Wednesday, 28 June 2023

Good Reading: "With a Set of Rattlesnake Rattles" by Robert E. Howard (in English)

Here is the emblem of a lethal form of life for which I have no love, but a definite admiration. The wearer of this emblem is inflexibly individualistic. He mingles not with the herd, nor bows before the thrones of the mighty. Between him and the lords of the earth lies an everlasting feud that shall not be quenched until the last man lies dying and the Conqueror sways in shimmering coils above him.

Lapped in sombre mystery he goes his subtle way, touched by neither pity nor mercy. Realizations of ultimate certitudes are his, when the worm rises and the vulture sinks and the flesh shreds back to the earth that bore it. Other beings may make for Life, but he is consecrated to Death. Promise of ultimate dissolution shimmers in his visible being, and the cold soulless certainty of destruction is in his sibilances. The buzzards mark his path by the pregnant waving of the tall grasses, and the blind worms that gnaw in the dark are glad because of him. The foot of a king can not tread on him with impunity, nor the ignorant hand of innocence bruise him unscathed. The emperor who sits enthroned in gold and purple, with his diadem in the thunder-clouds and his sandals on the groaning backs of the nations, let him dare to walk where the rank grass quivers without a wind, and the lethal scent of decay is heavy in the air. Let him dare--and try if his pomp and glory and his lines of steel and gold will awe the coiling death or check the dart of the wedge-shaped head.

For when he sings in the dark it is the voice of Death crackling between fleshless jaw-bones. He reveres not, nor fears, nor sinks his crest for any scruple. He strikes, and the strongest man is carrion for flapping things and crawling things. He is a Lord of the Dark Places, and wise are they whose feet disturb not his meditations.

Tuesday, 27 June 2023

Tuesday's Serial: “Le Fantôme de l'Opéra” by Gaston Leroux (in French) - X

XIV - UN COUP DE MAITRE DE L'AMATEUR DE TRAPPES

Raoul et Christine coururent, coururent. Maintenant, ils fuyaient le toit où il y avait les yeux de braise que l'on n'aperçoit que dans la nuit profonde; et ils ne s'arrêtèrent qu'au huitième étage en descendant vers la terre. Ce soir-là il n'y avait pas représentation, et les couloirs de l'Opéra étaient déserts.

Soudain une silhouette bizarre se dressa devant les jeunes gens, leur barrant le chemin:

—Non! pas par ici!

Et la silhouette leur indiqua un autre couloir par lequel ils devaient gagner les coulisses.

Raoul voulait s'arrêter, demander des explications.

—Allez! allez vite!... commanda cette forme vague, dissimulée dans une sorte de houppelande et coiffée d'un bonnet pointu.

Christine entraînait déjà Raoul, le forçait à courir encore:

—Mais qui est-ce? Mais qui est-ce, celui-ci? demandait le jeune homme.

Et Christine répondait:

—C'est Le Persan!...

—Qu'est-ce qu'il fait là...

—On n'en sait rien!... Il est toujours dans l'Opéra!

—Ce que vous me faites faire là est lâche, Christine, dit Raoul, qui était fort ému. Vous me faites fuir, c'est la première fois de ma vie.

—Bah! répondit Christine, qui commençait à se calmer, je crois bien que nous avons fui l'ombre de notre imagination!

—Si vraiment nous avons aperçu Erik j'aurais dû le clouer sur la lyre d'Apollon, comme on cloue la chouette sur les murs dans nos fermes bretonnes, et il n'en n'aurait plus été question.

—Mon bon Raoul, il vous aurait fallu monter d'abord jusqu'à la lyre d'Apollon; ce n'est pas une ascension facile.

—Les yeux de braise y étaient bien.

—Eh! vous voilà maintenant comme moi, prêt à le voir partout, mais on réfléchit après et l'on se dit: ce que j'ai pris pour les yeux de braise n'étaient sans doute que les clous d'or de deux étoiles qui regardaient la ville à travers les cordes de la lyre.

Et Christine descendit encore un étage. Raoul suivait. Il dit:

—Puisque vous êtes tout à fait décidée à partir, Christine, je vous assure encore qu'il vaudrait mieux fuir tout de suite. Pourquoi attendre demain? Il nous a peut-être entendus ce soir!...

—Mais non! mais non! Il travaille, je vous le répète à son Don Juan triomphant, et il ne s'occupe pas de nous.

—Vous en êtes si peu sûre que vous ne cessez de regarder derrière vous.

—Allons dans ma loge.

—Prenons plutôt rendez-vous hors de l'Opéra.

—Jamais, jusqu'à la minute de notre fuite! Cela nous porterait malheur de ne point tenir ma parole. Je lui ai promis de ne nous voir qu'ici.

—C'est encore heureux pour moi qu'il vous ait encore permis cela. Savez-vous, fit amèrement Raoul, que vous avez été tout à fait audacieuse en nous permettant le jeu des fiançailles.

—Mais, mon cher, il est au courant. Il m'a dit: «J'ai confiance en vous, Christine. M. Raoul de Chagny est amoureux de vous et doit partir. Avant de partir, qu'il soit aussi malheureux que moi!...»

—Et qu'est-ce que cela signifie, s'il vous plaît?

—C'est moi qui devrais vous le demander, mon ami. On est donc malheureux, quand on aimé?

—Oui, Christine, quand on aime et quand on n'est point sûr d'être aimé.

—C'est pour Erik que vous dites cela?

—Pour Erik et pour moi, fit le jeune homme en secouant la tête d'un air pensif et désolé.

Ils arrivèrent à la loge de Christine.

—Comment vous croyez-vous plus en sûreté dans cette loge que dans le théâtre? demanda Raoul. Puisque vous l'entendiez à travers les murs, il peut nous entendre.

—Non! Il m'a donné sa parole de n'être plus derrière les murs de ma loge et je crois à la parole d'Erik. Ma loge et ma chambre, dans l'appartement du lac, sont à moi, exclusivement à moi, et sacrées pour lui.

—Comment avez-vous pu quitter cette loge pour être transportée dans le couloir obscur, Christine? Si nous essayions de répéter vos gestes, voulez-vous?

—C'est dangereux, mon ami, car la glace pourrait encore m'emporter et, au lieu de fuir, je serais obligée d'aller au bout du passage secret qui conduit aux rives du lac et là d'appeler Erik.

—Il vous entendrait?

—Partout où j'appellerai Erik, partout Erik m'entendra... C'est lui qui me l'a dit, c'est un très curieux génie. Il ne faut pas croire, Raoul, que c'est simplement un homme qui s'est amusé à habiter sous la terre. Il fait des choses qu'aucun autre homme ne pourrait faire; il sait des choses que le monde vivant ignore.

—Prenez garde, Christine, vous allez en refaire un fantôme.

—Non ce n'est pas un fantôme; c'est un homme du ciel et de la terre, voilà tout.

—Un homme du ciel et de la terre... voilà tout!... Comme vous en parlez!... Et vous êtes décidée toujours à le fuir?

—Oui demain.

—Voulez-vous que je vous dise pourquoi je voudrais vous voir fuir ce soir?

—Dites, mon ami.

—Parce que, demain, vous ne serez, plus décidée à rien du tout!

—Alors, Raoul, vous m'emporterez malgré moi!... n'est-ce pas entendu?

—Ici donc, demain soir! à minuit je serai dans votre loge, fit le jeune homme d'un air sombre; quoi qu'il arrive, je tiendrai ma promesse. Vous dites qu'après avoir assisté à la représentation, il doit aller vous attendre dans la salle à manger du lac?

—C'est en effet là qu'il m'a donné rendez-vous.

—Et comment deviez-vous vous rendre chez lui, Christine, si vous ne savez pas sortir de votre loge «par la glace»?

—Mais en me rendant directement sur le bord du lac.

—À travers tous les dessous? Par les escaliers et les couloirs où passent les machinistes et les gens de service? Comment auriez-vous conservé le secret d'une pareille démarche? Tout le monde aurait suivi Christine Daaé et elle serait arrivée avec une foule sur les bords du lac.

Christine sortit d'un coffret une énorme clef et la montra à Raoul.

—Qu'est ceci? fit celui-ci.

—C'est la clef de la grille du souterrain de la rue Scribe.

—Je comprends, Christine. Il conduit directement au lac. Donnez-moi cette clef, voulez-vous?

—Jamais! répondit-elle avec énergie. Ce serait une trahison!

Soudain, Raoul vit Christine changer de couleur. Une pâleur mortelle se répandit sur ses traits.

—Oh! mon Dieu! s'écria-t-elle... Erik! Erik! ayez pitié de moi!

—Taisez-vous! ordonna le jeune homme... Ne m'avez-vous pas dit qu'il pouvait vous entendre?

Mais l'attitude de la chanteuse devenait de plus en plus inexplicable. Elle se glissait les doigts les uns sur les autres, en répétant d'un air égaré:

—Oh! mon Dieu! Oh! mon Dieu!

—Mais, qu'y a-t-il? qu'y a-t-il? implora Raoul.

—L'anneau.

—Quoi l'anneau? Je vous en prie, Christine, revenez à vous!

—L'anneau d'or qu'il m'avait donné...

—Ah? c'est Erik qui vous avait donné, l'anneau d'or!

—Vous le savez bien, Raoul! Mais ce que vous ne savez pas, c'est ce qu'il m'a dit en me le donnant: «Je vous rends votre liberté, Christine, mais c'est à la condition que cet anneau sera toujours à votre doigt. Tant que vous le garderez, vous serez préservée de tout danger et Erik restera votre ami. Mais si vous vous en séparez jamais, malheur à vous, Christine, car Erik se vengera!.... Mon ami, mon ami! L'anneau n'est plus à mon doigt!... malheur sur nous!

C'est en vain qu'ils cherchèrent l'anneau autour d'eux. Ils ne le retrouvèrent point. La jeune fille ne se calmait pas.

—C'est pendant que je vous ai accordé ce baiser, là-haut, sous la lyre d'Apollon, tenta-t-elle d'expliquer en tremblant; l'anneau aura glissé de mon doigt et aura glissé sur la ville! Comment le retrouver maintenant? Et de quel malheur, Raoul, sommes-nous menacés! Ah! fuir! fuir! Fuir tout de suite, insista une fois encore Raoul.

Elle hésita. Il crut qu'elle allait dire oui... Et puis ses claires prunelles se troublèrent et elle dit: Non! Demain!

Et elle le quitta précipitamment, dans un désarroi complet, continuant à se glisser les doigts les uns sur les autres, sans doute dans l'espérance que l'anneau allait réapparaître comme cela.

Quant à Raoul, il rentra chez lui, très préoccupé de tout ce qu'il avait entendu.

—Si je ne la sauve point des mains de ce charlatan, dit-il, tout haut dans sa chambre, en se couchant, elle est perdue; mais je la sauverai!

Il éteignit sa lampe, et il éprouva dans les ténèbres, le besoin d'injurier Erik. Il cria par trois fois à haute voix: «Charlatan!... Charlatan!... Charlatan!...»

Mais, tout à coup, il se leva sur un coude; une sueur froide lui coula aux tempes. Deux yeux, brûlants comme des brasiers, venaient de s'allumer au pied de son lit. Ils le regardaient fixement, terriblement, dans la nuit noire.

Raoul était brave, et cependant il tremblait. Il avança la main, tâtonnante, hésitante, incertaine, sur la table de nuit. Ayant trouvé la boîte d'allumettes, il fit de la lumière. Les yeux disparurent.

Il pensa, nullement rassuré:

—Elle m'a dit que ses yeux ne se voyaient que dans l'obscurité. Ses yeux ont disparu avec la lumière, mais lui, il est peut-être encore là.

Et il se leva, chercha, fit prudemment le tour des choses. Il regarda sous son lit, comme un enfant. Alors, il se trouva ridicule. Il dit tout haut:

—Que croire? Que ne pas croire avec un pareil conte de fées? Où finit le réel, où commence le fantastique? Qu'a-t-elle vu? Qu'a-t-elle cru voir?

Il ajouta, frémissant:

—Et moi-même, qu'ai-je vu? Ai-je bien vu les yeux de braise tout à l'heure? N'ont-ils brillé que dans mon imagination? Voilà que je ne suis plus sûr de rien! Et je ne prêterais point serment sur ces yeux-là.

Il se recoucha. De nouveau, il fit l'obscurité.

Les yeux réapparurent.

—Oh! soupira Raoul.

Dressé sur son séant, il les fixait à son tour aussi bravement qu'il pouvait. Après un silence qu'il occupa à ressaisir tout son courage, il cria tout à coup:

—Est-ce toi, Erik? Homme! génie ou fantôme! Est-ce toi?

Il réfléchit:

—Si c'est lui... il est sur le balcon!

Alors il courut en chemise, à un petit meuble dans lequel il saisit à tâtons, un revolver. Armé, il ouvrit la porte-fenêtre. La nuit était alors extrêmement fraîche. Raoul ne prit que le temps de jeter un coup d'œil sur le balcon désert et il rentra, refermant la porte. Il se recoucha en frissonnant, le revolver sur la table de nuit, à sa portée.

Une fois encore il souffla la bougie.

Les yeux étaient toujours là, au bout du lit. Étaient-ils entre le lit et la glace de la fenêtre, ou derrière la glace de la fenêtre, c'est-à-dire sur le balcon?

Voilà ce que Raoul voulait savoir. Il voulait savoir aussi si ces yeux-là appartenaient à un être humain... il voulait tout savoir...

Alors, patiemment, froidement, sans déranger la nuit qui l'entourait, le jeune homme reprit son revolver et visa.

Il visa les deux étoiles d'or qui le regardaient toujours avec un si singulier éclat immobile.

Il visa un peu au-dessus des deux étoiles. Certes! si ces étoiles étaient des yeux, et si au-dessus de ces yeux, il y avait un front, et si Raoul n'était point trop maladroit...

La détonation roula avec un fracas terrible dans la paix de la maison endormie... Et pendant que, dans les corridors, des pas se précipitaient, Raoul, sur son séant, le bras tendu, prêt à tirer encore, regardait...

Les deux étoiles, cette fois, avaient disparu.

De la lumière, des gens, le comte Philippe, affreusement anxieux.

—Qu'y a-t-il, Raoul?

—Il y a, que je crois bien que j'ai rêvé, répondit le jeune homme. J'ai tiré sur deux étoiles qui m'empêchaient de dormir.

—Tu divagues?... Tu es souffrant!... je t'en prie, Raoul, que s'est-il passé?... et le comte s'empara du revolver.

—Non, non, je ne divague pas!... du reste, nous allons bien savoir...

Il se releva, passa une robe de chambre, chaussa ses pantoufles, prit des mains d'un domestique une lumière, et ouvrant la porte-fenêtre, retourna sur le balcon.

Le comte avait constaté que la fenêtre avait été traversée d'une balle à hauteur d'homme. Raoul était penché sur le balcon avec sa bougie.

—Oh! oh! fit-il... du sang!... du sang!... Ici... là... encore du sang! Tant mieux!... Un fantôme qui saigne... c'est moins dangereux! ricana-t-il.

—Raoul! Raoul! Raoul!

Le comte le secouait comme s'il eût voulu faire sortir un somnambule de son dangereux sommeil.

—Mais, mon frère, je ne dors pas! protesta Raoul impatienté. Vous pouvez voir ce sang comme tout le monde. J'avais cru rêver et tirer sur deux étoiles. C'étaient les yeux d'Erik... et voici son sang!...

Il ajouta, subitement inquiet:

—Après tout, j'ai peut-être eu tort de tirer, et Christine est bien capable de ne me le point pardonner!... Tout ceci ne serait point arrivé si j'avais eu la précaution de laisser retomber les rideaux de la fenêtre en me couchant.

—Raoul! es-tu devenu subitement fou! Réveille-toi!

—Encore! Vous feriez mieux, mon frère, de m'aider à chercher Erik... car, enfin, un fantôme qui saigne, ça doit pouvoir se retrouver...

Le valet de chambre du comte dit:

—C'est vrai, monsieur, qu'il y a du sang sur le balcon.

Un domestique apporta une lampe à la lueur de laquelle on put examiner toutes choses. La trace du sang suivait la rampe du balcon et allait rejoindre une gouttière et la trace de sang remontait le long de la gouttière.

—Mon ami, dit le comte Philippe, tu as tiré sur un chat.

—Le malheur! fit Raoul avec un nouveau ricanement, qui sonna douloureusement aux oreilles du comte, est que c'est bien possible. Avec Erik, on ne sait jamais! Est-ce Erik? Est-ce le chat? Est-ce le fantôme? Est-ce de la chair ou de l'ombre? Non! non! Avec Erik, on ne sait jamais!

Raoul commençait à tenir cette sorte de propos bizarres qui répondaient si intimement et si logiquement aux préoccupations de son esprit et qui faisaient si bien suite aux confidences étranges, à la fois réelles et d'apparences surnaturelles, de Christine Daaé; et ces propos ne contribuèrent point peu à persuader à beaucoup que le cerveau du jeune homme était dérangé. Le comte lui-même y fut pris et plus tard le juge d'instruction, sur le rapport du commissaire de police, n'eut point de peine à conclure.

—Qui est Erik? demanda le comte en pressant la main de son frère.

—C'est mon rival! et s'il n'est pas mort, tant pis!

D'un geste il chassa les domestiques.

La porte de la chambre se referma, sur les deux Chagny. Mais les gens ne s'éloignèrent point si vite que le valet de chambre du comte n'entendît Raoul prononcer distinctement et avec force:

—Ce soir! j'enlèverai Christine Daaé.

Cette phrase fut répétée par la suite au juge d'instruction Faure. Mais on ne sut jamais exactement ce qui se dit entre les deux frères pendant cette entrevue.

Les domestiques racontèrent que ce n'était point cette nuit-là la première querelle qui les faisait s'enfermer.

À travers les murs on entendait des cris, et il était toujours question d'une comédienne qui s'appelait Christine Daaé.

Au déjeuner—au petit déjeuner du matin, que le comte prenait dans son cabinet de travail, Philippe donna l'ordre que l'on allât prier son frère de le venir rejoindre. Raoul arriva, sombre et muet. La scène fut très courte.

Le comte:—Lis ceci!

Philippe tend à son frère un journal: «l'Époque». Du doigt, il lui désigne l'écho suivant.

Le vicomte, du bout des lèvres, lisant:

«Une grande nouvelle au faubourg: il y a promesse de mariage entre Mlle Christine Daaé, artiste lyrique, et M. le vicomte Raoul de Chagny. S'il faut en croire les potins de coulisses, le comte Philippe aurait juré que pour la première fois les Chagny ne tiendraient point leur promesse. Comme l'amour, à l'Opéra plus qu'ailleurs, est tout-puissant, on se demande de quels moyens peut bien disposer le comte Philippe pour empêcher le vicomte, son frère, de conduire à l'autel la Marguerite nouvelle. On dit que les deux frères s'adorent, mais le comte s'abuse étrangement s'il espère que l'amour fraternel le cédera à l'amour tout court!»

Le comte (triste).—Tu vois, Raoul, tu nous rends ridicules!... Cette petite t'a complètement tourné la tête avec ses histoires de revenant.

(Le vicomte avait donc rapporté le récit de Christine à son frère.)

Le vicomte.—Adieu, mon frère!

Le comte.—C'est bien entendu? Tu pars ce soir? (Le vicomte ne répond pas.)... avec elle?... Tu ne feras pas une pareille bêtise? (Silence du vicomte.) Je saurai bien t'en empêcher!

Le vicomte.—Adieu, mon frère!

(Il s'en va.)

Cette scène a été racontée au juge d'instruction par le comte lui-même, qui ne devait plus revoir son frère Raoul que le soir même, à l'Opéra, quelques minutes avant la disparition de Christine.

Toute la journée en effet fut consacrée par Raoul aux préparatifs d'enlèvement.

Les chevaux, la voiture, le cocher, les provisions, les bagages, l'argent nécessaire, l'itinéraire,—on ne devait pas prendre le chemin de fer pour dérouter le fantôme,—tout cela l'occupa jusqu'à neuf heures du soir.

À neuf heures, une sorte de berline dont les rideaux étaient tirés sur les portières hermétiquement closes vint prendre la file du côté de la Rotonde. Elle était attelée à deux vigoureux chevaux et conduite par un cocher dont il était difficile de distinguer la figure, tant celle-ci était emmitouflée dans les longs plis d'un cache-nez. Devant cette berline se trouvaient trois voitures. L'instruction établit plus tard que c'étaient les coupés de la Carlotta, revenue soudain à Paris, de la Sorelli, et en tête, du comte Philippe de Chagny. De la berline, nul ne descendit. Le cocher resta sur son siège. Les trois autres cochers étaient restés également sur le leur.

Une ombre, enveloppée d'un grand manteau noir, et coiffée d'un chapeau de feutre mou noir, passa sur le trottoir entre la Rotonde et les équipages. Elle semblait considérer plus attentivement la berline. Elle s'approcha des chevaux, puis du cocher, puis l'ombre s'éloigna sans avoir prononcé un mot. L'instruction crut plus tard que cette ombre était celle du vicomte Raoul de Chagny; quant à moi, je ne le crois pas, attendu que ce soir-là comme les autres soirs, le vicomte de Chagny avait un chapeau haute forme qu'on a, du reste, retrouvé. Je pense plutôt que cette ombre était celle du fantôme qui était au courant de tout comme on va le voir tout de suite.

On jouait Faust, comme par hasard. La salle était des plus brillantes. Le faubourg était magnifiquement représenté. À cette époque, les abonnés ne cédaient point, ne louaient ni ne sous-louaient, ni ne partageaient leurs loges avec la finance ou le commerce ou l'étranger. Aujourd'hui, dans la loge du marquis un tel qui conserve toujours ce titre: loge du marquis un tel, puisque le marquis en est, de par contrat, titulaire, dans cette loge, disons-nous, se prélasse tel marchand de porc salé et sa famille,—ce qui est le droit du marchand de porc puisqu'il paie la loge du marquis.—Autrefois, ces mœurs étaient à peu près inconnues. Les loges d'Opéra étaient des salons ou l'on était à peu près sûr de rencontrer ou de voir des gens du monde qui, quelquefois, aimaient la musique.

Toute cette belle compagnie se connaissait, sans pour cela se fréquenter nécessairement. Mais on mettait tous les noms sur les visages et la physionomie du comte de Chagny n'était ignorée de personne.

L'écho paru le matin dans l'Époque avait dû déjà produire son petit effet, car tous les yeux étaient tournés vers la loge où le comte Philippe, d'apparence fort indifférente et de mine insouciante, se trouvait tout seul. L'élément féminin de cette éclatante assemblée paraissait singulièrement intrigué et l'absence du vicomte donnait lieu à cent chuchotements derrière les éventails. Christine Daaé fut accueillie assez froidement. Ce public spécial ne lui pardonnait point d'avoir regardé si haut.

La diva se rendit compte de la mauvaise disposition d'une partie de la salle, et en fut troublée.

Les habitués, qui se prétendaient au courant des amours du vicomte, ne se privèrent pas de sourire à certains passages du rôle de Marguerite. C'est ainsi qu'ils se retournèrent ostensiblement vers la loge de Philippe de Chagny quand Christine chanta la phrase: «Je voudrais bien savoir quel était ce jeune homme, si c'est un grand seigneur et comment il se nomme».

Le menton appuyé sur sa main, le comte ne semblait point prendre garde à ces manifestations. Il fixait la scène; mais la regardait-il? Il paraissait loin de tout...

De plus en plus, Christine perdait toute assurance. Elle tremblait. Elle allait à une catastrophe... Carolus Fonta se demanda si elle n'était pas souffrante, si elle pourrait tenir en scène jusqu'à la fin de l'acte qui était celui du jardin. Dans la salle, on se rappelait le malheur arrivé, à la fin de cet acte, à la Carlotta, et le ce couac» historique qui avait momentanément suspendu sa carrière à Paris.

Justement, la Carlotta fit alors son entrée dans une loge de face, entrée sensationnelle. La pauvre Christine leva les yeux vers ce nouveau sujet d'émoi. Elle reconnut sa rivale. Elle crut la voir ricaner. Ceci la sauva. Elle oublia tout, pour une fois de plus, triompher.

À partir de ce moment, elle chanta de toute son âme. Elle essaya de surpasser tout ce qu'elle avait fait jusqu'alors et elle y parvint. Au dernier acte, quand elle commença d'invoquer les anges et de se soulever de terre, elle entraîna dans une nouvelle envolée toute la salle frémissante, et chacun put croire qu'il avait des ailes.

À cet appel surhumain, au centre de l'amphithéâtre, un homme s'était levé et restait debout, face à l'actrice, comme si d'un même mouvement il quittait la terre... C'était Raoul:

Anges purs! Anges radieux! Anges purs! Anges radieux!

Et Christine, les bras tendus, la gorge embrasée, enveloppée dans la gloire de sa chevelure dénouée sur ses épaules nues, jetait la clameur divine:

Portez mon âme au sein des deux!

 

***

 

C'est alors que, tout à coup, une brusque obscurité se fit sur le théâtre. Cela fut si rapide que les spectateurs eurent à peine le temps de pousser un cri de stupeur, car la lumière éclaira la scène à nouveau.

... Mais Christine Daaé n'y était plus!... Qu'était-elle devenue?... Quel était ce miracle?... Chacun se regardait sans comprendre et l'émotion fut tout de suite à son comble. L'émoi n'était pas moindre sur le plateau et dans la salle. Des coulisses on se précipitait vers l'endroit où, à l'instant même, Christine chantait. Le spectacle était interrompu au milieu du plus grand désordre.

Où donc? où donc était passée Christine? Quel sortilège l'avait ravie à des milliers de spectateurs enthousiastes et dans les bras mêmes de Carolus Fonta? En vérité, on pouvait se demander si, exauçant sa prière enflammée, les anges ne l'avaient point réellement emportée «au sein des cieux» corps et âme?...

Raoul, toujours debout à l'amphithéâtre, avait poussé un cri. Le comte Philippe s'était dressé dans sa loge. On regardait la scène, on regardait le comte, on regardait Raoul, et l'on se demandait si ce curieux événement n'avait point affaire avec l'écho paru le matin même dans un journal. Mais Raoul quitta hâtivement sa place, le comte disparut de sa loge, et, pendant que l'on baissait le rideau, les abonnés se précipitèrent vers l'entrée des coulisses. Le public attendait une annonce dans un brouhaha indescriptible. Tout le monde parlait à la fois. Chacun prétendait expliquer comment les choses s'étaient passées. Les uns disaient: «Elle est tombée dans une trappe»; les autres: «Elle a été enlevée dans les frises; la malheureuse est peut-être victime d'un nouveau truc inauguré par la nouvelle direction»; d'autres encore: «C'est un guet-apens. La coïncidence de la disparition et de l'obscurité le prouve suffisamment.»

Enfin le rideau se leva lentement, et Carolus Fonta s'avançant jusqu'au pupitre du chef d'orchestre, annonça d'une voix grave et triste:

«Mesdames et messieurs, un événement inouï et qui nous laisse dans une profonde inquiétude vient de se produire. Notre camarade, Christine Daaé, a disparu sous nos yeux sans que l'on puisse savoir comment!»

 

 

XV - SINGULIÈRE ATTITUDE D'UNE ÉPINGLE DE NOURRICE

Sur le plateau, c'est une cohue sans nom. Artistes, machinistes, danseuses, marcheuses, figurants, choristes, abonnés, tout le monde interroge, crie, se bouscule.—«Qu'est-elle devenue?»—«Elle s'est fait enlever!»—C'est le vicomte de Chagny qui l'a emportée!»—«Non, c'est le comte!»—«Ah! voilà Carlotta! c'est Carlotta qui a fait le coup!»—Non! c'est le fantôme!»

Et quelques-uns rient, surtout depuis que l'examen attentif des trappes et planchers a fait repousser l'idée d'un accident.

Dans cette foule bruyante, on remarque un groupe de trois personnages qui s'entretiennent à voix basse avec des gestes désespérés. C'est Gabriel, le maître de chant; Mercier, l'administrateur, et le secrétaire Rémy. Ils se sont retirés dans l'angle d'un tambour qui fait communiquer la scène avec le large couloir du foyer de la danse. Là, derrière d'énormes accessoires, ils parlementent:

—J'ai frappé! Ils n'ont pas répondu! Ils ne sont peut-être plus dans le bureau. En tout cas, il est impossible de le savoir, car ils ont emporté les clefs.

Ainsi s'exprime le secrétaire Rémy et il n'est point douteux qu'il ne désigne par ces paroles MM. les directeurs. Ceux-ci ont donné l'ordre au dernier entr'acte de ne venir les déranger sous aucun prétexte, «Ils n'y sont pour personne.»

—Tout de même, s'exclame Gabriel... on n'enlève pas une chanteuse, en pleine scène, tous les jours!...

—Leur avez-vous crié cela? interroge Mercier.

—J'y retourne, fait Rémy, et, courant, il disparaît.

Là-dessus, le régisseur arrive.

—Eh bien? monsieur Mercier, venez-vous? Que faites-vous ici tous les deux? On a besoin de vous, monsieur l'administrateur.

—Je ne veux rien faire ni rien savoir avant l'arrivée du commissaire, déclare Mercier! J'ai envoyé chercher Mifroid. Nous verrons quand il sera là!

—Et moi je vous dis qu'il faut descendre tout de suite au jeu d'orgue.

—Pas avant l'arrivée du commissaire...

—Moi, j'y suis déjà descendu au jeu d'orgue.

—Ah! et qu'est-ce que vous avez vu?

—Eh bien! je n'ai vu personne! Entendez-vous bien, personne!

—Qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse?

—Évidemment, réplique le régisseur, qui se passe avec frénésie les mains dans une toison rebelle. Évidemment! Mais peut-être que s'il y avait quelqu'un au jeu d'orgue, ce quelqu'un pourrait nous expliquer comment l'obscurité a été faite tout à coup sur la scène. Or, Mauclair n'est nulle part, comprenez-vous?

Mauclair était le chef d'éclairage qui dispensait à volonté sur la scène de l'Opéra, le jour et la nuit.

—Mauclair n'est nulle part, répète Mercier ébranlé. Eh bien! et ses aides?

—Ni Mauclair ni ses aides! Personne à l'éclairage, je vous dis! Vous pensez bien, hurle le régisseur, que cette petite ne s'est pas enlevée toute seule! Il y avait là «un coup monté» qu'il faut savoir... Et les directeurs qui ne sont pas là?... J'ai défendu qu'on descende à l'éclairage, j'ai mis un pompier devant la niche du jeu d'orgue! J'ai pas bien fait?

—Si, si, vous avez bien fait... Et maintenant attendons le commissaire.

Le régisseur s'éloigne en haussant les épaules, rageur, mâchant des injures à l'adresse de ces «poules mouillées» qui restent tranquillement blotties dans un coin quand tout le théâtre est «sens dessus dessous».

Tranquilles, Gabriel et Mercier ne l'étaient guère. Seulement, ils avaient reçu une consigne qui les paralysait. On ne devait déranger les directeurs pour aucune raison au monde. Rémy avait enfreint cette consigne et cela ne lui avait point réussi.

Justement, le voici qui revient de sa nouvelle expédition. Sa mine est curieusement effarée.

—Eh bien! vous leur avez parlé? interroge Mercier?

Rémy répond:

—Moncharmin a fini par m'ouvrir la porte. Les yeux lui sortaient de la tête. J'ai cru qu'il allait me frapper. Je n'ai pas pu placer un mot, et savez-vous ce qu'il m'a crié? «Avez-vous une épingle de nourrice?»—Non!—«Eh bien! fichez-moi la paix!...» Je veux lui répliquer qu'il se passe au théâtre un événement inouï... Il clame: «Une épingle de nourrice? Donnez-moi tout de suite une épingle de nourrice!» Un garçon de bureau qui l'avait entendu—il criait comme un sourd—accourt avec une épingle de nourrice, la lui donne et aussitôt, Moncharmin me ferme la porte au nez! Et voilà!

—Et vous n'avez pas pu lui dire: Christine Daaé...

—Eh! j'aurais voulu vous y voir!... Il écumait... Il ne pensait qu'à son épingle de nourrice... Je crois que, si on ne la lui avait pas apportée sur-le-champ, il serait tombé d'une attaque! Certainement, tout ceci n'est pas naturel et nos directeurs sont en train de devenir fous!...

M. le secrétaire Rémy n'est pas content. Il le fait voir.

—Ça ne peut pas durer comme ça! Je n'ai pas l'habitude d'être traité de la sorte!

Tout à coup Gabriel souffle:

—C'est encore un coup de F. de l'O.

Rémy ricane. Mercier soupire, semble prêt à lâcher une confidence... mais ayant regardé Gabriel qui lui fait signe de se taire, il reste muet.

Cependant, Mercier, qui sent sa responsabilité grandir au fur et à mesure que les minutes, s'écoulent et que les directeurs ne se montrent pas, n'y tient plus:

—Eh! je cours moi-même les relancer, décide-t-il.

Gabriel, subitement très sombre et très grave, l'arrête.

—Pensez à ce que vous faites, Mercier!—S'ils restent dans leur bureau, c'est que, peut-être, c'est nécessaire! F. de l'O a plus d'un tour dans son sac!

Mais Mercier secoue la tête.

—Tant pis! J'y vais! Si on m'avait écouté, il y aurait beau temps qu'on aurait tout dit à la police!

Et il part.

—Tout quoi? demande aussitôt Rémy. Qu'est-ce qu'on aurait dit à la police? Ah! vous vous taisez, Gabriel!... Vous aussi, vous êtes dans la confidence! Eh bien! vous ne feriez pas mal de m'y mettre si vous voulez que je ne crie point que vous devenez tous fous!... Oui, fous, en vérité!

Gabriel roule des yeux stupides et affecte de ne rien comprendre à cette «sortie» inconvenante de M. le secrétaire particulier.

—Quelle confidence? murmure-t-il. Je ne sais ce que vous voulez dire.

Rémy s'exaspère.

—Ce soir Richard et Moncharmin, ici-même, dans les entr'actes, avaient des gestes d'aliénés.

—Je n'ai pas remarqué, grogne Gabriel, très ennuyé.

—Vous êtes le seul!... Est-ce que vous croyez que je ne les ai pas vus?... Et que M. Parabise, le directeur du Crédit Central, ne s'est aperçu de rien?... Et que M. l'ambassadeur de la Borderie a les yeux dans sa poche?... Mais, monsieur le maître de chant, tous les abonnés se les montraient du doigt, nos directeurs!

—Qu'est-ce qu'ils ont donc fait, nos directeurs? demande Gabriel de son air le plus niais.

—Ce qu'ils ont fait? Mais vous le savez mieux que personne ce qu'ils ont fait!... Vous étiez là!... Et vous les observiez, vous et Mercier!... Et vous étiez les seuls à ne pas rire...

—Je ne comprends pas!

Très froid, très «renfermé», Gabriel étend les bras et les laisse retomber, geste qui signifie évidemment qu'il se désintéresse de la question... Rémy continue.

—Qu'est-ce que c'est que cette nouvelle manie?... Ils ne veulent plus qu'on les approche maintenant?

—Comment? Ils ne veulent plus qu'on les approche?

—Ils ne veulent plus qu'on les touche?

—Vraiment, vous avez remarqué qu'ils ne veulent pas qu'on les touche? Voilà qui est certainement, bizarre!

—Vous l'accordez! Ce n'est pas trop tôt! Et ils marchent à reculons!

—À reculons! Vous avez remarqué que nos directeurs marchent à reculons! Je croyais qu'il n'y avait que les écrevisses qui marchaient à reculons.

—Ne riez pas, Gabriel! Ne riez pas!

—Je ne ris pas, proteste Gabriel, qui se manifeste sérieux «comme un pape».

—Pourriez-vous m'expliquer, je vous prie, Gabriel, vous qui êtes l'ami intime de la direction, pourquoi à l'entr'acte du «jardin», devant le foyer, alors que je m'avançais la main tendue vers M. Richard, j'ai entendu M. Moncharmin me dire précipitamment à voix basse: «Éloignez-vous! Éloignez-vous! Surtout ne touchez pas à M. le directeur?...» Suis-je un pestiféré?

—Incroyable!

—Et quelques instants plus tard, quand M. l'ambassadeur de La Borderie s'est dirigé à son tour vers M. Richard, n'avez-vous pas vu M. Moncharmin se jeter entre eux et ne l'avez-vous pas entendu s'écrier: «Monsieur l'ambassadeur, je vous en conjure, ne touchez pas à M. le directeur!»

—Effarant!... Et qu'est-ce que faisait Richard pendant ce temps-là?

—Ce qu'il faisait? Vous l'avez bien vu! Il faisait demi-tour, saluait devant lui, alors qu'il n'y avait personne devant lui! et se retirait «à reculons».

—À reculons?

—Et Moncharmin, derrière Richard, avait fait, lui aussi, demi-tour, c'est-à-dire qu'il avait accompli derrière Richard un rapide demi-cercle, et lui aussi se retirait «à reculons»!... Et ils s'en sont allés comme ça jusqu'à l'escalier de l'administration, à reculons!... à reculons!... Enfin! s'ils ne sont pas fous, m'expliquerez-vous ce que ça veut dire?

—Ils répétaient peut-être, indique Gabriel, sans conviction, une figure de ballet!

M. le secrétaire Rémy se sent outragé par une aussi vulgaire plaisanterie dans un moment aussi dramatique Ses yeux se froncent, ses lèvres se pincent. Il se penche à l'oreille de Gabriel.

—Ne faites pas le malin, Gabriel. Il se passe des choses ici dont Mercier et vous pourriez prendre votre part de responsabilité.

—Quoi donc? interroge Gabriel.

—Christine Daaé n'est point la seule qui ait disparu tout à coup, ce soir.

—Ah! bah!

—Il n'y a pas de «ah! bah!» Pourriez-vous me dire pourquoi, lorsque la mère Giry est descendue tout à l'heure au foyer, Mercier l'a prise par la main et l'a emmenée dare dare avec lui?

—Tiens! fait Gabriel, je n'ai pas remarqué.

—Vous l'avez si bien remarqué, Gabriel, que vous avez suivi Mercier et la mère Giry, jusqu'au bureau de Mercier. Depuis ce moment, on vous a vu, vous et Mercier, mais on n'a plus revu la mère Giry...

—Croyez-vous donc que nous l'avons mangée?

—Non! mais vous l'avez enfermée à double tour dans le bureau, et, quand on passe près de la porte du bureau, savez-vous ce qu'on entend? On entend ces mots: «Ah! les bandits! Ah! les bandits!

À ce moment de cette singulière conversation arrive Mercier, tout essoufflé.

—Voilà! fait-il d'une voix morne... C'est plus fort que tout!... Je leur ai crié: «C'est très grave! Ouvrez! C'est moi, Mercier.» J'ai entendu des pas. La porte s'est ouverte et Moncharmin est apparu. Il était très pâle. Il me demanda: «Qu'est-ce que vous voulez?» Je lui ai répliqué: «On a enlevé Christine Daaé.» Savez-vous ce qu'il m'a répondu? «Tant mieux pour elle!» Et il a refermé la porte en me déposant ceci dans la main.

Mercier ouvre la main; Rémy et Gabriel regardent. L'épingle de nourrice! s'écrie Rémy.

—Étrange! Étrange! prononce tout bas Gabriel qui ne peut se retenir de frissonner.

Soudain une voix les fait se retourner tous les trois.

—Pardon messieurs, pourriez-vous me dire où est Christine Daaé?

Malgré la gravité des circonstances, une telle question les eût sans doute fait éclater de rire s'ils n'avaient aperçu une figure si douloureuse qu'ils en eurent pitié tout de suite. C'était le vicomte Raoul de Chagny.

Saturday, 24 June 2023

Good Reading; "Perché pur d’ora in ora mi lusinga" by Michelangelo Buonarroti (in Italian)

   Perché pur d’ora in ora mi lusinga
la memoria degli occhi e la speranza,
per cui non sol son vivo, ma beato;
la forza e la ragion par che ne stringa,
Amor, natura e la mie ’ntica usanza,

mirarvi tutto il tempo che m’è dato.
E s’i’ cangiassi stato,
vivendo in questo, in quell’altro morrei;
né pietà troverei
ove non fussin quegli.

O Dio, e’ son pur begli!
Chi non ne vive non è nato ancora;
e se verrà dipoi,
a dirlo qui tra noi,
forz’è che, nato, di subito mora;
ché chi non s’innamora
de’ begli occhi, non vive.

Friday, 23 June 2023

Friday's Sung Word: "Sinhá Ritinha" by Noel Rosa (in Portuguese)

No mês de maio,
Nos tempos da ladainha,
Foi que eu vi Sinhá Ritinha
Sobrinha de Nhô Vigário.
Pra Zé Sampaio
Ela olhou desconfiada
Tava tão encabulada
Que caiu o seu rosário.

Ele apanhou
O rosário da cabôca
Mas a coragem era pouca
Pra falá com a mulé
Depois pensou
E pra não perder a vaza
Guardou o rosário em casa
Pra dá quando Deus quisé.

Já fez dois anos
Que ele não vai à capela
Mas leva o rosário dela
Pro todo logá que fô
Não foi engano
O que disse toda a gente
Que a sodade de repente
Tinha virado em amô

E o Zé Sampaio
Foi-se embora lá pro Norte
Pois teve a pió das sorte
Que se pode imaginá
No mês de maio
Quando vortô à capela
Pra entregá o rosário dela
Ela não quis aceitá.

 

You can listen  "Sinhá Ritinha" sung by Paulo Neto de Freitas here.

Thursday, 22 June 2023

Thursday's Serial: “The Story of the Other Wise Man” by Henry van Dyke (in English) - I

 

PREFACE

It is now some years since this little story was set afloat on the sea of books. It is not a man-of-war, nor even a high-sided merchantman; only a small, peaceful sailing-vessel. Yet it has had rather an adventurous voyage. Twice it has fallen into the hands of pirates. The tides have carried it to far countries. It has been passed through the translator’s port of entry into German, French, Armenian, Turkish, and perhaps some other foreign regions. Once I caught sight of it flying the outlandish flag of a brand-new phonetic language along the coasts of France; and once it was claimed by a dealer in antiquities as a long-lost legend of the Orient. Best of all, it has slipped quietly into many a far-away harbor that I have never seen, and found a kindly welcome, and brought back messages of good cheer from unknown friends.

Now it has turned home to be new-rigged and fitted for further voyaging. Before it is sent out again I have been asked to tell where the story came from and what it means.

I do not know where it came from—out of the air, perhaps. One thing is certain, it is not written in any other book, nor is it to be found among the ancient lore of the East. And yet I have never felt as if it were my own. It was a gift. It was sent to me; and it seemed as if I knew the Giver, though His name was not spoken.

The year had been full of sickness and sorrow. Every day brought trouble. Every night was tormented with pain. They are very long—those nights when one lies awake, and hears the laboring heart pumping wearily at its task, and watches for the morning, not knowing whether it will ever dawn. They are not nights of fear; for the thought of death grows strangely familiar when you have lived with it for a year. Besides, after a time you come to feel like a soldier who has been long standing still under fire; any change would be a relief. But they are lonely nights; they are very heavy nights. And their heaviest burden is this:

You must face the thought that your work in the world may be almost ended, but you know that it is not nearly finished.

You have not solved the problems that perplexed you. You have not reached the goal that you aimed at. You have not accomplished the great task that you set for yourself. You are still on the way; and perhaps your journey must end now,—nowhere,—in the dark.

Well, it was in one of these long lonely nights that this story came to me. I had studied and loved the curious tales of the Three Wise Men of the East as they are told in the “Golden Legend” of Jacobus de Voragine and other medieval books. But of the Fourth Wise Man I had never heard until that night. Then I saw him distinctly, moving through the shadows in a little circle of light. His countenance was as clear as the memory of my father’s face as I saw it for the last time a few months before. The narrative of his journeyings and trials and disappointments ran without a break. Even certain sentences came to me complete and unforgetable, clear-cut like a cameo. All that I had to do was to follow Artaban, step by step, as the tale went on, from the beginning to the end of his pilgrimage.

Perhaps this may explain some things in the story. I have been asked many times why I made the Fourth Wise Man tell a lie, in the cottage at Bethlehem, to save the little child’s life.

I did not make him tell a lie.

What Artaban said to the soldiers he said for himself, because he could not help it. Is a lie ever justifiable? Perhaps not. But may it not sometimes seem inevitable?

And if it were a sin, might not a man confess it, and be pardoned for it more easily than for the greater sin of spiritual selfishness, or indifference, or the betrayal of innocent blood? That is what I saw Artaban do. That is what I heard him say. All through his life he was trying to do the best that he could. It was not perfect. But there are some kinds of failure that are better than success.

Though the story of the Fourth Wise Man came to me suddenly and without labor, there was a great deal of study and toil to be done before it could be written down. An idea arrives without effort; a form can only be wrought out by patient labor. If your story is worth telling, you ought to love it enough to be willing to work over it until it is true—true not only to the ideal, but true also to the real. The light is a gift; but the local color can only be seen by one who looks for it long and steadily. Artaban went with me while I toiled through a score of volumes of ancient history and travel. I saw his figure while I journeyed on the motionless sea of the desert and in the strange cities of the East.

And now that his story is told, what does it mean?

How can I tell? What does life mean? If the meaning could be put into a sentence there would be no need of telling the story.

 

Henry van Dyke.