Saturday 3 September 2016

"The Ratisbon Speech" by Pope Benedict XVI (translated into French)




Voyage Apostolique du Pape Benoît XVI à Munich, Altötting et Ratisbonne
(9-14 Septembre 2006)
Rencontre Avec les Représentants du Monde Des Sciences
Discours du Saint-Père



Grand Amphithéâtre de l'Université de Ratisbonne
Mardi 12 septembre 2006

 Foi, Raison et Université:
souvenirs et réflexions

Eminences, Messieurs les Recteurs, Excellences,
Mesdames, Messieurs!

C'est pour moi un moment émouvant que de me retrouver encore une fois à l'université et de pouvoir de nouveau donner une conférence. Mes pensées me ramènent aux années durant lesquelles, après une belle période à l'Institut supérieur de Freising, j'ai commencé mon activité académique comme enseignant à l'université de Bonn. C'était encore le temps – en 1959 – de l’ancienne université des professeurs ordinaires. Les différentes chaires n'avaient ni assistants ni secrétaires propres, mais, en revanche, il y avait un contact très direct avec les étudiants et surtout aussi entre les professeurs. Dans les salles des professeurs, on se rencontrait avant et après les cours. Les contacts avec les historiens, les philosophes, les philologues et naturellement entre les deux facultés de théologie étaient très vivants. Chaque semestre avait lieu ce qu'on appelait le dies academicus, au cours duquel des professeurs de toutes les facultés se présentaient aux étudiants de l'ensemble de l'université. Cela rendait possible une expérience d'Universitas, à laquelle, Monsieur le Recteur magnifique, vous venez précisément de faire allusion. Malgré toutes les spécialisations, qui nous rendent parfois incapables de communiquer les uns avec les autres, nous faisions l'expérience de former cependant un tout et qu'en tout nous travaillions avec la même raison dans toutes ses dimensions, en ayant le sentiment d'assumer une commune responsabilité du juste usage de la raison ; voilà ce que nous pouvions vivre. Sans aucun doute, l'Université était aussi très fière de ses deux facultés de théologie. Il était clair qu'elles aussi, en s'interrogeant sur la raison de la foi, accomplissaient un travail qui appartient nécessairement au tout de l'Universitas scientiarum, même si tous pouvaient ne pas partager la foi, dont la corrélation avec la raison commune est le travail des théologiens. Cette cohésion interne dans l'univers de la raison n'a pas même été troublée quand on entendit, un jour, un de nos collègues déclarer qu'il y avait, dans notre université, une curiosité : deux facultés s'occupaient de quelque chose qui n'existait même pas – de Dieu. Il s'avérait indiscutable dans l'ensemble de l'Université que, même devant un scepticisme aussi radical, il demeurait nécessaire et raisonnable de s'interroger sur Dieu au moyen de la raison et de le faire en relation avec la tradition de la foi chrétienne.
            Tout cela m'est revenu à l'esprit quand, tout récemment, j'ai lu la partie, publiée par le professeur Théodore Khoury (de Münster), du dialogue sur le christianisme et l'islam et sur leur vérité respective, que le savant empereur byzantin Manuel II Paléologue mena avec un érudit perse, sans doute en 1391 durant ses quartiers d’hiver à Ankara. L'empereur transcrit probablement ce dialogue pendant le siège de Constantinople entre 1394 et 1402. Cela explique que ses propres réflexions sont rendues de manière plus détaillée que celles de son interlocuteur persan. Le dialogue embrasse tout le domaine de la structure de la foi couvert par la Bible et le Coran ; il s'intéresse en particulier à l'image de Dieu et de l'homme, mais revient nécessairement sans cesse sur le rapport de ce qu'on appelait les « trois Lois » ou les « trois ordres de vie» : Ancien Testament – Nouveau Testament – Coran. Je ne voudrais pas en faire ici l'objet de cette conférence, mais relever seulement un point – au demeurant marginal dans l'ensemble du dialogue – qui m'a fasciné par rapport au thème ‘foi et raison’, et qui servira de point de départ de mes réflexions sur ce sujet.
            Dans le septième entretien (διάλεξις – controverse) publié par le professeur Khoury, l'empereur en vient à parler du thème du djihad, de la guerre sainte. L'empereur savait certainement que, dans la sourate 2,256, on lit : pas de contrainte en matière de foi – c'est probablement l'une des plus anciennes sourates de la période initiale qui, nous dit une partie des spécialistes, remonte au temps où Mahomet lui-même était encore privé de pouvoir et menacé. Mais, naturellement, l'empereur connaissait aussi les dispositions – d'origine plus tardive – sur la guerre sainte, retenues par le Coran. Sans entrer dans des détails comme le traitement différent des « détenteurs d'Écritures » et des « infidèles », il s'adresse à son interlocuteur d'une manière étonnamment abrupte – abrupte au point d’être pour nous inacceptable –, qui nous surprend et pose tout simplement la question centrale du rapport entre religion et violence en général. Il dit: «Montre moi ce que Mahomet a apporté de nouveau et tu ne trouveras que du mauvais et de l'inhumain comme ceci, qu'il a prescrit de répandre par l'épée la foi qu'il prêchait». Après s'être prononcé de manière si peu amène, l'empereur explique minutieusement pourquoi la diffusion de la foi par la violence est contraire à la raison. Elle est contraire à la nature de Dieu et à la nature de l'âme. « Dieu ne prend pas plaisir au sang, dit-il, et ne pas agir selon la raison (‘σύν λόγω’) est contraire à la nature de Dieu. La foi est fruit de l'âme, non pas du corps. Celui qui veut conduire quelqu'un vers la foi doit être capable de parler et de penser de façon juste et non pas de recourir à la violence et à la menace... Pour convaincre une âme douée de raison, on n'a pas besoin de son bras, ni d'objets pour frapper, ni d'aucun autre moyen qui menace quelqu'un de mort...».
            L’affirmation décisive de cette argumentation contre la conversion par la force dit: «Ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu». L'éditeur du texte, Théodore Khoury, commente à ce sujet: «Pour l'empereur, byzantin nourri de philosophie grecque, cette affirmation est évidente. Pour la doctrine musulmane, au contraire, Dieu est absolument transcendant. Sa volonté n'est liée à aucune de nos catégories, fût-ce celle qui consiste à être raisonnable».
            Khoury cite à ce propos un travail du célèbre islamologue français R. Arnaldez, qui note que Ibn Hazm va jusqu'à expliquer que Dieu n'est pas même tenu par sa propre parole et que rien ne l'oblige à nous révéler la vérité. Si tel était son vouloir, l'homme devrait être idolâtre.
            À partir de là, pour la compréhension de Dieu et du même coup pour la réalisation concrète de la religion, apparaît un dilemme qui constitue un défi très immédiat. Est-ce seulement grec de penser qu'agir de façon contraire à la raison est en contradiction avec la nature de Dieu, ou cela vaut-il toujours et en soi? Je pense que, sur ce point, la concordance parfaite, entre ce qui est grec, dans le meilleur sens du terme, et la foi en Dieu, fondée sur la Bible, devient manifeste. En référence au premier verset de la Genèse, premier verset de toute la Bible, Jean a ouvert le prologue de son évangile par ces mots: «Au commencement était le λογος». C'est exactement le mot employé par l'empereur. Dieu agit «σύν λόγω», avec logos. Logos désigne à la fois la raison et la parole – une raison qui est créatrice et capable de se communiquer, mais justement comme raison. Jean nous a ainsi fait don de la parole ultime de la notion biblique de Dieu, la parole par laquelle tous les chemins souvent difficiles et tortueux de la foi biblique parviennent à leur but et trouvent leur synthèse. Au commencement était le Logos et le Logos est Dieu, nous dit l'Évangéliste. La rencontre du message biblique et de la pensée grecque n'était pas le fait du hasard. La vision de saint Paul, à qui les chemins vers l'Asie se fermaient et qui ensuite vit un Macédonien lui apparaître et qui l'entendit l'appeler: «Passe en Macédoine et viens à notre secours» (cf. Ac 16, 6-10) – cette vision peut être interprétée comme un condensé du rapprochement, porté par une nécessité intrinsèque, entre la foi biblique et le questionnement grec.
            En fait, ce mouvement de rapprochement mutuel était à l'œuvre depuis longtemps. Déjà, le nom mystérieux de Dieu lors de l’épisode du buisson ardent, qui distingue Dieu des divinités aux noms multiples et qui énonce simplement à son sujet le «Je suis», son être, est une contestation du mythe, qui trouve une analogie interne dans la tentative socratique de surmonter et de dépasser le mythe. Le processus engagé au buisson ardent parvient à une nouvelle maturité, au cœur de l'Ancien Testament, pendant l'Exil, où le Dieu d'Israël, désormais sans pays et sans culte, se proclame le Dieu du ciel et de la terre et se présente dans une formule qui prolonge celle du buisson: «Je suis celui qui suis». Avec cette nouvelle reconnaissance de Dieu s'opère, de proche en proche, une sorte de philosophie des Lumières, qui s'exprime de façon drastique dans la satire des divinités, qui ne seraient que des fabrications humaines (cf. Ps 115). C'est ainsi que la foi biblique, à l'époque hellénistique et malgré la rigueur de son opposition aux souverains grecs qui voulaient imposer par la force l'assimilation à leur mode de vie grec et au culte de leurs divinités, alla de l'intérieur à la rencontre de la pensée grecque en ce qu'elle avait de meilleur pour établir un contact mutuel, qui s'est ensuite réalisé dans la littérature sapientielle plus tardive. Nous savons aujourd'hui que la traduction grecque de l'Ancien Testament faite à Alexandrie – la Septante – est plus qu'une simple traduction du texte hébreu (à apprécier peut-être de façon pas très positive). Elle est un témoin textuel indépendant et une avancée importante de l'histoire de la Révélation. Cette rencontre s'est réalisée d'une manière qui a eu une importance décisive pour la naissance et la diffusion du christianisme. Fondamentalement, il s'agit d'une rencontre entre la foi et la raison, entre l'authentique philosophie des Lumières et la religion. À partir de l'essence de la foi chrétienne et, en même temps, de la nature de la pensée grecque, qui avait fusionné avec la foi, Manuel II a pu vraiment dire : ne pas agir « avec le Logos » est en contradiction avec la nature de Dieu.
            Pour être honnête, il faut noter ici que, à la fin du Moyen Âge, se sont développées, dans la théologie, des tendances qui ont fait éclater cette synthèse entre l’esprit grec et l’esprit chrétien. Face à ce qu'on appelle l'intellectualisme augustinien et thomiste, commença avec Duns Scot la théorie du volontarisme qui, dans ses développements ultérieurs, a conduit à dire que nous ne connaîtrions de Dieu que sa voluntas ordinata. Au-delà d'elle, il y aurait la liberté de Dieu, en vertu de laquelle il aurait aussi pu créer et faire le contraire de tout ce qu'il a fait. Ici se dessinent des positions qui peuvent être rapprochées de celles d'Ibn Hazm et tendre vers l'image d'un Dieu arbitraire, qui n'est pas non plus lié à la vérité ni au bien. La transcendance et l'altérité de Dieu sont placées si haut que même notre raison et notre sens du vrai et du bien ne sont plus un véritable miroir de Dieu, dont les possibilités abyssales, derrière ses décisions effectives, demeurent pour nous éternellement inaccessibles et cachées. À l'opposé, la foi de l'Église s'en est toujours tenue à la conviction qu'entre Dieu et nous, entre son esprit créateur éternel et notre raison créée, existe une réelle analogie, dans laquelle – comme le dit le IVe Concile du Latran, en 1215 – les dissimilitudes sont infiniment plus grandes que les similitudes, mais sans supprimer l'analogie et son langage. Dieu ne devient pas plus divin si nous le repoussons loin de nous dans un pur et impénétrable volontarisme, mais le Dieu véritablement divin est le Dieu qui s'est montré comme Logos et qui, comme Logos, a agi pour nous avec amour. Assurément, comme le dit Paul, l'amour «surpasse» la connaissance et il est capable de saisir plus que la seule pensée (cf. Ep 3, 19), mais il reste néanmoins l'amour du Dieu-Logos, ce pourquoi le culte chrétien est, comme le dit encore Paul, « λογική λατρεία », un culte qui est en harmonie avec la Parole éternelle et notre raison (cf. Rm 12, 1).
            Cet intime rapprochement mutuel ici évoqué, qui s'est réalisé entre la foi biblique et le questionnement philosophique grec, est un processus décisif non seulement du point de vue de l'histoire des religions mais aussi de l'histoire universelle, qui aujourd'hui encore nous oblige. Quand on considère cette rencontre, on ne s'étonne pas que le christianisme, tout en ayant ses origines et des développements importants en Orient, ait trouvé son empreinte décisive en Europe. À l'inverse, nous pouvons dire aussi : cette rencontre, à laquelle s'ajoute ensuite l'héritage de Rome, a créé l'Europe et reste le fondement de ce que, à juste titre, on appelle l’Europe.
            La revendication de déshellénisation du christianisme, qui, depuis le début de l'époque moderne, domine de façon croissante le débat théologique, s'oppose à la thèse selon laquelle l'héritage grec, purifié de façon critique, appartient à la foi chrétienne. Si l'on y regarde de plus près, on peut observer que ce programme de déshellénisation a connu trois vagues, sans doute liées entre elles, mais qui divergent nettement dans leurs justifications et leurs buts.
            La déshellénisation apparaît en relation avec les préoccupations de la Réforme du XVIe siècle. Étant donné la tradition des écoles théologiques, les réformateurs ont fait face à une systématisation de la foi, entièrement déterminée par la philosophie, pour ainsi dire une définition extérieure de la foi par une pensée qui n'émanait pas d'elle. De ce fait, la foi n'apparaissait plus comme une parole historique vivante, mais comme enfermée dans un système philosophique. Face à cela, la sola scriptura cherche la figure primitive de la foi, telle qu'elle se trouve à l'origine dans la Parole biblique. La métaphysique apparaît comme un présupposé venu d'ailleurs, dont il faut libérer la foi pour qu'elle puisse de nouveau redevenir pleinement elle-même. Avec une radicalité que les réformateurs ne pouvaient prévoir, Kant a agi à partir de ce programme en affirmant qu'il a dû mettre la pensée de côté pour pouvoir faire place à la foi. Du coup, il a ancré la foi exclusivement dans la raison pratique et il lui a dénié l'accès à la totalité de la réalité.
            La théologie libérale des XIXe et XXe siècles a amené une deuxième vague dans ce programme de déshellénisation, dont Adolf von Harnack est un éminent représentant. Du temps de mes études, tout comme durant les premières années de mon activité universitaire, ce programme était aussi fortement à l’œuvre dans la théologie catholique. La distinction de Pascal entre le Dieu des philosophes et le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob servait de point de départ. Dans ma leçon inaugurale à Bonn en 1959, j'ai essayé de m'y confronter et je ne voudrais pas reprendre de nouveau tout cela ici. Mais je voudrais essayer, au moins très brièvement, de mettre en lumière l'aspect nouveau qui distingue cette deuxième vague de déshellénisation. L'idée centrale qui apparaît chez Harnack est le retour à Jésus simple homme et à son message simple, qui serait antérieur à toutes les théologisations et aussi à toutes les hellénisations. Ce message simple représenterait le véritable sommet de l'évolution religieuse de l'humanité. Jésus aurait congédié le culte au bénéfice de la morale. En définitive, on le représente comme le père d'un message moral philanthropique. Le souci de Harnack est au fond de mettre le christianisme en harmonie avec la raison moderne, précisément en le libérant d'éléments apparemment philosophiques et théologiques comme, par exemple, la foi en la divinité du Christ et en la Trinité de Dieu. En ce sens, l'exégèse historico-critique du Nouveau Testament, telle qu'il la voyait, réintègre de nouveau la théologie dans le système de l'Université. Pour Harnack, la théologie est essentiellement historique et, de ce fait, rigoureusement scientifique. Ce qu'elle découvre de Jésus par la voie critique est pour ainsi dire l'expression de la raison pratique. Du même coup, elle a sa place justifiée dans le système de l'Université. En arrière plan, on perçoit l'autolimitation moderne de la raison, qui a trouvé son expression classique dans les Critiques de Kant, mais qui, entre-temps encore, a été radicalisée par la pensée des sciences de la nature. Cette conception moderne de la raison, pour le dire en raccourci, repose sur une synthèse entre le platonisme (cartésianisme) et l'empirisme, confirmée par le progrès technique. D'une part, on présuppose la structure mathématique de la matière, pour ainsi dire, sa rationalité interne, qui permet de la comprendre et de l'utiliser dans sa forme efficiente. Ce présupposé est en quelque sorte l'élément platonicien de la compréhension moderne de la nature. D'autre part, pour nos intérêts, il y va de la fonctionnalité de la nature, où seule la possibilité de la vérification ou de la falsification par l’expérience décide de la certitude. Selon les cas, le poids entre les deux pôles peut se trouver davantage d'un côté ou de l'autre. Un penseur aussi rigoureusement positiviste que Jacques Monod s'est déclaré platonicien convaincu.
            Pour notre question, cela entraîne deux orientations décisives. Seule la forme de certitude, résultant de la combinaison des mathématiques et des données empiriques, autorise à parler de scientificité. Ce qui a la prétention d'être science doit se confronter à ce critère. Ainsi, les sciences relatives aux choses humaines comme l'histoire, la psychologie, la sociologie, la philosophie, ont tenté de se rapprocher de ce canon de la scientificité. Mais pour nos réflexions, il est en outre important que la méthode en tant que telle exclue la question de Dieu et la fasse apparaître comme une question non-scientifique ou préscientifique. Mais, de ce fait, nous nous trouvons devant une réduction du rayon de la science et de la raison, qu'il faut mettre en question.
            Je reviendrai encore sur ce point. Pour l'instant, il faut d'abord constater que, conduite dans cette perspective, toute tentative visant à ne conserver à la théologie que son caractère de discipline «scientifique » ne garde du christianisme qu'un misérable fragment. Il nous faut aller plus loin: si la science dans son ensemble n'est que cela, l'homme lui-même s'en trouve réduit. Car les interrogations proprement humaines, «d'où venons-nous», «où allons-nous», les questions de la religion et de l'éthique, ne peuvent alors trouver place dans l'espace de la raison commune, délimitée par la «science» ainsi comprise, et doivent être renvoyées au domaine de la subjectivité. Au nom de ses expériences, le sujet décide ce qui lui semble acceptable d'un point de vue religieux, et la « conscience» subjective devient, en définitive, l'unique instance éthique. Cependant, l'éthique et la religion perdent ainsi leur force de construire une communauté et tombent dans l'arbitraire. Cette situation est dangereuse pour l'humanité. Nous le constatons bien avec les pathologies de la religion et de la raison, qui nous menacent et qui doivent éclater nécessairement là où la raison est si réduite que les questions de la religion et de la morale ne la concernent plus. Ce qui nous reste de tentatives éthiques fondées sur les lois de l'évolution ou de la psychologie et de la sociologie est tout simplement insuffisant.
            Avant de parvenir aux conclusions auxquelles tend ce raisonnement, il me faut encore évoquer brièvement la troisième vague de déshellénisation, qui a cours actuellement. Au regard de la rencontre avec la pluralité des cultures, on dit volontiers aujourd'hui que la synthèse avec l'hellénisme, qui s'est opérée dans l'Église antique, était une première inculturation du christianisme qu'il ne faudrait pas imposer aux autres cultures. Il faut leur reconnaître le droit de remonter en deçà de cette inculturation vers le simple message du Nouveau Testament, pour l'inculturer à nouveau dans leurs espaces respectifs. Cette thèse n'est pas simplement erronée mais encore grossière et inexacte. Car le Nouveau Testament est écrit en grec et porte en lui-même le contact avec l'esprit grec, qui avait mûri précédemment dans l'évolution de l'Ancien Testament. Certes, il existe des strates dans le processus d'évolution de l'Église antique qu'il n'est pas besoin de faire entrer dans toutes les cultures. Mais les décisions fondamentales, qui concernent précisément le lien de la foi avec la recherche de la raison humaine, font partie de la foi elle-même et constituent des développements qui sont conformes à sa nature.
            J'en arrive ainsi à la conclusion. L'essai d'autocritique de la raison moderne esquissé ici à très gros traits n'inclut d'aucune façon l'idée qu'il faille remonter en deçà des Lumières (Aufklärung) et rejeter les intuitions de l'époque moderne. Nous reconnaissons sans réserve la grandeur du développement moderne de l'esprit. Nous sommes tous reconnaissants pour les vastes possibilités qu'elle a ouvertes à l'homme et pour les progrès en humanité qu'elle nous a donnés. L'éthique de la scientificité – vous y avez fait allusion M. le Recteur magnifique – est par ailleurs volonté d'obéissance à la vérité et, en ce sens, expression d'une attitude fondamentale qui fait partie des décisions essentielles de l'esprit chrétien. Il n'est pas question de recul ni de critique négative, mais d'élargissement de notre conception et de notre usage de la raison. Car, tout en nous réjouissant beaucoup des possibilités de l'homme, nous voyons aussi les menaces qui surgissent de ces possibilités et nous devons nous demander comment les maîtriser. Nous ne le pouvons que si foi et raison se retrouvent d'une manière nouvelle, si nous surmontons la limitation autodécrétée de la raison à ce qui est susceptible de falsification dans l'expérience et si nous ouvrons de nouveau à la raison tout son espace. Dans ce sens, la théologie, non seulement comme discipline d'histoire et de science humaine, mais spécifiquement comme théologie, comme questionnement sur la raison de la foi, doit avoir sa place dans l'Université et dans son large dialogue des sciences.
            C'est ainsi seulement que nous devenons capables d'un véritable dialogue des cultures et des religions, dont nous avons un besoin si urgent. Dans le monde occidental domine largement l'opinion que seule la raison positiviste et les formes de philosophie qui s'y rattachent seraient universelles. Mais les cultures profondément religieuses du monde voient cette exclusion du divin de l'universalité de la raison comme un outrage à leurs convictions les plus intimes. Une raison qui reste sourde au divin et repousse la religion dans le domaine des sous-cultures est inapte au dialogue des cultures. En cela, comme j'ai essayé de le montrer, la raison des sciences modernes de la nature, avec l'élément platonicien qui l'habite, porte en elle une question qui la transcende, ainsi que ses possibilités méthodologiques. Elle doit tout simplement accepter comme un donné la structure rationnelle de la matière tout comme la correspondance entre notre esprit et les structures qui régissent la nature: son parcours méthodologique est fondé sur ce donné. Mais la question «pourquoi en est-il ainsi?» demeure. Les sciences de la nature doivent l'élever à d'autres niveaux et à d'autres façons de penser – à la philosophie et à la théologie. Pour la philosophie et, d'une autre façon, pour la théologie, écouter les grandes expériences et les grandes intuitions des traditions religieuses de l'humanité, mais spécialement de la foi chrétienne, est une source de connaissance à laquelle se refuser serait une réduction de notre faculté d'entendre et de trouver des réponses. Il me vient ici à l'esprit un mot de Socrate à Phédon. Dans les dialogues précédents, beaucoup d'opinions philosophiques erronées avaient été traitées, maintenant Socrate dit: «On comprendrait aisément que, par dépit devant tant de choses fausses, quelqu'un en vienne à haïr et à mépriser tous les discours sur l'être pour le reste de sa vie. Mais de cette façon, il se priverait de la vérité de l'être et pâtirait d'un grand dommage». Depuis longtemps, l'Occident est menacé par cette aversion pour les interrogations fondamentales de la raison et il ne pourrait qu'en subir un grand dommage. Le courage de s'ouvrir à l'ampleur de la raison et non de nier sa grandeur – tel est le programme qu'une théologie se sachant engagée envers la foi biblique doit assumer dans le débat présent. «Ne pas agir selon la raison, ne pas agir avec le Logos, est en contradiction avec la nature de Dieu» a dit Manuel II à son interlocuteur persan, en se fondant sur sa vision chrétienne de Dieu. Dans ce grand Logos, dans cette amplitude de la raison, nous invitons nos interlocuteurs au dialogue des cultures. La retrouver nous-mêmes toujours à nouveau est la grande tâche de l'Université.

Friday 2 September 2016

“Doralice” by Dorival Caymmi (in English)



Doralice eu bem que lhe disse,
Amar é tolice, É bobagem, ilusão

Eu prefiro viver tão sozinho,
Ao som do lamento do meu violão

Doralice eu bem que lhe disse,
Olha essa embrulhada,
Em que vou me meter

Agora amor, Doralice meu bem, 
Como é que nós vamos fazer?

Um belo dia você me surgiu,
Eu quis fugir mas você insitiu

Alguma coisa bem que andava me avisando,
Até parece que eu estava adivinhando

Eu bem que não queria me casar consigo,
Bem que não queria enfrentar, esse perigo Doralice

Agora você tem que me dizer,
Como é que nós vamos fazer?


"Doralice" sung by the "Anjos do Inferno".

Thursday 1 September 2016

"Salve Regina" by Hermannus Contractus (in Latin, French, Italian, and German)



Salve, Regina, mater misericordiae
Vita, dulcedo, et spes nostra, salve.
Ad te clamamus, exsules, filii evae.
Ad te suspiramus, gementes et flentes
in hac lacrimarum valle.

Eia ergo, Advocata nostra,
illos tuos misericordes oculos
ad nos converte.
Et Iesum, benedictum fructum ventris tui,
nobis post hoc exsilium ostende.
O clemens, O pia, O dulcis Virgo Maria.

V:  Ora pro nobis sancta Dei Genetrix.
R: Ut digni efficiamur promissionibus Christi. Amen.

* * *

Salut, ô Reine, Mère de miséricorde :
notre vie, notre douceur et notre espérance, salut!

Enfants d'Ève, malheureux exilés,
nous élevons nos cris vers vous;
nous soupirons vers vous,
gémissant et pleurant dans cette vallée de larmes.

O notre avocate, tournez donc vers nous vos regards miséricordieux;
et au sortir de cet exil, montrez-nous Jésus,
le fruit béni de vos entrailles,
ô clémente, ô charitable, ô douce Vierge Marie!

V:  Priez pour nous, sainte Mère de Dieu,
R:  afin que nous devenions dignes des promesses de Jésus Christ.

* * *

Salve, Regina, madre di misericordia,
 vita, dolcezza e speranza nostra, salve.

A te ricorriamo, esuli figli di Eva; a te sospiriamo,
gementi e piangenti in questa valle di lacrime.
Orsù dunque, avvocata nostra,
rivolgi a noi gli occhi tuoi misericordiosi.

E mostraci, dopo questo esilio,
Gesù, il frutto benedetto del tuo seno.
O clemente, o pia, o dolce Vergine Maria.

V:  Prega per noi, Santa Madre di Dio.
R:  E saremo degni delle promesse di Cristo.

* * *

Sei gegrüßt, o Königin,
Mutter der Barmherzigkeit,
unser Leben, unsre Wonne
und unsere Hoffnung, sei gegrüßt!

Zu dir rufen wir verbannte Kinder Evas;
zu dir seufzen wir
trauernd und weinend in diesem Tal der Tränen.

Wohlan denn, unsre Fürsprecherin,
deine barmherzigen Augen
wende uns zu
und nach diesem Elend[6] zeige uns Jesus,
die gebenedeite Frucht deines Leibes.
O gütige, o milde, o süße Jungfrau Maria.

Wednesday 31 August 2016

“An Occurrence at Owl Creek Bridge” by Ambrose Bierce (in English)



A man stood upon a railroad bridge in northern Alabama, looking down into the swift water twenty feet below. The man's hands were behind his back, the wrists bound with a cord. A rope closely encircled his neck. It was attached to a stout cross-timber above his head and the slack feel to the level of his knees. Some loose boards laid upon the ties supporting the rails of the railway supplied a footing for him and his executioners - two private soldiers of the Federal army, directed by a sergeant who in civil life may have been a deputy sheriff. At a short remove upon the same temporary platform was an officer in the uniform of his rank, armed. He was a captain. A sentinel at each end of the bridge stood with his rifle in the position known as "support," that is to say, vertical in front of the left shoulder, the hammer resting on the forearm thrown straight across the chest - a formal and unnatural position, enforcing an erect carriage of the body. It did not appear to be the duty of these two men to know what was occurring at the center of the bridge; they merely blockaded the two ends of the foot planking that traversed it.
            Beyond one of the sentinels nobody was in sight; the railroad ran straight away into a forest for a hundred yards, then, curving, was lost to view. Doubtless there was an outpost farther along. The other bank of the stream was open ground - a gentle slope topped with a stockade of vertical tree trunks, loopholed for rifles, with a single embrasure through which protruded the muzzle of a brass cannon commanding the bridge. Midway up the slope between the bridge and fort were the spectators - a single company of infantry in line, at "parade rest," the butts of their rifles on the ground, the barrels inclining slightly backward against the right shoulder, the hands crossed upon the stock. A lieutenant stood at the right of the line, the point of his sword upon the ground, his left hand resting upon his right. Excepting the group of four at the center of the bridge, not a man moved. The company faced the bridge, staring stonily, motionless. The sentinels, facing the banks of the stream, might have been statues to adorn the bridge. The captain stood with folded arms, silent, observing the work of his subordinates, but making no sign. Death is a dignitary who when he comes announced is to be received with formal manifestations of respect, even by those most familiar with him. In the code of military etiquette silence and fixity are forms of deference.
            The man who was engaged in being hanged was apparently about thirty-five years of age. He was a civilian, if one might judge from his habit, which was that of a planter. His features were good - a straight nose, firm mouth, broad forehead, from which his long, dark hair was combed straight back, falling behind his ears to the collar of his well fitting frock coat. He wore a moustache and pointed beard, but no whiskers; his eyes were large and dark gray, and had a kindly expression which one would hardly have expected in one whose neck was in the hemp. Evidently this was no vulgar assassin. The liberal military code makes provision for hanging many kinds of persons, and gentlemen are not excluded.
            The preparations being complete, the two private soldiers stepped aside and each drew away the plank upon which he had been standing. The sergeant turned to the captain, saluted and placed himself immediately behind that officer, who in turn moved apart one pace. These movements left the condemned man and the sergeant standing on the two ends of the same plank, which spanned three of the cross-ties of the bridge. The end upon which the civilian stood almost, but not quite, reached a fourth. This plank had been held in place by the weight of the captain; it was now held by that of the sergeant. At a signal from the former the latter would step aside, the plank would tilt and the condemned man go down between two ties. The arrangement commended itself to his judgement as simple and effective. His face had not been covered nor his eyes bandaged. He looked a moment at his "unsteadfast footing," then let his gaze wander to the swirling water of the stream racing madly beneath his feet. A piece of dancing driftwood caught his attention and his eyes followed it down the current. How slowly it appeared to move! What a sluggish stream!
            He closed his eyes in order to fix his last thoughts upon his wife and children. The water, touched to gold by the early sun, the brooding mists under the banks at some distance down the stream, the fort, the soldiers, the piece of drift - all had distracted him. And now he became conscious of a new disturbance. Striking through the thought of his dear ones was sound which he could neither ignore nor understand, a sharp, distinct, metallic percussion like the stroke of a blacksmith's hammer upon the anvil; it had the same ringing quality. He wondered what it was, and whether immeasurably distant or near by - it seemed both. Its recurrence was regular, but as slow as the tolling of a death knell. He awaited each new stroke with impatience and - he knew not why - apprehension. The intervals of silence grew progressively longer; the delays became maddening. With their greater infrequency the sounds increased in strength and sharpness. They hurt his ear like the trust of a knife; he feared he would shriek. What he heard was the ticking of his watch.
            He unclosed his eyes and saw again the water below him. "If I could free my hands," he thought, "I might throw off the noose and spring into the stream. By diving I could evade the bullets and, swimming vigorously, reach the bank, take to the woods and get away home. My home, thank God, is as yet outside their lines; my wife and little ones are still beyond the invader's farthest advance."
            As these thoughts, which have here to be set down in words, were flashed into the doomed man's brain rather than evolved from it the captain nodded to the sergeant. The sergeant stepped aside.

II
            Peyton Fahrquhar was a well to do planter, of an old and highly respected Alabama family. Being a slave owner and like other slave owners a politician, he was naturally an original secessionist and ardently devoted to the Southern cause. Circumstances of an imperious nature, which it is unnecessary to relate here, had prevented him from taking service with that gallant army which had fought the disastrous campaigns ending with the fall of Corinth, and he chafed under the inglorious restraint, longing for the release of his energies, the larger life of the soldier, the opportunity for distinction. That opportunity, he felt, would come, as it comes to all in wartime. Meanwhile he did what he could. No service was too humble for him to perform in the aid of the South, no adventure to perilous for him to undertake if consistent with the character of a civilian who was at heart a soldier, and who in good faith and without too much qualification assented to at least a part of the frankly villainous dictum that all is fair in love and war.
            One evening while Fahrquhar and his wife were sitting on a rustic bench near the entrance to his grounds, a gray-clad soldier rode up to the gate and asked for a drink of water. Mrs. Fahrquhar was only too happy to serve him with her own white hands. While she was fetching the water her husband approached the dusty horseman and inquired eagerly for news from the front.
            "The Yanks are repairing the railroads," said the man, "and are getting ready for another advance. They have reached the Owl Creek bridge, put it in order and built a stockade on the north bank. The commandant has issued an order, which is posted everywhere, declaring that any civilian caught interfering with the railroad, its bridges, tunnels, or trains will be summarily hanged. I saw the order."
            "How far is it to the Owl Creek bridge?" Fahrquhar asked.
            "About thirty miles."
            "Is there no force on this side of the creek?"
            "Only a picket post half a mile out, on the railroad, and a single sentinel at this end of the bridge."
            "Suppose a man - a civilian and student of hanging - should elude the picket post and perhaps get the better of the sentinel," said Fahrquhar, smiling, "what could he accomplish?"
            The soldier reflected. "I was there a month ago," he replied. "I observed that the flood of last winter had lodged a great quantity of driftwood against the wooden pier at this end of the bridge. It is now dry and would burn like tinder."
            The lady had now brought the water, which the soldier drank. He thanked her ceremoniously, bowed to her husband and rode away. An hour later, after nightfall, he repassed the plantation, going northward in the direction from which he had come. He was a Federal scout.

III
            As Peyton Fahrquhar fell straight downward through the bridge he lost consciousness and was as one already dead. From this state he was awakened - ages later, it seemed to him - by the pain of a sharp pressure upon his throat, followed by a sense of suffocation. Keen, poignant agonies seemed to shoot from his neck downward through every fiber of his body and limbs. These pains appeared to flash along well defined lines of ramification and to beat with an inconceivably rapid periodicity. They seemed like streams of pulsating fire heating him to an intolerable temperature. As to his head, he was conscious of nothing but a feeling of fullness - of congestion. These sensations were unaccompanied by thought. The intellectual part of his nature was already effaced; he had power only to feel, and feeling was torment. He was conscious of motion. Encompassed in a luminous cloud, of which he was now merely the fiery heart, without material substance, he swung through unthinkable arcs of oscillation, like a vast pendulum. Then all at once, with terrible suddenness, the light about him shot upward with the noise of a loud splash; a frightful roaring was in his ears, and all was cold and dark. The power of thought was restored; he knew that the rope had broken and he had fallen into the stream. There was no additional strangulation; the noose about his neck was already suffocating him and kept the water from his lungs. To die of hanging at the bottom of a river! - the idea seemed to him ludicrous. He opened his eyes in the darkness and saw above him a gleam of light, but how distant, how inaccessible! He was still sinking, for the light became fainter and fainter until it was a mere glimmer. Then it began to grow and brighten, and he knew that he was rising toward the surface - knew it with reluctance, for he was now very comfortable. "To be hanged and drowned," he thought, "that is not so bad; but I do not wish to be shot. No; I will not be shot; that is not fair."
            He was not conscious of an effort, but a sharp pain in his wrist apprised him that he was trying to free his hands. He gave the struggle his attention, as an idler might observe the feat of a juggler, without interest in the outcome. What splendid effort! - what magnificent, what superhuman strength! Ah, that was a fine endeavor! Bravo! The cord fell away; his arms parted and floated upward, the hands dimly seen on each side in the growing light. He watched them with a new interest as first one and then the other pounced upon the noose at his neck. They tore it away and thrust it fiercely aside, its undulations resembling those of a water snake. "Put it back, put it back!" He thought he shouted these words to his hands, for the undoing of the noose had been succeeded by the direst pang that he had yet experienced. His neck ached horribly; his brain was on fire, his heart, which had been fluttering faintly, gave a great leap, trying to force itself out at his mouth. His whole body was racked and wrenched with an insupportable anguish! But his disobedient hands gave no heed to the command. They beat the water vigorously with quick, downward strokes, forcing him to the surface. He felt his head emerge; his eyes were blinded by the sunlight; his chest expanded convulsively, and with a supreme and crowning agony his lungs engulfed a great draught of air, which instantly he expelled in a shriek!
            He was now in full possession of his physical senses. They were, indeed, preternaturally keen and alert. Something in the awful disturbance of his organic system had so exalted and refined them that they made record of things never before perceived. He felt the ripples upon his face and heard their separate sounds as they struck. He looked at the forest on the bank of the stream, saw the individual trees, the leaves and the veining of each leaf - he saw the very insects upon them: the locusts, the brilliant bodied flies, the gray spiders stretching their webs from twig to twig. He noted the prismatic colors in all the dewdrops upon a million blades of grass. The humming of the gnats that danced above the eddies of the stream, the beating of the dragon flies' wings, the strokes of the water spiders' legs, like oars which had lifted their boat - all these made audible music. A fish slid along beneath his eyes and he heard the rush of its body parting the water.
            He had come to the surface facing down the stream; in a moment the visible world seemed to wheel slowly round, himself the pivotal point, and he saw the bridge, the fort, the soldiers upon the bridge, the captain, the sergeant, the two privates, his executioners. They were in silhouette against the blue sky. They shouted and gesticulated, pointing at him. The captain had drawn his pistol, but did not fire; the others were unarmed. Their movements were grotesque and horrible, their forms gigantic.
            Suddenly he heard a sharp report and something struck the water smartly within a few inches of his head, spattering his face with spray. He heard a second report, and saw one of the sentinels with his rifle at his shoulder, a light cloud of blue smoke rising from the muzzle. The man in the water saw the eye of the man on the bridge gazing into his own through the sights of the rifle. He observed that it was a gray eye and remembered having read that gray eyes were keenest, and that all famous marksmen had them. Nevertheless, this one had missed.
            A counter-swirl had caught Fahrquhar and turned him half round; he was again looking at the forest on the bank opposite the fort. The sound of a clear, high voice in a monotonous singsong now rang out behind him and came across the water with a distinctness that pierced and subdued all other sounds, even the beating of the ripples in his ears. Although no soldier, he had frequented camps enough to know the dread significance of that deliberate, drawling, aspirated chant; the lieutenant on shore was taking a part in the morning's work. How coldly and pitilessly - with what an even, calm intonation, presaging, and enforcing tranquility in the men - with what accurately measured interval fell those cruel words:
"Company!... Attention!... Shoulder arms!... Ready!... Aim!... Fire!"
            Fahrquhar dived - dived as deeply as he could. The water roared in his ears like the voice of Niagara, yet he heard the dull thunder of the volley and, rising again toward the surface, met shining bits of metal, singularly flattened, oscillating slowly downward. Some of them touched him on the face and hands, then fell away, continuing their descent. One lodged between his collar and neck; it was uncomfortably warm and he snatched it out.
            As he rose to the surface, gasping for breath, he saw that he had been a long time under water; he was perceptibly farther downstream - nearer to safety. The soldiers had almost finished reloading; the metal ramrods flashed all at once in the sunshine as they were drawn from the barrels, turned in the air, and thrust into their sockets. The two sentinels fired again, independently and ineffectually.
            The hunted man saw all this over his shoulder; he was now swimming vigorously with the current. His brain was as energetic as his arms and legs; he thought with the rapidity of lightning:
            "The officer," he reasoned, "will not make that martinet's error a second time. It is as easy to dodge a volley as a single shot. He has probably already given the command to fire at will. God help me, I cannot dodge them all!"
            An appalling splash within two yards of him was followed by a loud, rushing sound, DIMINUENDO, which seemed to travel back through the air to the fort and died in an explosion which stirred the very river to its deeps! A rising sheet of water curved over him, fell down upon him, blinded him, strangled him! The cannon had taken an hand in the game. As he shook his head free from the commotion of the smitten water he heard the deflected shot humming through the air ahead, and in an instant it was cracking and smashing the branches in the forest beyond.
            "They will not do that again," he thought; "the next time they will use a charge of grape. I must keep my eye upon the gun; the smoke will apprise me - the report arrives too late; it lags behind the missile. That is a good gun."
            Suddenly he felt himself whirled round and round - spinning like a top. The water, the banks, the forests, the now distant bridge, fort and men, all were commingled and blurred. Objects were represented by their colors only; circular horizontal streaks of color - that was all he saw. He had been caught in a vortex and was being whirled on with a velocity of advance and gyration that made him giddy and sick. In few moments he was flung upon the gravel at the foot of the left bank of the stream - the southern bank - and behind a projecting point which concealed him from his enemies. The sudden arrest of his motion, the abrasion of one of his hands on the gravel, restored him, and he wept with delight. He dug his fingers into the sand, threw it over himself in handfuls and audibly blessed it. It looked like diamonds, rubies, emeralds; he could think of nothing beautiful which it did not resemble. The trees upon the bank were giant garden plants; he noted a definite order in their arrangement, inhaled the fragrance of their blooms. A strange roseate light shone through the spaces among their trunks and the wind made in their branches the music of AEolian harps. He had not wish to perfect his escape - he was content to remain in that enchanting spot until retaken.
            A whiz and a rattle of grapeshot among the branches high above his head roused him from his dream. The baffled cannoneer had fired him a random farewell. He sprang to his feet, rushed up the sloping bank, and plunged into the forest.
            All that day he traveled, laying his course by the rounding sun. The forest seemed interminable; nowhere did he discover a break in it, not even a woodman's road. He had not known that he lived in so wild a region. There was something uncanny in the revelation.
            By nightfall he was fatigued, footsore, famished. The thought of his wife and children urged him on. At last he found a road which led him in what he knew to be the right direction. It was as wide and straight as a city street, yet it seemed untraveled. No fields bordered it, no dwelling anywhere. Not so much as the barking of a dog suggested human habitation. The black bodies of the trees formed a straight wall on both sides, terminating on the horizon in a point, like a diagram in a lesson in perspective. Overhead, as he looked up through this rift in the wood, shone great golden stars looking unfamiliar and grouped in strange constellations. He was sure they were arranged in some order which had a secret and malign significance. The wood on either side was full of singular noises, among which - once, twice, and again - he distinctly heard whispers in an unknown tongue.
            His neck was in pain and lifting his hand to it found it horribly swollen. He knew that it had a circle of black where the rope had bruised it. His eyes felt congested; he could no longer close them. His tongue was swollen with thirst; he relieved its fever by thrusting it forward from between his teeth into the cold air. How softly the turf had carpeted the untraveled avenue - he could no longer feel the roadway beneath his feet!
            Doubtless, despite his suffering, he had fallen asleep while walking, for now he sees another scene - perhaps he has merely recovered from a delirium. He stands at the gate of his own home. All is as he left it, and all bright and beautiful in the morning sunshine. He must have traveled the entire night. As he pushes open the gate and passes up the wide white walk, he sees a flutter of female garments; his wife, looking fresh and cool and sweet, steps down from the veranda to meet him. At the bottom of the steps she stands waiting, with a smile of ineffable joy, an attitude of matchless grace and dignity. Ah, how beautiful she is! He springs forwards with extended arms. As he is about to clasp her he feels a stunning blow upon the back of the neck; a blinding white light blazes all about him with a sound like the shock of a cannon - then all is darkness and silence!
            Peyton Fahrquhar was dead; his body, with a broken neck, swung gently from side to side beneath the timbers of the Owl Creek bridge.

Tuesday 30 August 2016

Four Untitled Poems by José Thiesen (in Portuguese)

Jamais pensei
amar lorde inglês
mesmo sendo belo
e rico, dono de títulos.
Sabias disso?
De novo enganado, bem vês,
e o que devia ser acróstico
virou bobagem sem forma.
Como te amar, lorde inglês.

***

Eu te amo - um lago sob luar de prata.
Eu te amo - e salta uma carpa vermelha.
Nada mais. Silêncio. Todos dormem.

***

Vai existir amanhã?
Não sei, que morri hoje.
Nunca mais a minha dor
nem esp'rança de amanhã.

***

A aranha tece;
sobe, desce, volta.
A teia, perolada
pelo orvalho.