fermeté, le moment de passer à son tour au premier plan, il eût jugé peu digne d’en paraître ému. Mais ce fut en vain qu’ils interrogèrent la vieille Marthe, dans le parloir aux deux bécassines ; elle n’avait pas revu son maître, et ne l’attendait pas si tôt.

— Pauvre cher homme qui dîne à des heures impossibles, et passe plus d’une fois la nuit tout entière à genoux sur le pavé, dans la chapelle des Saints-Anges !

— Il y est encore, messieurs, sûr comme vous voilà ! Vous le trouverez dans le petit retrait de la muraille, derrière la table à burettes — une place qu’il aime, — aussi seul qu’en plein bois de Bargemont.

— Ladislas ! dit-elle au sacristain qui parut alors sur le seuil, une pile de linge aux bras, l’as-tu vu, toi, en faisant la ronde ?

Mais le bonhomme secoua la tête.

— On ferme les portes de l’église, expliqua-t-elle, à six heures, et Ladislas ne les ouvrira qu’à neuf heures, à la prière du soir et au salut. C’est le moment que notre curé se réserve pour mettre un peu d’ordre là-bas, voyez-vous, et ranger à sa mode… Pensez ! Il a obtenu de Monseigneur que le Saint-Sacrement serait exposé toute la nuit !… Donnes-tu les clefs à ces messieurs ? demanda-t-elle à Ladislas, avec un peu d’embarras.

— J’aime autant les accompagner moi-même, répondit le sacristain, bourru. J’ai une consigne, après tout, la mère ! Le temps de casser une croûte, et de boire un verre de vin.

La bonne femme, derrière son dos, branla sa cornette.

— Je m’en doutais bien, messieurs, fit-elle. Mais il aura tôt fait de souper, car il ne mange guère. C’est un mal disant, voyez-vous, mais sans plus de méchanceté qu’un enfant.

— Nous l’attendrons donc, fit le curé de Luzarnes d’un air pincé, interrogeant du regard son compagnon.

— Et… Et j’ai encore une proposition à vous faire, commença la vieille Marthe, après avoir toussé pour s’éclaircir la voix. Il y a dans la pièce à côté (celle que notre saint du bon Dieu appelle son oratoire, rapport à ce qu’il y confesse aussi) un grand monsieur venu de loin, tout exprès, pour notre curé, un vieux avec la Légion d’honneur, bien honnête, ma foi ! bien gentil, et qui doit trouver le temps long.

Le docteur de Chavranches fit des deux mains le geste qui jetait au diable le vieux et sa croix d’honneur.

— Quelque général en retraite ?… proposa l’ancien professeur de chimie, avec un sourire complice.

— La carte est sur la table — oui, là devant vous, messieurs, — dit-elle, découragée. Mais il a des yeux si doux, si caressants. Non ! ça n’est pas ça, un militaire !

Le carré de bristol était déjà sous le nez de Gambillet, qui rougit comme un enfant.

— Oh ! oh ! cela change d’aspect ! fit-il du ton d’un connaisseur…

Il tendit la carte au curé de Luzarnes, qui chancela.

— Antoine Saint-Marin… bredouilla le futur chanoine, la bouche humide.

— De l’Académie française, répondit l’autre, comme un écho.

Le jeune praticien prit une pose, et parut chercher un moment quelque chose…

— Introduisez-nous ! dit-il enfin.

Wednesday, 22 December 2021

"Sicut Dudum" by Pope Eugene IV (translated into English)

Eugene, Bishop, Servant of the Servants of God,

To our venerable brothers, peace and apostolic benediction, etcetera.

 

1. Not long ago, we learned from our brother Ferdinand, bishop at Rubicon and representative of the faithful who are residents of the Canary Islands, and from messengers sent by them to the Apostolic See, and from other trustworthy informers, the following facts: in the said islands—some called Lanzarote—and other nearby islands, the inhabitants, imitating the natural law alone, and not having known previously any sect of apostates or heretics, have a short time since been led into the Orthodox Catholic Faith with the aid of God’s mercy. Nevertheless, with the passage of time, it has happened that in some of the said islands, because of a lack of suitable governors and defenders to direct those who live there to a proper observance of the Faith in things spiritual and temporal, and to protect valiantly their property and goods, some Christians (we speak of this with sorrow), with fictitious reasoning and seizing and opportunity, have approached said islands by ship, and with armed forces taken captive and even carried off to lands overseas very many persons of both sexes, taking advantage of their simplicity.

2. Some of these people were already baptized; others were even at times tricked and deceived by the promise of Baptism, having been made a promise of safety that was not kept. They have deprived the natives of the property, or turned it to their own use, and have subjected some of the inhabitants of said islands to perpetual slavery, sold them to other persons, and committed other various illicit and evil deeds against them, because of which very many of those remaining on said islands, and condemning such slavery, have remained involved in their former errors, having drawn back their intention to receive Baptism, thus offending the majesty of God, putting their souls in danger, and causing no little harm to the Christian religion

3. Therefore, We, to whom it pertains, especially in respect to the aforesaid matters, to rebuke each sinner about his sin, and not wishing to pass by dissimulating, and desiring—as is expected from the pastoral office we hold—as far as possible, to provide salutarily, with a holy and fatherly concern, for the sufferings of the inhabitants, beseech the Lord, and exhort, through the sprinkling of the Blood of Jesus Christ shed for their sins, one and all, temporal princes, lords, captains, armed men, barons, soldiers, nobles, communities, and all others of every kind among the Christian faithful of whatever state, grade, or condition, that they themselves desist from the aforementioned deeds, cause those subject to them to desist from them, and restrain them rigorously.

4. And no less do We order and command all and each of the faithful of each sex, within the space of fifteen days of the publication of these letters in the place where they live, that they restore to their earlier liberty all and each person of either sex who were once residents of said Canary Islands, and made captives since the time of their capture, and who have been made subject to slavery. These people are to be totally and perpetually free, and are to be let go without the exaction or reception of money. If this is not done when the fifteen days have passed, they incur the sentence of excommunication by the act itself, from which they cannot be absolved, except at the point of death, even by the Holy See, or by any Spanish bishop, or by the aforementioned Ferdinand, unless they have first given freedom to these captive persons and restored their goods. We will that like sentence of excommunication be incurred by one and all who attempt to capture, sell, or subject to slavery, baptized residents of the Canary Islands, or those who are freely seeking Baptism, from which excommunication cannot be absolved except as was stated above.

5. Those who humbly and efficaciously obey these, our exhortations and commands deserve, in addition to our favor, and that of the Apostolic See, and the blessings which follow there from, but are to be possessors of eternal happiness and to be placed at the right hand of God, etcetera

 

Given at Florence, January 13th, in the Year of Our Lord, 1435

Tuesday, 21 December 2021

Tuesday Serial: "Deadly City" by Paul W. Fairman (in English) - I

 He awoke slowly, like a man plodding knee-deep through the thick stuff of nightmares. There was no definite line between the dream-state and wakefulness. Only a dawning knowledge that he was finally conscious and would have to do something about it.

He opened his eyes, but this made no difference. The blackness remained. The pain in his head brightened and he reached up and found the big lump they'd evidently put on his head for good measure—a margin of safety.

They must have been prudent people, because the bang on the head had hardly been necessary. The spiked drink which they had given him would have felled an ox. He remembered going down into the darkness after drinking it, and of knowing what it was. He remembered the helpless feeling.

It did not worry him now. He was a philosophical person, and the fact he was still alive cancelled out the drink and its result. He thought, with savor, of the chestnut-haired girl who had watched him take the drink. She had worn a very low bodice, and that was where his eyes had been at the last moment—on the beautiful, tanned breasts—until they'd wavered and puddled into a blur and then into nothing.

The chestnut-haired girl had been nice, but now she was gone and there were more pressing problems.

He sat up, his hands behind him at the ends of stiff arms clawing into long-undisturbed dust and filth. His movement stirred the dust and it rose into his nostrils.

He straightened and banged his head against a low ceiling. The pain made him sick for a minute and he sat down to regain his senses. He cursed the ceiling, as a matter of course, in an agonized whisper.

Ready to move again, he got onto his hands and knees and crawled cautiously forward, exploring as he went. His hand pushed through cobwebs and found a rough, cement wall. He went around and around. It was all cement—all solid.

Hell! They hadn't sealed him up in this place! There had been a way in so there had to be a way out. He went around again.

Then he tried the ceiling and found the opening—a wooden trap covering a four-by-four hole—covering it snugly. He pushed the trap away and daylight streamed in. He raised himself up until he was eye-level with a discarded shaving cream jar lying on the bricks of an alley. He could read the trade mark on the jar, and the slogan: "For the Meticulous Man".

He pulled himself up into the alley. As a result of an orderly childhood, he replaced the wooden trap and kicked the shaving cream jar against a garbage can. He rubbed his chin and looked up and down the alley.

It was high noon. An uncovered sun blazed down to tell him this.

And there was no one in sight.

* * *

 

He started walking toward the nearer mouth of the alley. He had been in that hole a long time, he decided. This conviction came from his hunger and the heavy growth of beard he'd sprouted. Twenty-four hours—maybe longer. That mickey must have been a lulu.

He walked out into the cross street. It was empty. No people—no cars parked at the curbs—only a cat washing its dirty face on a tenement stoop across the street. He looked up at the tenement windows. They stared back. There was an empty, deserted look about them.

The cat flowed down the front steps of the tenement and away toward the rear and he was truly alone. He rubbed his harsh chin. Must be Sunday, he thought. Then he knew it could not be Sunday. He'd gone into the tavern on a Tuesday night. That would make it five days. Too long.

He had been walking and now he was at an intersection where he could look up and down a new street. There were no cars—no people. Not even a cat.

A sign overhanging the sidewalk said: Restaurant. He went in under the sign and tried the door. It was locked. There were no lights inside. He turned away—grinning to reassure himself. Everything was all right. Just some kind of a holiday. In a big city like Chicago the people go away on hot summer holidays. They go to the beaches and the parks and sometimes you can't see a living soul on the streets. And of course you can't find any cars because the people use them to drive to the beaches and the parks and out into the country. He breathed a little easier and started walking again.

Sure—that was it. Now what the hell holiday was it? He tried to remember. He couldn't think of what holiday it could be. Maybe they'd dreamed up a new one. He grinned at that, but the grin was a little tight and he had to force it. He forced it carefully until his teeth showed white.

Pretty soon he would come to a section where everybody hadn't gone to the beaches and the parks and a restaurant would be open and he'd get a good meal.

A meal? He fumbled toward his pockets. He dug into them and found a handkerchief and a button from his cuff. He remembered that the button had hung loose so he'd pulled it off to keep from losing it. He hadn't lost the button, but everything else was gone. He scowled. The least they could have done was to leave a man eating money.

He turned another corner—into another street—and it was like the one before. No cars—no people—not even any cats.

Panic welled up. He stopped and whirled around to look behind him. No one was there. He walked in a tight circle, looking in all directions. Windows stared back at him—eyes that didn't care where everybody had gone or when they would come back. The windows could wait. The windows were not hungry. Their heads didn't ache. They weren't scared.

He began walking and his path veered outward from the sidewalk until he was in the exact center of the silent street. He walked down the worn white line. When he got to the next corner he noticed that the traffic signals were not working. Black, empty eyes.

His pace quickened. He walked faster—ever faster until he was trotting on the brittle pavement, his sharp steps echoing against the buildings. Faster. Another corner. And he was running, filled with panic, down the empty street.

* * *

 

The girl opened her eyes and stared at the ceiling. The ceiling was a blur but it began to clear as her mind cleared. The ceiling became a surface of dirty, cracked plaster and there was a feeling of dirt and squalor in her mind.

It was always like that at these times of awakening, but doubly bitter now, because she had never expected to awaken again. She reached down and pulled the wadded sheet from beneath her legs and spread it over them. She looked at the bottle on the shabby bed-table. There were three sleeping pills left in it. The girl's eyes clouded with resentment. You'd think seven pills would have done it. She reached down and took the sheet in both hands and drew it taut over her stomach. This was a gesture of frustration. Seven hadn't been enough, and here she was again—awake in the world she'd wanted to leave. Awake with the necessary edge of determination gone.

She pulled the sheet into a wad and threw it at the wall. She got up and walked to the window and looked out. Bright daylight. She wondered how long she had slept. A long time, no doubt.

Her naked thigh pressed against the windowsill and her bare stomach touched the dirty pane. Naked in the window, but it didn't matter, because it gave onto an airshaft and other windows so caked with grime as to be of no value as windows.

But even aside from that, it didn't matter. It didn't matter in the least.

She went to the washstand, her bare feet making no sound on the worn rug. She turned on the faucets, but no water came. No water, and she had a terrible thirst. She went to the door and had thrown the bolt before she remembered again that she was naked. She turned back and saw the half-empty Pepsi-Cola bottle on the floor beside the bed table. Someone else had left it there—how many nights ago?—but she drank it anyhow, and even though it was flat and warm it soothed her throat.

She bent over to pick up garments from the floor and dizziness came, forcing her to the edge of the bed. After a while it passed and she got her legs into one of the garments and pulled it on.

Taking cosmetics from her bag, she went again to the washstand and tried the taps. Still no water. She combed her hair, jerking the comb through the mats and gnarls with a satisfying viciousness. When the hair fell into its natural, blond curls, she applied powder and lip-stick. She went back to the bed, picked up her brassiere and began putting it on as she walked to the cracked, full-length mirror in the closet door. With the brassiere in place, she stood looking at her slim image. She assayed herself with complete impersonality.

She shouldn't look as good as she did—not after the beating she'd taken. Not after the long nights and the days and the years, even though the years did not add up to very many.

I could be someone's wife, she thought, with wry humor. I could be sending kids to school and going out to argue with the grocer about the tomatoes being too soft. I don't look bad at all.

She raised her eyes until they were staring into their own images in the glass and she spoke aloud in a low, wondering voice. She said, "Who the hell am I, anyway? Who am I? A body named Linda—that's who I am. No—that's what I am. A body's not a who—it's a what. One hundred and fourteen pounds of well-built blond body called Linda—model 1931—no fender dents—nice paint job. Come in and drive me away. Price tag—"

She bit into the lower lip she'd just finished reddening and turned quickly to walk to the bed and wriggle into her dress—a gray and green cotton—the only one she had. She picked up her bag and went to the door. There she stopped to turn and thumb her nose at the three sleeping pills in the bottle before she went out and closed the door after herself.

The desk clerk was away from the cubbyhole from which he presided over the lobby, and there were no loungers to undress her as she walked toward the door.

Nor was there anyone out in the street. The girl looked north and south. No cars in sight either. No buses waddling up to the curb to spew out passengers.

The girl went five doors north and tried to enter a place called Tim's Hamburger House. As the lock held and the door refused to open, she saw that there were no lights on inside—no one behind the counter. The place was closed.

She walked on down the street followed only by the lonesome sound of her own clicking heels. All the stores were closed. All the lights were out.

All the people were gone.

* * *

 

He was a huge man, and the place of concealment of the Chicago Avenue police station was very small—merely an indentation low in the cement wall behind two steam pipes. The big man had lain in this niche for forty-eight hours. He had slugged a man over the turn of a card in a poolroom pinochle game, had been arrested in due course, and was awaiting the disposal of his case.

He was sorry he had slugged the man. He had not had any deep hatred for him, but rather a rage of the moment that demanded violence as its outlet. Although he did not consider it a matter of any great importance, he did not look forward to the six month's jail sentence he would doubtless be given.

His opportunity to hide in the niche had come as accidentally and as suddenly as his opportunity to slug his card partner. It had come after the prisoners had been advised of the crisis and were being herded into vans for transportation elsewhere. He had snatched the opportunity without giving any consideration whatever to the crisis. Probably because he did not have enough imagination to fear anything—however terrible—which might occur in the future. And because he treasured his freedom above all else. Freedom for today, tomorrow could take care of itself.

Now, after forty-eight hours, he writhed and twisted his huge body out of the niche and onto the floor of the furnace room. His legs were numb and he found that he could not stand. He managed to sit up and was able to bend his back enough so his great hands could reach his legs and begin to massage life back into them.

So elementally brutal was this man that he pounded his legs until they were black and blue, before feeling returned to them. In a few minutes he was walking out of the furnace room through a jail house which should now be utterly deserted. But was it? He went slowly, gliding along close to the walls to reach the front door unchallenged.

He walked out into the street. It was daylight and the street was completely deserted. The man took a deep breath and grinned. "I'll be damned," he muttered. "I'll be double and triple damned. They're all gone. Every damn one of them run off like rats and I'm the only one left. I'll be damned!"

A tremendous sense of exultation seized him. He clenched his fists and laughed loud, his laugh echoing up the street. He was happier than he had ever been in his quick, violent life. And his joy was that of a child locked in a pantry with a huge chocolate cake.

He rubbed a hand across his mouth, looked up the street, began walking. "I wonder if they took all the whisky with them," he said. Then he grinned; he was sure they had not.

He began walking in long strides toward Clark Street. In toward the still heart of the empty city.

* * *

 

He was a slim, pale-skinned little man, and very dangerous. He was also very clever. Eventually they would have found out, but he had been clever enough to deceive them and now they would never know. There was great wealth in his family, and with the rest of them occupied with leaving the city and taking what valuables they could on such short notice, he had been put in charge of one of the chauffeurs.

The chauffeur had been given the responsibility of getting the pale-skinned young man out of the city. But the young man had caused several delays until all the rest were gone. Then, meekly enough, he had accompanied the chauffeur to the garage. The chauffeur got behind the wheel of the last remaining car—a Cadillac sedan—and the young man had gotten into the rear seat.

But before the chauffeur could start the motor, the young man hit him on the head with a tire bar he had taken from a shelf as they had entered the garage.

The bar went deep into the chauffeur's skull with a solid sound, and thus the chauffeur found the death he was in the very act of fleeing.

The young man pulled the dead chauffeur from the car and laid him on the cement floor. He laid him down very carefully, so that he was in the exact center of a large square of outlined cement with his feet pointing straight north and his outstretched arms pointing south.

The young man placed the chauffeur's cap very carefully upon his chest, because neatness pleased him. Then he got into the car, started it, and headed east toward Lake Michigan and the downtown section.

After traveling three or four miles, he turned the car off the road and drove it into a telephone post. Then he walked until he came to some high weeds. He lay down in the weeds and waited.

He knew there would probably be a last vanguard of militia hunting for stragglers. If they saw a moving car they would investigate. They would take him into custody and force him to leave the city.

This, he felt, they had no right to do. All his life he had been ordered about—told to do this and that and the other thing. Stupid orders from stupid people. Idiots who went so far as to claim the whole city would be destroyed, just to make people do as they said. God! The ends to which stupid people would go in order to assert their wills over brilliant people.

The young man lay in the weeds and dozed off, his mind occupied with the pleasant memory of the tire iron settling into the skull of the chauffeur.

After a while he awoke and heard the cars of the last vanguard passing down the road. They stopped, inspected the Cadillac and found it serviceable. They took it with them, but they did not search the weeds along the road.

When they had disappeared toward the west, the young man came back to the road and began walking east, in toward the city.

Complete destruction in two days?

Preposterous.

The young man smiled.

* * *

 

The girl was afraid. For hours she had walked the streets of the empty city and the fear, strengthened by weariness, was now mounting toward terror. "One face," she whispered. "Just one person coming out of a house or walking across the street. That's all I ask. Somebody to tell me what this is all about. If I can find one person, I won't be afraid any more."

And the irony of it struck her. A few hours previously she had attempted suicide. Sick of herself and of all people, she had tried to end her own life. Therefore, by acknowledging death as the answer, she should now have no fear whatever of anything. Reconciled to crossing the bridge into death, no facet of life should have held terror for her.

But the empty city did hold terror. One face—one moving form was all she asked for.

Then, a second irony. When she saw the man at the corner of Washington and Wells, her terror increased. They saw each other at almost the same moment. Both stopped and stared. Fingers of panic ran up the girl's spine. The man raised a hand and the spell was broken. The girl turned and ran, and there was more terror in her than there had been before.

She knew how absurd this was, but still she ran blindly. What had she to fear? She knew all about men; all the things men could do they had already done to her. Murder was the ultimate, but she was fresh from a suicide attempt. Death should hold no terrors for her.

She thought of these things as the man's footsteps sounded behind her and she turned into a narrow alley seeking a hiding place. She found none and the man turned in after her.

She found a passageway, entered with the same blindness which had brought her into the alley. There was a steel door at the end and a brick lying by the sill. The door was locked. She picked up the brick and turned. The man skidded on the filthy alley surface as he turned into the areaway.

The girl raised the brick over her head. "Keep away! Stay away from me!"

"Wait a minute! Take it easy. I'm not going to hurt you!"

"Get away!"

Her arm moved downward. The man rushed in and caught her wrist. The brick went over his shoulder and the nails of her other hand raked his face. He seized her without regard for niceties and they went to the ground. She fought with everything she had and he methodically neutralized all her weapons—her hands, her legs, her teeth—until she could not move.

"Leave me alone. Please!"

"What's wrong with you? I'm not going to hurt you. But I'm not going to let you hit me with a brick, either!"

"What do you want? Why did you chase me?"

"Look—I'm a peaceful guy, but I'm not going to let you get away. I spent all afternoon looking for somebody. I found you and you ran away. I came after you."

"I haven't done anything to you."

"That's silly talk. Come on—grow up! I said I'm not going to hurt you."

"Let me up."

"So you can run away again? Not for a while. I want to talk to you."

"I—I won't run. I was scared. I don't know why. You're hurting me."

He got up—gingerly—and lifted her to her feet. He smiled, still holding both her hands. "I'm sorry. I guess it's natural for you to be scared. My name's Frank Brooks. I just want to find out what the hell happened to this town."

He let her withdraw her hands, but he still blocked her escape. She moved a pace backward and straightened her clothing. "I don't know what happened. I was looking for someone too."

He smiled again. "And then you ran."

"I don't know why. I guess—"

"What's your name."

"Nora—Nora Spade."

"You slept through it too?"

"Yes ... yes. I slept through it and came out and they were all gone."

"Let's get out of this alley." He preceded her out, but he waited for her when there was room for them to walk side by side, and she did not try to run away. That phase was evidently over.

"I got slipped a mickey in a tavern," Frank Brooks said. "Then they slugged me and put me in a hole."

His eyes questioned. She felt their demand and said, "I was—asleep in my hotel room."

"They overlooked you?"

"I guess so."

"Then you don't know anything about it?"

"Nothing. Something terrible must have happened."

"Let's go down this way," Frank said, and they moved toward Madison Street. He had taken her arm and she did not pull away. Rather, she walked invitingly close to him.

She said, "It's so spooky. So ... empty. I guess that's what scared me."

"It would scare anybody. There must have been an evacuation of some kind."

"Maybe the Russians are going to drop a bomb."

Frank shook his head. "That wouldn't explain it. I mean, the Russians wouldn't let us know ahead of time. Besides, the army would be here. Everybody wouldn't be gone."

"There's been a lot of talk about germ warfare. Do you suppose the water, maybe, has been poisoned?"

He shook his head. "The same thing holds true. Even if they moved the people out, the army would be here."

"I don't know. It just doesn't make sense."

"It happened, so it has to make sense. It was something that came up all of a sudden. They didn't have much more than twenty-four hours." He stopped suddenly and looked at her. "We've got to get out of here!"

Nora Spade smiled for the first time, but without humor. "How? I haven't seen one car. The buses aren't running."

His mind was elsewhere. They had started walking again. "Funny I didn't think of that before."

"Think of what?"

"That anybody left in this town is a dead pigeon. The only reason they'd clear out a city would be to get away from certain death. That would mean death is here for anybody that stays. Funny. I was so busy looking for somebody to talk to that I never thought of that."

"I did."

"Is that what you were scared of?"

"Not particularly. I'm not afraid to die. It was something else that scared me. The aloneness, I guess."

"We'd better start walking west—out of the city. Maybe we'll find a car or something."

"I don't think we'll find any cars."

He drew her to a halt and looked into her face. "You aren't afraid at all, are you?"

She thought for a moment. "No, I guess I'm not. Not of dying, that is. Dying is a normal thing. But I was afraid of the empty streets—nobody around. That was weird."

"It isn't weird now?"

"Not—not as much."

"I wonder how much time we've got?"

Nora shrugged. "I don't know, but I'm hungry."

"We can fix that. I broke into a restaurant a few blocks back and got myself a sandwich. I think there's still food around. They couldn't take it all with them."

They were on Madison Street and they turned east on the south side of the street. Nora said, "I wonder if there are any other people still here—like us?"

"I think there must be. Not very many, but a few. They would have had to clean four million people out overnight. It stands to reason they must have missed a few. Did you ever try to empty a sack of sugar? Really empty it? It's impossible. Some of the grains always stick to the sack."

A few minutes later the wisdom of this observation was proven when they came to a restaurant with the front window broken out and saw a man and a woman sitting at one of the tables.

* * *

 

He was a huge man with a shock of black hair and a mouth slightly open showing a set of incredibly white teeth. He waved an arm and shouted, "Come on in! Come on in for crissake and sit down! We got beer and roast beef and the beer's still cold. Come on in and meet Minna."

This was different, Nora thought. Not eerie. Not weird, like seeing a man standing on a deserted street corner with no one else around. This seemed normal, natural, and even the smashed window didn't detract too much from the naturalness.

They went inside. There were chairs at the table and they sat down. The big man did not get up. He waved a hand toward his companion and said, "This is Minna. Ain't she something? I found her sitting at an empty bar scared to death. We came to an understanding and I brought her along." He grinned at the woman and winked. "We came to a real understanding, didn't we, Minna?"

Minna was a completely colorless woman of perhaps thirty-five. Her skin was smooth and pale and she wore no makeup of any kind. Her hair was drawn straight back into a bun. The hair had no predominating color. It was somewhere between light brown and blond.

She smiled a little sadly, but the laugh did not cover her worn, tired look. It seemed more like a gesture of obedience than anything else. "Yes. We came to an understanding."

"I'm Jim Wilson," the big man boomed. "I was in the Chicago Avenue jug for slugging a guy in a card game. They kind of overlooked me when they cleaned the joint out." He winked again. "I kind of helped them overlook me. Then I found Minna." There was tremendous relish in his words.

Frank started introductions which Nora Spade cut in on. "Maybe you know what happened?" she asked.

Wilson shook his head. "I was in the jug and they didn't tell us. They just started cleaning out the joint. There was talk in the bullpen—invasion or something. Nobody knew for sure. Have some beer and meat."

Nora turned to the quiet Minna. "Did you hear anything?"

"Naw," Wilson said with a kind of affectionate contempt. "She don't know anything about it. She lived in some attic dump and was down with a sore throat. She took some pills or something and when she woke up they were gone."

"I went to work and—" Minna began, but Wilson cut her off.

"She swabs out some joints on Chicago Avenue for a living and that was how she happened to be sitting in that tavern. It's payday, and Minna was waiting for her dough!" He exploded into laughter and slapped the table with a huge hand. "Can you beat that? Waiting for her pay at a time like this."

Frank Brooks set down his beer bottle. The beer was cold and it tasted good. "Have you met anybody else? There must be some other people around."

"Uh-uh. Haven't met anybody but Minna." He turned his eyes on the woman again, then got to his feet. "Come on, Minna. You and I got to have a little conference. We got things to talk about." Grinning, he walked toward the rear of the restaurant. Minna got up more slowly. She followed him behind the counter and into the rear of the place.

Alone with Nora, Frank said, "You aren't eating. Want me to look for something else?"

"No—I'm not very hungry. I was just wondering—"

"Wondering about what?"

"When it will happen. When whatever is going to happen—you know what I mean."

"I'd rather know what's going to happen. I hate puzzles. It's hell to have to get killed and not know what killed you."

"We aren't being very sensible, are we?"

"How do you mean?"

"We should at least act normal."

"I don't get it."

Nora frowned in slight annoyance. "Normal people would be trying to reach safety. They wouldn't be sitting in a restaurant drinking beer. We should be trying to get away. Even if it does mean walking. Normal people would be trying to get away."

Frank stared at his bottle for a moment. "We should be scared stiff, shouldn't we?"

It was Nora's turn to ponder. "I'm not sure. Maybe not. I know I'm not fighting anything inside—fear, I mean. I just don't seem to care one way or another."

"I care," Frank replied. "I care. I don't want to die. But we're faced with a situation, and either way it's a gamble. We might be dead before I finish this bottle of beer. If that's true, why not sit here and be comfortable? Or we might have time to walk far enough to get out of range of whatever it is that chased everybody."

"Which way do you think it is?"

"I don't think we have time to get out of town. They cleaned it out too fast. We'd need at least four or five hours to get away. If we had that much time the army, or whoever did it, would still be around."

"Maybe they didn't know themselves when it's going to happen."

He made an impatient gesture. "What difference does it make? We're in a situation we didn't ask to get in. Our luck put us here and I'm damned if I'm going to kick a hole in the ceiling and yell for help."

Nora was going to reply, but at that moment Jim Wilson came striding out front. He wore his big grin and he carried another half-dozen bottles of beer. "Minna'll be out in a minute," he said. "Women are always slower than hell."

He dropped into a chair and snapped the cap off a beer bottle with his thumb. He held the bottle up and squinted through it, sighing gustily. "Man! I ain't never had it so good." He tilted the bottle in salute, and drank.

* * *