Tuesday 20 June 2023

Tuesday's Serial: “Le Fantôme de l'Opéra” By Gaston Leroux (in French) - IX

 

XIII - LA LYRE D'APOLLON

Ainsi, ils arrivèrent aux toits. Elle glissait sur eux, légère et familière, comme une hirondelle. Leur regard, entre les trois dômes et le fronton triangulaire, parcourut l'espace désert. Elle respira avec force, au-dessus de Paris dont on découvrait toute la vallée en travail. Elle regarda Raoul avec confiance. Elle l'appela tout près d'elle, et côte à côte ils marchèrent, tout là-haut, sur les rues de zinc, dans les avenues en fonte; ils mirèrent leur forme jumelle dans les vastes réservoirs pleins d'une eau immobile où, dans la bonne saison, les gamins de la danse, une vingtaine de petits garçons plongent et apprennent à nager. L'ombre derrière eux, toujours fidèle à leurs pas, avait surgi, s'aplatissant sur les toits, s'allongeant avec des mouvements d'ailes noires, aux carrefours des ruelles de fer, tournant autour des bassins, contournant, silencieuse, les dômes; et les malheureux enfants ne se doutèrent point de sa présence, quand ils s'assirent enfin, confiants, sous la haute protection d'Apollon, qui dressait de son geste de bronze, sa prodigieuse lyre, au cœur d'un ciel en feu.

Un soir enflammé de printemps les entourait. Des nuages, qui venaient de recevoir du couchant leur robe légère d'or et de pourpre, passaient lentement en la laissant traîner au-dessus des jeunes gens; et Christine dit à Raoul: «Bientôt, nous irons plus loin et plus vite que les nuages, au bout du monde, et puis vous m'abandonnerez, Raoul. Mais si, le moment venu pour vous de m'enlever, je ne consentais plus à vous suivre, eh bien! Raoul, vous m'emporteriez!»

Avec quelle force, qui semblait dirigée contre elle-même, elle lui dit cela, pendant qu'elle se serrait nerveusement contre lui. Le jeune homme en fut frappé.

—Vous craignez donc de changer d'avis, Christine?

—Je ne sais pas, fit-elle en secouant bizarrement la tête. C'est un démon!

Et elle frissonna. Elle se blottit dans ses bras avec un gémissement.

—Maintenant, j'ai peur de retourner habiter avec lui: dans la terre!

—Qu'est-ce qui vous force à y retourner Christine?

—Si je ne retourne pas auprès de lui, il peut arriver de grands malheurs!... Mais je ne peux plus!... Je ne peux plus!... Je sais bien qu'il faut avoir pitié des gens qui habitent «sous la terre...» Mais celui-là est trop horrible! Et cependant, le moment approche; je n'ai plus qu'un jour? et si je ne viens pas, c'est lui qui viendra me chercher avec sa voix. Il m'entraînera avec lui, chez lui, sous la terre, et il se mettra à genoux devant moi, avec sa tête de mort! Et il me dira qu'il m'aime! Et il pleurera! Ah! ces larmes! Raoul! ces larmes dans les deux trous noirs de la tête de mort! Je ne peux plus voir couler ces larmes!

Elle se tordit affreusement les mains, pendant que Raoul, pris lui-même à ce désespoir contagieux, la pressait contre son cœur: «Non! non! Vous ne l'entendrez plus dire qu'il vous aime! Vous ne verrez plus couler ses larmes! Fuyons!... Tout de suite, Christine, fuyons!» Et déjà il voulait l'entraîner.

Mais elle l'arrêta.

—Non, non, fit-elle, en hochant douloureusement la tête, pas maintenant!... Ce serait trop cruel... Laissez-le m'entendre chanter encore demain soir, une dernière fois... et puis, nous nous en irons. À minuit, vous viendrez me chercher dans ma loge; à minuit exactement. À ce moment, il m'attendra dans la salle à manger du lac... nous serons libres et vous m'emporterez!... Même si je refuse, il faut me jurer cela, Raoul... car je sens bien que, cette fois, si j'y retourne, je n'en reviendrai peut-être jamais...

Elle ajouta:

—Vous ne pouvez pas comprendre!...

Et elle poussa un soupir auquel il lui sembla que, derrière elle, un autre soupir avait répondu.

—Vous n'avez pas entendu?

Elle claquait des dents.

—Non, assura Raoul, je n'ai rien entendu...

—C'est trop affreux, avoua-t-elle, de trembler tout le temps comme cela!... Et cependant, ici, nous ne courons aucun danger; nous sommes chez nous, chez moi, dans le ciel, en plein air, en plein jour. Le soleil est en flammes, et les oiseaux de nuit n'aiment pas à regarder le soleil! Je ne l'ai jamais vu à la lumière du jour... Ce doit être horrible!... balbutia-t-elle, en tournant vers Raoul des yeux égarés. Ah! la première fois que je l'ai vu!... J'ai cru qu'il allait mourir!

—Pourquoi? demanda Raoul, réellement effrayé du ton que prenait cette étrange et formidable confidence... pourquoi avez-vous cru qu'il allait mourir?

—PARCE QUE JE L'AVAIS VU!!!

 

***

 

Cette fois Raoul et Christine se retournèrent en même temps.

—Il y a quelqu'un ici qui souffre! fit Raoul... peut-être un blessé... Vous avez entendu?

—Moi, je ne pourrais vous dire, avoua Christine, même quand il n'est pas là, mes oreilles sont pleines de ses soupirs... Cependant, si vous avez entendu...

Ils se levèrent, regardèrent autour d'eux... Ils étaient bien tout seuls sur l'immense toit de plomb. Ils se rassirent. Raoul demanda:

—Comment l'avez-vous vu pour la première fois?

—Il y avait trois-mois que je l'entendais sans le voir. La première fois que je l'ai «entendu», j'ai cru, comme vous, que cette voix adorable, qui s'était mise tout à coup à chanter à mes côtés, chantait dans une loge prochaine. Je sortis, et je la cherchai partout; mais ma loge est très isolée, Raoul, comme vous le savez, et il me fut impossible de trouver la voix hors de ma loge, tandis qu'elle restait fidèlement dans ma loge. Et non seulement, elle chantait, mais elle me parlait, elle répondait à mes questions comme une véritable voix d'homme, avec cette différence qu'elle était belle comme la voix d'un ange. Comment expliquer un aussi incroyable phénomène? Je n'avais jamais cessé de songer à l'«ange de la musique» que mon pauvre papa m'avait promis de m'envoyer aussitôt qu'il serait mort. J'ose vous parler d'un semblable enfantillage, Raoul, parce que vous avez connu mon père, et qu'il vous a aimé et que vous avez cru, en même temps que moi, lorsque vous étiez tout petit, à l'«ange de la musique», et que je suis bien sûre que vous ne sourirez pas, ni que vous vous moquerez. J'avais conservé, mon ami, l'âme tendre et crédule de la petite Lotte et ce n'est point la compagnie de la maman Valérius qui me l'eût ôtée. Je portai cette petite âme toute blanche entre mes mains naïves et naïvement je la tendis, je l'offris à la voix d'homme, croyant l'offrir à l'ange. La faute en fut certainement, pour un peu, à ma mère adoptive, à qui je ne cachais rien de l'inexplicable phénomène. Elle fut la première à me dire: «Ce doit être l'ange; en tout cas, tu peux toujours le lui demander.» C'est ce que je fis et la voix d'homme me répondit qu'en effet elle était la voix d'ange que j'attendais et que mon père m'avait promise en mourant. À partir de ce moment, une grande intimité s'établit entre la voix et moi, et j'eus en elle une confiance absolue. Elle me dit qu'elle était descendue sur la terre pour me faire goûter aux joies suprêmes de l'art éternel, et elle me demanda la permission de me donner des leçons de musique, tous les jours. J'y consentis avec une ardeur fervente et ne manquai aucun des rendez-vous qu'elle me donnait, dès la première heure, dans ma loge, quand ce coin d'Opéra était tout à fait désert. Vous dire quelles furent ces leçons! Vous-même, qui avez entendu la voix, ne pouvez vous en faire une idée.

—Évidemment, non! je ne puis m'en faire une idée, affirma le jeune homme. Avec quoi vous accompagniez-vous?

—Avec une musique que j'ignore, qui était derrière le mur et qui était d'une justesse incomparable. Et puis on eût dit, mon ami, que la Voix savait exactement à quel point mon père, en mourant, m'avait laissé de mes travaux et de quelle simple méthode aussi il avait usé; et ainsi, me rappelant ou, plutôt, mon organe se rappelant toutes les leçons passées et en bénéficiant du coup, avec les présentes, je fis des progrès prodigieux et tels que, dans d'autres conditions, ils eussent demandé des années! Songez que je suis assez délicate, mon ami, et que ma voix était d'abord peu caractérisée; les cordes basses s'en trouvaient naturellement peu développées; les tons aigus étaient assez durs et le médium voilé. C'est contre tous ces défauts que mon père avait combattu et triomphé un instant; ce sont ces défauts que la Voix vainquit définitivement. Peu à peu, j'augmentai le volume des sons dans des proportions que ma faiblesse passée ne me permettait pas d'espérer: j'appris à donner à ma respiration la plus large portée. Mais surtout la Voix me confia le secret de développer les sons de poitrine dans une voix de soprano. Enfin elle enveloppa tout cela du feu sacré de l'inspiration, elle éveilla en moi une vie ardente, dévorante, sublime. La Voix avait la vertu, en se faisant entendre, de m'élever jusqu'à elle. Elle me mettait à l'unisson de son envolée superbe. L'âme de la Voix habitait ma bouche et y soufflait l'harmonie!

Au bout de quelques semaines, je ne me reconnaissais plus quand je chantais!... J'en étais même épouvantée... j'eus peur, un instant, qu'il y eût là-dessous quelque sortilège; mais la maman Valérius me rassura. Elle me savait trop simple fille, disait-elle, pour donner prise au démon.

Mes progrès étaient restés secrets, entre la Voix, la maman Valérius et moi, sur l'ordre même de la Voix. Chose curieuse, hors de la loge, je chantais avec ma voix de tous les jours, et personne ne s'apercevait de rien. Je faisais tout ce que voulait la Voix. Elle me disait: «Il faut attendre... vous verrez! nous étonnerons Paris!» Et j'attendais. Je vivais dans une espèce de rêve extatique où commandait la Voix. Sur ces entrefaites, Raoul, je vous aperçus, un soir, dans la salle. Ma joie fut telle que je ne pensai même point à la cacher en rentrant dans ma loge. Pour notre malheur, la Voix y était déjà et elle vit bien, à mon air, qu'il y avait quelque chose de nouveau. Elle me demanda «ce que j'avais» et je ne vis aucun inconvénient à lui raconter notre douce histoire, ni à lui dissimuler la place que vous teniez dans mon cœur. Alors, la Voix se tut: je l'appelai, elle ne me répondit point; je la suppliai, ce fut en vain. J'eus une terreur folle qu'elle fût partie pour toujours! Plût à Dieu, mon ami!... Je rentrai chez moi, ce soir-là, dans un état désespéré. Je me jetai au cou de maman Valérius en lui disant: «Tu sais, la Voix est partie! Elle ne reviendra peut-être jamais plus!» Et elle fut aussi effrayée que moi et me demanda des explications. Je lui racontai tout. Elle me dit: «Parbleu! la Voix est jalouse!» Ceci, mon ami, me fit réfléchir que je vous aimais...

Ici, Christine s'arrêta un instant. Elle pencha la tête sur le sein de Raoul et ils restèrent un moment silencieux, dans les bras l'un de l'autre. L'émotion qui les étreignait était telle qu'ils ne virent point, ou plutôt qu'ils ne sentirent point se déplacer, à quelques pas d'eux, l'ombre rampante de deux grandes ailes noires qui se rapprocha, au ras des toits, si près, si près d'eux, qu'elle eût pu, en se refermant sur eux, les étouffer...

—Le lendemain, reprit Christine avec un profond soupir, je revins dans ma loge toute pensive. La Voix y était. Ô mon ami! Elle me parla avec une grande tristesse. Elle me déclara tout net que, si je devais donner mon cœur sur la terre, elle n'avait plus, elle, la Voix, qu'à remonter au ciel. Et elle me dit cela avec un tel accent de douleur humaine que j'aurais dû, dès ce jour-là, me méfier et commencer à comprendre que j'avais été étrangement victime de mes sens abusés. Mais ma foi dans cette apparition de Voix, à laquelle était mêlée si intimement la pensée de mon père, était encore entière. Je ne craignais rien tant que de ne la plus entendre; d'autre part, j'avais réfléchi sur le sentiment qui me portait vers vous; j'en avais mesuré tout l'inutile danger; j'ignorais même si vous vous souveniez de moi. Quoi qu'il arrivât, votre situation dans le monde m'interdisait à jamais la pensée d'une honnête union; je jurai à la Voix que vous n'étiez rien pour moi qu'un frère et que vous ne seriez jamais rien d'autre et que mon cœur était vide de tout amour terrestre... Et voici la raison, mon ami, pour laquelle je détournais mes yeux quand, sur le plateau ou dans les corridors, vous cherchiez à attirer mon attention, la raison pour laquelle je ne vous reconnaissais pas... pour laquelle je ne vous voyais pas!... Pendant ce temps, les heures de leçons, entre la Voix et moi, se passaient dans un divin délire. Jamais la beauté des sons ne m'avait possédée à ce point et un jour la Voix me dit: «Va maintenant, Christine Daaé, tu peux apporter aux hommes un peu de la musique du ciel!»

Comment, ce soir-là, qui était le soir de gala, la Carlotta ne vint-elle pas au théâtre? Comment ai-je été appelée à la remplacer? Je ne sais; mais je chantai... je chantai avec un transport inconnu; j'étais légère comme si l'on, m'avait donné des ailes; je crus un instant que mon âme embrasée avait quitté son corps!

—Ô Christine! fit Raoul, dont les yeux, étaient humides à ce souvenir, ce soir-là, mon cœur a vibré à chaque accent de votre voix. J'ai vu vos larmes couler sur vos joues pâles, et j'ai pleuré avec vous. Comment pouviez-vous chanter, chanter en pleurant?

—Mes forces m'abandonnèrent, dit Christine, je fermai les yeux... Quand je les rouvris, vous étiez à mes côtés! Mais la Voix aussi y était, Raoul!... J'eus peur pour vous et encore, cette fois, je ne voulus point vous reconnaître et je me mis à rire quand vous m'avez rappelé que vous aviez ramassé mon écharpe dans la mer!...

Hélas? on ne trompe pas la Voix!... Elle vous avait bien reconnu, elle!... Et la Voix était jalouse!... Les deux jours suivants, elle me fit des scènes atroces... Elle me disait: «Vous l'aimez! si vous ne l'aimiez pas, vous ne le fuiriez pas! C'est un ancien ami à qui vous serreriez la main, comme à tous les autres... Si vous ne l'aimiez pas, vous ne craindriez pas de vous trouver, dans votre loge, seule avec lui et avec moi!... Si vous ne l'aimiez pas, vous ne le chasseriez pas!...

—C'est assez! fis-je à la Voix irritée; demain, je dois aller à Perros, sur la tombe de mon père; je prierai M. Raoul de Chagny de m'y accompagner.

—À votre aise, répondit-elle, mais sachez que moi aussi je serai à Perros, car je suis partout où vous êtes, Christine, et si vous êtes toujours digne de moi, si vous ne m'avez pas menti, je vous jouerai, à minuit sonnant, sur la tombe de votre père, la Résurrection de Lazare, avec le violon du mort.

Ainsi, je fus conduite, mon ami, a vous écrire la lettre qui vous amena à Perros. Comment ai-je pu être à ce point trompée? Comment, devant les préoccupations aussi personnelles de la Voix, ne me suis-je point doutée de quelque imposture? Hélas! je ne me possédais plus: j'étais sa chose!... Et les moyens dont disposait la Voix devaient facilement abuser une enfant telle que moi!»

—Mais enfin, s'écria Raoul, à ce point du récit de Christine où elle semblait déplorer avec des larmes la trop parfaite innocence d'un esprit bien peu «avisé»... mais enfin vous avez bientôt su la vérité!... Comment n'êtes-vous point sortie aussitôt de cet abominable cauchemar?

—Apprendre la vérité!... Raoul!... Sortir de ce cauchemar!... Mais je n'y suis entrée, malheureux, dans ce cauchemar, que du jour où j'ai connu cette vérité!... Taisez-vous! Taisez-vous! Je ne vous ai rien dit... et maintenant que nous allons descendre du ciel sur la terre, plaignez-moi, Raoul!... plaignez-moi!... Un soir, soir fatal... tenez... c'était le soir où il devait arriver tant de malheurs... le soir où Carlotta put se croire transformée sur la scène en un hideux crapaud et où elle se prit à pousser des cris comme si elle avait habité toute sa vie au bord des marais... le soir où la salle fut tout à coup plongée dans l'obscurité, sous le coup de tonnerre du lustre qui s'écrasait sur le parquet... Il y eut ce soir-là des morts et des blessés, et tout le théâtre retentissait des plus tristes clameurs.

Ma première pensée, Raoul, dans l'éclat de la catastrophe, fut en même temps pour vous et pour la Voix, car vous étiez, à cette époque, les deux égales moitiés de mon cœur. Je fus tout de suite rassurée en ce qui vous concernait, car je vous avais vu dans la loge de votre frère et je savais que vous ne couriez aucun danger. Quant à la Voix, elle m'avait annoncé qu'elle assisterait à la représentation, et j'eus peur pour elle; oui, réellement peur, comme si elle avait été «une personne ordinaire vivante qui fût capable de mourir». Je me disais: «Mon Dieu! le lustre a peut-être écrasé la Voix.» Je me trouvais alors sur la scène, et affolée à ce point que je me disposais à courir dans la salle chercher la Voix parmi les morts et les blessés, quand cette idée me vint que, s'il ne lui était rien arrivé de fâcheux, elle devait être déjà dans ma loge, où elle aurait hâte de me rassurer. Je ne fis qu'un bond jusqu'à ma loge. La Voix n'y était pas. Je m'enfermai dans ma loge, et les larmes aux yeux, je la suppliai, si elle était encore vivante, de se manifester à moi. La Voix ne me répondit pas, mais, tout à coup, j'entendis un long, un admirable gémissement que je connaissais bien. C'était la plainte de Lazare, quand, à la voix de Jésus, il commence à soulever ses paupières et à revoir la lumière du jour. C'étaient les pleurs du violon de mon père. Je reconnaissais le coup d'archet de Daaé, le même, Raoul, qui nous tenait jadis immobiles sur les chemins de Perros, le même qui avait «enchanté» la nuit du cimetière. Et puis, ce fut encore, sur l'instrument invisible et triomphant, le cri d'allégresse de la Vie, et la Voix, se faisant entendre enfin, se mit à chanter la phrase dominatrice et souveraine: «Viens! et crois en moi! Ceux qui croient en moi revivront! Marche! Ceux qui ont cru en moi ne sauraient mourir!» Je ne saurais vous dire l'impression que je reçus de cette musique, qui chantait la vie éternelle dans le moment qu'à noté de nous, de pauvres malheureux, écrasés par ce lustre fatal, rendaient l'âme... Il me sembla qu'elle me commandait à moi aussi de venir, de me lever, de marcher vers elle. Elle s'éloignait, je la suivis. «Viens! et crois en moi!» Je croyais en elle, je venais... je venais, et, chose extraordinaire, ma loge, devant mes pas, paraissait s'allonger... s'allonger.. Évidemment, il devait y avoir, là un effet de glaces... car j'avais la glace devant moi... Et, tout à coup, je me suis trouvée hors de ma loge, sans savoir comment.

Raoul interrompit ici brusquement la jeune fille:

—Comment! Sans savoir comment? Christine Christine! Il faudrait essayer de ne plus rêver!

—Eh! pauvre ami, je ne rêvais pas! Je me trouvais hors de ma loge sans savoir comment! Vous qui m'avez vue disparaître «de ma loge, un soir, mon ami, vous pourriez peut-être m'expliquer cela, mais moi je ne le puis pas!... Je ne puis vous dire qu'une chose, c'est que, me trouvant devant ma glace, je ne l'ai plus vue tout à coup devant moi et que je l'ai cherchée derrière... mais il n'y avait plus de glace, plus de loge... J'étais dans un corridor obscur... j'eus peur et je criai!...

Tout était noir autour de moi; au loin, une faible lueur rouge éclairait un angle de muraille, un coin de carrefour. Je criai. Ma voix seule emplissait les murs, car le chant et les violons s'étaient tus. Et voilà que soudain, dans le noir, une main se posait sur la mienne... ou, plutôt, quelque chose d'osseux et de glacé qui m'emprisonna le poignet et ne me lâcha plus. Je criai. Un bras m'emprisonna la taille et je fus soulevée... Je me débattis un instant dans de l'horreur; mes doigts glissèrent au long des pierres humides, où ils ne s'accrochèrent point. Et puis, je ne remuai plus, j'ai cru que j'allais mourir d'épouvante. On m'emportait vers la petite lueur rouge; nous entrâmes dans cette lueur et alors je vis que j'étais entre les mains d'un homme enveloppé d'un grand manteau noir et qui avait un masque qui lui cachait tout le visage... Je tentai un effort suprême: mes membres se raidirent, ma bouche s'ouvrit encore pour hurler mon effroi, mais une main la ferma, une main que je sentis sur mes lèvres, sur ma chair... et qui sentait la mort! Je m'évanouis.

Combien de temps restai-je sans connaissance? Je ne saurais le dire. Quand je rouvris les yeux, nous étions toujours, l'homme noir et moi, au sein des ténèbres. Une lanterne sourde, posée par terre, éclairait le jaillissement d'une fontaine. L'eau, clapotante, sortie de la muraille, disparaissait presque aussitôt sous le sol sur lequel j'étais étendue; ma tête reposait sur le genou de l'homme au manteau et au masque noir et mon silencieux compagnon me rafraîchissait les tempes avec un soin, une attention, une délicatesse qui me parurent plus horribles à supporter que la brutalité de son enlèvement de tout à l'heure. Ses mains, si légères fussent-elles, n'en sentaient pas moins la mort. Je les repoussai, mais sans force. Je demandai dans un souffle: «Qui êtes-vous? où est la Voix?» Seul, un soupir me répondit. Tout à coup, un souffle chaud me passa sur le visage et vaguement, dans les ténèbres, à côté de la forme noire de l'homme, je distinguai une forme blanche. La forme noire me souleva et me déposa sur la forme blanche. Et aussitôt, un joyeux hennissement vint frapper mes oreilles stupéfaites et je murmurai: «César!» La bête tressaillit. Mon ami, j'étais à demi couchée sur une selle et j'avais reconnu le cheval blanc du Prophète, que j'avais gâté si souvent, de friandises. Or, un soir, le bruit s'était répandu dans le théâtre que cette bête avait disparu et qu'elle avait été volée par le fantôme de l'Opéra. Moi, je croyais à la Voix; je n'avais jamais cru au fantôme, et voilà cependant que je me demandai en frissonnant si je n'étais pas la prisonnière du fantôme! J'appelai, du fond du cœur, la Voix à mon secours, car jamais je ne me serais imaginée que la Voix et le fantôme étaient tout un! Vous avez entendu parler du fantôme de l'Opéra, Raoul?

—Oui, répondit le jeune homme... Mais dites-moi, Christine, que vous arriva-t-il quand vous fûtes sur le cheval blanc du Prophète?

—Je ne fis aucun mouvement et me laissai conduire... Peu à peu une étrange torpeur succédait à l'état d'angoisse et de terreur où m'avaient jeté cette infernale aventure. La forme noire me soutenait et je ne faisais plus rien pour lui échapper. Une paix singulière était répandue en moi et je pensais que j'étais sous l'influence bienfaisante de quelque élixir. J'avais la pleine disposition de mes sens. Mes yeux se faisaient aux ténèbres qui, du reste, s'éclairaient, ça et là, de lueurs brèves... Je jugeai que nous étions dans une étroite galerie circulaire et j'imaginai que cette galerie faisait le tour de l'Opéra, qui, sous terre, est immense. Une fois, mon ami, une seule fois, j'étais descendue dans ces dessous qui sont prodigieux, mais je m'étais arrêtée au troisième étage, n'osant pas aller plus avant dans la terre. Et, cependant, deux étages encore, où l'on aurait pu loger une ville, s'ouvraient sous mes pieds. Mais les figures qui m'étaient apparues, m'avaient fait fuir. Il y a là des démons, tout noirs devant des chaudières, et ils agitent des pelles, des fourches, excitent des brasiers, allument des flammes, vous menacent, si l'on en approche, en ouvrant tout à coup sur vous la gueule rouge des fours!... Or, pendant que César, tranquillement, dans cette nuit de cauchemar, me portait sur son dos, j'aperçus tout à coup, loin, très loin, et tout petits, tout petits, comme au bout d'une lunette retournée, les démons noirs devant les brasiers rouges de leurs calorifères... Ils apparaissaient... Ils disparaissaient... Ils réapparaissaient au gré bizarre de notre marche... Enfin, ils disparurent tout à fait. La forme d'homme me soutenait toujours, et César marchait sans guide et le pied sûr... Je ne pourrais vous dire, même approximativement combien de temps ce voyage, dans la nuit, dura; j'avais seulement l'idée que nous tournions! que nous tournions! que nous descendions suivant une inflexible spirale jusqu'au cœur même des abîmes de la terre; et encore, n'était-ce point ma tête qui tournait?... Toutefois, je ne le pense pas. Non! J'étais incroyablement lucide. César, un instant, dressa ses narines, huma l'atmosphère et accéléra un peu sa marche. Je sentis l'air humide et puis César s'arrêta. La nuit s'était éclaircie. Une lueur bleuâtre nous entourait. Je regardai où nous nous trouvions. Nous étions au bord d'un lac dont les eaux de plomb se perdaient au loin, dans le noir... mais la lumière bleue éclairait cette rive et j'y vis une petite barque, attachée à un anneau de fer, sur le quai!

Certes, je savais que tout cela existait, et la vision de ce lac et de cette barque sous la terre n'avait rien de surnaturel. Mais songez aux conditions exceptionnelles dans lesquelles j'abordai ce rivage. Les âmes des morts ne devaient point ressentir plus d'inquiétude en abordant le Styx. Caron n'était certainement pas plus lugubre ni plus muet que la forme d'homme qui me transporta dans la barque. L'élixir avait-il épuisé son effet? la fraîcheur de ces lieux suffisait-elle à me rendre complètement à moi-même? Mais ma torpeur s'évanouissait, et je fis quelques mouvements qui dénotaient le recommencement de ma terreur. Mon sinistre compagnon dut s'en apercevoir, car, d'un geste rapide, il congédia César qui s'enfuit dans les ténèbres de la galerie et dont j'entendis les quatre fers battre les marches sonores d'un escalier, puis l'homme se jeta dans la barque qu'il délivra de son lien de fer; il s'empara des rames et rama avec force et promptitude. Ses yeux, sous le masque, ne me quittaient pas; je sentais sur moi le poids de leurs prunelles immobiles. L'eau, autour de nous, ne faisait aucun bruit. Nous glissions dans cette lueur bleuâtre que je vous ai dite et puis nous fûmes à nouveau tout à fait dans la nuit, et nous abordâmes. La barque heurta un corps dur. Et je fus encore emportée dans des bras. J'avais recouvré la force de crier. Je hurlai. Et puis, tout à coup, je me tus, assommée par la lumière. Oui, une lumière éclatante, au milieu de laquelle on m'avait déposée. Je me relevai, d'un bond. J'avais toutes mes forces. Au centre d'un salon qui ne me semblait paré, orné, meublé que de fleurs, de fleurs magnifiques et stupides à cause de rubans de soie qui les liaient à des corbeilles, comme on en vend dans les boutiques des boulevards, de fleurs trop civilisées comme celles que j'avais coutume de trouver dans ma loge après chaque «première»; au centre de cet embaumement très parisien, la forme noire d'homme au masque se tenait debout, les bras croisés... et elle parla:

—Rassurez-vous, Christine, dit-elle; vous ne courez aucun danger.

C'était la Voix!

Ma fureur égala ma stupéfaction. Je sautai sur ce masque et voulus l'arracher, pour connaître le visage de la Voix. La forme d'homme me dit:

—Vous ne courez aucun danger, si vous ne touchez pas au masque!

Et m'emprisonnant doucement les poignets, elle me fit asseoir.

Et puis, elle se mit à genoux devant moi, et ne dit plus rien!

L'humilité de ce geste me redonna quelque courage; la lumière, en précisant toute chose autour de moi, me rendit à la réalité de la vie. Si extraordinaire qu'elle apparaissait, l'aventure s'entourait maintenant de choses mortelles que je pouvais voir et toucher. Les tapisseries de ces murs, ces meubles, ces flambeaux, ces vases et jusqu'à ces fleurs dont j'eus pu dire presque d'où elles venaient, dans leurs bannettes dorées, et combien elles avaient coûté, enfermaient fatalement mon imagination dans les limites d'un salon aussi banal que bien d'autres qui avaient au moins cette excuse de n'être point situés dans les dessous de l'Opéra. J'avais sans doute affaire à quelque effroyable original qui, mystérieusement, s'était logé dans les caves, comme d'autres, par besoin, et avec la muette complicité de l'administration, avaient trouvé un définitif abri dans les combles de cette tour de Babel moderne, où l'on intriguait, où l'on chantait dans toutes les langues, où l'on aimait dans tous les patois.

Et alors la Voix, la Voix que j'avais reconnue sous le masque, lequel n'avait pas pu me la cacher, c'était cela qui était à genoux devant moi: un homme!

Je ne songeai même plus à l'horrible situation où je me trouvais, je ne demandai même pas ce qu'il allait advenir de moi et quel était le dessein obscur et froidement tyrannique qui m'avait conduit dans ce salon comme on enferme un prisonnier dans une geôle, une esclave au harem. Non! non! non! je médisais: La Voix, c'est cela: un homme! et je me mis à pleurer.

L'homme, toujours à genoux, comprit sans doute le sens de mes larmes, car il dit:

—«C'est vrai, Christine!... Je ne suis ni ange, ni génie, ni fantôme... Je suis Erik!»

Ici encore, le récit de Christine fut interrompu. Il sembla aux jeunes gens que l'écho avait répété, derrière eux: Erik!... Quel écho?... Ils se retournèrent, et ils s'aperçurent que la nuit était venue. Raoul fit un mouvement comme pour se lever, mais Christine le retint près d'elle: «Restez! Il faut que vous sachiez tout ici!

—Pourquoi ici, Christine? Je crains pour vous la fraîcheur de la nuit.

—Nous ne devons craindre que les trappes, mon ami, et, ici, nous sommes au bout du monde des trappes... et je n'ai point le droit de vous voir hors du théâtre... Ce n'est pas le moment de le contrarier... N'éveillons pas ses soupçons...

—Christine! Christine! quelque chose me dit que nous avons tort d'attendre à demain soir et que nous devrions fuir tout de suite!

—Je vous dis que, s'il ne m'entend pas chanter demain soir, il en aura une peine infinie.

—Il est difficile de ne point causer de peine à Erik et de le fuir pour toujours...

—Vous avez raison, Raoul, en cela... car, certainement, de ma fuite il mourra...

La jeune fille ajouta d'une voix sourde;

—Mais aussi la partie est égale... car nous risquons qu'il nous tue.

—Il vous aime donc bien?

—Jusqu'au crime!

—Mais sa demeure n'est pas introuvable... On peut l'y aller chercher. Du moment qu'Erik n'est pas un fantôme, on peut lui parler et même le forcer à répondre!

Christine secoua la tête:

—Non! non! On ne peut rien contre Erik!... On ne peut que fuir!

—Et comment, pouvant fuir, êtes-vous retournée près de lui?

—Parce qu'il le fallait... Et vous comprendrez cela quand vous saurez comment je suis sortie de chez lui?...

—Ah! je le hais bien!... s'écria Raoul... et vous, Christine, dites-moi... j'ai besoin que vous me disiez cela pour écouter avec plus de calme la suite de cette extraordinaire histoire d'amour... et vous, le haïssez-vous?

—Non! fit Christine, simplement.

—Eh! pourquoi tant de paroles!... Vous l'aimez certainement! Votre peur, vos terreurs, tout cela c'est encore de l'amour et du plus délicieux! Celui que l'on ne s'avoue pas, expliqua Raoul avec amertume. Celui qui vous donne, quand on y songe, le frisson... Pensez donc, un homme qui habite un palais sous la terre!

Et il ricana...

—Vous voulez donc que j'y retourne! interrompit brutalement la jeune fille... Prenez garde, Raoul, je vous l'ai dit: je n'en reviendrais plus!

Il y eut un silence effrayant entre eux trois... les deux qui parlaient et l'ombre qui écoutait, derrière...

—Avant de vous répondre, fit enfin Raoul d'une voix lente, je désirerais savoir quel sentiment il vous inspire, puisque vous ne le haïssez pas...

—De l'horreur! dit-elle... Et elle jeta ces mots avec une telle force, qu'ils couvrirent les soupirs de la nuit.

—C'est ce qu'il y a de terrible, reprit-elle, dans une fièvre croissante... Je l'ai en horreur et je ne le déteste pas. Comment le haïr, Raoul? Voyez Erik à mes pieds, dans la demeure du lac, sous la terre. Il s'accuse, il se maudit, il implore mon pardon!...

Il avoue son imposture. Il m'aime! Il met à mes pieds un immense et tragique amour!... Il m'a volée par amour!... Il m'a enfermée avec lui, dans la terre, par amour... mais il me respecte, mais il rampe, mais il gémit, mais il pleure!... Et quand je me lève, Raoul, quand je lui dis que je ne puis que le mépriser s'il ne me rend pas sur-le-champ cette liberté, qu'il m'a prise, chose incroyable... il me l'offre... je n'ai qu'à partir... Il est prêt à me montrer le mystérieux chemin;... seulement... seulement il s'est levé, lui aussi, et je suis bien obligée de me souvenir que, s'il n'est ni fantôme, ni ange, ni génie, il est toujours la Voix, car il chante!...

Et je l'écoute.., et je reste!...

Ce soir-là, nous n'échangeâmes plus une parole... Il avait saisi une harpe et il commença de me chanter, lui, voix d'homme, voix d'ange, la romance de Desdémone. Le souvenir que j'en avais de l'avoir chantée moi-même me rendait honteuse. Mon ami, il y a une vertu dans la musique qui fait que rien n'existe plus du monde extérieur en dehors de ces sons qui vous viennent frapper le cœur. Mon extravagante aventure fut oubliée. Seule revivait la voix et je la suivais enivrée dans son voyage harmonieux; je faisais partie du troupeau d'Orphée! Elle me promena dans la douleur, et dans la joie, dans le martyre, dans le désespoir, dans l'allégresse, dans la mort et dans les triomphantes hyménées... J'écoutais... Elle chantait... Elle me chanta des morceaux inconnus... et me fit entendre une musique nouvelle qui me causa une étrange impression de douceur, de langueur, de repos... une musique qui, après avoir soulevé mon âme, l'apaisa peu à peu, et la conduisit jusqu'au seuil du rêve. Je m'endormis.

Quand je me réveillai, j'étais seule, sur une chaise-longue, dans une petite chambre toute simple, garnie d'un lit banal en acajou, aux murs tendus de toile de Jouy, et éclairée par une lampe posée sur le marbre d'une vieille commode «Louis-Philippe». Quel était ce décor nouveau?... Je me passai la main sur le front, comme pour chasser un mauvais songe... Hélas! je ne fus pas longtemps à m'apercevoir que je n'avais pas rêvé! J'étais prisonnière et je ne pouvais sortir de ma chambre que pour entrer dans une salle de bains des plus confortables; eau chaude et eau froide à volonté. En revenant dans ma chambre, j'aperçus sur ma commode un billet à l'encre rouge qui me renseigna tout à fait sur ma triste situation et qui, si cela avait été encore nécessaire, eût enlevé tous mes doutes sur la réalité des événements: «Ma chère Christine, disait le papier, soyez tout à fait rassurée sur votre sort. Vous n'avez point au monde de meilleur, ni de plus respectueux ami que moi. Vous êtes seule, en ce moment, dans cette demeure qui vous appartient. Je sors pour courir les magasins et vous rapporter tout le linge dont vous pouvez avoir besoin.»

—Décidément! m'écriai-je, je suis tombée entre les mains d'un fou! Que vais-je devenir? Et combien de temps ce misérable pense-t-il donc me tenir enfermée dans sa prison souterraine?

Je courus dans mon petit appartement comme une insensée, cherchant toujours une issue que je ne trouvai point. Je m'accusais amèrement de ma stupide superstition et je pris un plaisir affreux à railler la parfaite innocence avec laquelle j'avais accueilli, à travers les murs, la Voix du génie de la musique... Quand on était aussi sotte, il fallait s'attendre aux plus inouïes catastrophes et on les avait méritées toutes! J'avais envie de me frapper et je me mis à rire de moi et à pleurer sur moi, en même temps. C'est dans cet état qu'Erik me trouva.

Après avoir frappé trois petits coups secs dans le mur, il entra tranquillement par une porte que je n'avais pas su découvrir et qu'il laissa ouverte. Il était chargé de cartons et de paquets et il les déposa sans hâte sur mon lit, pendant que je l'abreuvais d'outrages et que je le sommais d'enlever ce masque, s'il avait la prétention d'y dissimuler un visage d'honnête homme.

Il me répondit avec une grande sérénité:

—Vous ne verrez jamais le visage d'Erik.

Et il me fit reproche que je n'avais encore point fait ma toilette à cette heure du jour;—il daigna m'instruire qu'il était deux heures de l'après-midi. Il me laissait une demi-heure pour y procéder,—disant cela, il prenait soin de remonter ma montre et de la mettre à l'heure.—Après quoi, il m'invitait à passer dans la salle à manger, où un excellent déjeuner, m'annonça-t-il, nous attendait. J'avais grand faim, je lui jetai la porte au nez et entrai dans le cabinet de toilette. Je pris un bain après avoir placé près de moi une magnifique paire de ciseaux avec laquelle j'étais bien décidée à me donner la mort, si Erik, après s'être conduit comme un fou, cessait de se conduire comme un honnête homme. La fraîcheur de l'eau me fit le plus grand bien et, quand je réapparus devant Erik, j'avais pris la sage résolution de ne le point heurter ni froisser en quoi que ce fût, de le flatter au besoin pour en obtenir une prompte liberté. Ce fut lui, le premier, qui me parla de ses projets sur moi, et me les précisa, pour me rassurer, disait-il. Il se plaisait trop en ma compagnie pour s'en priver sur-le-champ comme il y avait un moment consenti la veille, devant l'expression indignée de mon effroi. Je devais comprendre maintenant, que je n'avais point lieu d'être épouvantée de le voir, à mes côtés. Il m'aimait, mais il ne me le dirait qu'autant que je le lui permettrais et le reste du temps se passerait en musique.

—Qu'entendez-vous par le reste du temps? lui demandai-je.

Il me répondit avec fermeté:

—Cinq jours.

—Et après, je serai libre?

—Vous serez libre, Christine, car, ces cinq jours-là écoulés, vous aurez appris à ne plus me craindre, et alors vous reviendrez voir, de temps en temps, le pauvre Erik!...

Le ton dont il prononça ces derniers mots me remua profondément. Il me sembla y découvrir un si réel, un si pitoyable désespoir que je levai sur le masque un visage attendri. Je ne pouvais voir les yeux derrière le masque et ceci n'était point pour diminuer l'étrange sentiment de malaise que l'on avait à interroger ce mystérieux carré de soie noire; mais sous l'étoffe, à l'extrémité de la barbe du masque, apparurent une, deux, trois, quatre larmes.

Silencieusement, il me désigna une place en face de lui, à un petit guéridon qui occupait le centre de la pièce où, la veille, il m'avait joué de la harpe, et je m'assis, très troublée. Je mangeai cependant de bon appétit quelques écrevisses, une aile de poulet arrosée d'un peu de vin de Tokay qu'il avait apporté lui-même, me disait-il, des caves de Kœnisgberg, fréquentées autrefois par Falstaff. Quant à lui, il ne mangeait pas, il ne buvait pas. Je lui demandai quelle était sa nationalité, et si ce nom d'Erik ne décelait pas une origine Scandinave. Il me répondit qu'il n'avait ni nom, ni patrie, et qu'il avait pris le nom d'Erik par hasard. Je lui demandai pourquoi, puisqu'il m'aimait, il n'avait point trouvé d'autre moyen de me le faire savoir que de m'entraîner avec lui et de m'enfermer dans la terre!

—C'est bien difficile, dis-je, de se faire aimer dans un tombeau.

—On a, répondit-il, sur un ton singulier, les «rendez-vous» qu'on peut.

Puis il se leva et me tendit les doigts, car il voulait, disait-il, me faire les honneurs de son appartement, mais je retirai vivement ma main de la sienne en poussant un cri. Ce que j'avais touché là était à la fois moite et osseux, et je me rappelai que ses mains sentaient la mort.

—Oh! pardon, gémit-il.

Et il ouvrit devant moi une porte.

—Voici ma chambre, fit-il. Elle est assez curieuse à visiter... si vous voulez la voir?

Je n'hésitai pas. Ses manières, ses paroles, tout son air me disaient d'avoir confiance... et puis, je sentais qu'il ne fallait pas avoir peur.

J'entrai. Il me sembla que je pénétrais dans une chambre mortuaire. Les murs en étaient tout tendus de noir, mais à la place des larmes blanches qui complètent à l'ordinaire ce funèbre ornement, on voyait sur une énorme portée de musique, les notes répétées du Dies iræ. Au milieu de cette chambre, il y avait un dais où pendaient des rideaux de brocatelle rouge et, sous ce dais, un cercueil ouvert.

À cette vue, je reculai.

—C'est là-dedans que je dors, fit Erik, Il faut s'habituer à tout dans la vie, même à l'éternité.

Je détournai la tête, tant j'avais reçu une sinistre impression de ce spectacle. Mes yeux rencontrèrent alors le clavier d'un orgue qui tenait tout un pan de la muraille. Sur le pupitre était un cahier, tout barbouillé dénotés rouges. Je demandai la permission de le regarder et je lus a la première page: Don Juan triomphant.

—Oui, me dit-il, je compose quelquefois. Voilà vingt ans que j'ai commencé ce travail. Quand il sera fini, je l'emporterai avec moi dans ce cercueil et je ne me réveillerai plus.

—Il faut y travailler le moins souvent possible, fis-je.

—J'y travaille quelquefois quinze jours et quinze nuits de suite, pendant lesquels je ne vis que de musique, et puis je me repose des années.

—Voulez-vous me jouer quelque chose de votre Don Juan triomphant? demandai-je, croyant lui faire plaisir et en surmontant la répugnance que j'avais à rester dans cette chambre de la mort.

—Ne me demandez jamais cela, répondit-il d'une voix sombre. Ce Don Juan-là n'a pas été écrit sur les paroles d'un Lorenzo d'Aponte, inspiré par le vin, les petites amours et le vice, finalement châtié de Dieu. Je vous jouerai Mozart si vous voulez, qui fera couler vos belles larmes et vous inspirera d'honnêtes réflexions. Mais, mon Don Juan, à moi, brûle, Christine, et, cependant, il n'est point foudroyé par le feu du ciel!...

Là-dessus, nous rentrâmes dans le salon que nous venions de quitter. Je remarquai que nulle part, dans cet appartement, il n'y avait de glaces. J'allais en faire la réflexion, mais Erik venait de s'asseoir au piano. Il me disait:

—Voyez-vous, Christine, il y a une musique si terrible qu'elle consume tous ceux qui l'approchent. Vous n'en êtes pas encore à cette musique-là, heureusement, car vous perdriez vos fraîches couleurs et l'on ne vous reconnaîtrait plus à votre retour à Paris. Chantons l'Opéra, Christine Daaé.

Il me dit:

—Chantons l'Opéra, Christine Daaé, comme s'il me jetait une injure.

Mais je n'eus pas le temps de m'appesantir sur l'air qu'il avait donné à ses paroles. Nous commençâmes tout de suite le duo d'Othello, et déjà la catastrophe était sur nos têtes. Cette fois, il m'avait laissé le rôle de Desdémone, que je chantai avec un désespoir, un effroi réels auxquels je n'avais jamais atteint jusqu'à ce jour. Le voisinage d'un pareil partenaire, au lieu de m'annihiler, m'inspirait une terreur magnifique. Les événements dont j'étais la victime me rapprochaient singulièrement de la pensée du poète et je trouvai des accents dont le musicien eût été ébloui. Quant à lui, sa voix était tonnante, son âme vindicative se portait sur chaque son, et en augmentait terriblement la puissance. L'amour, la jalousie, la haine, éclataient autour de nous en cris déchirants. Le masque noir d'Erik me faisait songer au masque naturel du More de Venise. Il était Othello lui-même. Je crus qu'il allait me frapper, que j'allais tomber sous ses coups et cependant, je ne faisais aucun mouvement pour le fuir, pour éviter sa fureur comme la timide Desdémone. Au contraire, je me rapprochai de lui, attirée, fascinée, trouvant des charmes à la mort au centre d'une pareille passion; mais, avant de mourir, je voulus connaître, pour en emporter l'image sublime dans mon dernier regard, ces traits inconnus que devait transfigurer le feu de l'art éternel. Je voulus voir le visage de la Voix et, instinctivement, par un geste dont je ne fus point la maîtresse, car je ne me possédais plus, mes doigts rapides arrachèrent le masque...

Oh! horreur!... horreur!... horreur!...

Christine s'arrêta, à cette vision qu'elle semblait encore écarter de ses deux mains tremblantes, cependant que les échos de la nuit, comme ils avaient répété le nom d'Erik, répétaient trois fois la clameur: «Horreur! horreur! horreur!» Raoul et Christine, plus étroitement unis encore par la terreur du récit, levèrent les yeux vers les étoiles qui brillaient dans un ciel paisible et pur.

Raoul dit:

—C'est étrange, Christine, comme cette nuit si douce et si calme est pleine de gémissements. On dirait qu'elle se lamente avec nous!

Elle lui répond:

—Maintenant que vous allez connaître le secret, vos oreilles, comme les miennes, vont être pleines de lamentations.

Elle emprisonne les mains protectrices de Raoul dans les siennes et, secouée d'un long frémissement, elle continue:

—Oh! oui, vivrais-je cent ans, j'entendrais toujours la clameur surhumaine qu'il poussa, le cri de sa douleur et de sa rage infernales, pendant que la chose apparaissait à mes yeux immenses d'horreur, comme ma bouche qui ne se refermait pas et qui cependant ne criait plus.

Oh! Raoul, la chose! comment ne plus voir la chose! si mes oreilles sont à jamais pleines de ses cris, mes yeux sont à jamais hantés de son visage! Quelle image! Comment ne plus la voir et comment vous la faire voir?... Raoul, vous avez vu les têtes de mort quand elles ont été desséchées par les siècles et peut-être, si vous n'avez pas été victime d'un affreux cauchemar, avez-vous vu sa tête de mort à lui, dans la nuit de Perros. Encore avez-vous vu se promener, au dernier bal masqué, «la Mort Rouge»! Mais toutes ces têtes de mort-là étaient immobiles, et leur muette horreur ne vivait pas! Mais imaginez, si vous le pouvez, le masque de la Mort se mettant à vivre tout à coup pour exprimer avec les quatre trous noirs de ses yeux, de son nez et de sa bouche la colère à son dernier degré, la fureur souveraine d'un démon, et pas de regard dans les trous des yeux, car, comme je l'ai su plus tard, on n'aperçoit jamais ses yeux de braise que dans la nuit profonde... Je devais être, collée contre le mur, l'image même de l'Épouvante comme il était celle de la Hideur.

Alors, il approcha de moi le grincement affreux de ses dents sans lèvres et, pendant que je tombais sur mes genoux, if me siffla haineusement des choses insensées, des mots sans suite, des malédictions, du délire... Est-ce que je sais!... Est-ce que je sais?...

Penché sur moi: «—Regarde, s'écriait-il! Tu as voulu voir! Vois! Repais tes yeux, soûle ton âme de ma laideur maudite! Regarde le visage d'Erik! Maintenant, tu connais le visage de la Voix! Cela ne te suffisait pas, dis, de m'entendre? Tu as voulu savoir comment j'étais fait. Vous êtes si curieuses, vous autres, les femmes!»

Et il se prenait à rire en répétant: «Vous êtes si curieuses, vous autres, les femmes!...» d'un rire grondant, rauque, écumant, formidable... Il disait encore des choses comme celles-ci:

—Es-tu satisfaite? Je suis beau, hein?... Quand une femme m'a vu, comme toi, elle est à moi. Elle m'aime pour toujours! Moi, je suis un type dans le genre de don Juan.

Et, se dressant de toute sa taille, le poing sur la hanche, dandinant sur ses épaules la chose hideuse qui était sa tête, il tonnait:

—Regarde-moi! Je suis Don Juan triomphant!

Et comme je détournais la tête en demandant grâce, il me la ramena à lui, ma tête, brutalement, par mes cheveux, dans lesquels ses doigts de mort étaient entrés.

—Assez! Assez! interrompit Raoul! je le tuerai! je le tuerai! Au nom du ciel, Christine, dis-moi où se trouve la salle à manger du lac! Il faut que je le tue!

—Eh! tais-toi donc, Raoul, si tu veux savoir!

—Ah! oui, je veux savoir comment et pourquoi tu y retournais! C'est cela, le secret, Christine, prends garde! il n'y en a pas d'autre! Mais, de toute façon, je le tuerai!

—Oh! mon Raoul! écoute donc! puisque tu veux savoir, écoute! Il me traînait par les cheveux, et alors... et alors... Oh! cela est plus horrible encore!

—Eh bien, dis, maintenant!... s'exclama Raoul, farouche! Dis vite!

—Alors, il me siffla: «Quoi? je te fais peur? C'est possible!... Tu crois peut-être que j'ai encore un masque, hein? et que ça... ça! ma tête, c'est un masque? Eh bien, mais! se prit-il à hurler. Arrache-le comme l'autre! Allons! allons! encore! encore! je le veux! Tes mains! Tes mains!... Donne tes mains!... si elles ne te suffisent pas, je te prêterai les miennes... et nous nous y mettrons à deux pour arracher le masque.» Je me roulai à ses pieds, mais il me saisit les mains, Raoul... et il les enfonça dans l'horreur de sa face... Avec mes ongles, il se laboura les chairs, ses horribles chairs mortes!

—Apprends! apprends! clamait-il au fond de sa gorge qui soufflait comme une forge... apprends que je suis fait entièrement avec de la mort!... de la tête aux pieds!... et que c'est un cadavre qui t'aime, qui t'adore et qui ne te quittera plus jamais! jamais!... Je vais faire agrandir le cercueil, Christine, pour plus tard, quand nous serons au bout de nos amours!... Tiens! je ne ris plus, tu vois, je pleure... je pleure sur toi, Christine, qui m'as arraché le masque, et qui, à cause de cela, ne pourra plus me quitter jamais!... Tant que tu pouvais me croire beau, Christine, tu pouvais revenir!... je sais que tu serais revenue... mais maintenant que tu connais ma hideur, tu t'enfuirais pour toujours... Je te garde!!! Aussi, pourquoi as-tu voulu me voir? Insensée! folle Christine, qui as voulu me voir!... quand mon père, lui, ne m'a jamais vu, et quand ma mère, pour ne plus me voir, m'a fait cadeau en pleurant, de mon premier masque!

Il m'avait enfin lâchée et il se traînait maintenant sur le parquet avec des hoquets affreux. Et puis, comme un reptile, il rampa, se traîna hors de la pièce, pénétra dans sa chambre, dont la porte se referma, et je restai seule, livrée à mon horreur et à mes réflexions, mais débarrassée de la vision de la chose. Un prodigieux silence, le silence de la tombe, avait succédé à cette tempête et je pus réfléchir aux conséquences terribles du geste qui avait arraché le masque. Les dernières paroles du Monstre m'avaient suffisamment renseignée. Je m'étais moi-même emprisonnée pour toujours et ma curiosité allait être la cause de tous mes malheurs. Il m'avait suffisamment avertie... Il m'avait répété que je ne courais aucun danger tant que je ne toucherais pas au masque, et j'y avais touché. Je maudis mon imprudence, mais je constatai en frissonnant que le raisonnement du monstre était logique. Oui, je serais revenue si je n'avais pas vu son visage... Déjà il m'avait suffisamment touchée, intéressée, apitoyée même par ses larmes masquées, pour que je ne restasse point insensible à sa prière. Enfin je n'étais pas une ingrate, et son impossibilité ne pouvait me faire oublier qu'il était la voix et qu'il m'avait réchauffée de son génie. Je serais revenue! Et maintenant, sortie de ces catacombes, je ne reviendrais certes pas! On ne revient pas s'enfermer dans un tombeau avec un cadavre qui vous aime!

À certaines façons forcenées qu'il avait eues, pendant la scène, de me regarder ou plutôt d'approcher de moi les deux trous noirs de son regard invisible, j'avais pu mesurer la sauvagerie de sa passion. Pour ne m'avoir point prise dans ses bras, alors que je ne pouvais lui offrir aucune résistance, il avait fallu que ce monstre fût doublé d'un ange et peut-être, après tout, l'était-il un peu, l'Ange de la musique, et peut-être l'eût-il été tout à fait si Dieu l'avait vêtu de beauté au lieu de l'habiller de pourriture!

Déjà, égarée à la pensée du sort qui m'était réservé, en proie à la terreur de voir se rouvrir la porte de la chambre au cercueil, et de revoir la figure du monstre sans masque, je m'étais glissée dans mon propre appartement et je m'étais emparée des ciseaux, qui pouvaient mettre un terme à mon épouvantable destinée... quand les sons de l'orgue se firent entendre...

C'est alors, mon ami, que je commençai de comprendre les paroles d'Erik sur ce qu'il appelait, avec un mépris qui m'avait stupéfié: la musique d'opéra. Ce que j'entendais n'avait plus rien à faire avec ce qui m'avait charmé jusqu'à ce jour. Son Don Juan triomphant, (car il ne faisait point de doute pour moi qu'il ne se fût rué à son chef-d'œuvre pour oublier l'horreur de la minute présente), son Don Juan triomphant ne me parut d'abord qu'un long, affreux et magnifique sanglot où le pauvre Erik avait mis toute sa misère maudite.

Je revoyais le cahier aux notes rouges et j'imaginais facilement que cette musique avait été écrite avec du sang. Elle me promenait dans tout le détail du martyre; elle me faisait entrer dans tous les coins de l'abîme, l'abîme habité par l'homme laid; elle me montrait Erik heurtant atrocement sa pauvre hideuse tête aux parois funèbres de cet enfer, et y fuyant, pour ne les point épouvanter, les regards des hommes. J'assistai, anéantie, pantelante, pitoyable et vaincue à l'éclosion de ces accords gigantesques où était divinisée la Douleur et puis les sons qui montaient de l'abîme se groupèrent tout à coup en un vol prodigieux et menaçant, leur troupe tournoyante sembla escalader le ciel comme l'aigle monte au soleil, et une telle symphonie triomphale parut embraser le monde que je compris que l'œuvre était enfin accomplie et que la Laideur, soulevée sur les ailes de l'Amour, avait osé regarder en face la Beauté! J'étais comme ivre; la porte qui me séparait d'Erik céda sous mes efforts. Il s'était levé en m'entendant, mais il n'osa se retourner.

«Erik, m'écriai-je, montrez-moi votre visage, sans terreur. Je vous jure que vous êtes le plus douloureux et le plus sublime des hommes, et si Christine Daaé frissonne désormais en vous regardant, c'est qu'elle songera à la splendeur de votre génie!»

Alors Erik se retourna, car il me crut, et moi aussi, hélas!... j'avais foi en moi... Il leva vers le Destin ses mains déchaînées, et tomba à mes genoux avec des mots d'amour...

... Avec des mots d'amour dans sa bouche de mort... et la musique s'était tue...

Il embrassait le bas de ma robe; il ne vit point que je fermais les yeux.

Que vous dirai-je encore, mon ami? Vous connaissez maintenant le drame... Pendant quinze jours, il se renouvela... quinze jours pendant lesquels je lui mentis. Mon mensonge fut aussi affreux que le monstre qui me l'inspirait, et à ce prix j'ai pu acquérir ma liberté. Je brûlai son masque. Et je fis si bien que, même lorsqu'il ne chantait plus, il osait quêter un de mes regards, comme un chien timide qui rôde autour de son maître. Il était ainsi, autour de moi, comme un esclave fidèle, et m'entourait de mille soins. Peu à peu, je lui inspirai une telle confiance, qu'il osa me promener aux rives du Lac Averne et me conduire en barque sur ses eaux de plomb; dans les derniers jours de ma captivité, il me faisait, de nuit, franchir des grilles qui ferment les souterrains de la rue Scribe. Là, un équipage nous attendait, et nous emportait vers les solitudes du Bois.

La nuit où nous vous rencontrâmes faillit m'être tragique, car il a une jalousie terrible de vous, que je n'ai combattue qu'en lui affirmant votre prochain départ... Enfin, après quinze jours de cette abominable captivité où je fus tour à tour brûlée de pitié, d'enthousiasme, de désespoir et d'horreur, il me crut quand je lui dis: je reviendrai!

—Et vous êtes revenue, Christine, gémit Raoul.

—C'est vrai, ami, et je dois dire que ce ne sont point les épouvantables menaces dont il accompagna ma mise en liberté qui m'aidèrent à tenir ma parole; mais le sanglot déchirant qu'il poussa sur le seuil de son tombeau!

Oui, ce sanglot-là, répéta Christine, en secouant douloureusement la tête, m'enchaîna au malheureux plus que je ne le supposai moi-même dans le moment des adieux. Pauvre Erik! Pauvre Erik!

—Christine, fit Raoul en se levant, vous dites que vous m'aimez, mais quelques heures à peine s'étaient écoulées, depuis que vous aviez recouvré votre liberté, que déjà vous retourniez auprès d'Erik!... Rappelez-vous le bal masqué!

—Les choses étaient entendues ainsi... rappelez-vous aussi que ces quelques heures-là je les ai passées avec vous, Raoul... pour notre grand péril à tous les deux...

—Pendant ces quelques heures-là, j'ai douté que vous m'aimiez.

—En doutez-vous encore, Raoul?... Apprenez alors que chacun de mes voyages auprès d'Erik a augmenté mon horreur pour lui, car chacun de ces voyages, au lieu de l'apaiser comme je l'espérais, l'a rendu fou d'amour!... et j'ai peur! et j'ai peur!... j'ai peur!...

—Vous avez peur... mais m'aimez-vous?... Si Erik était beau, m'aimeriez-vous, Christine?

—Malheureux! pourquoi tenter le destin?... Pourquoi me demander des choses que je cache au fond de ma conscience comme on cache le péché?

Elle se leva à son tour, entoura la tête du jeune homme de ses beaux bras tremblants et lui dit:

—Ô mon fiancé d'un jour, si je ne vous aimais pas, je ne vous donnerais pas mes lèvres. Pour la première et la dernière fois, les voici.

Il les prit, mais la nuit qui les entourait eut un tel déchirement, qu'ils s'enfuirent comme à l'approche d'une tempête, et leurs yeux, où habitait l'épouvante d'Erik, leur montra, avant qu'ils ne disparussent dans la forêt des combles, tout là-haut, au-dessus d'eux, un immense oiseau de nuit qui les regardait de ses yeux de braise, et qui semblait accroché aux cordes de la lyre d'Apollon!

Saturday 17 June 2023

Good Reading: "Mithridates" by Ralph W. Emerson (in English)

I cannot spare water or wine,
⁠Tobacco-leaf, or poppy, or rose;
From the earth-poles to the Line,
⁠All between that works or grows,
Every thing is kin of mine.


Give me agates for my meat;
Give me cantharids to eat;
From air and ocean bring me foods,
From all zones and altitudes;—


From all natures, sharp and slimy,
⁠Salt and basalt, wild and tame:
Tree and lichen, ape, sea-lion,
⁠Bird, and reptile, be my game.


Ivy for my fillet band;
Blinding dog-wood in my hand;
Hemlock for my sherbet cull me,
And the prussic juice to lull me;
Swing me in the upas boughs,
Vampyre-fanned, when I carouse.


Too long shut in strait and few,
Thinly dieted on dew,
I will use the world, and sift it,
To a thousand humors shift it,
As you spin a cherry.
O doleful ghosts, and goblins merry!
O all you virtues, methods, mights,
Means, appliances, delights,
Reputed wrongs and braggart rights,
Smug routine, and things allowed,
Minorities, things under cloud!
Hither! take me, use me, fill me,
Vein and artery, though ye kill me!

Friday 16 June 2023

Friday's Sung Word: "Silêncio de Um Minuto" by Noel Rosa (in Portuguese)

Não te vejo nem te escuto
O meu samba está de luto
Eu peço o silêncio de um minuto
Homenagem à história
De um amor cheio de glória
Que me pesa na memória

Nosso amor cheio de glória
De prazer e de ilusão
Foi vencido e a vitória
Cabe à tua ingratidão

Tu cavaste a minha dor
Com a pá do fingimento
E cobriste o nosso amor
Com a cal do esquecimento

Teu silêncio absoluto
Me obrigoue a confessar
Que o meu samba está de luto
Meu violão vai soluçar

Luto preto é vaidade
Neste funeral de amor
O meu luto é saudade
E saudade não tem cor.

 

You can listen "Silêncio de Um Minuto" sung by Marília Baptista here.

 

You can listen "Silêncio de Um Minuto" sung by Aracy de Almeida here.

Thursday 15 June 2023

Thursday's Serial: "Threads of Grey and Gold” by Myrtle Reed (in English) - the end

QUAINT OLD CHRISTMAS CUSTOMS

Compared with the celebrations of our ancestors, the modern Christmas becomes a very hurried thing. The rush of the twentieth century forbids twelve days of celebration, or even two. Paterfamilias considers himself very indulgent if he gives two nights and a day to the annual festival, because, forsooth, “the office needs him!”

One by one the quaint old customs have vanished. We still have the Christmas tree, evergreens in our houses and churches, and the yawning stocking still waits in many homes for the good St. Nicholas.

But what is poor Santa Claus to do when the chimney leads to the furnace? And what of the city apartment, which boasts a radiator and gas grate, but no chimney? The myth evidently needs reconstruction to meet the times in which we live, and perhaps we shall soon see pictures of Santa Claus arriving in an automobile, and taking the elevator to the ninth floor, flat B, where a single childish stocking is hung upon the radiator.

Nearly all of the Christmas observances began in ancient Rome. The primitive Italians were wont to celebrate the winter solstice and call it the feast of Saturn. Thus Saturnalia came to mean almost any kind of celebration which came in the wake of conquest, and these ceremonies being engrafted upon Anglo-Saxon customs assumed a religious significance.

The pretty maid who hesitates and blushes beneath the overhanging branch of mistletoe, never stops to think of the grim festival with which the Druids celebrated its gathering.

In their mythology the plant was regarded with the utmost reverence, especially when found growing upon an oak.

At the time of the winter solstice, the ancient Britons, accompanied by their priests, the Druids, went out with great pomp and rejoicing to gather the mistletoe, which was believed to possess great curative powers. These processions were usually by night, to the accompaniment of flaring torches and the solemn chanting of the people. When an oak was reached on which the parasite grew, the company paused.

Two white bulls were bound to the tree and the chief Druid, clothed in white to signify purity, climbed, more or less gracefully, to the plant. It was severed from the oak, and another priest, standing below, caught it in the folds of his robe. The bulls were then sacrificed, and often, alas, human victims also. The mistletoe thus gathered was divided into small portions and distributed among the people. The tiny sprays were fastened above the doors of the houses, as propitiation to the sylvan deities during the cold season.

These rites were retained throughout the Roman occupation of Great Britain, and for some time afterward, under the sovereignty of the Jutes, the Saxons, and the Angles.

In Scandinavian mythology there is a beautiful legend of the mistletoe. Balder, the god of poetry, the son of Odin and Friga, one day told his mother that he had dreamed his death was near at hand. Much alarmed, the mother invoked all the powers of nature—earth, air, water, fire, animals and plants, and obtained from them a solemn oath that they would do her son no harm.

Then Balder fearlessly took his place in the combats of the gods and fought unharmed while showers of arrows were falling all about him.

His enemy, Loake, determined to discover the secret of his invulnerability, and, disguising himself as an old woman, went to the mother with a question of the reason of his immunity. Friga answered that she had made a charm and invoked all nature to keep from injuring her son.

“Indeed,” said the old woman, “and did you ask all the animals and plants? There are so many, it seems impossible.”

“All but one,” answered Friga proudly; “all but a little insignificant plant which grows upon the bark of the oak. This I did not think of invoking, since so small a thing could do no harm.”

Much delighted, Loake went away and gathered mistletoe. Then he entered the assembly of the gods and made his way to the blind Heda.

“Why do you not shoot with the arrows at Balder?” asked Loake.

“Alas,” replied Heda, “I am blind and have no arms.”

Loake then gave him an arrow tipped with mistletoe and said: “Balder is before thee.” Heda shot and Balder fell, pierced through the heart.

In its natural state, the plant is believed to be propagated by the missel-thrush, which feeds upon its berries, but under favourable climatic conditions one may raise one’s own mistletoe by bruising the berries on the bark of fruit trees, where they take root readily. It must be remembered, however, that the plant is a true parasite and will eventually kill whatever tree gives it nourishment.

Kissing under the mistletoe was also a custom of the Druids, and in those uncivilised days men kissed each other. For each kiss, a single white berry was plucked from the spray, and kept as a souvenir by the one who was kissed.

The burning of the Yule log was an ancient Christmas ceremony borrowed from the early Scandinavians. At their feast of Juul (pronounced Yuul), at the time of the winter solstice, they were wont to kindle huge bonfires in honour of their god Thor. The custom soon made its way to England where it is still in vogue in many parts of the country.

One may imagine an ancient feudal castle, heavily fortified, standing in splendid isolation upon a snowy hill, on that night of all others when war was forgotten and peace proclaimed. Drawn by six horses, the great Yule log was brought into the hall and rolled into the vast fireplace, where it was lighted with the charred remnants of last year’s Yule log, religiously kept in some secure place as a charm against fire.

As the flames seize upon the oak and the light gleams from the castle windows, a lusty procession of wayfarers passes through, each one raising his hat as he passes the fire which burns all the evil out of the hearts of men, and up to the rafters there rings a stern old Saxon chant.

When the song was finished, the steaming wassail bowl was brought out, and all the company drank to a better understanding.

Up to the time of Henry VI, and even afterward, the Yule log was greeted with bards and minstrelsy. If a squinting person came into the hall while the log was burning, it was sure to bring bad luck. The appearance of a barefooted man was worse, and a flat-footed woman was the worst of all.

As an accompaniment to the Yule log, a monstrous Christmas candle was burned on the table at supper; even now in St. John’s College at Oxford, there is an old candle socket of stone, ornamented with the figure of a lamb. What generations of gay students must have sat around that kindly light when Christmas came to Oxford!

Snap-dragon was a favourite Christmas sport at this time. Several raisins were put into a large shallow bowl and thoroughly saturated with brandy. All other lights were extinguished and the brandy ignited. By turns each one of the company tried to snatch a raisin out of the flames, singing meanwhile.

In Devonshire, they burn great bundles of ash sticks, while master and servants sit together, for once on terms of perfect equality, and drink spiced ale, and the season is one of great rejoicing.

Another custom in Devonshire is for the farmer, his family, and friends, to partake of hot cake and cider, and afterward go to the orchard and place a cake ceremoniously in the fork of a big tree, when cider is poured over it while the men fire off pistols and the women sing.

A similar libation, but of spiced ale, used to be sprinkled through the orchards and meadows of Norfolk. Midnight of Christmas was the time usually chosen for the ceremony.

In Devon and Cornwall, a belief is current that, at midnight on Christmas Eve, the cattle kneel in their stalls in honour of the Saviour, as legend claims they did in Bethlehem.

In Wales, they carry about at Christmas time a horse’s skull gaily adorned with ribbons, and supported on a pole by a man who is wholly concealed by a white cloth. There is a clever contrivance for opening and shutting the jaws, and this strange creature pursues and bites all who come near it.

The figure is usually accompanied by a party of men and boys grotesquely dressed, who, on reaching a house, sing some verses, often extemporaneous, demanding admittance, and are answered in the same fashion by those within until rhymes have given out on one side or the other.

In Scotland, he who first opens the door on Christmas Day expects more good luck than will fall to the lot of other members of the family during the year, because, as the saying goes, he lets in Yule.

In Germany, Christmas Eve is the children’s night, and there is a tree and presents. England and America appear to have borrowed the Christmas tree from Germany, where the custom is ancient and very generally followed.

In the smaller towns and villages in northern Germany, the presents are sent by all the parents to some one fellow who, in high buskins, white robe, mask, and flaxen wig, personates the servant, Rupert. On Christmas night he goes around to every house, and says that his master sent him. The parents and older children receive him with pomp and reverence, while the younger ones are often badly frightened.

He asks for the children, and then demands of their parents a report of their conduct during the past year. The good children are rewarded with sugar-plums and other things, while for the bad ones a rod is given to the parents with instructions to use it freely during the coming year.

In those parts of Pennsylvania where there are many German settlers, the little sinners often find birchen rods suggestively placed in their stockings on Christmas morning.

In Poland, the Christmas gifts are hidden, and the members of the family search for them.

In Sweden and Norway, the house is thoroughly cleaned, and juniper or fir branches are spread over the floor. Then each member of the family goes in turn to the bake house, or outer shed, where he takes his annual bath.

But it is back to Old England, after all, that we look for the merriest Christmas. For two or three weeks beforehand, men and boys of the poorer class, who were called “waits,” sang Christmas carols under every window. Until quite recently these carols were sung all through England, and others of similar import were heard in France and Italy.

The English are said to “take their pleasures sadly,” but in the matter of Christmas they can “give us cards and spades and still win.” Parties of Christmas drummers used to go around to the different houses, grotesquely attired, and play all sorts of tricks. The actors were chiefly boys, and the parish beadle always went along to insure order.

The Christmas dinner of Old England was a thing capable of giving the whole nation dyspepsia if they indulged freely.

The main dish was a boar’s head, roasted to a turn, and preceded by trumpets and minstrelsy. Mustard was indispensable to this dish.

Next came a peacock, skinned and roasted. The beak was gilded, and sometimes a bit of cotton, well soaked in spirits, was put into his mouth, and when he was brought to the table this was ignited, so that the bird was literally spouting fire. He was stuffed with spices, basted with yolks of eggs, and served with plenty of gravy.

Geese, capons, pheasants, carps’ tongues, frumenty, and mince, or “shred” pies, made up the balance of the feast.

The chief functionary of Christmas was called “The Lord of Misrule.”

In the house of king and nobleman he held full sway for twelve days. His badge was a fool’s bauble and he was always attended by a page, both of them being masked. So many pranks were played, and so much mischief perpetrated which was far from being amusing, that an edict was eventually issued against this form of liberty, not to say license.

The Lord of Misrule was especially reviled by the Puritans, one of whom set him down as “a grande captain of mischiefe.” One may easily imagine that this stern old gentleman had been ducked by a party of revellers following in the wake of the lawless “Captaine” because he had refused to contribute to their entertainment.

We need not lament the passing of Christmas pageantry, if the spirit of the festival remains. Through the centuries that have passed since the first Christmas, the spirit of it has wandered in and out like a golden thread in a dull tapestry, sometimes hidden, but never wholly lost. It behooves us to keep well and reverently such Christmas as we have, else we shall share old Ben Jonson’s lament in The Mask of Father Christmas, which was presented before the English Court nearly two hundred years ago:

“Any man or woman ... that can give any knowledge, or tell any tidings of an old, very old, grey haired gentleman called Christmas, who was wont to be a very familiar ghest, and visit all sorts of people both pore and rich, and used to appear in glittering gold, silk and silver in the court, and in all shapes in the theatre in Whitehall, and had singing, feasts and jolitie in all places, both citie and countrie for his coming—whosoever can tel what is become of him, or where he may be found, let them bring him back again into England.”

 

 

CONSECRATION

Cathedral spire and lofty architrave,

Nor priestly rite and humble reverence,

Nor costly fires of myrrh and frankincense

May give the consecration that we crave;

Upon the shore where tides forever lave

With grateful coolness on the fevered sense;

Where passion grows to silence, rapt, intense,

There waits the chrismal fountain of the wave.

 

By rock-hewn altars where is said no word,

Save by the deep that calleth unto deep,

While organ tones of sea resound above;

The truth of truths our inmost souls have heard,

And in our hearts communion wine we keep,

For He Himself hath said it—“God is Love!”

 

 

Good Reading: "A Oligarquia Contra o Povo" by Olavo de Carvalho (in Portuguese)

 Diário do Comércio, 27 de agosto de 2015

 Interrompo temporariamente as considerações teóricas da série “Ilusões democráticas” para analisar brevemente o atual estado de coisas.

A premissa básica para se chegar a compreender a presente situação política do Brasil é a seguinte: o PT não subiu ao poder para implantar o comunismo no Brasil, mas para salvar da extinção o movimento comunista na América Latina e preparar o terreno para uma futura tomada do continente inteiro pelo comunismo internacional.

É fácil comprovar isso pelas atas das assembleias do Foro de São Paulo, o qual foi fundado justamente para a realização desse plano.

Na operação, o Brasil exerceria não somente a função de centro decisório e estratégico, mas o de provedor de recursos para os governos e movimentos comunistas falidos.

No décimo-quinto aniversário do Foro, em 2015, o comando das FARC, Forças Armadas Revolucionárias da Colômbia, reconheceu em documento oficial que a fundação desse organismo pelo PT havia pura e simplesmente salvado da extinção o comunismo latino-americano, debilitado e minguante desde a queda do regime soviético.

Para a consecução do plano, era necessário que o PT no governo prosseguisse na aplicação firme e constante da estratégia gramsciana da “ocupação de espaços” e da “revolução cultural”, aliando-se, ao mesmo tempo, a grandes grupos econômicos que pudessem subsidiar e consolidar, pouco importando se por meios lícitos ou ilícitos, a instrumentalização partidária do Estado, o controle da classe política, a supressão de toda oposição ideológica possível e a injeção de dinheiro salvador em vários regimes e movimentos comunistas moribundos.

Basta isso para explicar por que o então presidente Lula pôde ser, numa mesma semana, homenageado no Fórum Social Mundial pela sua fidelidade ao comunismo e no Fórum Econômico de Davos pela sua adesão ao capitalismo, tornando-se assim o enigmático homem de duas cabeças que os “verdadeiros crentes” da direita acusavam de comunista e os da esquerda de vendido ao capitalismo.

Mas as duas cabeças, no fundo, pensavam em harmonia: a confusão ideológica só podia favorecer aqueles que, por trás dos discursos e slogans, tinham um plano de longo prazo e a determinação de trocar de máscara quantas vezes fosse necessário para realizá-lo.

O plano era bom, em teoria, mas os estrategistas iluminados do comunopetismo se esqueceram de alguns detalhes:

1. Dominando a estrutura inteira do Estado em vez de se contentar com o Executivo, o partido se transformou no próprio “estamento burocrático” que antes ele jurava combater. Já expliquei isso em artigo anterior (leia aqui).2. O apoio dos grandes grupos econômicos o descaracterizava ainda mais como “partido dos pobres” e o identificava cada vez mais com a elite privilegiada que ele dizia odiar.

3. O uso maciço das propinas e desvios de verbas como instrumentos de controle da classe política tornava o partido ainda mais cínico, egoísta e desonesto do que essa elite jamais tivera a ousadia de ser. O PT tornou-se a imagem por excelência da elite criminosa e exploradora.

4. O PT havia sido, na década de 90, a força mais ativa nas campanhas que sensibilizaram o povo para o fenômeno da corrupção entre os políticos. Ele criou. Assim. a atmosfera de revolta e até a linguagem do discurso de acusação que haveriam de fazer dele próprio, no devido tempo, o mais odioso dos réus.

5. A “revolução cultural”, a “ocupação de espaços” e a instrumentação do Estado deram ao PT os meios de fazer uma “revolução por cima”, mas o deixaram desprovido de toda base popular autêntica. Ao longo dos anos, pesquisas atrás de pesquisas demonstravam que o povo brasileiro continuava acentuadamente conservador, odiando com todas as suas forças as políticas abortistas e a “ideologia de gênero” que o partido comungava gostosamente com a elite financeira e com o “proletariado intelectual” das universidades e do show business.

Desprovidas as massas de todo meio de expressar-se na mídia e de canais partidários para fazer valer a sua opinião, no coração do povo foi crescendo uma revolta surda, inaudível nas altas esferas, que mais cedo ou mais tarde teria de acabar eclodindo à plena luz do dia, como de fato veio a acontecer, surpreendendo e abalando a elite petista ao ponto de despertar nela as reações mais desesperadas e semiloucas, desde a afetação grotesca de tranquilidade  olímpica até a fanfarronada do apelo às “armas” seguido de trêmulas desculpas esfarrapadas.

A convergência de todos os fatores produziu um resultado que só pessoas de inteligência precária como os nossos congressistas, os nossos cientistas políticos e os nossos analistas midiáticos não conseguiriam prever: quando a mídia pressionada pelas redes sociais e pela pletora de denúncias judiciais desistiu de continuar acobertando os crimes do PT (voltarei a isto em artigo próximo), a revolta contra o esquema comunopetista tomou as ruas, nas maiores manifestações de protesto de toda a nossa História e, mesmo fora dos dias de passeata, continuou se expressando por toda parte sob a forma de vaias e panelaços, obrigando os falsos ídolos a esconder-se em casa, sem poder mostrar suas caras nem mesmo nos restaurantes.

As pesquisas mostram que o apoio popular ao PT é hoje de somente um por cento, já que seis dos famosos sete consideram o governo apenas “regular”, isto é, tolerável.

Como é possível que um partido assim desprezado, odiado e achincalhado pela maioria ostensiva da população continue se achando no direito de governar e habilitado a salvar o país mediante desculpinhas grotescas que, à acusação de crimes, respondem com uma confissão de “erros”?

Em que se funda o poder que o PT, acuado e desmoralizado, continua a desfrutar? Esse poder funda-se em apenas quatro coisas:

1. O apoio da oligarquia cúmplice.

2. A militância subsidiada, cada vez mais escassa, incapaz de mobilizar-se sem o estímulo dos sanduíches de mortadela, dos cinquenta reais e do transporte em ônibus, tudo pago com dinheiro público.

3. O apoio externo, não só do governo Obama, dos organismos internacionais e de alguns velhos partidos da esquerda europeia, mas sobretudo do Foro de São Paulo, já articulado para mover guerra ao Brasil em caso de destituição do PT.

4. Uma militância estudantil, também decrescente, que tudo fará pelas grandes causas idealísticas que a animam: drogas e camisinhas para todos, operações transex pagas pelo governo, banheiros unissex, liberdade de fazer sexo em público no campus, reconhecimento do sexo grupal como “nova modalidade de família” etc. etc.

A base de apoio do PT é uma casquinha da aparência na superfície de uma sociedade em vias de explodir.

O único fator que realmente mantém esse partido no poder é o temor servil com que as forças ditas “de oposição” encaram uma possível crise de governabilidade e, sob a desculpa da “legalidade”, e da “normalidade democrática”, insistem em dar ao comunopetismo uma sobrevida artificial, encarregando a classe política de ajudá-lo a respirar com aparelhos ou pelo menos a matá-lo só aos pouquinhos, de maneira discreta e indolor.

Mas que legalidade é essa? Por favor, leiam:

Constituição Federal, Título I, Art. V, parágrafo único: “Todo o poder emana do povo, que o exerce por meio de representantes eleitos ou diretamente. ”

Será que o “diretamente” não vale mais? Foi suprimido? Os representantes eleitos adquiriram o direito de decidir tudo por si, contra a vontade expressa do povo que os elegeu? Só eles, e não o povo, representam agora a “ordem democrática”?

Senhores deputados, senadores, generais e importantões em geral: Quem meteu nas suas cabeças que a ordem constitucional é personificada só pelos representantes e não, muito acima deles, por quem os elegeu? Parem se ser hipócritas: defender “as instituições” contra o povo que as constituiu é traição. A vontade popular é clara e indisfarçável: Fora Dilma, Fora PT, Fora o Foro de São Paulo!

Contra a vontade popular, a presidente, seus ministros, o Congresso inteiro e o comando das Forças Armadas não têm autoridade nenhuma. Se vocês não querem fazer a vontade do povo, saiam do caminho e deixem que ele a faça por si.