Friday 8 July 2016

“Le Prince Chéri” by Jeanne Marie Leprince de Beaumont (in French)



            Il y avait une fois un roi, qui était si honnête homme, que ses sujets l’appelaient le Roi bon. Un jour qu’il était à la chasse, un petit lapin blanc, que les chiens allaient tuer, se jeta dans ses bras. Le roi caressa ce petit lapin, et dit:
            «Puisqu’il s’est mis sous ma protection, je ne veux pas qu’on lui fasse du mal.»
            Il porta ce petit lapin dans son palais, et il lui fit donner une jolie petite maison, et de bonnes herbes à manger. La nuit, quand il fut seul dans sa chambre, il vit paraître une belle dame: elle n’avait point d’habits d’or, et d’argent; mais sa robe était blanche comme la neige; et au lieu de coiffure, elle avait une couronne de roses blanches sur sa tête. Le bon roi fut bien étonné de voir cette dame; car sa porte était fermée, et il ne savait pas comment elle était entrée. Elle lui dit:
            «Je suis la fée Candide; je passais dans le bois pendant que vous chassiez; et j’ai voulu savoir si vous étiez bon, comme tout le monde le dit. Pour cela, j’ai pris la figure d’un petit lapin, et je me suis sauvée dans vos bras; car je sais que ceux qui ont de la pitié pour les bêtes, en ont encore plus pour les hommes; et si vous m’aviez refusé votre secours, j’aurais cru que vous étiez méchant. Je viens vous remercier du bien que vous m’avez fait; et vous assurer que je serai toujours de vos amies. Vous n’avez qu’à me demander tout ce que vous voudrez, je vous promets de vous l’accorder.
            — Madame, dit le bon roi, puisque vous êtes une fée, vous devez savoir tout ce que je souhaite. Je n’ai qu’un fils, que j’aime beaucoup, et pour cela, on l’a nommé le prince Chéri: si vous avez quelque bonté pour moi, devenez la bonne amie de mon fils.
            — De bon cœur, lui dit la fée; je puis rendre votre fils le plus beau prince du monde, ou le plus riche, ou le plus puissant; choisissez ce que vous voudrez pour lui.
            — Je ne désire rien de tout cela pour mon fils, répondit le bon roi; mais je vous serai bien obligé, si vous voulez le rendre le meilleur de tous les princes. Que lui servirait-il d’être beau, riche, d’avoir tous les royaumes du monde, s’il était méchant? Vous savez bien qu’il serait malheureux, et qu’il n’y a que la vertu qui puisse le rendre content.
            — Vous avez raison, lui dit Candide; mais il n’est pas en mon pouvoir de rendre le prince Chéri honnête homme malgré lui: il faut qu’il travaille lui-même à devenir vertueux. Tout ce que je puis vous promettre, c’est de lui donner de bons conseils, de le reprendre de ses fautes, et de le punir, s’il ne veut pas se corriger et se punir lui-même.»
            Le bon roi fut fort content de cette promesse, et il mourut peu de temps après. Le prince Chéri pleura beaucoup son père, car il l’aimait de tout son cœur, et il aurait donné tous ses royaumes, son or, et son argent pour le sauver: mais cela n’était pas possible. Deux jours après la mort du bon roi, Chéri étant couché, Candide lui apparut.
            «J’ai promis à votre père, lui dit-elle, d’être de vos amies, et pour tenir ma parole, je viens vous faire un présent» .
            En même temps elle mit au doigt de Chéri une petite bague d’or, et lui dit:
            «Gardez bien cette bague, elle est plus précieuse que les diamants; toutes les fois que vous ferez une mauvaise action, elle vous piquera le doigt mais si, malgré sa piqûre, vous continuez cette mauvaise action, vous perdrez mon amitié, et je deviendrai votre ennemie.»
            En finissant ces paroles, Candide disparut, et laissa Chéri fort étonné. Il fut quelque temps si sage, que la bague ne le piquait point du tout; et cela le rendait si content, qu’on ajouta au nom de Chéri qu’il portait, celui d’Heureux. Quelque temps après, il fut à la chasse, et il ne prit rien, ce qui le mit de mauvaise humeur: il lui sembla alors que sa bague lui pressait un peu le doigt; mais comme elle ne le piquait pas, il n’y fit pas beaucoup attention. En rentrant dans sa chambre, sa petite chienne Bibi vint à lui en sautant pour le caresser, il lui dit:
            «Retire-toi; je ne suis plus d’humeur de recevoir tes caresses.»
            La pauvre petite chienne, qui ne l’entendait pas, le tirait par son habit pour l’obliger à la regarder au moins. Cela impatienta Chéri, qui lui donna un grand coup de pied. Dans le moment la bague le piqua, comme si c’eût été une épingle: il fut bien étonné, et s’assit tout honteux dans un coin de sa chambre. Il disait en lui-même, je crois que la fée se moque de moi; quel grand mal ai-je fait pour donner un coup de pied à un animal qui m’importune? À quoi me sert d’être maître d’un grand empire, puisque je n’ai pas la liberté de battre mon chien?
            «Je ne me moque pas de vous, dit une voix, qui répondait à la pensée de Chéri, vous avez fait trois fautes, au lieu d’une. Vous avez été de mauvaise humeur, parce que vous n’aimez pas à être contredit, et que vous croyez que les bêtes et les hommes sont faits pour obéir. Vous vous êtes mis en colère, ce qui est fort mal: et puis, vous avez été cruel à un pauvre animal qui ne méritait pas d’être maltraité. Je sais que vous êtes beaucoup au-dessus d’un chien; mais si c’était une chose raisonnable et permise, que les grands pussent maltraiter tout ce qui est au-dessous d’eux, je pourrais à ce moment vous battre, vous tuer, puisqu’une fée est plus qu’un homme. L’avantage d’être maître d’un grand empire, ne consiste pas à pouvoir faire le mal qu’on veut, mais tout le bien qu’on peut.»
            Chéri avoua sa faute, et promit de se corriger mais il ne tint pas sa parole. Il avait été élevé par une sotte nourrice qui l’avait gâté quand il était petit. S’il voulait avoir une chose, il n’avait qu’à pleurer, se dépiter, frapper du pied; cette femme lui donnait tout ce qu’il demandait, et cela l’avait rendu opiniâtre. Elle lui disait aussi, depuis le matin jusqu’au soir, qu’il serait roi un jour, et que les rois étaient fort heureux, parce que tous les hommes devaient leur obéir, les respecter, et qu’on ne pouvait pas les empêcher de faire ce qu’ils voulaient. Quand Chéri avait été grand garçon, et raisonnable, il avait bien connu, qu’il n’y avait rien de si vilain que d’être fier, orgueilleux, opiniâtre. Il avait fait quelques efforts pour se corriger ; mais il avait pris la mauvaise habitude de tous ces défauts; et une mauvaise habitude est bien difficile à détruire. Ce n’est pas qu’il eût naturellement le cœur méchant. Il pleurait de dépit quand il avait fait une faute, et il disait, «je suis bien malheureux d’avoir à combattre tous les jours contre ma colère et mon orgueil: si on m’avait corrigé quand j’étais jeune, je n’aurais pas tant de peine aujourd’hui». Sa bague le piquait bien souvent, quelquefois il s’arrêtait tout court; d’autres fois, il continuait, et ce qu’il y avait de singulier, c’est qu’elle ne le piquait qu’un peu pour une légère faute; mais quand il était méchant, le sang sortait de son doigt. À la fin cela l’impatienta, et voulant être mauvais tout à son aise, il jeta sa bague. Il se crut le plus heureux de tous les hommes, quand il se fut débarrassé de ses piqûres. Il s’abandonna à toutes les sottises qui lui venaient à l’esprit, en sorte qu’il devint très méchant, et que personne ne pouvait plus le souffrir.
            Un jour que Chéri était à la promenade, il vit une fille qui était si belle, qu’il résolut de l’épouser. Elle se nommait Zélie, et elle était aussi sage que belle. Chéri crut que Zélie se croirait fort heureuse de devenir une grande reine ; mais, cette fille lui dit avec beaucoup de liberté:
            «Sire, je ne suis qu’une bergère, je n’ai point de fortune; mais, malgré cela, je ne vous épouserai jamais.
            — Est-ce que je vous déplais ? lui demanda Chéri, un peu ému.
            — Non, mon prince, lui répondit Zélie. Je vous trouve tel que vous êtes, c’est-à-dire, fort beau, mais que me serviraient votre beauté, vos richesses, les beaux habits, les carrosses magnifiques que vous me donneriez, si les mauvaises actions, que je vous verrais chaque jour, me forçaient à vous mépriser et à vous haïr.»
            Chéri se mit fort en colère contre Zélie, et commanda à ses officiers de la conduire de force dans son palais. Il fut occupé toute la journée du mépris que cette fille lui avait montré ; mais comme il l’aimait, il ne pouvait se résoudre à la maltraiter. Parmi les favoris de Chéri, il y avait son frère de lait, auquel il avait donné toute sa confiance: cet homme, qui avait les inclinations aussi basses que sa naissance, flattait les passions de son maître, et lui donnait de fort mauvais conseils. Comme il vit Chéri fort triste, il lui demanda le sujet de son chagrin: le prince lui ayant répondu qu’il ne pouvait souffrir le mépris de Zélie, et qu’il était résolu de se corriger de ses défauts, puisqu’il fallait être vertueux pour lui plaire, ce méchant homme lui dit:
            «Vous êtes bien bon, de vouloir vous gêner pour une petite fille, si j’étais à votre place, ajouta-t-il, je la forcerais bien à m’obéir. Souvenez-vous que vous êtes roi, et qu’il serait honteux de vous soumettre aux volontés d’une bergère, qui serait trop heureuse d’être reçue parmi vos esclaves. Faites-la jeûner au pain et à l’eau; mettez-la dans une prison, et si elle continue à ne vouloir pas vous épouser, faites-la mourir dans les tourments, pour apprendre aux autres à céder à vos volontés. Vous serez déshonoré si l’on sait qu’une simple fille vous résiste; et tous vos sujets oublieront qu’ils ne sont au monde que pour vous servir.
            — Mais, dit Chéri, ne serai-je pas déshonoré, si je fais mourir une innocente? Car, enfin, Zélie n’est coupable d’aucun crime.
            — On n’est point innocent, quand on refuse d’exécuter vos volontés, reprit le confident: mais je suppose que vous commettiez une injustice, il vaut bien mieux qu’on vous en accuse, que d’apprendre qu’il est quelquefois permis de vous manquer de respect, et de vous contredire.»
            Le courtisan prenait Chéri par son faible; et la crainte de voir diminuer son autorité, fit tant d’impression sur le roi, qu’il étouffa le bon mouvement qui lui avait donné envie de se corriger. Il résolut d’aller le soir même dans la chambre de la bergère, et de la maltraiter, si elle continuait à refuser de l’épouser. Le frère de lait de Chéri, qui craignait encore quelque bon mouvement, rassembla trois jeunes seigneurs, aussi méchants que lui, pour faire la débauche avec le roi, ils soupèrent ensemble, et ils eurent soin d’achever de troubler la raison de ce pauvre prince, en le faisant boire beaucoup. Pendant le souper ils excitèrent sa colère contre Zélie, et lui firent tant de honte de la faiblesse qu’il avait eue pour elle, qu’il se leva comme un furieux, en jurant qu’il allait la faire obéir, ou qu’il la ferait vendre le lendemain comme une esclave.
            Chéri étant entré dans la chambre où était cette fille, fut bien surpris de ne la pas trouver; car il avait la clef dans sa poche. Il était dans une colère épouvantable, et jurait de se venger sur tous ceux qu’il soupçonnerait d’avoir aidé Zélie à s’échapper. Ses confidents, l’entendant parler ainsi, résolurent de profiter de sa colère, pour perdre un seigneur, qui avait été gouverneur de Chéri. Cet honnête homme avait pris quelquefois la liberté d’avertir le roi de ses défauts, car il l’aimait, comme si c’eût été son fils. D’abord Chéri le remerciait; ensuite il s’impatienta d’être contredit, et puis il pensa que c’était par esprit de contradiction que son gouverneur lui trouvait des défauts, pendant que tout le monde lui donnait des louanges. Il lui commanda donc de se retirer de la cour; mais, malgré cet ordre, il disait de temps en temps que c’était un honnête homme, qu’il ne l’aimait plus, mais qu’il l’estimait, malgré lui-même. Les confidents craignaient toujours, qu’il ne prit fantaisie au roi de rappeler son gouverneur, et ils crurent avoir trouvé une occasion favorable pour se débarrasser de lui. Ils firent entendre au roi, que Suliman (c’était le nom de ce digne homme) s’était vanté de rentre la liberté à Zélie: trois hommes corrompus par des présents dirent qu’ils avaient ouï tenir ce discours à Suliman; et le prince, transporté de colère, commanda à son frère de lait, d’envoyer des soldats pour lui amener son gouverneur, enchaîné comme un criminel. Après avoir donné ces ordres, Chéri se retira dans sa chambre: mais, à peine fut-il entré, que la terre trembla; il fit un grand coup de tonnerre, et Candide parut à ses yeux.
            «J’avais promis à votre père, lui dit-elle, d’un ton sévère, de vous donner des conseils, et de vous punir, si vous refusiez de les suivre; vous les avez méprisés, ces conseils: vous n’avez conservé que la figure d’homme, et vos crimes vous ont changé en un monstre, l’horreur du ciel, et de la Terre. Il est temps que j’achève de satisfaire ma promesse, en vous punissant. Je vous condamne à devenir semblable aux bêtes, dont vous avez pris les inclinations. Vous vous êtes rendu semblable au lion, par la colère; au loup, par la gourmandise; au serpent, en déchirant celui qui avait été votre second père; au taureau, par votre brutalité. Portez dans votre nouvelle figure, le caractère de tous ces animaux.»
            À peine la fée avait-elle achevé ces paroles, que Chéri se vit avec horreur tel qu’elle l’avait souhaité. Il avait la tête d’un lion, les cornes d’un taureau, les pieds d’un loup, et la queue d’une vipère. En même temps, il se trouva dans une grande forêt, sur le bord d’une fontaine, où il vit son horrible figure, et il entendit une voix qui lui dit:
            «Regarde attentivement l’état où tu t’es réduit par tes crimes. Ton âme est devenue mille fois plus affreuse que ton corps.»
            Chéri reconnut la voix de Candide, et dans sa fureur, il se retourna, pour s’élancer sur elle, et la dévorer, s’il eût été possible; mais il ne vit personne, et la même voix lui dit:
            «Je me moque de ta faiblesse et de ta rage. Je vais confondre ton orgueil, en te mettant sous la puissance de tes propres sujets.»
            Chéri crut qu’en s’éloignant de cette fontaine, il trouverait du remède à ses maux, puisqu’il n’aurait point devant ses yeux sa laideur et sa difformité; il s’avançait donc dans le bois; mais à peine y eut-il fait quelques pas, qu’il tomba dans un trou, qu’on avait fait pour prendre les ours: en même temps, des chasseurs qui étaient cachés sur des arbres, descendirent, et l’ayant enchaîné, le conduisirent dans la ville capitale de son royaume. Pendant le chemin, au lieu de reconnaître qu’il s’était attiré ce châtiment par sa faute, il maudissait la fée, il mordait ses chaînes, et s’abandonnait à la rage. Lorsqu’il approcha de la ville, où on le conduisait, il vit de grandes réjouissances; et les chasseurs ayant demandé ce qui était arrivé de nouveau, on leur dit que le prince Chéri, qui ne se plaisait qu’à tourmenter son peuple, avait été écrasé dans sa chambre par un coup de tonnerre ; car on le croyait ainsi. «Les dieux, ajouta-t-on, n’ont pu supporter l’excès de ses méchancetés, ils en ont délivré la terre. Quatre seigneurs, complices de ses crimes, croyaient en profiter et partager son empire entre eux: mais, le peuple, qui savait que c’étaient leurs mauvais conseils qui avaient gâté le roi, les a mis en pièces, et a été offrir la couronne à Suliman, que le méchant Chéri voulait faire mourir. Ce digne Seigneur vient d’être couronné, et nous célébrons ce jour comme celui de la délivrance du royaume; car il est vertueux, et va ramener parmi nous la paix et l’abondance. » Chéri soupirait de rage en écoutant ce discours; mais ce fut bien pis, lorsqu’il arriva dans la grande place, qui était devant son palais. Il vit Suliman sur un trône superbe, et tout le peuple qui lui souhaitait une longue vie, pour réparer tous les maux qu’avait faits son prédécesseur. Suliman fit signe de la main pour demander silence, et il dit au peuple:
            «J’ai accepté la couronne que vous m’avez offerte, mais c’est pour la conserver au prince Chéri: il n’est point mort, comme vous le croyez, une fée me l’a révélé, et peut-être qu’un jour vous le reverrez vertueux, comme il était dans ses premières années. Hélas! continua-t-il, en versant des larmes, les flatteurs l’avaient séduit. Je connaissais son cœur, il était fait pour la vertu; et sans les discours empoisonnés de ceux qui l’approchaient, il eût été votre père à tous. Détestez ses vices; mais plaignez-le, et prions tous ensemble les dieux qu’ils nous le rendent: pour moi, je m’estimerais trop heureux d’arroser ce trône de mon sang, si je pouvais l’y voir remonter avec des dispositions propres à le lui faire remplir dignement.»
            Les paroles de Suliman allèrent jusqu’au cœur de Chéri. Il connut alors, combien l’attachement et la fidélité de cet homme avaient été sincères, et se reprocha ses crimes pour la première fois. À peine eut-il écouté ce bon mouvement, qu’il sentit calmer la rage dont il était animé: il réfléchit sur tous les crimes de sa vie, et trouva qu’il n’était pas puni aussi rigoureusement qu’il l’avait mérité. Il cessa donc de se débattre dans la cage de fer, où il était enchaîné, et devint doux comme un mouton. On le conduisit dans une grande maison, où l’on gardait tous les monstres et les bêtes féroces, et on l’attacha avec les autres.
            Chéri, alors, prit la résolution de commencer à réparer ses fautes, en se montrant bien obéissant à l’homme qui le gardait. Cet homme était un brutal, et quoique le monstre fût fort doux, quand il était de mauvaise humeur, il le battait sans rime, ni raison. Un jour que cet homme s’était endormi, un tigre, qui avait rompu sa chaîne, se jeta sur lui pour le dévorer : d’abord Chéri sentit un mouvement de joie, de voir qu’il allait être délivré de son persécuteur; mais aussitôt il condamna ce mouvement, et souhaita d’être libre.
            «Je rendrais, dit-il, le bien pour le mal, en sauvant la vie de ce malheureux.»
            À peine eut-il formé ce souhait, qu’il vit sa cage de fer ouverte: il s’élança aux côtés de cet homme, qui s’était réveillé, et qui se défendait contre le tigre. Le gardien se crut perdu, lorsqu’il vit le monstre, mais sa crainte fut bientôt changée en joie: ce monstre bienfaisant se jeta sur le tigre, l’étrangla, et se coucha ensuite aux pieds de celui qu’il venait de sauver. Cet homme, pénétré de reconnaissance, voulut se baisser pour caresser le monstre, qui lui avait rendu un si grand service mais il entendit une voix qui disait, une bonne action ne demeure point sans récompense, et en même temps il ne vit plus qu’un joli chien à ses pieds. Chéri, charmé de sa métamorphose, fit mille caresses à son gardien, qui le prit entre ses bras, et le porta au roi, auquel il raconta cette merveille. La reine voulut avoir le chien, et Chéri se fût trouvé heureux dans sa nouvelle condition, s’il eût pu oublier qu’il était homme et roi. La reine l’accablait de caresses; mais dans la peur qu’elle avait, qu’il ne devînt plus grand qu’il n’était, elle consulta ses médecins, qui lui dirent qu’il ne fallait le nourrir que de pain, et ne lui en donner qu’une certaine quantité. Le pauvre Chéri mourait de faim la moitié de la journée ; mais il fallait prendre patience.
            Un jour, qu’on venait de lui donner son petit pain pour déjeuner, il lui prit fantaisie d’aller le manger dans le jardin du palais; il le prit dans sa gueule et marcha vers un canal qu’il connaissait, et qui était un peu éloigné; mais il ne trouva plus ce canal, et vit à la place une grande maison, dont les dehors brillaient d’or et de pierreries. Il y voyait entrer une grande quantité d’hommes et de femmes, magnifiquement habillés; on chantait, on dansait dans cette maison, on y faisait bonne chère, mais tous ceux qui en sortaient, étaient pâles, maigres, couverts de plaies, et presque tous nus; car leurs habits étaient déchirés par lambeaux. Quelques-uns tombaient morts en sortant, sans avoir la force de se traîner plus loin; d’autres s’éloignaient avec beaucoup de peine; d’autres restaient couchés contre terre, mourant de faim; ils demandaient un morceau de pain à ceux qui entraient dans cette maison; mais ils ne les regardaient pas seulement. Chéri s’approcha d’une jeune fille, qui tâchait d’arracher des herbes pour les manger: touché de compassion, le prince dit en lui-même, j’ai bon appétit, mais je ne mourrai pas de faim jusqu’au temps de mon dîner; si je sacrifiais mon déjeuner à cette pauvre créature, peut-être lui sauverais-je la vie. Il résolut de suivre ce bon mouvement, et mit son pain dans la main de cette fille, qui le porta à sa bouche avec avidité. Elle parut bientôt entièrement remise, et Chéri, ravi de joie de l’avoir secourue si à propos, pensait à retourner au palais, lorsqu’il entendit de grands cris; c’était Zélie entre les mains de quatre hommes, qui l’entraînaient vers cette belle maison, où ils la forcèrent d’entrer. Chéri regretta alors sa figure de monstre, qui lui aurait donné les moyens de secourir Zélie; mais, faible chien, il ne put qu’aboyer contre ses ravisseurs, et s’efforça de les suivre. On le chassa à coups de pied, et il résolut de ne point quitter ce lieu, pour savoir ce que deviendrait Zélie. Il se reprochait les malheurs de cette belle fille. Hélas! disait-il en lui-même, je suis irrité contre ceux qui l’enlèvent; n’ai-je pas commis le même crime? Et si la justice des dieux n’avait prévenu mon attentat, ne l’aurais-je pas traitée avec autant d’indignité?
            Les réflexions de Chéri furent interrompues par un bruit qui se faisait au-dessus de sa tête. Il vit qu’on ouvrait une fenêtre, et sa joie fut extrême, lorsqu’il aperçut Zélie, qui jetait par cette fenêtre un plat plein de viandes si bien apprêtées, qu’elles donnaient appétit à voir. On referma la fenêtre aussitôt, et Chéri, qui n’avait pas mangé de toute la journée, crut qu’il devait profiter de l’occasion. Il allait donc manger de ces viandes, lorsque la jeune fille, à laquelle il avait donné son pain, jeta un cri, et l’ayant pris dans ses bras:
            «Pauvre petit animal, lui dit-elle, ne touche point à ces viandes, cette maison est le palais de la volupté, tout ce qui en sort est empoisonné.»
            En même temps, Chéri entendit une voix qui disait, «tu vois qu’une bonne action ne demeure point sans récompense»; et aussitôt il fut changé en un beau petit pigeon blanc. Il se souvint que cette couleur était celle de Candide, et commença à espérer qu’elle pourrait enfin lui rendre ses bonnes grâces. Il voulut d’abord s’approcher de Zélie, et s’étant élevé en l’air, il vola tout autour de la maison, et vit avec joie qu’il y avait une fenêtre ouverte: mais il eut beau parcourir toute la maison, il n’y trouva point Zélie, et désespéré de sa perte, il résolut de ne point s’arrêter, qu’il ne l’eût rencontrée. Il vola pendant plusieurs jours, et étant entré dans un désert, il vit une caverne, de laquelle il s’approcha, quelle fut sa joie! Zélie y était assise à côté d’un vénérable ermite, et prenait avec lui un frugal repas. Chéri, transporté, vola sur l’épaule de cette charmante bergère, et exprimait, par ses caresses, le plaisir qu’il avait de la voir. Zélie, charmée de la douceur de ce petit animal, le flattait doucement avec la main: et quoiqu’elle crût qu’il ne pouvait l’entendre, elle lui dit qu’elle acceptait le don qu’il lui faisait de lui-même, et qu’elle l’aimerait toujours.
            «Qu’avez-vous fait, Zélie? lui dit l’ermite, vous venez d’engager votre foi.
            — Oui, charmante bergère, lui dit Chéri, qui reprit à ce moment sa forme naturelle, la fin de ma métamorphose était attachée au consentement que vous donneriez à notre union. Vous m’avez promis de m’aimer toujours, confirmez mon bonheur, ou je vais conjurer la fée Candide, ma protectrice, de me rendre la figure, sous laquelle j’ai eu le bonheur de vous plaire.
            — Vous n’avez point à craindre son inconstance, lui dit Candide, qui, quittant la forme de l’ermite, sous laquelle elle s’était cachée, parut à leurs veux telle qu’elle était en effet. Zélie vous aima aussitôt qu’elle vous vit; mais vos vices la contraignirent à vous cacher le penchant que vous lui aviez inspiré. Le changement de votre cœur lui donne la liberté de se livrer à toute sa tendresse. Vous allez vivre heureux, puisque votre union sera fondée sur la vertu.»
            Chéri et Zélie s’étaient jetés aux pieds de Candide. Le prince ne pouvait se lasser de la remercier de ses bontés, et Zélie, enchantée d’apprendre que le prince détestait les égarements, lui confirmait l’aveu de sa tendresse.
            «Levez-vous, mes enfants, leur dit la fée, je vais vous transporter dans votre palais, pour rendre à Chéri une couronne, de laquelle ses vices l’avaient rendu indigne.»
            À peine eut-elle cessé de parler, qu’ils se trouvèrent dans la chambre de Suliman, qui charmé de revoir son cher maître, devenu vertueux, lui abandonna le trône et resta le plus fidèle de ses sujets. Chéri régna longtemps avec Zélie, et on dit qu’il s’appliqua tellement à ses devoirs, que la bague qu’il avait reprise, ne le piqua pas une seule fois jusqu’au sang.

Thursday 7 July 2016

Three Untitled Trovas by Almerinda Liporage (in Portuguese)



Criança desprotegida...
feita de nãos e de nadas,
é só rascunho da vida,
rabiscado nas calçadas.

***

Eu sinto, na indiferença
com que o tempo me consome,
que em seu Livro de Presença                        
a vida apagou meu nome.

***

Uma verdade evidente
não há texto que distorça:
-Ante a imagem contundente,
a palavra perde a força.

Wednesday 6 July 2016

“Skull-Face” chapters 5 and 6 by Robert E. Howard (in English)



Chapter 5. The Man on the Couch

"What dam of lances sent thee forth to jest at dawn with Death?"
  Kipling

At the expiration of two days, Hassim beckoned me as I stood in the opium room. I advanced with a springy, resilient tread, secure in the confidence that I had culled the Morley papers of all their worth. I was a new man; my mental swiftness and physical readiness surprized me--sometimes it seemed unnatural.
            Hassim eyed me through narrowed lids and motioned me to follow, as usual. As we crossed the room, my gaze fell upon a man who lay on a couch close to the wall, smoking opium. There was nothing at all suspicious about his ragged, unkempt clothes, his dirty, bearded face or the blank stare, but my eyes, sharpened to an abnormal point, seemed to sense a certain incongruity in the clean-cut limbs which not even the slouchy garments could efface.
            Hassim spoke impatiently and I turned away. We entered the rear room, and as he shut the door and turned to the table, it moved of itself and a figure bulked up through the hidden doorway. The Sikh, Ganra Singh, a lean sinister-eyed giant, emerged and proceeded to the door opening into the opium room, where he halted until we should have descended and closed the secret doorway.
            Again I stood amid the billowing yellow smoke and listened to the hidden voice.
            "Do you think you know enough about Major Morley to impersonate him successfully?"
            Startled, I answered, "No doubt I could, unless I met someone who  was intimate with him."
            "I will take care of that. Follow me closely. Tomorrow you sail on the first boat for Calais. There you will meet an agent of mine who will accost you the instant you step upon the wharfs, and give you further instructions. You will sail second class and avoid all conversation with strangers or anyone. Take the papers with you. The
agent will aid you in making up and your masquerade will start in Calais. That is all. Go!"
            I departed, my wonder growing. All this rigmarole evidently had a meaning, but one which I could not fathom. Back in the opium room Hassim bade me be seated on some cushions to await his return. To my question he snarled that he was going forth as he had been ordered, to buy me a ticket on the Channel boat. He departed and I sat down, leaning my back against the wall. As I  ruminated, it seemed suddenly that eyes were fixed on me so intensely as to disturb my sub-mind. I glanced up quickly but no one seemed to be looking at me. The smoke
drifted through the hot atmosphere as usual; Yussef Ali and the Chinese glided back and forth tending to the wants of the sleepers.
            Suddenly the door to the rear room opened and a strange and hideous figure came haltingly out. Not all of those who found entrance to Yun Shatu's back room were aristocrats and society members. This was one of the exceptions, and one whom I remembered as having often entered and emerged therefrom. A tall, gaunt figure, shapeless and ragged wrappings and nondescript garments, face entirely hidden. Better that the face be hidden, I thought, for without doubt the wrapping concealed a grisly sight. The man was a leper, who had somehow managed to escape the attention of the public guardians and who was occasionally seen haunting the lower and more mysterious regions of East End - a mystery even to the lowest denizens of Limehouse.
            Suddenly my supersensitive mind was aware of a swift tension in the air. The leper hobbled out the door, closed it behind him. My eyes instinctively sought the couch whereon lay the man who had aroused my suspicions earlier in the day. I could have sworn that cold steely eyes glared menacingly before they flickered shut. I crossed to the couch in one stride and bent over the prostrate man. Something about
his face seemed unnatural--a healthy bronze seemed to underlie the pallor of complexion.
            "Yun Shatu!" I shouted. "A spy is in the house!"
            Things happened then with bewildering speed. The man on the couch with one tigerish movement leaped erect and a revolver gleamed in his hand. One sinewy arm flung me aside as I sought to grapple with him and a sharp decisive voice sounded over the babble which broke forth.
            "You there! Halt! Halt!"
            The pistol in the stranger's hand was leveled at the leper, who was making for the door in long strides!
            All about was confusion; Yun Shatu was shrieking volubly in Chinese and the four China boys and Yussef Ali were rushing in from all sides, knives glittering in their hands.
            All this I saw with unnatural clearness even as I marked the stranger's face. As the fleeing leper gave no evidence of halting, I saw the eyes harden to steely points of determination, sighting along the pistol barrel--the features set with the grim purpose of the slayer. The leper was almost to the outer door, but death would strike him down ere he could reach it.
            And then, just as the finger of the stranger tightened on the trigger, I hurled myself forward and my right fist crashed against his chin. He went down as though struck by a trip-hammer, the revolver exploding harmlessly in the air.
            In that instant, with the blinding flare of light that sometimes comes to one, I knew that the leper was none other than the Man Behind the Screen!
            I bent over the fallen man, who though not entirely senseless had been rendered temporarily helpless by that terrific blow. He was struggling dazedly to rise but I shoved him roughly down again and seizing the false beard he wore, tore it away. A lean bronzed face was revealed, the strong lines of which not even the artificial dirt and grease-paint could alter.
            Yussef Ali leaned above him now, dagger in hand, eyes slits of murder. The brown sinewy hand went up - I caught the wrist.
            "Not so fast, you black devil! What are you about to do?"
            "This is John Gordon," he hissed, "the Master's greatest foe! He must die, curse you!"
            John Gordon! The name was familiar somehow, and yet I did not seem to connect it with the London police nor account for the man's presence in Yun Shatu's dope-joint. However, on one point I was determined.
            "You don't kill him, at any rate. Up with you!" This last to Gordon, who with my aid staggered up, still very dizzy.
            "That punch would have dropped a bull," I said in wonderment; "I didn't know I had it in me."
            The false leper had vanished. Yun Shatu stood gazing at me as immobile as an idol, hands in his wide sleeves, and Yussef Ali stood back, muttering murderously and thumbing his dagger edge, as I led Gordon out of the opium room and through the innocent-appearing bar which lay between that room and the street.
            Out in the street I said to him: "I have no idea as to who you are or what you are doing here, but you see what an unhealthful place it is for you. Hereafter be advised by me and stay away."
            His only answer was a searching glance, and then he turned and walked swiftly though somewhat unsteadily up the street.


Chapter 6. The Dream Girl
 "I have reached these lands but newly
From an ultimate dim Thule."

Poe

Outside my room sounded a light footstep. The doorknob turned cautiously and slowly; the door opened. I sprang erect with a gasp. Red lips, half-parted, dark eyes like limpid seas of wonder, a mass of shimmering hair--framed in my drab doorway stood the girl of my dreams!
            She entered, and half-turning with a sinuous motion, closed the door. I sprang forward, my hands outstretched, then halted as she put a finger to her lips.
            "You must not talk loudly," she almost whispered. "He did not say I could not come; yet -"
            Her voice was soft and musical, with just a touch of foreign accent which I found delightful. As for the girl herself, every intonation, every movement proclaimed the Orient. She was a fragrant breath from the East. From her night-black hair, piled high above her alabaster forehead, to her little feet, encased in high-heeled pointed slippers, she portrayed the highest ideal of Asiatic loveliness - an effect which was heightened rather than lessened by the English blouse and skirt which she wore.
            "You are beautiful!" I said dazedly. "Who are you?"
            "I am Zuleika," she answered with a shy smile. "I - I am glad you like me. I am glad you no longer dream hashish dreams."
            Strange that so small a thing should set my heart to leaping wildly!
            "I owe it all to you, Zuleika," I said huskily. "Had not I dreamed of you every hour since you first lifted me from the gutter, I had lacked the power of even hoping to be freed from my curse."
            She blushed prettily and intertwined her white fingers as if in nervousness.
            "You leave England tomorrow?" she said suddenly.
            "Yes. Hassim has not returned with my ticket - " I hesitated suddenly, remembering the command of silence.
            "Yes, I know, I know!" she whispered swiftly, her eyes widening. "And John Gordon has been here! He saw you!"
            "Yes!"
            She came close to me with a quick lithe movement.
            "You are to impersonate some man! Listen, while you are doing this, you must not ever let Gordon see you! He would know you, no matter what your disguise! He is a terrible man!"
            "I don't understand," I said, completely bewildered. "How did the Master break me of my hashish craving? Who is this Gordon and why did he come here? Why does the Master go disguised as a leper - and who is he? Above all, why am I to impersonate a man I never saw or heard of?"
            "I cannot - I dare not tell you!" she whispered, her face paling. "I -"
            Somewhere in the house sounded the faint tones of a Chinese gong. The girl started like a frightened gazelle.
            "I must go! _ He _ summons me!"
            She opened the door, darted through, halted a moment to electrify me with her passionate exclamation: "Oh, be careful, be very careful, sahib!"
            Then she was gone.

Tuesday 5 July 2016

Untitled Poem by José Thiesen (in Portuguese)

Nas tardes de verão em
que nos conhecemos
íamos pela estrada vermelha
até a porteira rústica.

E verde era a grama,
e junquilos bordejavam
a estrada vermelha
até a porteira rústica.

Tuas mãos brancas voavam
entre nós como pombos
pela estrada vermelha
até a porteira rústica.

Era manso o vento e o
sol nos beijava feliz,
por nós, feliz e suave,
até a porteira rústica.

Veio vindo, porém, Outono, e
tu passaste da porteira
indo para onde nunca supuz ir,
e ficou eu só e perplexo.

 Já o Inverno se faz longo,
nuvens negras não saem do céu
nem vem o sol me consolar
com a lembrança feliz de ti.

A grama está baça e não há
flores nem pombas brancas
pelo caminho vermelho e eu
mesmo sou já uma sombra,
um vazio no mundo frio, só
com a triste lembrança dum
caminho que foi feliz e da
rude porteira que foi tranposta.





Saturday 2 July 2016

"The Bat and the Weasels" by Aesop (translated into English)




  A Bat who fell upon the ground and was caught by a Weasel pleaded to be spared his life. The Weasel refused, saying that he was by nature the enemy of all birds. The Bat assured him that he was not a bird, but a mouse, and thus was set free. Shortly afterwards the Bat again fell to the ground and was caught by another Weasel, whom he likewise entreated not to eat him. The Weasel said that he had a special hostility to mice. The Bat assured him that he was not a mouse, but a bat, and thus a second time escaped.  


            It is wise to turn circumstances to good account.