Saturday, 13 January 2018

Post-Synodal Apostolic Exhortation “Ecclesia in Europa” by St. John Paul II (in French)



Exhortation Apostolique Post-Synodale “Ecclesia in Europa” de sa Sainteté le Pape Jean-Paul II aux Évêques, aux Prêtres et aux Diacres, aux Personnes Consacrées et à Tous les Fidèles Laïcs Sur Jésus Christ, Vivant Dans L'église, Source D'espérance Pour L'europe

INTRODUCTION
Annonce joyeuse pour l'Europe
1. L'Église en Europe a accompagné en esprit de participation ses évêques réunis en Synode pour la deuxième fois, tandis qu'ils se livraient à une méditation sur Jésus Christ, vivant dans l'Église, source d'espérance pour l'Europe.
                C'est un thème que je veux moi aussi, reprenant avec mes frères évêques les paroles de la Première Lettre de saint Pierre, proclamer à tous les chrétiens d'Europe au début du troisième millénaire. «N'ayez aucune crainte [...], ne vous laissez pas troubler. C'est le Seigneur, le Christ, que vous devez reconnaître dans vos cœurs comme le seul Saint. Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre compte de l'espérance qui est en vous» (3, 14-15).
                Cette annonce a retenti continuellement tout au long du grand Jubilé de l'An 2000, auquel le Synode, qui s'est tenu juste avant, a été étroitement lié, étant en quelque sorte une porte qui s'ouvrait sur lui. Le Jubilé a été «un chant unique, ininterrompu, de louange à la Trinité», un vrai «chemin de réconciliation» et un «signe d'espérance authentique pour ceux qui regardent le Christ et son Église». Nous laissant en héritage la joie de la rencontre vivifiante avec le Christ, qui est «le même, hier, aujourd'hui et pour l'éternité» (He 13, 8), il nous a proposé de nouveau le Seigneur Jésus comme fondement unique et indéfectible de la véritable espérance.

Un deuxième Synode pour l'Europe
2. L'approfondissement du thème de l'espérance constituait dès le début le but principal de la Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques. Dernier des séries de Synodes de caractère continental tenus en préparation du grand Jubilé de l'An 2000, il avait pour buts d'analyser la situation de l'Église en Europe et de donner des orientations pour promouvoir une nouvelle annonce de l'Évangile, comme je l'ai souligné dans la convocation que j'ai rendue publique le 23 juin 1996, au terme de l'Eucharistie célébrée au stade olympique de Berlin.
                L'Assemblée synodale ne pouvait omettre de reprendre, de vérifier et de développer ce qui était ressorti lors du précédent Synode consacré à l'Europe, qui s'était réuni en 1991, au lendemain de la chute des murs, sur le thème «Pour que nous soyons témoins du Christ qui nous a libérés». Dans cette première Assemblée spéciale étaient apparues l'urgence et la nécessité de la «nouvelle évangélisation», dans la certitude que «l'Europe ne doit pas purement et simplement en appeler aujourd'hui à son héritage chrétien antérieur: il lui faut trouver la capacité de décider à nouveau de son avenir dans la rencontre avec la personne et le message de Jésus Christ».
                Neuf ans après, la conviction que «l'Église a le devoir pressant d'apporter à nouveau aux Européens l'annonce libératrice de l'Évangile» s'est présentée encore une fois avec sa force stimulante. Le thème choisi pour la nouvelle Assemblée synodale proposait encore, sous l'angle de l'espérance, le même défi. Il s'agissait donc de proclamer cette annonce d'espérance à une Europe qui semblait l'avoir perdue.

L'expérience du Synode
3. L'Assemblée synodale, qui a eu lieu du 1er au 23 octobre 1999, s'est avérée une précieuse occasion de rencontre, d'écoute et de confrontation: on y a approfondi la connaissance réciproque entre évêques des diverses parties de l'Europe et avec le Successeur de Pierre, et tous ensemble nous avons pu nous édifier mutuellement, grâce surtout au témoignage de ceux qui, sous les anciens régimes totalitaires, ont supporté pour la foi de dures et longues persécutions. Une fois encore, nous avons vécu des moments de communion dans la foi et dans la charité, animés par le désir de réaliser un fraternel “échange de dons”, enrichis réciproquement par la diversité des expériences de chacun.
                Il en est ressorti la volonté d'accueillir l'appel que l'Esprit adresse aux Églises en Europe pour les mobiliser face aux nouveaux défis. Le regard rempli d'amour, les participants de la rencontre synodale n'ont pas craint d'observer la réalité actuelle du continent, notant ses lumières et ses ombres. Il en ressort une claire conscience que la situation est marquée par de graves incertitudes dans les domaines culturel, anthropologique, éthique et spirituel. Une volonté croissante s'est affirmée tout aussi clairement, celle de pénétrer dans cette situation et de l'interpréter pour voir les tâches qui attendent l'Église; il en est résulté «des orientations utiles afin de rendre toujours plus visible le visage du Christ par une annonce plus incisive, corroborée par un témoignage cohérent».
4. Le fait de vivre l'expérience synodale avec un discernement évangélique a fait mûrir progressivement la conscience de l'unité qui, sans nier les différences provenant des vicissitudes historiques, lie les diverses parties de l'Europe. C'est une unité qui, s'enracinant dans une commune inspiration chrétienne, sait harmoniser les traditions culturelles et qui requiert, sur le plan social comme sur le plan ecclésial, une progression constante dans la connaissance réciproque ouverte à un plus grand partage des valeurs de chacun.
                Peu à peu, au cours du Synode, est devenue évidente une forte propension à l'espérance. Tout en faisant leurs les analyses de la complexité caractéristique du continent, les Pères synodaux ont compris que la plus grande urgence peut-être qui l'envahit, à l'Est comme à l'Ouest, est un besoin accru d'espérance, capable de donner un sens à la vie et à l'histoire, et d'aider à marcher ensemble. Toutes les réflexions du Synode ont cherché à répondre à ce besoin à partir du mystère du Christ et du mystère trinitaire. Le Synode a voulu proposer à nouveau la figure de Jésus vivant dans son Église, révélateur du Dieu Amour qui est communion des trois Personnes divines.

L'icône de l'Apocalypse
5. Par la présente Exhortation post-synodale, je suis heureux de pouvoir partager avec l'Église qui est en Europe les fruits de cette Deuxième Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques. Je désire ainsi répondre au souhait exprimé au terme des assises synodales, quand les Pasteurs m'ont transmis les textes de leurs réflexions, et m'ont prié de donner à l'Église en marche en Europe un document sur le thème même du Synode.
                «Celui qui a des oreilles, qu'il entende ce que l'Esprit dit aux Églises!» (Ap 2, 7). En annonçant à l'Europe l'Évangile de l'espérance, je prendrai pour guide le Livre de l'Apocalypse, «révélation prophétique» qui révèle à la communauté des croyants le sens caché et profond de ce qui arrivera (cf. Ap 1, 1). L'Apocalypse nous place devant une parole adressée aux communautés chrétiennes, afin qu'elles sachent interpréter et vivre leur insertion dans l'histoire, avec ses interrogations et ses tribulations, à la lumière de la victoire définitive de l'Agneau immolé et ressuscité. En même temps, nous nous trouvons face à une parole qui engage à vivre en abandonnant la tentation permanente de bâtir la cité des hommes sans tenir compte de Dieu ou même contre lui. En effet, si cela se vérifiait, ce serait la convivialité humaine elle-même qui essuierait, à plus ou moins brève échéance, une défaite irrémédiable.
                L'Apocalypse contient un encouragement adressé aux croyants: au-delà de toute apparence, et même si l'on n'en voit pas encore les effets, la victoire du Christ est déjà advenue et elle est définitive. Il s'ensuit une tendance à se placer face aux vicissitudes humaines dans une attitude de confiance fondamentale, qui découle de la foi dans le Ressuscité, présent et agissant dans l'histoire.

CHAPITRE I
JÉSUS CHRIST EST NOTRE ESPÉRANCE
                “Sois sans crainte. Je suis le Premier et le Dernier, je suis le Vivant” (Ap 1, 17-18)

Le Ressuscité est toujours avec nous
6. En un temps de persécutions, de tribulations et d'égarement pour l'Église à l'époque de l'auteur de l'Apocalypse (cf. Ap 1, 9), la parole qui retentit dans la vision est une parole d'espérance: «Sois sans crainte. Je suis le Premier et le Dernier, je suis le Vivant: j'étais mort, mais me voici vivant pour les siècles des siècles, et je détiens les clés de la mort et du séjour des morts» (Ap 1, 17- 18). Nous sommes ainsi placés face à l'Évangile, à la “bonne nouvelle”, qui est Jésus Christ lui- même. Il est le Premier et le Dernier: en Lui, toute l'histoire trouve son commencement, sa signification, sa direction, son accomplissement; en Lui et avec Lui, dans sa mort et sa résurrection, tout a déjà été dit. Il est le Vivant: il était mort, mais maintenant il vit pour toujours. Il est l'Agneau qui se tient debout face au trône de Dieu (cf. Ap 5, 6): il est immolé, car il a versé son sang pour nous sur le bois de la Croix; il est debout, car il est revenu à la vie pour toujours et il nous a montré la toute-puissance infinie de l'amour du Père. Il tient fermement dans ses mains les sept étoiles (cf. Ap 1, 16), c'est-à-dire l'Église de Dieu persécutée, en lutte contre le mal et contre le péché, mais qui a également le droit d'être joyeuse et victorieuse parce qu'elle est entre les mains de Celui qui a déjà vaincu le mal. Il marche au milieu des sept chandeliers d'or (cf. Ap 2, 1): il est présent et agissant dans son Église en prière. Il est aussi “celui qui vient” (Ap 1, 4) à travers la mission et l'action de l'Église tout au long de l'histoire humaine; il vient comme le moissonneur eschatologique, à la fin des temps, pour porter toute chose à son accomplissement (cf. Ap 14, 15-16; 22, 20).

I. Défis et signes d'espérance pour l'Église en Europe
L'obscurcissement de l'espérance
7. Cette parole est aussi adressée aujourd'hui aux Églises en Europe, souvent tentées par l'obscurcissement de l'espérance. En effet, le temps que nous vivons, avec les défis qui lui sont propres, apparaît comme une époque d'égarement. Beaucoup d'hommes et de femmes semblent désorientés, incertains, sans espérance, et de nombreux chrétiens partagent ces états d'âme. Nombreux sont les signes préoccupants qui, au début du troisième millénaire, troublent l'horizon du continent européen, lequel, “tout en étant riche d'immenses signes de foi et de témoignage, et dans le cadre d'une vie commune certainement plus libre et plus unie, ressent toute l'usure que l'histoire ancienne et récente a provoquée dans les fibres les plus profondes de ses populations, entraînant souvent la déception”.
                Parmi les nombreux aspects, amplement rappelés aussi à l'occasion du Synode, je voudrais mentionner la perte de la mémoire et de l'héritage chrétiens, accompagnée d'une sorte d'agnosticisme pratique et d'indifférentisme religieux, qui fait que beaucoup d'Européens donnent l'impression de vivre sans terreau spirituel et comme des héritiers qui ont dilapidé le patrimoine qui leur a été légué par l'histoire. On n'est donc plus tellement étonné par les tentatives de donner à l'Europe un visage qui exclut son héritage religieux, en particulier son âme profondément chrétienne, fondant les droits des peuples qui la composent sans les greffer sur le tronc irrigué par la sève vitale du christianisme.
                Certes, les prestigieux symboles de la présence chrétienne ne manquent pas dans le continent européen, mais avec l'expansion lente et progressive de la sécularisation, ils risquent de devenir un pur vestige du passé. Beaucoup n'arrivent plus à intégrer le message évangélique dans l'expérience quotidienne; il est de plus en plus difficile de vivre la foi en Jésus dans un contexte social et culturel où le projet chrétien de vie est continuellement mis au défi et menacé; dans de nombreux milieux de vie, il est plus facile de se dire athée que croyant; on a l'impression que la non-croyance va de soi tandis que la croyance a besoin d'une légitimation sociale qui n'est ni évidente ni escomptée.
8. Cette perte de la mémoire chrétienne s'accompagne d'une sorte de peur d'affronter l'avenir. L'image du lendemain qui est cultivée s'avère souvent pâle et incertaine. Face à l'avenir, on ressent plus de peur que de désir. On en trouve des signes préoccupants, entre autres, dans le vide intérieur qui tenaille de nombreuses personnes et dans la perte du sens de la vie. Parmi les expressions et les conséquences de cette angoisse existentielle, il faut compter en particulier la dramatique diminution de la natalité, la baisse des vocations au sacerdoce et à la vie consacrée, la difficulté, sinon le refus, de faire des choix définitifs de vie, même dans le mariage.
                On assiste à une fragmentation diffuse de l'existence; ce qui prévaut, c'est une sensation de solitude; les divisions et les oppositions se multiplient. Parmi les autres symptômes de cet état de fait, la situation actuelle de l'Europe connaît le grave phénomène des crises de la famille et de la disparition du concept même de famille, la persistance ou la réactivation de conflits ethniques, la résurgence de certaines attitudes racistes, les tensions interreligieuses elles-mêmes, l'attitude égocentrique qui enferme les personnes et les groupes sur eux-mêmes, la croissance d'une indifférence éthique générale et de la crispation excessive sur ses propres intérêts et privilèges. Pour beaucoup de personnes, au lieu d'orienter vers une plus grande unité du genre humain, la mondialisation en cours risque de suivre une logique qui marginalise les plus faibles et qui accroît le nombre des pauvres sur la terre.
                Parallèlement à l'expansion de l'individualisme, on note un affaiblissement croissant de la solidarité entre les personnes: alors que les institutions d'assistance accomplissent un travail louable, on observe une disparition du sens de la solidarité, de sorte que, même si elles ne manquent pas du nécessaire matériel, beaucoup de personnes se sentent plus seules, livrées à elles-mêmes, sans réseau de soutien affectif.
9. À la racine de la perte de l'espérance se trouve la tentative de faire prévaloir une anthropologie sans Dieu et sans le Christ. Cette manière de penser a conduit à considérer l'homme comme “le centre absolu de la réalité, lui faisant occuper faussement la place de Dieu. On oublie alors que ce n'est pas l'homme qui fait Dieu, mais Dieu qui fait l'homme. L'oubli de Dieu a conduit à l'abandon de l'homme”, et c'est pourquoi, “dans ce contexte, il n'est pas surprenant que se soient largement développés le nihilisme en philosophie, le relativisme en gnoséologie et en morale, et le pragmatisme, voire un hédonisme cynique, dans la manière d'aborder la vie quotidienne”. La culture européenne donne l'impression d'une “apostasie silencieuse” de la part de l'homme comblé qui vit comme si Dieu n'existait pas.
                Dans une telle perspective prennent corps les tentatives, renouvelées tout récemment encore, de présenter la culture européenne en faisant abstraction de l'apport du christianisme qui a marqué son développement historique et sa diffusion universelle. Nous sommes là devant l'apparition d'une nouvelle culture, pour une large part influencée par les médias, dont les caractéristiques et le contenu sont souvent contraires à l'Évangile et à la dignité de la personne humaine. De cette culture fait partie aussi un agnosticisme religieux toujours plus répandu, lié à un relativisme moral et juridique plus profond, qui prend racine dans la perte de la vérité de l'homme comme fondement des droits inaliénables de chacun. Les signes de la disparition de l'espérance se manifestent parfois à travers des formes préoccupantes de ce que l'on peut appeler une “culture de mort”.

L'inéluctable nostalgie de l'espérance
10. Mais, comme l'ont souligné les Pères synodaux, “l'homme ne peut pas vivre sans espérance: sa vie serait vouée à l'insignifiance et deviendrait insupportable”. Bien souvent, celui qui a besoin d'espérance croit pouvoir trouver un apaisement dans des réalités éphémères et fragiles. Et ainsi, l'espérance, emprisonnée dans un milieu purement humain fermé à la transcendance, est identifiée, par exemple, au paradis promis par la science et par la technique, ou à des formes diverses de messianisme, au bonheur de nature hédoniste procuré par le consumérisme ou au bonheur imaginaire et artificiel produit par des stupéfiants, à certaines formes de millénarisme, à l'attrait des philosophies orientales, à la recherche de formes de spiritualité ésotériques, aux divers courants du New Age.
                Mais tout cela se révèle profondément illusoire et incapable de satisfaire la soif de bonheur que le cœur de l'homme continue à ressentir en lui-même. Ainsi subsistent et s'intensifient les signes préoccupants de la disparition de l'espérance, qui parfois se manifestent même à travers des formes d'agressivité et de violence.

Signes d'espérance
11. Aucun être humain ne peut vivre sans perspectives d'avenir, et moins encore l'Église, qui vit dans l'attente du Royaume qui vient et qui est déjà présent dans ce monde. Il serait injuste de ne pas voir les signes de l'influence de l'Évangile du Christ dans la vie des sociétés. Les Pères synodaux les ont recherchés et soulignés.
                Il faut inscrire parmi ces signes le retour à la liberté pour l'Église dans l'Est européen, avec les nouvelles possibilités ainsi ouvertes pour l'action pastorale; le fait pour l'Église de se concentrer sur sa mission spirituelle et sur son engagement à vivre le primat de l'évangélisation, même dans ses rapports avec la réalité sociale et politique; la prise de conscience accrue de la mission propre de tous les baptisés, dans la diversité et la complémentarité des dons et des tâches; la présence plus marquée de la femme dans les structures et dans les milieux de la communauté chrétienne.

Une communauté de peuples
12. En considérant l'Europe en tant que communauté de citoyens, on ne manque pas de signes qui ouvrent à l'espérance; malgré les contradictions de l'histoire, nous pouvons, avec un regard de foi, voir en eux la présence de l'Esprit de Dieu qui renouvelle la face de la terre. Les Pères synodaux les ont décrits ainsi à la fin de leurs travaux: “Nous constatons avec joie l'ouverture croissante des peuples les uns aux autres, la réconciliation entre nations longtemps hostiles et ennemies, l'élargissement progressif du processus d'unification aux pays de l'Est européen. Reconnaissances, collaborations et échanges de tous ordres sont en développement, de sorte que se crée peu à peu une culture européenne, on peut même dire une conscience européenne, dont nous espérons qu'elle pourra faire croître, spécialement auprès des jeunes, le sentiment de la fraternité et la volonté du partage. Nous enregistrons comme positif le fait que tout ce processus se développe selon des méthodes démocratiques, sur un mode pacifique et dans un esprit de liberté qui respecte et valorise les légitimes diversités, suscitant et soutenant le processus d'unification de l'Europe. Nous saluons avec satisfaction ce qui a été fait pour préciser les conditions et les modalités du respect des droits humains. Dans le contexte, enfin, de la légitime et nécessaire unité économique et politique en Europe, tandis que nous enregistrons les signes de l'espérance qu'offre la considération accordée au droit et à la qualité de la vie, nous souhaitons vivement que, dans une fidélité créatrice à la tradition humaniste et chrétienne de notre continent, soit garanti le primat des valeurs éthiques et spirituelles”.

Les martyrs et les témoins de la foi
13. Mais je voudrais attirer l'attention en particulier sur certains signes qui se sont manifestés dans la vie proprement ecclésiale. Tout d'abord, avec les Pères synodaux, je veux proposer de nouveau à tous, afin qu'il ne soit jamais oublié, le grand signe d'espérance constitué par les nombreux témoins de la foi chrétienne qui ont vécu au siècle dernier, à l'Est comme à l'Ouest. Ils ont su faire leur l'Évangile dans des situations d'hostilité et de persécution, souvent jusqu'à l'épreuve finale de l'effusion du sang.
                Ces témoins, en particulier ceux qui ont affronté l'épreuve du martyre, sont un signe éloquent et grandiose, qu'il nous est demandé de contempler et d'imiter. Ils attestent à nos yeux la vitalité de l'Église; ils nous apparaissent comme une lumière pour l'Église et pour l'humanité, car ils ont fait resplendir dans les ténèbres la lumière du Christ; appartenant à diverses confessions chrétiennes, ils resplendissent de ce fait comme un signe d'espérance pour le cheminement œcuménique, dans la certitude que leur sang “est aussi une sève d'unité pour l'Église”.
                Plus radicalement encore, ils nous disent que le martyre est l'incarnation suprême de l'Évangile de l'espérance: “En effet, les martyrs annoncent cet Évangile et en témoignent par leur vie jusqu'à l'effusion du sang, car ils sont certains de ne pas pouvoir vivre sans le Christ et ils sont prêts à mourir pour lui, dans la conviction que Jésus est le Seigneur et le Sauveur des hommes et qu'en lui seulement l'homme peut donc trouver la véritable plénitude de la vie. De cette façon, selon l'avertissement de l'Apôtre Pierre, ils se montrent prêts à rendre compte de l'espérance qui est en eux (cf. 1 P 3, 15). En outre, les martyrs célèbrent l' “Évangile de l'espérance”, car l'offrande de leur vie est la manifestation la plus grande et la plus radicale de ce sacrifice vivant, saint et accepté par Dieu, qui constitue le véritable culte spirituel (cf. Rm 12, 1), origine, âme et sommet de toute célébration chrétienne. Enfin, ils servent l' “Évangile de l'espérance” parce que, par leur martyre, ils expriment au plus haut degré l'amour et le service de l'homme, en ce qu'ils démontrent que l'obéissance à la loi évangélique engendre une vie morale et une convivialité qui honorent et promeuvent la dignité et la liberté de chaque personne”.

La sainteté de beaucoup
14. La conversion opérée par l'Évangile a donné comme fruit la sainteté de beaucoup d'hommes et de femmes de notre temps. Non seulement de ceux qui ont été proclamés officiellement comme tels par l'Église, mais aussi de ceux qui, avec simplicité et dans la vie quotidienne, ont donné le témoignage de leur fidélité au Christ. Comment ne pas penser aux innombrables fils et filles de l'Église qui, tout au long de l'histoire du continent européen, ont vécu une généreuse et authentique sainteté dans le secret de la vie familiale, professionnelle et sociale ? “Tous ensemble, tels des “pierres vivantes” adhérant au Christ, la “pierre angulaire”, ils ont construit l'Europe comme édifice spirituel et moral, en laissant à la postérité l'héritage le plus précieux. Le Seigneur Jésus l'avait promis: “Celui qui croit en moi accomplira les mêmes œuvres que moi. Il en accomplira même de plus grandes, puisque je pars vers le Père” (Jn 14, 12). Les saints sont la preuve vivante de l'accomplissement de cette promesse et ils encouragent à croire que cela est possible, même dans les heures les plus difficiles de l'histoire”.

La paroisse et les mouvements ecclésiaux
15. L'Évangile continue à porter ses fruits dans les communautés paroissiales, parmi les personnes consacrées, dans les associations de laïcs, dans les groupes de prière et d'apostolat, dans diverses communautés de jeunes, comme aussi à travers la présence et la diffusion de réalités et de mouvements ecclésiaux nouveaux. En chacun d'eux, en effet, le même Esprit sait susciter un don de soi renouvelé à l'Évangile, une généreuse disponibilité pour le service, une vie chrétienne marquée par la radicalité évangélique et par l'élan missionnaire.
                Aujourd'hui encore en Europe, dans les pays anciennement communistes comme en Occident, la paroisse, tout en ayant besoin d'un renouvellement constant, garde encore et continue d'exercer une mission indispensable et de grande actualité dans le domaine pastoral et ecclésial. Elle reste en mesure d'offrir aux fidèles le milieu adapté pour un exercice réel de la vie chrétienne et d'être le lieu d'une authentique humanisation et socialisation, que ce soit dans un contexte de dispersion et d'anonymat propre aux grandes villes modernes, ou dans les zones rurales peu peuplées.
16. En même temps, tandis que j'exprime ma grande estime pour la présence et l'action des diverses associations et organisations d'apostolat, en particulier de l'Action catholique, avec les Pères synodaux je voudrais souligner la contribution propre que peuvent offrir, en communion avec les autres réalités ecclésiales et jamais de manière isolée, les nouveaux mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés ecclésiales. En effet, “ils aident les chrétiens à vivre plus radicalement selon l'Évangile; ils sont le berceau de diverses vocations et ils engendrent de nouvelles formes de consécration; ils promeuvent surtout la vocation des laïcs et l'amènent à s'exprimer dans les divers milieux de vie; ils favorisent la sainteté du peuple; ils peuvent être une annonce et une exhortation pour ceux qui n'ont pas d'autre occasion de rencontrer l'Église; bien souvent, ils soutiennent le cheminement œcuménique et ouvrent les voies au dialogue interreligieux; ils sont un antidote contre la diffusion des sectes; ils apportent une aide importante à la diffusion de la vivacité et de la joie dans l'Église”.

Le cheminement œcuménique
17. Nous remercions le Seigneur pour le grand et stimulant signe d'espérance constitué par les progrès qu'a su réaliser le cheminement œcuménique à l'enseigne de la vérité, de la charité et de la réconciliation. Il s'agit là de l'un des grands dons de l'Esprit Saint pour un continent comme l'Europe, qui a donné naissance aux graves divisions entre les chrétiens du deuxième millénaire et qui souffre encore beaucoup de leurs conséquences.
Je me souviens avec émotion de certains moments de grande intensité vécus durant les travaux synodaux et de la conviction unanime, exprimée également par les Délégués fraternels, que ce cheminement – malgré les problèmes qui subsistent encore et ceux, nouveaux, qui naissent peu à peu – ne peut être interrompu, mais qu'il doit se poursuivre avec une ardeur renouvelée, avec une détermination plus profonde et avec l'humble disposition de tous au pardon réciproque. Je fais volontiers miennes certaines expressions des Pères synodaux, car “le progrès dans le dialogue œcuménique, qui a son fondement le plus profond dans le Verbe même de Dieu, représente un signe de grande espérance pour l'Église d'aujourd'hui: la croissance de l'unité entre les chrétiens est en effet un enrichissement mutuel pour tous”. Il faut “considérer avec joie les progrès obtenus jusqu'à maintenant dans le dialogue, tant avec les frères des Églises orthodoxes qu'avec ceux des Communautés ecclésiales provenant de la Réforme, reconnaissant en eux un signe de l'action de l'Esprit, pour laquelle nous devons louer et remercier le Seigneur”.

II. Revenir au Christ, source de toute espérance
Confesser notre foi
18. De l'Assemblée synodale a jailli, lumineuse et puissante, la certitude que l'Église doit offrir à l'Europe le bien le plus précieux, que personne d'autre ne peut lui donner: la foi en Jésus Christ, source de l'espérance qui ne déçoit pas. Ce don est à l'origine de l'unité spirituelle et culturelle des peuples européens et, aujourd'hui encore comme à l'avenir, il peut constituer une contribution essentielle à leur développement et à leur intégration. Oui, en ce début du troisième millénaire, après vingt siècles, l'Église se présente toujours avec la même annonce, qui constitue son unique trésor: Jésus Christ est le Seigneur; en Lui et en nul autre est le salut (cf. Ac 4, 12). La source de l'espérance, pour l'Europe et pour le monde entier, c'est le Christ, et l'Église est “le chemin par lequel passe et se répand la vague de grâce surgie du Cœur transpercé du Rédempteur”.
                À partir de cette confession de foi jaillit de nos cœurs et de nos lèvres “une joyeuse [...] confession d'espérance: Toi, Seigneur ressuscité et vivant, [...] tu es l'unique et vraie espérance de l'homme et de l'histoire; tu es “parmi nous l'espérance de la gloire” (Col 1, 27), déjà en cette vie et aussi par-delà la mort. En toi et avec toi, nous pouvons accéder à la vérité, notre existence a un sens, la communion est possible, la diversité peut devenir richesse, la puissance du Règne est à l'œuvre dans l'histoire et aide à l'édification de la cité des hommes, la charité donne une valeur durable aux efforts de l'humanité, la souffrance peut devenir salvifique, la vie vaincra la mort, la création participera à la gloire des fils de Dieu”.

Jésus Christ, notre espérance
19. Jésus Christ est notre espérance parce que Lui, le Verbe éternel qui est éternellement dans le sein du Père (cf. Jn 1, 18), nous a aimés au point d'assumer notre nature humaine, excepté le péché, partageant notre vie pour nous sauver. La confession de cette vérité est au cœur même de notre foi. La perte de la vérité sur Jésus Christ ou son incompréhension empêchent de pénétrer dans le mystère même de l'amour de Dieu et de la communion trinitaire.
                Jésus Christ est notre espérance parce qu'Il révèle le mystère de la Trinité. Tel est le centre de la foi chrétienne qui peut encore offrir, comme elle l'a fait jusqu'à présent, une importante contribution à la mise en place de structures qui, en s'inspirant des grandes valeurs évangéliques ou en se mesurant à leur aune, promeuvent la vie, l'histoire et la culture des différents peuples du continent.
                Nombreuses sont les racines qui, par leur sève, ont conduit à reconnaître la valeur de la personne et de sa dignité inaliénable, le caractère sacré de la vie humaine et le rôle central de la famille, l'importance de l'enseignement et de la liberté de pensée, d'expression et de religion, tout comme elles ont conduit à la protection juridique des individus et des groupes, à la promotion de la solidarité et du bien commun, à la reconnaissance de la dignité du travail. Ces racines ont favorisé la sujétion du pouvoir politique à la loi et au respect du droit des personnes et des peuples. Il convient de rappeler ici l'esprit de la Grèce antique et de Rome, l'apport des peuples celtes, germaniques, slaves, finno-ougriens, ainsi que de la culture juive et du monde de l'islam. Mais il faut reconnaître que, historiquement parlant, ces inspirations ont trouvé dans la tradition judéo-chrétienne une force capable de les harmoniser, de les consolider et de les promouvoir. C'est un fait que l'on ne peut ignorer; au contraire, dans le processus de construction de la “maison commune européenne”, il faut reconnaître que cet édifice doit s'appuyer aussi sur les valeurs qui ont trouvé dans la tradition chrétienne leur pleine manifestation. En prendre acte tourne à l'avantage de tous.
                L'Église “n'a pas qualité pour exprimer une préférence en faveur de l'une ou l'autre solution institutionnelle ou constitutionnelle” de l'Europe, et elle veut donc respecter de manière cohérente la légitime autonomie de l'ordre civil. Mais elle a le devoir de raviver dans le cœur des chrétiens d'Europe la foi en la Trinité, en sachant bien qu'une telle foi est un signe avant-coureur d'une authentique espérance pour le continent. Bien des grands paradigmes de référence mentionnés ci-dessus, qui sont à la base de la civilisation européenne, ont leurs racines les plus profondes dans la foi trinitaire. Cette dernière porte en elle une extraordinaire puissance spirituelle, culturelle et éthique, capable, entre autres, d'éclairer aussi certaines grandes questions qui se posent aujourd'hui en Europe, telles que la désagrégation sociale et la perte d'une référence qui donne un sens à la vie et à l'histoire. Il apparaît donc nécessaire de renouveler la réflexion théologique, spirituelle et pastorale du mystère trinitaire.
20. Les Églises particulières en Europe ne sont pas de simples entités ou organisations privées. En réalité, elles déploient leur action dans une dimension institutionnelle spécifique qui mérite d'être mise en valeur sur le plan juridique, dans le plein respect du bon ordonnancement civil. Réfléchissant sur elles-mêmes, les communautés chrétiennes doivent se découvrir à nouveau comme un don par lequel Dieu enrichit les peuples qui vivent sur le continent. Telle est l'annonce joyeuse qu'elles sont appelées à transmettre à toute personne. En approfondissant la dimension missionnaire qui leur est propre, elles doivent attester constamment que Jésus Christ “est l'unique médiateur, porteur de salut pour l'humanité tout entière: en lui seulement l'humanité, l'histoire et le cosmos trouvent leur signification définitivement positive et se réalisent en totalité; il recèle en lui-même, dans son événement et dans sa personne, les raisons ultimes du salut; il n'est pas seulement un médiateur de salut, il est aussi la source même de ce salut”.
                Dans le contexte actuel du pluralisme éthique et religieux qui caractérise de plus en plus l'Europe, il est donc nécessaire de confesser et de proposer à nouveau la vérité sur le Christ, unique Médiateur entre Dieu et les hommes, et unique Rédempteur du monde. C'est pourquoi – comme je l'ai fait à la fin de l'Assemblée synodale – avec toute l'Église j'invite mes frères et sœurs dans la foi à savoir constamment s'ouvrir en toute confiance au Christ et à se laisser renouveler par lui, annonçant à toute personne de bonne volonté, avec la force de la paix et de l'amour, que celui qui rencontre le Seigneur connaît la Vérité, découvre la Vie, trouve la Voie qui y conduit (cf. Jn 14, 6; Ps 16 [15], 11). Par le style de vie des chrétiens et par leur témoignage en parole, les habitants de l'Europe pourront découvrir que le Christ est l'avenir de l'homme. Dans la foi de l'Église, “il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés” (Ac 4, 12).
21. Pour les croyants, Jésus Christ est l'espérance de toute personne parce qu'il donne la vie éternelle. Il est “le Verbe de vie” (1 Jn 1, 1), venu dans le monde pour que les hommes “aient la vie et l'aient en surabondance” (Jn 10, 10). Il nous montre ainsi que le sens véritable de l'existence de l'homme ne reste pas enfermé sur l'horizon humain, mais qu'il s'ouvre sur l'éternité. Chaque Église particulière en Europe a la mission de prendre en compte la soif de vérité de toute personne et le besoin de valeurs authentiques susceptibles d'animer les peuples du continent. Avec une énergie renouvelée, il lui revient de présenter la nouveauté qui la fait vivre. Il s'agit de mettre en œuvre une action culturelle et missionnaire organique qui, par des activités et des argumentations convaincantes, montre que la nouvelle Europe a besoin de retrouver ses racines profondes. Dans ce contexte, ceux qui s'inspirent des valeurs évangéliques ont une fonction essentielle à exercer, qui fait partie du fondement solide sur lequel doit être édifiée une convivialité plus humaine et plus pacifique, parce qu'elle respecte tous et chacun.
                Il est nécessaire que les Églises particulières en Europe sachent redonner à l'espérance sa dimension eschatologique originale. La véritable espérance chrétienne est en effet théologale et eschatologique, fondée sur le Ressuscité qui viendra de nouveau comme Rédempteur et Juge, et qui nous appelle à la résurrection et au bonheur éternel.

Jésus Christ vivant dans l'Église
22. En retournant au Christ, les peuples européens pourront retrouver l'espérance qui seule offre une plénitude de sens à la vie. Aujourd'hui encore, ils peuvent le rencontrer car Jésus est présent, il vit et il agit au cœur de son Église: il est dans l'Église et l'Église est en lui (cf. Jn 15, 1ss; Ga 3, 28; Ep 4, 15-16; Ac 9, 5). En elle, par le don de l'Esprit Saint, il poursuit constamment son œuvre de salut.
                Avec les yeux de la foi, nous devenons capables de voir la présence mystérieuse de Jésus dans les divers signes qu'il nous a laissés. Avant tout, il est présent dans la sainte Écriture, qui, en toutes ses parties, parle de Lui (cf. Lc 24, 27. 44- 47). Cependant, de manière vraiment unique, il est présent sous les espèces eucharistiques. Cette “présence, on la nomme “réelle”, non à titre exclusif, comme si les autres présences n'étaient pas “réelles”, mais par excellence parce qu'elle est substantielle et que par elle le Christ, Homme-Dieu, se rend présent tout entier”. En effet, dans l'Eucharistie “sont contenus vraiment, réellement et substantiellement, le Corps et le Sang conjointement avec l'âme et la divinité de notre Seigneur Jésus Christ, et, par conséquent, le Christ tout entier”. “L'Eucharistie est vraiment “mysterium fidei”, mystère qui dépasse notre intelligence et qui ne peut être accueilli que dans la foi”. Réelle aussi est la présence de Jésus dans les autres actions liturgiques que l'Église célèbre en son nom. Au nombre de celles-ci, il faut compter les sacrements, actions du Christ qu'il accomplit par l'intermédiaire des hommes.
                Jésus est aussi présent dans le monde par d'autres modes tout à fait réels, et spécialement dans ses disciples qui, fidèles au double commandement de la charité, adorent Dieu en esprit et en vérité (cf. Jn 4, 24) et témoignent par leur vie de l'amour fraternel qui les fait reconnaître comme disciples du Seigneur (cf. Mt 25, 31-46; Jn 13, 35; 15, 1-17).

CHAPITRE II
L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE CONFIÉ À L'ÉGLISE DU NOUVEAU MILLÉNAIRE
“Réveille-toi, ranime ce qui te reste de vie défaillante !” (Ap 3, 2)

I. Le Seigneur appelle à la conversion
Jésus s'adresse aujourd'hui à nos Églises
23. “Ainsi parle celui qui tient les sept étoiles en sa droite et qui marche au milieu des sept candélabres d'or [...], le Premier et le Dernier, celui qui fut mort et qui a repris vie [...], le Fils de Dieu” (Ap 2, 1. 8. 18). C'est Jésus lui-même qui parle à son Église. Son message s'adresse à toutes les Églises particulières et concerne leur vie interne, parfois marquée par la présence de conceptions et de mentalités incompatibles avec la tradition évangélique, souvent en butte à diverses formes de persécutions et, de façon plus périlleuse encore, menacée par des symptômes préoccupants de sécularisation, de perte de la foi des origines, de compromis avec la logique du monde. Il est fréquent que les communautés aient perdu l'amour d'antan (cf. Ap 2, 4).
                On constate que nos communautés ecclésiales sont affrontées à des faiblesses, à des lassitudes et à des contradictions. Elles ont besoin, elles aussi, d'écouter à nouveau la voix de l'Époux qui les invite à la conversion, qui les pousse à se lancer avec audace sur des chemins nouveaux et qui les appelle à s'engager dans la grande œuvre de la “nouvelle évangélisation”. L'Église doit constamment se soumettre au jugement de la parole du Christ et vivre son existence humaine dans un état de purification pour être toujours plus et toujours mieux l'Épouse sans tache ni ride, revêtue de lin d'une blancheur éclatante (cf. Ep 5, 27; Ap 19, 7-8).
                C'est ainsi que Jésus Christ appelle nos Églises en Europe à la conversion et elles deviennent alors, avec leur Seigneur et par la force de sa présence, porteuses d'espérance pour l'humanité.

L'action de l'Évangile tout au long de l'histoire
24. L'Europe a été largement et profondément pénétrée par le christianisme. “Il n'y a pas de doute que, dans l'histoire complexe de l'Europe, le christianisme représente un élément central et caractéristique, renforcé par le solide fondement de l'héritage classique et des contributions multiples apportées par divers mouvements ethniques et culturels qui se sont succédée au cours des siècles. La foi chrétienne a façonné la culture du continent et a été mêlée de façon inextricable à son histoire, au point que celle-ci serait incompréhensible sans référence aux événements qui ont caractérisé d'abord la grande période de l'évangélisation, puis les longs siècles au cours desquels le christianisme, malgré la douloureuse division entre l'Orient et l'Occident, s'est affirmé comme la religion des Européens eux-mêmes. Dans la période moderne et contemporaine aussi, lorsque l'unité religieuse s'est progressivement fractionnée tant à cause de nouvelles divisions intervenues entre les chrétiens qu'en raison des processus qui ont amené la culture à se détacher des perspectives de la foi, le rôle de cette dernière a gardé un relief non négligeable”.
25. L'intérêt que l'Église porte à l'Europe provient de sa nature même et de sa mission. Tout au long des siècles en effet, l'Église a eu des liens très étroits avec notre continent, si bien que le visage spirituel de l'Europe s'est trouvé modelé par les efforts de grands missionnaires, par le témoignage de saints et de martyrs, et par l'action assidue de moines, de religieux et de pasteurs. À partir de la conception biblique de l'homme, l'Europe a forgé sa culture humaniste dans ce qu'elle a de meilleur; elle y a puisé son inspiration pour ses créations intellectuelles et artistiques; elle a élaboré des normes de droit et, par-dessus tout, elle a promu la dignité de la personne, source de droits inaliénables. Ainsi l'Église, dépositaire de l'Évangile, a contribué à répandre et à affermir les valeurs qui ont donné un caractère universel à la culture européenne.
                Se souvenant de tout cela, l'Église d'aujourd'hui se rend compte, avec une responsabilité renouvelée, qu'il est urgent de ne pas perdre ce précieux patrimoine et d'aider l'Europe à se construire elle-même en redonnant vie aux racines chrétiennes de ses origines.

Pour façonner un véritable visage d'Église
26. Que l'ensemble de l'Église en Europe entende comme lui étant adressés le commandement et l'invitation du Seigneur: reviens à moi, convertis-toi, “Réveille-toi, ranime ce qui te reste de vie défaillante !” (Ap 3, 2). C'est une exigence qui se fait jour aussi lorsqu'on observe notre temps: “La grave situation d'indifférence religieuse de tant d'Européens, le grand nombre de ceux qui, sur notre continent aussi, ne connaissent pas encore Jésus Christ et son Église, et qui ne sont pas encore baptisés, le sécularisme qui gagne une large frange de chrétiens qui pensent, décident et vivent de manière habituelle comme si “le Christ n'existait pas”, tout cela, loin d'éteindre notre espérance, la rend plus humble et plus capable de se fier à Dieu seul. De sa miséricorde, nous recevons la grâce et l'engagement de la conversion”.
27. Même si parfois, comme dans l'épisode évangélique de la tempête apaisée (cf. Mc 4, 35-41; Lc 8, 22-25), on a l'impression que le Christ dort et abandonne sa barque à la fureur des vagues, il est demandé à l'Église en Europe de cultiver la certitude que le Seigneur, par le don de son Esprit, est toujours présent et agit toujours en elle et dans l'histoire de l'humanité. Il prolonge sa mission dans le temps, faisant de l'Église un fleuve de vie nouvelle qui se répand dans la vie de l'humanité comme un signe d'espérance pour tous.
                Dans un contexte où l'on est facilement tenté par l'activisme, même sur le plan pastoral, il est demandé aux chrétiens en Europe de continuer à être un vrai reflet du Ressuscité, en vivant dans une communion intime avec lui. On a besoin de communautés qui, contemplant et imitant la Vierge Marie, figure et modèle de l'Église par sa foi et sa sainteté, gardent le sens de la vie liturgique et de la vie intérieure. Avant tout et surtout, elles devront louer le Seigneur, le prier, l'adorer et écouter sa Parole. Ce n'est qu'ainsi qu'elles pourront assimiler son mystère, vivant totalement pour Lui, comme membres de son Épouse fidèle.
28. Face aux influences permanentes qui poussent à la division et à l'opposition, les diverses Églises particulières en Europe, fortes de leur lien avec le Successeur de Pierre, doivent s'engager à être véritablement lieu et instrument de communion pour tout le peuple de Dieu, dans la foi et dans l'amour. C'est pourquoi elles cultiveront un climat de charité fraternelle, vécue avec une radicalité évangélique, au nom de Jésus et de son amour; elles développeront une ambiance de rapports amicaux, de communication, de coresponsabilité, de participation, de conscience missionnaire, d'attention et de service; elles seront animées par des attitudes d'estime, d'accueil et de correction mutuelle (cf. Rm 12, 10; 15, 7-14), ainsi que de service et de soutien réciproque (cf. Ga 5, 13; 6, 2), de pardon mutuel (cf. Col 3, 13) et d'édification les uns des autres (1 Th 5, 11); elles s'emploieront à poursuivre une pastorale qui, mettant en valeur toutes les légitimes diversités, favorise en même temps une collaboration cordiale entre tous les fidèles et leurs différentes associations; elles relanceront pour cela les organismes de participation, qui sont de précieux instruments de communion en vue d'une action missionnaire concertée, suscitant la présence d'agents pastoraux préparés de manière appropriée et dûment qualifiés. Ainsi, ces Églises, animées par la communion qui est manifestation de l'amour de Dieu, fondement et raison de l'espérance qui ne déçoit pas (cf. Rm 5, 5), seront à la fois un reflet plus resplendissant de la Trinité et un signe qui interpelle et invite à croire (cf. Jn 17, 21).
29. Pour que la communion dans l'Église puisse être vécue plus pleinement, il convient de mettre en valeur la variété des charismes et des vocations, qui convergent toujours plus vers l'unité et qui peuvent l'enrichir (cf. 1 Co 12). Dans cette perspective, il est également nécessaire, d'une part, que les nouveaux mouvements et les nouvelles communautés d'Église, “renonçant à toute tentation de revendiquer des droits d'aînesse et à toute incompréhension des uns à l'égard des autres”, progressent sur le chemin d'une plus authentique communion entre eux et avec toutes les autres réalités ecclésiales, et qu'ils “vivent avec amour dans la pleine obéissance aux Évêques”; d'autre part, il est nécessaire aussi que les Évêques, “en leur manifestant l'amour paternel qui est le propre des pasteurs”, sachent reconnaître, mettre en valeur et coordonner leurs charismes et leur présence, pour l'édification de l'unique Église.
                En effet, par une collaboration croissante entre les différentes réalités ecclésiales sous la conduite aimante des pasteurs, l'Église entière pourra présenter à tous un visage plus beau et plus crédible, reflet plus limpide de celui du Seigneur, et elle pourra ainsi contribuer à redonner espérance et consolation à ceux qui la cherchent comme à ceux qui, bien qu'ils ne la cherchent pas, en ont besoin.
                Afin de pouvoir répondre à l'appel de l'Évangile à la conversion, “il nous faut faire tous ensemble un humble et courageux examen de conscience pour reconnaître nos peurs et nos erreurs, pour confesser avec sincérité nos lenteurs, nos omissions, nos infidélités et nos fautes”. Loin de favoriser des attitudes défaitistes de découragement, la reconnaissance évangélique de ses propres fautes ne pourra que susciter dans la communauté l'expérience que vit le baptisé: la joie d'une profonde libération et la grâce d'un nouveau départ, ce qui permet de poursuivre avec une vigueur renouvelée le chemin de l'évangélisation.

Pour progresser vers l'unité des chrétiens
30. Enfin, c'est aussi dans le domaine œcuménique que l'Évangile de l'espérance est une force et un appel à la conversion. Dans la certitude que l'unité des chrétiens répond à la volonté du Seigneur “pour qu'ils soient un” (cf. Jn 17, 11) et qu'elle se présente aujourd'hui comme une nécessité pour une plus grande crédibilité de l'évangélisation et comme une contribution à l'unité de l'Europe, il faut que toutes les Églises et Communautés ecclésiales “soient aidées et encouragées à interpréter le cheminement œcuménique comme un mouvement où l'on “va ensemble” vers le Christ” et vers l'unité visible voulue par lui, de telle sorte que l'unité dans la diversité resplendisse dans l'Église comme don de l'Esprit Saint, artisan de communion.
                Pour que cela se réalise, il convient que tous fournissent un effort patient et constant, animé d'une authentique espérance et en même temps d'un sobre réalisme, et visant à “la mise en valeur de ce qui déjà nous unit, à l'estime sincère et réciproque, à l'élimination des préjugés, à la connaissance et à l'amour mutuels”. Dans ce sens, le fait de s'engager pour l'unité, si l'on veut que cet engagement repose sur des bases solides, ne peut pas ne pas comporter la recherche passionnée de la vérité, par un dialogue et une confrontation qui, tout en reconnaissant les résultats déjà obtenus, sachent les utiliser comme une incitation à aller de l'avant pour surmonter les divergences qui divisent encore les chrétiens.
31. Il est indispensable de poursuivre le dialogue avec détermination, sans capituler devant les difficultés et les épreuves. Ce dialogue doit être mené “sous divers aspects (doctrinal, spirituel et pratique), en suivant la logique de l'échange des dons, que l'Esprit suscite dans chaque Église, et en éduquant les communautés et les fidèles, surtout les jeunes, à vivre des moments de rencontres et à faire de l'œcuménisme bien compris une dimension ordinaire de la vie et de l'action ecclésiales”.
                Ce dialogue est une des préoccupations majeures de l'Église, surtout en Europe, elle qui, au cours du précédent millénaire, a vu naître trop de divisions entre les chrétiens et qui progresse aujourd'hui vers une plus grande unité. Nous ne pouvons pas nous arrêter en chemin ni retourner en arrière ! Nous devons poursuivre notre marche et vivre dans la confiance, car, avec la grâce de Dieu, l'estime réciproque, la recherche de la vérité, la collaboration dans la charité et surtout l'œcuménisme de la sainteté ne pourront pas ne pas porter leurs fruits.
32. Malgré les inévitables difficultés, j'invite tout le monde à reconnaître et à apprécier, avec amour et dans un esprit fraternel, la contribution que les Églises catholiques orientales, par leur présence même, par la richesse de leur tradition, par le témoignage de leur “unité dans la diversité”, par l'inculturation qu'elles ont réalisée dans l'annonce de l'Évangile et par la diversité de leurs rites, peuvent apporter à une édification plus réelle de l'unité. En même temps, je veux une fois encore assurer les pasteurs, ainsi que nos frères et sœurs des Églises orthodoxes, que la nouvelle évangélisation ne peut en aucune manière être confondue avec le prosélytisme, restant sauf le devoir de respecter la vérité, la liberté et la dignité de toute personne.

II. L'Église entière envoyée en mission
33. Servir l'Évangile de l'espérance par une charité qui évangélise est un devoir et une responsabilité pour tous. Quel que soit en effet le charisme ou le ministère de chacun, la charité est la voie royale indiquée à tous et que tous peuvent parcourir: c'est la voie que la communauté ecclésiale tout entière est appelée à suivre sur les pas de son Maître.

L'engagement des ministres ordonnés
34. Les prêtres, en vertu de leur ministère, sont appelés de manière spéciale à célébrer, à enseigner et à servir l'Évangile de l'espérance. En raison du sacrement de l'Ordre qui les configure au Christ, Chef et Pasteur, les évêques et les prêtres doivent conformer toute leur vie et toute leur action à Jésus; par la prédication de la Parole, par la célébration des sacrements et en guidant la marche de la communauté chrétienne, ils rendent présent le mystère du Christ et, à travers l'exercice même de leur ministère, ils “sont appelés à prolonger la présence du Christ, unique et souverain Pasteur, en retrouvant son style de vie et en se rendant en quelque sorte transparents à lui au milieu du troupeau qui leur est confié”.
                Insérés dans le monde sans être du monde (cf. Jn 17, 15-16), ils sont appelés, dans la situa- tion culturelle et spirituelle présente du continent européen, à être signes de contradiction et d'espérance pour une société qui est malade de vivre à un niveau horizontal et qui a besoin de s'ouvrir au Transcendant.
35. De ce point de vue, le célibat sacerdotal prend un relief particulier comme signe d'une espérance fondée totalement sur le Seigneur. Le célibat n'est pas une simple discipline ecclésiastique imposée par l'autorité; au contraire, il est avant tout une grâce, un don inestimable de Dieu pour l'Église, valeur prophétique pour le monde actuel, don de soi dans le Christ pour son Église, source de vie spirituelle intense et de fécondité pastorale, témoignage du Royaume eschatologique, signe de l'amour de Dieu envers ce monde en même temps que signe de l'amour sans partage du prêtre envers Dieu et envers son peuple. Vécu comme réponse au don de Dieu et dépassement des tentations d'une société hédoniste, non seulement le célibat favorise l'épanouissement humain de celui qui y est appelé, mais il se révèle un facteur de croissance pour les autres aussi.
                Estimé dans toute l'Église comme un bien pour le sacerdoce, exigé comme une obligation par l'Église latine, tenu en grand respect par les Églises orientales, le célibat, dans le contexte de la culture actuelle, apparaît comme un signe éloquent qui doit être conservé comme un bien précieux pour l'Église. Une révision de la discipline actuelle en ce domaine ne permettrait pas de résoudre la crise des vocations au presbytérat à laquelle on assiste en de nombreuses régions d'Europe. Le service de l'Évangile de l'espérance requiert aussi que, dans l'Église, on s'efforce de présenter le célibat dans toute sa richesse biblique, théologique et spirituelle.
36. Nous ne pouvons ignorer que l'exercice du ministère sacré est confronté de nos jours à bien des difficultés liées tant à l'ambiance culturelle qu'à la diminution du nombre de prêtres, avec l'accroissement des charges pastorales et la fatigue qui en découlent. En conséquence, les prêtres qui se consacrent avec un dévouement et une fidélité admirables au ministère qui leur est confié sont encore plus dignes d'estime, de gratitude et d'affection.
                Avec confiance et gratitude, je veux moi aussi leur exprimer mes encouragements, en reprenant les propos des Pères du Synode: “Ne perdez pas cœur et ne vous laissez pas accabler par la fatigue; en pleine communion avec nous, évêques, en fraternité joyeuse avec les autres prêtres, en cordiale responsabilité avec les consacrés et tous les fidèles laïcs, continuez votre œuvre précieuse et irremplaçable”!
                Outre les prêtres, je désire évoquer aussi les diacres, qui participent au sacrement de l'Ordre, bien qu'à un degré différent. Envoyés pour servir la communion ecclésiale, ils exercent, sous la direction de l'Évêque et avec son presbyterium, la “diaconie” de la liturgie, de la parole et de la charité. De cette manière qui leur est propre, ils sont au service de l'Évangile de l'espérance.

Le témoignage des personnes consacrées
37. Le témoignage des personnes consacrées est particulièrement éloquent. À ce propos, il faut avant tout reconnaître le rôle fondamental qu'ont eu le monachisme et la vie consacrée dans l'évangélisation de l'Europe et dans l'édification de son identité chrétienne. Un tel rôle ne doit pas disparaître de nos jours, au moment où une “nouvelle évangélisation” du continent se fait urgente et où l'établissement de structures et de liens plus complexes le met en face d'un tournant délicat. L'Europe a toujours besoin de la sainteté, de l'esprit prophétique, de l'activité d'évangélisation et de service des personnes consacrées. Il convient aussi de souligner la contribution spécifique que les Instituts séculiers et les Sociétés de Vie apostolique peuvent apporter grâce à leur aspiration à transformer le monde, de l'intérieur, par la puissance des béatitudes.
38. L'apport spécifique que les personnes con- sacrées peuvent fournir à l'Évangile de l'espérance trouve son point de départ dans quelques aspects qui caractérisent de nos jours le visage culturel et social de l'Europe. Ainsi, la demande de nouvelles formes de spiritualité, qui se fait sentir aujourd'hui dans la société, doit trouver une réponse dans la reconnaissance du primat absolu de Dieu, vécu par les personnes consacrées dans le don total d'elles-mêmes, dans la conversion permanente d'une existence offerte comme un vrai culte spirituel. Dans un monde marqué par le laïcisme et soumis au vertige de la consommation, la vie consacrée, don de l'Esprit à l'Église et pour l'Église, devient toujours plus signe d'espérance dans la mesure où elle témoigne de la dimension transcendante de l'existence. D'autre part, dans la situation pluriculturelle et multireligieuse actuelle, le témoignage de fraternité évangélique qui caractérise la vie consacrée est exigé, faisant de cette dernière une incitation à la purification et à l'intégration de valeurs différentes grâce au dépassement des antagonismes. La présence de nouvelles formes de pauvreté et de marginalisation doit susciter la créativité qui fut celle de tant de fondateurs d'Instituts religieux pour venir en aide à ceux qui sont dans le besoin. Enfin, la tendance à un certain repliement sur soi demande que l'on trouve un antidote dans la disponibilité des personnes consacrées, afin que soit poursuivie l'œuvre de l'évangélisation sur d'autres continents, malgré la diminution du nombre de membres que l'on constate dans certains Instituts.

Le souci des vocations
39. L'engagement des ministres ordonnés et des personnes consacrées étant déterminant, on ne peut passer sous silence le manque inquiétant de séminaristes et de candidats à la vie religieuse, surtout en Europe occidentale. Une telle situation exige l'engagement de tous en faveur d'une pastorale appropriée des vocations. C'est seulement “quand on présente aux jeunes la personne du Christ dans toute sa plénitude que naît en eux une espérance qui les pousse à tout laisser pour le suivre, en réponse à son appel, et pour être ses témoins auprès de leurs contemporains”. Le souci des vocations est donc une question vitale pour l'avenir de la foi chrétienne en Europe et, par suite, pour le progrès spirituel des peuples qui y vivent; c'est un passage obligé pour l'Église, si elle veut annoncer, célébrer et servir l'Évangile de l'espérance.
40. Pour mettre en œuvre l'indispensable pastorale des vocations, il convient de présenter aux fidèles la foi de l'Église concernant la nature et la dignité du sacerdoce ministériel; d'encourager les familles à vivre comme de véritables “Églises domestiques”, afin que les diverses vocations puissent y être discernées, accueillies et accompagnées; de réaliser une action pastorale qui aide les fidèles, surtout les jeunes, à faire le choix d'une vie fondée sur le Christ et totalement consacrée à l'Église.
                Sachant que l'Esprit Saint est à l'œuvre aujourd'hui encore et que les signes de sa présence ne manquent pas, il s'agit avant tout d'insérer la pastorale des vocations dans tous les secteurs de la pastorale ordinaire. Pour ce faire, il est nécessaire de “raviver, surtout chez les jeunes, une profonde nostalgie de Dieu, créant ainsi le contexte capable de faire surgir de généreuses réponses de vocations”; “il est urgent qu'un grand mouvement de prière traverse les communautés ecclésiales du continent européen”, car “le changement des conditions historiques et culturelles exige que la pastorale des vocations soit perçue comme un des objectifs premiers de toute la communauté chrétienne”. Il est indispensable aussi que les prêtres eux-mêmes vivent et agissent en parfaite harmonie avec leur identité sacramentelle véritable. En effet, si l'image qu'ils donnent d'eux-mêmes est opaque ou terne, comment pourraient-ils pousser les jeunes à les imiter ?

La mission des laïcs
41. La participation des fidèles laïcs à la vie de l'Église est unique: le rôle qui leur revient dans l'annonce et le service de l'Évangile de l'espérance est en effet irremplaçable, car, “par eux, l'Église du Christ est présente dans les secteurs les plus variés du monde, comme signe et source d'espérance et d'amour”. Participant pleinement à la mission de l'Église dans le monde, ils sont appelés à montrer que la foi chrétienne est la seule réponse exhaustive aux interrogations que la vie pose à tout homme et à toute société, et ils peuvent implanter dans le monde les valeurs du Royaume de Dieu, promesse et gage d'une espérance qui ne déçoit pas.
                L'Europe d'hier et d'aujourd'hui connaît une présence significative et l'exemple lumineux de telles figures de laïcs. Comme l'ont souligné les Pères du Synode, il faut évoquer entre autres, avec gratitude, le souvenir d'hommes et de femmes qui ont témoigné et qui témoignent du Christ et de son Évangile, par leur service de la vie publique et les responsabilités que celle-ci comporte. Il est d'une importance capitale “de susciter et de soutenir des vocations spécifiques au service du bien commun: des personnes qui, à l'exemple et avec le style de ceux qui ont été appelés “les pères de l'Europe”, sachent être les artisans de la société européenne de l'avenir, en l'asseyant sur les bases solides de l'esprit”.
                Il faut apprécier tout autant l'œuvre accomplie par des laïcs chrétiens, hommes et femmes, souvent dans une vie ordinaire et cachée, à travers d'humbles services qui leur permettent d'annoncer la miséricorde de Dieu à ceux qui sont plongés dans la pauvreté; nous devons leur être reconnaissants pour l'audacieux témoignage de charité et de pardon qu'ils donnent, évangélisant par ces valeurs les vastes horizons de la politique, de la vie sociale, de l'économie, de la culture, de l'écologie, de la vie internationale, de la famille, de l'éducation, de la vie professionnelle, du travail et de la souffrance. À cette fin, il est utile d'avoir des itinéraires pédagogiques qui rendent les fidèles laïcs capables d'un engagement de foi au sein des réalités temporelles. De tels parcours, fondés sur un sérieux apprentissage de la vie ecclésiale, en particulier sur l'étude de la doctrine sociale, doivent être en mesure de leur apporter non seulement la doctrine et le dynamisme, mais aussi les éléments spirituels adaptés qui soutiennent leur engagement vécu comme un authentique chemin de sainteté.

Le rôle de la femme
42. L'Église est bien consciente de l'apport spécifique de la femme dans le service de l'Évangile de l'espérance. L'histoire de la communauté chrétienne montre que les femmes ont toujours eu une place importante dans le témoignage évangélique. Il faut se souvenir de tout ce qu'elles ont fait, souvent dans le silence et de manière cachée, dans l'accueil et la transmission du don de Dieu, aussi bien par la maternité physique ou spirituelle, les activités éducatives, la catéchèse, l'accomplissement de grandes œuvres de charité, que par la vie de prière et de contemplation, les expériences mystiques et la rédaction d'écrits remplis de sagesse évangélique.
                À la lumière des très riches témoignages du passé, l'Église manifeste sa confiance dans ce que les femmes peuvent faire aujourd'hui pour la croissance de l'espérance à tous les niveaux. Il y a des aspects de la société européenne contemporaine qui constituent un défi pour la capacité qu'ont les femmes d'accueillir, de partager et d'engendrer dans l'amour, avec ténacité et générosité. Que l'on pense, par exemple, à la mentalité scientifique et technique largement répandue, qui relègue dans l'ombre la dimension affective et le rôle des sentiments, à l'absence du sens de la gratuité, à la crainte diffuse de donner la vie à des êtres nouveaux, à la difficulté de se placer dans une relation de réciprocité avec l'autre et d'accueillir celui qui est différent de soi. C'est dans ce contexte que l'Église attend des femmes l'apport vivifiant d'une nouvelle vague d'espérance.
43. Mais pour que cela puisse se vérifier, il est nécessaire que, avant tout dans l'Église, soit promue la dignité de la femme, car l'homme et la femme ont la même dignité, ayant été créés tous deux à l'image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1, 27), et comblés chacun de dons propres et particuliers.
                Comme cela a été souligné durant le Synode, il est souhaitable que, pour favoriser la pleine participation des femmes à la vie et à la mission de l'Église, leurs talents soient davantage mis en valeur, y compris par l'attribution de fonctions ecclésiales qui reviennent de droit aux laïcs. Il faut aussi mettre convenablement en valeur la mission de la femme comme épouse et mère, et son dévouement dans la vie familiale.
                L'Église ne manque pas d'élever la voix pour dénoncer les injustices et les violences perpétrées contre les femmes, en quelque lieu ou circonstance qu'elles se produisent. Elle demande que soient véritablement appliquées les lois qui protègent les femmes et que soient prises des mesures efficaces contre l'usage humiliant d'images féminines dans la publicité commerciale et contre le fléau de la prostitution; elle souhaite que le service rendu par les mères dans le cadre de la vie familiale, au même titre que le service rendu par les pères, soit considéré comme une contribution au bien commun, y compris à travers des formes de reconnaissance économique.

CHAPITRE III
ANNONCER L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE
                “Va prendre le petit livre ouvert [...] et mange-le” (Ap 10, 8. 9)

I. Proclamer le mystère du Christ
La révélation donne un sens à l'histoire
44. La vision de l'Apocalypse nous parle d'“un Livre en forme de rouleau, écrit à l'intérieur et à l'extérieur, scellé de sept sceaux”, tenu “dans la main droite de Celui qui siège sur le Trône céleste” (Ap 5, 1). Ce texte contient le plan créateur et sauveur de Dieu, son projet détaillé sur toute la réalité, sur les personnes, sur les choses, sur les événements. Aucun être créé, terrestre ou céleste, n'est en mesure d'“ouvrir le livre et d'en regarder le texte” (Ap 5, 3), ni d'en comprendre le contenu. Dans la confusion de l'histoire humaine, nul ne sait indiquer la direction et le sens ultime des choses.
                Seul Jésus Christ entre en possession du Livre scellé (cf. Ap 5, 6-7); Lui seul est “digne de recevoir le Livre scellé et de l'ouvrir” (Ap 5, 9). En effet, seul Jésus est en mesure de révéler et de réaliser le projet de Dieu qu'il contient. Laissé à lui-même, l'homme n'est pas en mesure de donner, par ses propres efforts, un sens à l'histoire et aux événements: la vie demeure sans espérance. Seul le Fils de Dieu est en mesure de dissiper les ténèbres et de montrer la route.
                Le Livre ouvert est remis à Jean et, à travers lui, à l'Église entière. Jean est invité à prendre le livre et à le manger: “Va prendre le petit livre ouvert dans la main de l'ange qui se tient debout sur la mer et sur la terre [...]. Prends et mange-le” (Ap 10, 8-9). Ce n'est qu'après l'avoir assimilé en profondeur, qu'il pourra le communiquer comme il convient aux autres, à qui il est envoyé avec l'ordre de “parler sur un grand nombre de peuples, de nations, de langues et de rois” (Ap 10, 11).

Nécessité et urgence de l'annonce
45. L'Évangile de l'espérance, remis à l'Église et assimilé par elle, demande que, chaque jour, on l'annonce et on en témoigne. Telle est la vocation propre de l'Église en tout temps et en tout lieu. Telle est aussi la mission de l'Église aujourd'hui en Europe. “Évangéliser est, en effet, la grâce et la vocation propre de l'Église, son identité la plus profonde. Elle existe pour évangéliser, c'est-à-dire pour prêcher et enseigner, être le canal du don de la grâce, réconcilier les pécheurs avec Dieu, perpétuer le sacrifice du Christ dans la sainte messe, qui est le mémorial de sa mort et de sa résurrection glorieuse”.
                Église en Europe, la “nouvelle évangélisation” est le devoir qui t'attend! Sache retrouver l'enthousiasme de l'annonce. Entends la prière qui t'est adressée aujourd'hui, en ce début du troisième millénaire, et qui avait déjà résonné à l'aube du premier millénaire, alors qu'apparaissait à Paul la vision d'un Macédonien qui le suppliait: “Traverse la mer pour venir en Macédoine à notre secours !” (Ac 16, 9). Que la prière soit inexprimée ou même refoulée, c'est l'appel le plus profond et le plus vrai qui jaillit du cœur des Européens d'aujourd'hui, assoiffés d'une espérance qui ne déçoit pas. Cette espérance t'a été donnée en partage pour que tu la redonnes toi-même avec joie à toute époque et sous toutes les latitudes. Que l'annonce de Jésus, qui est l'Évangile de l'espérance, soit donc ta fierté et ta raison d'être ! Avance avec une ardeur renouvelée, gardant le même esprit missionnaire qui, tout au long de ces vingt siècles, en commençant par la prédication des Apôtres Pierre et Paul, a animé tant de saints et de saintes, authentiques évangélisateurs du continent européen.

Première annonce et annonce renouvelée
46. Dans différentes parties de l'Europe, une première annonce de l'Évangile est nécessaire: le nombre des personnes non baptisées grandit, soit en raison de la présence notable de personnes immigrées appartenant à d'autres religions, soit encore parce que les enfants de familles de tradition chrétienne n'ont pas reçu le Baptême ou à cause de la domination communiste ou d'une indifférence religieuse diffuse. En réalité, l'Europe se situe désormais parmi les lieux traditionnellement chrétiens dans lesquels, hormis une nouvelle évangélisation, s'impose dans certains cas une première évangélisation.
L'Église ne peut se soustraire au devoir d'un diagnostic courageux qui ouvre la voie à des thérapies appropriées. Même dans le “vieux” continent, il y a des aires sociales et culturelles étendues où est rendue nécessaire une véritable mission ad gentes.
47. Partout se fait sentir le besoin d'une annonce renouvelée, même pour ceux qui sont déjà baptisés. Beaucoup d'Européens d'aujourd'hui pensent savoir ce qu'est le christianisme mais ils ne le connaissent pas réellement. Souvent même, les notions et les éléments les plus fondamentaux de la foi ne sont plus connus. De nombreux baptisés vivent comme si le Christ n'existait pas: on répète les gestes et les signes de la foi, spécialement à travers les pratiques du culte, mais, à ces signes, ne correspondent ni un véritable accueil du contenu de la foi, ni une adhésion à la personne de Jésus. Aux grandes certitudes de la foi s'est substitué chez beaucoup un sentiment religieux vague et qui n'engage guère; des formes variées d'agnosticisme et d'athéisme pratique se diffusent, contribuant à aggraver l'écart entre la foi et la vie; certains se sont laissés influencer par un esprit d'humanisme immanentiste qui a affaibli leur foi, les poussant souvent, malheureusement, jusqu'à l'abandonner complètement; on assiste à une sorte d'interprétation sécularisante de la foi chrétienne qui la ronge et à laquelle s'ajoute une profonde crise de la conscience et de la pratique morale chrétienne. Les grandes valeurs qui ont amplement inspiré la culture européenne ont été séparées de l'Évangile, perdant ainsi leur âme la plus profonde et laissant le champ libre à de nombreuses déviations.
                “Le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ?” (Lc 18, 8). La trouvera-t-il sur cette terre de notre Europe de vieille tradition chrétienne ? C'est une question ouverte qui indique avec lucidité la profondeur et le caractère dramatique de l'un des défis les plus graves que nos Églises sont appelées à affronter. On peut dire – comme le Synode l'a souligné – qu'un tel défi consiste souvent non pas tant à baptiser les nouveaux convertis qu'à conduire les baptisés à se convertir au Christ et à son Évangile: dans nos communautés, il faut se préoccuper sérieusement d'apporter l'Évangile de l'espérance à ceux qui sont loin de la foi ou qui se sont éloignés de la pratique chrétienne.

Fidélité à l'unique message
48. Pour pouvoir annoncer l'Évangile de l'espérance, une solide fidélité à l'Évangile lui-même est nécessaire. La prédication de l'Église doit donc, sous toutes ses formes, être toujours plus centrée sur la personne de Jésus et elle doit toujours plus orienter vers lui. Il faut veiller à ce qu'Il soit présenté dans son intégralité: non seulement comme modèle éthique, mais avant tout comme le Fils de Dieu, l'unique et nécessaire Sauveur de tous, qui vit et qui agit dans son Église. Pour que l'espérance soit vraie et indestructible, “la prédication intègre, claire et renouvelée de Jésus Christ ressuscité, de la Résurrection et de la Vie éternelle” devra constituer une priorité dans l'action pastorale des prochaines années.
                Si l'Évangile à annoncer est le même en tout temps, les manières de réaliser cette annonce sont diverses. Chacun est donc invité à “proclamer” Jésus et la foi en lui en toute circonstance; à “attirer” les autres à la foi, en adoptant des modes de vie personnelle, familiale, professionnelle et communautaire qui reflètent l'Évangile; à “rayonner” autour de soi la joie, l'amour et l'espérance, en sorte que beaucoup voient nos bonnes œuvres et en glorifient le Père qui est aux cieux (cf. Mt 5, 16), jusqu'à en être “imprégnés” et conquis; à devenir le “levain” qui transforme et qui anime de l'intérieur toute expression culturelle.

Par le témoignage de la vie
49. L'Europe réclame des évangélisateurs crédibles, dans la vie desquels resplendisse la beauté de l'Évangile, en communion avec la croix et la résurrection du Christ. Ces évangélisateurs seront formés comme il convient. Aujourd'hui, il est plus que jamais nécessaire que tout chrétien ait une conscience missionnaire, à commencer par les évêques, les prêtres, les diacres, les consacrés, les catéchistes et les professeurs de religion: “Tout baptisé, en tant que témoin du Christ, doit acquérir une formation appropriée à sa situation, non seulement pour éviter que sa foi ne s'épuise par manque de vigilance dans un milieu hostile comme l'est le milieu sécularisé, mais aussi pour soutenir son témoignage évangélisateur et lui donner un nouvel élan”.
                “L'homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres ou, s'il écoute les maîtres, c'est parce qu'ils sont des témoins”. La présence et les signes de la sainteté sont donc décisifs: la sainteté est un présupposé essentiel à une authentique évangélisation, capable de redonner l'espérance. Il faut des témoignages forts de vie nouvelle dans le Christ, sur le plan personnel et communautaire. Il ne suffit pas en effet que la vérité et la grâce soient offertes à travers la proclamation de la Parole et la célébration des Sacrements; il faut qu'elles soient accueillies et vécues en toute circonstance concrète, dans la façon d'être des chrétiens et des communautés ecclésiales. C'est là un des défis les plus importants qui attendent l'Église en Europe au début du nouveau millénaire.

Former à une foi adulte
50. “L'actuelle situation culturelle et religieuse de l'Europe exige la présence de catholiques adultes dans la foi et de communautés chrétiennes missionnaires qui témoignent de la charité de Dieu devant tous les hommes”. L'annonce de l'Évangile de l'espérance implique donc d'avoir à promouvoir le passage d'une foi qui s'appuie sur des habitudes sociales, pourtant appréciables, à une foi plus personnelle et adulte, éclairée et convaincue.
                Les chrétiens sont donc appelés à avoir une foi qui leur permette de se confronter de manière critique à la culture actuelle, résistant à ses séductions; d'influer avec efficacité sur les milieux culturels, économiques, sociaux et politiques; de manifester que la communion entre les membres de l'Église catholique et avec les autres chrétiens est plus forte que tout lien ethnique; de transmettre avec joie la foi aux nouvelles générations; d'édifier une culture chrétienne capable d'évangéliser la culture toujours plus vaste dans laquelle nous vivons.
51. En plus de veiller à ce que le ministère de la Parole, la célébration de la liturgie et l'exercice de la charité soient orientés vers l'édification et le soutien d'une foi mûre et personnelle, il faut que les communautés chrétiennes s'activent pour proposer une catéchèse adaptée aux différents itinéraires spirituels des fidèles, selon la diversité de leur âge et de leurs conditions de vie, prévoyant également des formes appropriées d'accompagnement spirituel et de redécouverte de leur Baptême. Dans ce programme, la référence fondamentale sera évidemment le Catéchisme de l'Église catholique.
                En particulier, reconnaissant qu'il s'agit là d'une indiscutable priorité dans l'action pastorale, il faut cultiver et, si nécessaire, relancer le ministère de la catéchèse en tant qu'éducation et croissance de la foi chez toute personne, de sorte que la semence, déposée par l'Esprit Saint et transmise par le Baptême, pousse et parvienne à maturité. En référence constante à la Parole de Dieu, conservée dans la Sainte Écriture, proclamée dans la liturgie et interprétée par la Tradition de l'Église, une catéchèse organique et systématique constitue, sans nul doute, un instrument essentiel et primordial pour former une foi adulte chez les chrétiens.
                52. Dans la même ligne, il faut également souligner le rôle important de la théologie. Il existe en effet un lien intrinsèque et inséparable entre l'évangélisation et la réflexion théologique, car cette dernière, en tant que science ayant un statut et une méthodologie propres, vit de la foi de l'Église et est au service de sa mission. Elle naît de la foi et elle est appelée à l'interpréter, en gardant son lien imprescriptible avec la communauté chrétienne dans toutes ses composantes; au service de la croissance spirituelle de tous les fidèles, elle introduit ces derniers à la compréhension approfondie du message du Christ.
                En exerçant sa mission d'annoncer l'Évangile de l'espérance, l'Église qui est en Europe apprécie avec gratitude la vocation des théologiens, elle reconnaît la valeur de leur travail et elle en assure la promotion. Avec estime et affection, je les invite à persévérer dans le service qu'ils accomplissent, en unissant toujours recherche scientifique et prière, en entretenant un dialogue attentif avec la culture contemporaine, en adhérant fidèlement au Magistère et en collaborant avec lui en esprit de communion, dans la vérité et dans la charité, en s'imprégnant du sensus fidei du peuple de Dieu et en contribuant à le nourrir.

II. Témoigner dans l'unité et dans le dialogue
La communion entre les Églises particulières
53. L'annonce de l'Évangile de l'espérance aura une force d'autant plus efficace qu'elle sera liée au témoignage d'une unité et d'une communion profondes au sein de l'Église. Les Églises particulières ne peuvent pas affronter seules le défi qui les attend. Il faut une authentique collaboration entre toutes les Églises particulières du continent, qui soit l'expression de leur communion profonde; collaboration d'ailleurs requise par la nouvelle réalité européenne. Dans ce cadre prend place l'apport des organismes ecclésiaux européens, à commencer par le Conseil des Conférences épiscopales d'Europe. C'est un instrument efficace pour rechercher ensemble des voies appropriées pour évangéliser l'Europe. Par l' “échange des dons” entre les différentes Églises particulières, sont mises en commun les expériences et les réflexions de l'Europe de l'Ouest et de l'Est, du Nord et du Sud, et sont partagées des orientations pastorales communes; ainsi se manifeste de manière toujours plus significative le sentiment collégial qui unit les évêques du continent, pour annoncer ensemble, avec audace et fidélité, le nom de Jésus Christ, seule source d'espérance pour tous en Europe.

Avec tous les chrétiens
54. Dans le même temps, apparaît comme un impératif imprescriptible le devoir d'une collaboration œcuménique fraternelle et convaincue.
                Le sort de l'évangélisation est étroitement lié au témoignage d'unité que sauront donner tous les disciples du Christ: “Tous les chrétiens sont appelés à accomplir cette mission selon leur vocation. La tâche de l'évangélisation implique d'avancer l'un vers l'autre et d'avancer ensemble, en partant de l'intérieur; évangélisation et unité, évangélisation et œcuménisme sont étroitement liés entre eux”. C'est pourquoi je fais miennes de nouveau les paroles écrites par Paul VI au Patriarche œcuménique Athenagoras Ier: “Puisse l'Esprit Saint nous guider dans la voie de la réconciliation, afin que l'union de nos Églises devienne un signe toujours plus lumineux d'espérance et de réconfort au sein de l'humanité entière”.

En dialogue avec les autres religions
55. Comme pour tout l'engagement de la “nouvelle évangélisation”, il faut également, en ce qui concerne l'annonce de l'Évangile de l'espérance, que soit instauré un dialogue interreligieux profond et intelligent, en particulier avec le judaïsme et avec l'islam. “Entendu comme méthode et comme moyen en vue d'une connaissance et d'un enrichissement réciproques, il ne s'oppose pas à la mission ad gentes, au contraire il lui est spécialement lié et il en est une expression”. Dans ce dialogue, il n'est pas question de se laisser prendre par une “mentalité marquée par l'indifférentisme, malheureusement très répandue parmi les chrétiens, souvent fondée sur des conceptions théologiques inexactes et imprégnées d'un relativisme religieux qui porte à considérer que “toutes les religions se valent”“.
56. Il s'agit plutôt de prendre une plus vive conscience du rapport qui lie l'Église au peuple juif et du rôle singulier d'Israël dans l'histoire du salut. Comme il était déjà apparu lors de la première Assemblée spéciale pour l'Europe du Synode des Évêques et comme l'a rappelé également le dernier Synode, il faut reconnaître les racines communes qui existent entre le christianisme et le peuple juif, appelé par Dieu à une alliance qui reste irrévocable (cf. Rm 11, 29), puisqu'elle est parvenue à sa plénitude définitive dans le Christ.
                Il est donc nécessaire de favoriser le dialogue avec le judaïsme, sachant qu'il est d'une importance fondamentale pour la conscience chrétienne de soi et pour le dépassement des divisions entre les Églises, et aussi d'œuvrer pour que fleurisse un nouveau printemps dans les relations mutuelles. Cela implique que chaque communauté ecclésiale ait à pratiquer, chaque fois que les circonstances le permettront, le dialogue et la collaboration avec les croyants de la religion juive. Un tel exercice suppose, entre autres, que “l'on se souvienne de la part que les fils de l'Église ont pu avoir dans la naissance et dans la diffusion d'une telle attitude antisémite au cours de l'histoire, et que l'on en demande pardon à Dieu, favorisant de toutes les manières possibles les rencontres de réconciliation et d'amitié avec les fils d'Israël”. On devra par ailleurs, dans ce contexte, se souvenir aussi des nombreux chrétiens qui, parfois au prix de leur vie, ont aidé et sauvé leurs “frères aînés”, surtout dans des périodes de persécution.
57. Il s'agit également de se laisser inciter à une meilleure connaissance des autres religions, pour pouvoir instaurer un dialogue fraternel avec les personnes de l'Europe d'aujourd'hui qui y adhèrent. En particulier, il est important d'avoir un juste rapport avec l'islam. Comme cela s'est révélé plusieurs fois ces dernières années à la conscience des évêques européens, ce rapport “doit être conduit avec prudence, il faut en connaître clairement les possibilités et les limites, et garder confiance dans le dessein de salut de Dieu, qui concerne tous ses fils”. Il faut être conscient, entre autres, de la divergence notable entre la culture européenne, qui a de profondes racines chrétiennes, et la pensée musulmane.
                À cet égard, il est nécessaire de préparer convenablement les chrétiens qui vivent au contact quotidien des musulmans à connaître l'islam de manière objective et à savoir s'y confronter; une telle préparation doit concerner en particulier les séminaristes, les prêtres et tous les agents pastoraux. On comprend par ailleurs que l'Église, alors qu'elle demande aux Institutions européennes d'avoir à promouvoir la liberté religieuse en Europe, se fasse également un devoir de rappeler que la réciprocité dans la garantie de la liberté religieuse doit être observée aussi dans les pays de tradition religieuse différente, où les chrétiens sont en minorité.
                Dans ce domaine, on comprend “l'étonnement et le sentiment de frustration des chrétiens qui accueillent, par exemple en Europe, des croyants d'autres religions en leur donnant la possibilité d'exercer leur culte et qui se voient interdire tout exercice du culte chrétien dans les pays où ces croyants majoritaires” ont fait de leur religion la seule qui soit autorisée et encouragée. La personne humaine a droit à la liberté religieuse et, en tout point du monde, tous “doivent être exempts de toute contrainte de la part soit d'individus, soit de groupes sociaux, et de quelque pouvoir humain que ce soit”.

III. Évangéliser la vie sociale
Évangélisation de la culture et inculturation de l'Évangile
58. L'annonce de Jésus Christ doit rejoindre aussi la culture européenne contemporaine. L'évangélisation de la culture doit montrer qu'aujourd'hui encore, dans cette Europe, il est possible de vivre en plénitude l'Évangile comme chemin qui donne sens à l'existence. Dans cette perspective, la pastorale doit assumer la tâche de façonner une mentalité chrétienne dans la vie ordinaire: en famille, à l'école, dans les communications sociales, dans le monde de la culture, du travail et de l'économie, dans la politique, dans les loisirs, dans le temps de la santé et celui de la maladie. Il faut se confronter de manière critique et sereine à l'actuelle situation culturelle de l'Europe, évaluant les tendances qui se manifestent, les faits et les situations d'importance de notre temps à la lumière du caractère central du Christ et de l'anthropologie chrétienne.
                Aujourd'hui encore, en se souvenant de la fécondité culturelle du christianisme tout au long de l'histoire de l'Europe, il faut présenter l'approche évangélique, théorique et pratique, de la réalité et de l'homme. Considérant, en outre, la grande importance des sciences et des réalisations technologiques dans la culture et dans la société de l'Europe, l'Église est appelée, à travers ses moyens d'approfondissement théorique et d'initiative pratique, à offrir des propositions en regard des connaissances scientifiques et de leurs applications, montrant les insuffisances et le caractère inadéquat d'une conception inspirée du scientisme qui ne reconnaît comme valeur objective que le savoir expérimental, et indiquant les critères éthiques que l'homme possède parce qu'ils sont inscrits dans sa nature.
59. Sur le chemin de l'évangélisation de la culture prend place l'important service accompli par les écoles catholiques. Il faudra travailler à faire reconnaître une effective liberté d'éducation et la parité juridique entre les écoles publiques et les écoles privées. Ces dernières sont parfois l'unique moyen de proposer la tradition chrétienne à ceux qui en sont loin. J'exhorte les fidèles engagés dans le monde de l'éducation à persévérer dans leur mission, en portant la lumière du Christ Sauveur dans leurs propres activités éducatives, scientifiques et académiques. En particulier, il faut donner toute son importance à la contribution des chrétiens engagés dans la recherche et dans l'enseignement au sein des universités: par le “service de la pensée”, ils transmettent aux jeunes générations les valeurs d'un patrimoine culturel enrichi par deux millénaires d'expérience humaniste et chrétienne. Convaincu de l'importance des institutions académiques, je demande aussi que soit promue dans les différentes Églises particulières une pastorale universitaire adaptée, favorisant ainsi ce qui correspond aux nécessités culturelles actuelles.
60. On ne peut oublier l'apport positif de la mise en valeur des biens culturels de l'Église. Ils peuvent en effet représenter un facteur particulier pour susciter à nouveau un humanisme d'inspiration chrétienne. Grâce à une conservation appropriée et à une utilisation intelligente des biens culturels, ceux-ci, en tant que témoignage vivant de la foi professée au long des siècles, peuvent constituer un instrument valable pour la nouvelle évangélisation et pour la catéchèse, et inviter à redécouvrir le sens du mystère.
                En même temps, il faut promouvoir de nouvelles expressions artistiques de la foi, au moyen d'un dialogue constant avec les spécialistes de l'art. L'Église a en effet besoin de l'art, de la littérature, de la musique, de la peinture, de la sculpture et de l'architecture, parce qu'elle doit “rendre perceptible et même, autant que possible, fascinant le monde de l'esprit, de l'invisible, de Dieu” et que la beauté artistique, comme reflet de l'Esprit de Dieu, est une marque du mystère, une invitation à rechercher le visage de Dieu, qui s'est rendu visible en Jésus de Nazareth.

L'éducation des jeunes à la foi
61. Par ailleurs, j'encourage l'Église en Europe à porter une attention croissante à l'éducation des jeunes à la foi. Fixant notre regard vers l'avenir, nous ne pouvons pas ne pas tourner nos pensées vers eux: nous devons nous faire proches de l'esprit, du cœur, du caractère des jeunes, pour leur offrir une solide formation humaine et chrétienne.
                Chaque fois que se rassemblent de nombreux jeunes, il n'est pas difficile de distinguer chez eux la présence d'attitudes diversifiées. On constate leur désir de vivre ensemble pour sortir de l'isolement, leur soif plus ou moins consciente d'absolu; on découvre chez eux une foi cachée qui demande à être purifiée et qui veut suivre le Seigneur; on perçoit la décision de poursuivre le chemin déjà entrepris et l'exigence de partager la foi.
62. À cette fin, il convient de renouveler la pastorale des jeunes, organisée par tranches d'âge et attentive aux diverses conditions des enfants, des adolescents et des jeunes. Il sera en outre nécessaire de lui conférer une plus grande structure organique et une plus grande cohérence, avec une écoute patiente des demandes des jeunes, pour les rendre acteurs de l'évangélisation et de la construction de la société.
                Dans cet esprit, il est important de promouvoir des occasions de rencontres entre jeunes, de manière à favoriser un climat d'écoute mutuelle et de prière. Il ne faut pas avoir peur d'être exigeant avec eux en ce qui concerne leur croissance spirituelle. On leur montrera la route de la sainteté, les invitant à faire des choix fermes à la suite du Christ, ce à quoi ils seront encouragés par une vie sacramentelle intense. Ils pourront ainsi résister aux séductions d'une culture qui souvent ne leur propose que des valeurs éphémères ou même contraires à l'Évangile, et devenir eux-mêmes capables de faire preuve d'une mentalité chrétienne dans tous les domaines de leur existence, y compris les divertissements et les loisirs.
                J'ai encore vivement présent devant les yeux les joyeux visages de tant de jeunes, véritable espérance de l'Église et du monde, signe éloquent de l'Esprit qui ne se lasse pas de susciter des énergies nouvelles. Je les ai rencontrés aussi bien au cours de mes voyages dans les différents pays que lors des inoubliables Journées mondiales de la Jeunesse.

L'attention aux médias
63. Étant donné l'importance des moyens de communication sociale, l'Église en Europe ne peut pas ne pas réserver une attention particulière au monde multiforme des médias. Cela implique entre autres la formation appropriée des chrétiens qui œuvrent dans les médias et des usagers des médias, en vue d'une bonne maîtrise des nouveaux langages. Un soin spécial sera apporté au choix de personnes préparées pour la communication du message à travers les médias. Il sera très utile aussi de procéder à un échange d'informations et de stratégies entre les Églises sur les divers aspects et les initiatives concernant une telle communication. Il ne faudra pas non plus négliger la création de moyens locaux de communication sociale, y compris au niveau paroissial.
                En même temps, il s'agit d'assurer une présence dans les processus de la communication sociale, pour la rendre plus respectueuse de la vérité de l'information et de la dignité de la personne humaine. À ce propos, j'invite les catholiques à participer à l'élaboration d'un code de déontologie pour ceux qui travaillent dans les milieux de la communication sociale, en se laissant éclairer par les critères que les organismes compétents du Saint-Siège ont récemment indiqués et que les Évêques réunis en Synode avaient énumérés ainsi: “Respect de la dignité de la personne humaine, de ses droits, y compris le droit à la vie privée; service de la vérité, de la justice et des valeurs humaines, culturelles et spirituelles; estime des différentes cultures pour éviter qu'elles ne se fondent dans la masse; protection des minorités et des plus faibles; recherche du bien commun, au-delà des intérêts particuliers et de la prédominance des critères purement économiques”.

La mission ad gentes
64. Une annonce de Jésus Christ et de son Évangile qui se limiterait au seul contexte européen serait le signe d'un manque préoccupant d'espérance. L'œuvre d'évangélisation est animée par une véritable espérance chrétienne quand elle s'ouvre aux horizons universels, qui incitent à offrir gratuitement à tous ce qu'on a soi-même reçu en don. La mission ad gentes devient ainsi expression d'une Église modelée par l'Évangile de l'espérance, qui continuellement se renouvelle et se rajeunit. Telle a été au long des siècles la conscience de l'Église en Europe: d'innombrables générations de missionnaires, hommes et femmes, allant à la rencontre d'autres peuples et d'autres civilisations, ont annoncé l'Évangile de Jésus Christ aux populations du monde entier.
                La même ardeur missionnaire doit animer l'Église dans l'Europe d'aujourd'hui. La diminution du nombre de prêtres et de personnes consacrées dans certains pays ne doit empêcher aucune Église particulière de faire siennes les exigences de l'Église universelle. Chacune saura favoriser la préparation à la mission ad gentes, de manière à répondre généreusement à l'appel qui provient encore de beaucoup de nations et de peuples désireux de connaître l'Évangile. Les Églises d'autres continents, particulièrement de l'Asie et de l'Afrique, se tournent encore vers les Églises d'Europe et attendent qu'elles continuent à répondre à leur vocation missionnaire. Les chrétiens en Europe ne peuvent être infidèles à leur histoire.

L'Évangile: un livre pour l'Europe d'aujourd'hui et de toujours
65. En franchissant la Porte sainte, au début du grand Jubilé de l'An 2000, j'ai présenté à l'Église et au monde le livre de l'Évangile. Ce geste, accompli par chaque évêque dans les diverses cathédrales du monde, indique l'engagement qui attend aujourd'hui et toujours l'Église dans notre continent.
                Église en Europe, entre dans le nouveau millénaire avec le Livre de l'Évangile ! Que soit entendue par chaque fidèle l'exhortation conciliaire “à acquérir, par une fréquente lecture des divines Écritures, “la science éminente de Jésus Christ” (Ph 3, 8). “L'ignorance des Écritures est, en effet, l'ignorance du Christ”“. Que la sainte Bible continue d'être un trésor pour l'Église et pour tout chrétien: nous trouverons dans l'étude attentive de la Parole la nourriture et la force pour accomplir chaque jour notre mission.
                Prenons ce Livre dans nos mains! Recevons-le de la part du Seigneur qui nous l'offre continuellement à travers son Église (cf. Ap 10, 8). Mangeons-le (cf. Ap 10, 9), pour qu'il devienne la vie de notre vie. Goûtons-le à fond: il nous réservera des difficultés, mais il nous donnera aussi la joie car il est doux comme le miel (cf. Ap 10, 9-10). Nous serons comblés d'espérance et capables de communiquer cette espérance à tout homme et à toute femme que nous rencontrons sur notre route.

CHAPITRE IV
CÉLÉBRER L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE
“À Celui qui siège sur le trône, et à l'Agneau, bénédiction, honneur, gloire et domination, dans les siècles des siècles !” (Ap 5, 13)

Une communauté priante
66. L'Évangile de l'espérance, annonce de la vérité qui libère (cf Jn, 8, 32), doit être célébré. Devant l'Agneau de l'Apocalypse commence une liturgie solennelle de louange et d'adoration: “À Celui qui siège sur le trône, et à l'Agneau, bénédiction, honneur, gloire et domination, dans les siècles des siècles !” (Ap 5, 13). La même vision, qui révèle Dieu et le sens de l'histoire, se produit “le jour du Seigneur” (Ap 1, 10), le jour de la résurrection revécu par l'assemblée dominicale.
                L'Église qui accueille cette révélation est une communauté qui prie. En priant, elle écoute son Seigneur et ce que l'Esprit lui dit: elle adore, elle loue, elle rend grâce, et enfin elle invoque la venue du Seigneur, “Viens, Seigneur Jésus !” (cf. Ap 22, 16-20), affirmant ainsi qu'elle attend le salut de Lui seul.
                À toi aussi, Église de Dieu qui vis en Europe, il est demandé d'être une communauté qui prie, célébrant ton Seigneur par les Sacrements, par la liturgie et par toute ta vie. Dans la prière, tu redécouvriras la présence vivifiante du Seigneur. Ainsi, enracinant en lui chacune de tes actions, tu pourras proposer de nouveau aux Européens la rencontre avec lui-même, véritable espérance qui seule peut satisfaire pleinement le désir ardent de Dieu, lui qui est caché sous les diverses formes de recherche religieuse qui se font jour dans l'Europe contemporaine.

I. Redécouvrir la liturgie
Le sens religieux dans l'Europe d'aujourd'hui
67. Malgré les vastes zones de déchristianisation dans le continent européen, un certain nombre de signes permettent d'esquisser le visage d'une Église qui, en croyant, annonce, célèbre et sert son Seigneur. En effet, il ne manque pas d'exemples de chrétiens authentiques qui vivent des moments de silence contemplatif, qui participent fidèlement aux propositions spirituelles qui leurs sont faites, qui vivent l'Évangile dans leur existence quotidienne et qui en témoignent dans les divers milieux où ils sont engagés. On peut aussi discerner des manifestations d'une “sainteté populaire”, qui attestent que même dans l'Europe actuelle il n'est pas impossible de vivre l'Évangile, aussi bien à un niveau personnel que dans une authentique expérience communautaire.
68. Parallèlement à de nombreux exemples de foi authentique, il existe aussi en Europe une religiosité vague et parfois déviante. Ses indices revêtent souvent un caractère général et superficiel, quand ils ne sont pas carrément en contradiction les uns avec les autres chez les personnes mêmes dont ils proviennent. Ce sont des phénomènes manifestes de fuite dans le spiritualisme, de syncrétisme religieux et ésotérique, de recherche à tout prix de “l'extraordinaire”, qui peuvent conduire à des choix déviants, telle la participation à des sectes dangereuses ou à des expériences pseudo-religieuses.
                Le désir diffus d'une nourriture spirituelle doit être accueilli avec compréhension et purifié. À l'homme qui, même confusément, prend conscience qu'il ne peut vivre seulement de pain, il est nécessaire que l'Église puisse témoigner de manière convaincante de la réponse que Jésus fit au tentateur: “Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu” (Mt 4,4).

Une Église qui célèbre
69. Dans le contexte de la société actuelle, souvent fermée à la transcendance, étouffée par des comportements consuméristes, propice aux formes anciennes et nouvelles d'idolâtrie, et en même temps assoiffée de quelque chose qui aille au-delà de l'immédiat, la mission qui attend l'Église en Europe est tout à la fois exigeante et exaltante. Elle consiste à redécouvrir le sens du “mystère”; à renouveler les célébrations liturgiques afin qu'elles soient des signes toujours plus éloquents de la présence du Christ Seigneur; à assurer de nouveaux espaces au silence, à la prière et à la contemplation; à revenir aux Sacrements, surtout l'Eucharistie et la Pénitence, car ils sont source de liberté et de nouvelle espérance.
                C'est pourquoi, à toi, Église qui vis en Europe, j'adresse un appel pressant: Sois une Église qui prie, qui loue Dieu, qui en reconnaît la primauté absolue et qui l'exalte avec une foi joyeuse. Redécouvre le sens du mystère: vis-le avec une humble gratitude; témoignes-en avec une joie convaincue et contagieuse. Célèbre le Salut du Christ: accueille-le comme un don qui fait de toi son sacrement; fais de ta vie le vrai culte spirituel qui plaît à Dieu (cf. Rm 12, 1).

Le sens du mystère
70. Certains symptômes révèlent un affaiblissement du sens du mystère dans les célébrations liturgiques elles-mêmes, qui devraient au con- traire y introduire. Il est donc urgent que dans l'Église soit ravivé le sens authentique de la liturgie. Celle-ci, comme l'ont rappelé les Pères synodaux, est un instrument de sanctification; elle est une célébration de la foi de l'Église; elle est un moyen de transmission de la foi. Avec l'Écriture sainte et les enseignements des Pères de l'Église, elle est source vivante d'une authentique et solide spiritualité. Comme le souligne bien aussi la tradition des vénérables Églises d'Orient, par la liturgie, les fidèles entrent en communion avec la Sainte Trinité, faisant l'expérience de leur participation à la nature divine, en tant que don de la grâce. La liturgie devient ainsi anticipation de la béatitude finale et participation à la gloire céleste.
71. Dans les célébrations, il faut redonner à Jésus la place centrale, afin de nous laisser éclairer et guider par lui. Nous pouvons trouver là l'une des réponses les plus claires que nos communautés sont appelées à donner à une religiosité vague et inconsistante. La liturgie de l'Église n'a pas pour but d'apaiser les désirs et les peurs de l'homme, mais d'écouter et d'accueillir Jésus le Vivant, qui honore et loue son Père, afin que nous puissions le louer et l'honorer avec lui. Les célébrations ecclésiales proclament que notre espérance nous vient de Dieu, par Jésus notre Seigneur.
Il s'agit de vivre la liturgie comme œuvre de la Trinité. C'est le Père qui agit pour nous dans les mystères célébrés; c'est lui qui nous parle, qui nous pardonne, qui nous écoute et qui nous donne son Esprit; c'est vers lui que nous nous tournons, lui que nous écoutons, que nous louons et que nous invoquons. C'est Jésus qui agit pour notre sanctification, nous rendant participants de son mystère. C'est l'Esprit Saint qui opère avec sa grâce et fait de nous le Corps du Christ, l'Église.
                La liturgie doit être vécue comme annonce et anticipation de la gloire future, terme ultime de notre espérance. Comme l'enseigne en effet le Concile:
                “Dans la liturgie terrestre nous participons, en y goûtant par avance, à cette liturgie céleste qui est célébrée dans la sainte cité de Jérusalem vers laquelle nous tendons dans notre pèlerinage [...], jusqu'à ce que [le Christ], qui est notre vie, se manifeste et que nous soyons manifestés nous-mêmes avec lui dans la gloire”.

Formation liturgique
72. Si, après le Concile œcuménique Vatican II, une partie du chemin a été accomplie pour vivre le sens authentique de la liturgie, il reste encore beaucoup à faire. Il faut un renouveau régulier et une formation constante de tous, ministres ordonnés, personnes consacrées et laïcs.
                Le véritable renouveau, loin de provenir d'actes arbitraires, consiste à développer toujours mieux la conscience du sens du mystère, de façon à faire des liturgies des moments de communion avec le grand et saint mystère de la Trinité. En célébrant les actions sacrées comme relation à Dieu et accueil de ses dons, expressions d'une authentique vie spirituelle, l'Église en Europe pourra vraiment nourrir son espérance et l'offrir à ceux qui l'ont perdue.
73. À cette fin, un grand effort de formation est nécessaire. Destinée à favoriser la compréhension du sens véritable des célébrations de l'Église, elle requiert, en plus d'une formation appropriée sur les rites, une spiritualité authentique et une éducation qui permette de la vivre en plénitude. On doit donc promouvoir plus intensément une véritable “mystagogie liturgique”, avec la participation active de tous les fidèles, chacun selon ses attributions, aux actions sacrées, en particulier à l'Eucharistie.

II. Célébrer les Sacrements
74. Une place toute particulière doit être réservée à la célébration des Sacrements, en tant qu'actions du Christ et de l'Église ordonnées au culte à rendre à Dieu, à la sanctification des hommes et à l'édification de la communauté ecclésiale. Conscients qu'en eux c'est le Christ lui-même qui agit par l'action du Saint-Esprit, nous devons célébrer les sacrements avec le plus grand soin, en en créant les conditions favorables. Les Églises particulières du continent auront à cœur d'intensifier leur pastorale sacramentelle pour en faire reconnaître la profonde vérité. Les Pères synodaux ont mis en lumière cette exigence pour répondre à deux dangers: d'une part, certains milieux ecclésiaux semblent avoir perdu le sens authentique du sacrement et risqueraient donc de banaliser les mystères célébrés; d'autre part, de nombreux baptisés, attachés aux usages et aux traditions, continuent à recourir aux sacrements aux moments significatifs de leur existence, sans pour autant vivre conformément aux indications de l'Église.

L'Eucharistie
75. L'Eucharistie, don suprême du Christ à l'Église, rend mystérieusement présent le sacrifice du Christ pour notre salut: “La très sainte Eucharistie contient en effet l'ensemble des biens spirituels de l'Église, à savoir le Christ lui-même, notre Pâque”. C'est en elle, “source et sommet de toute la vie chrétienne”, que l'Église puise au long de son pèlerinage, y trouvant la source de toute espérance. En effet, l'Eucharistie “donne une impulsion à notre marche dans l'histoire, faisant naître un germe de vive espérance dans le dévouement quotidien de chacun à ses propres tâches”.
                Nous sommes tous invités à confesser la foi dans l'Eucharistie, “gage de la gloire future”, dans la certitude que la communion avec le Christ, que nous vivons actuellement comme pèlerins dans notre existence mortelle, anticipe la rencontre suprême le jour où “nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est” (1 Jn 3, 2). L'Eucharistie est un “avant-goût de l'éternité dans le temps”; elle est présence divine et communion à cette présence; mémorial de la Pâque du Christ, elle est par nature dispensatrice de la grâce dans l'histoire humaine. Elle ouvre à l'avenir de Dieu; étant communion avec le Christ, en son corps et son sang, elle est participation à la vie éternelle de Dieu.

La Réconciliation
76. Avec l'Eucharistie, le sacrement de la Réconciliation doit aussi jouer un rôle fondamental pour retrouver l'espérance: “L'expérience personnelle du pardon de Dieu pour chacun de nous est en effet le fondement essentiel de toute espérance pour notre avenir”. L'une des racines de la résignation qui assaille tant de personnes aujourd'hui doit être cherchée dans l'incapacité de se reconnaître pécheur et de se laisser pardonner, incapacité souvent due à la solitude de ceux qui, vivant comme si Dieu n'existait pas, n'ont personne à qui demander pardon. En revanche, celui qui se reconnaît pécheur et qui se confie à la miséricorde du Père céleste fait l'expérience de la joie d'une vraie libération et il peut avancer dans l'existence sans se replier sur sa propre misère. Il reçoit ainsi la grâce d'un nouveau départ et il retrouve des raisons d'espérer.
                C'est pourquoi il est nécessaire que dans l'Église en Europe le sacrement de la Réconciliation soit ravivé. Il faut cependant redire que la forme du sacrement est la confession personnelle des péchés, suivie de l'absolution individuelle. Cette rencontre entre le pénitent et le prêtre doit être favorisée, quelles que soient les formes prévues du rite du Sacrement. Face à la perte largement répandue du sens du péché et à l'affirmation d'une mentalité marquée par le relativisme et le subjectivisme dans le domaine moral, il est nécessaire que, dans toute communauté ecclésiale, on pourvoie à une sérieuse formation des consciences. Les Pères du Synode ont insisté pour que l'on reconnaisse clairement la vérité du péché personnel et la nécessité du pardon personnel de Dieu à travers le ministère du prêtre.
                Les absolutions collectives ne sont pas une modalité laissée à la libre appréciation dans l'administration du sacrement de la Réconciliation.
77. Je m'adresse aux prêtres, les exhortant à être généreusement disponibles pour écouter les confessions et à être eux-mêmes des exemples en s'approchant avec régularité du sacrement de la Pénitence. Je les invite à mettre soigneusement à jour leurs connaissances dans le domaine de la théologie morale, de manière à pouvoir affronter avec compétence les problèmes apparus récemment dans le domaine de la morale personnelle et sociale. Puissent-ils porter aussi une particulière attention aux conditions concrètes de vie dans lesquelles se trouvent les fidèles et savoir les conduire patiemment à reconnaître les exigences de la loi morale chrétienne, les aidant à vivre le sacrement comme une joyeuse rencontre avec la miséricorde du Père céleste !

Prière et vie
78. En plus de la célébration eucharistique, il convient de promouvoir aussi les autres formes de prières communautaires, aidant à redécouvrir le lien qui existe entre ces dernières et la prière liturgique. En particulier, tout en maintenant vivante la tradition de l'Église latine, on doit développer les diverses expressions du culte eucharistique en dehors de la Messe: adoration personnelle, exposition et procession, qui sont à comprendre comme des expressions de la foi en la permanence de la présence réelle du Seigneur dans le Sacrement de l'autel. À propos de la célébration personnelle ou communautaire de la Liturgie des Heures, dont le Concile a aussi rappelé la grande valeur pour les fidèles laïcs, on s'attachera à faire voir le lien qui la relie au mystère eucharistique. Les familles seront encouragées à réserver un temps pour la prière en commun, de façon à interpréter à la lumière de l'Évangile toute leur vie conjugale et familiale. Ainsi, à partir de là et dans l'écoute de la Parole de Dieu, se développera cette liturgie domestique qui accompagnera tous les moments de la vie familiale.
                Toute forme de prière communautaire présuppose la prière individuelle. Entre la personne et Dieu naît ce colloque en vérité qui s'exprime dans la louange, dans l'action de grâce, dans la supplication adressée au Père, par Jésus Christ et dans l'Esprit Saint. Jamais ne sera délaissée la prière personnelle, qui est comme la respiration du chrétien. À tous aussi, on apprendra à redécouvrir le lien entre cette dernière et la prière liturgique.
79. On réservera aussi une attention particulière à la piété populaire. Largement présente en diverses régions d'Europe grâce aux confréries, aux pèlerinages et aux processions auprès de nombreux sanctuaires, elle enrichit le cours de l'année liturgique, inspirant coutumes et usages familiaux et sociaux. Toutes ces formes doivent être considérées avec attention, moyennant une pastorale de promotion et de renouveau, qui les aide à développer ce qui est expression authentique de la sagesse du peuple de Dieu. Tel est assurément le saint Rosaire. En cette année qui lui est consacrée, il m'est cher d'en recommander de nouveau la récitation, car, “s'il est redécouvert dans sa pleine signification, le Rosaire conduit au cœur même de la vie chrétienne et offre une occasion spirituelle et pédagogique ordinaire mais féconde pour la contemplation personnelle, la formation du peuple de Dieu et la nouvelle évangélisation”.
                En matière de piété populaire, il faut veiller constamment aux aspects ambigus de certaines manifestations, les préservant des dérives séculières, du consumérisme irréfléchi ou encore des risques de superstition, afin de les maintenir dans le cadre de formes assurées et authentiques. On fera œuvre d'éducation, expliquant que la piété populaire doit toujours être vécue en harmonie avec la liturgie de l'Église et en relation avec les Sacrements.
80. Il ne faut pas oublier que le “culte spirituel capable de plaire à Dieu” (cf. Rm 12, 1) se réalise avant tout dans l'existence quotidienne, vécue dans la charité à travers le don de soi libre et généreux, même dans les moments d'apparente impuissance. Ainsi, la vie est animée par une espérance indéfectible parce qu'elle s'appuie uniquement sur la certitude de la puissance de Dieu et de la victoire du Christ: c'est une vie remplie des consolations de Dieu, par lesquelles nous sommes appelés à consoler à notre tour ceux que nous rencontrons sur notre route (cf. 2 Co 1, 4).

Le jour du Seigneur
81. Le jour du Seigneur est le moment par excellence et hautement évocateur en ce qui concerne la célébration de l'Évangile de l'espérance.
                Dans le contexte actuel, les circonstances rendent précaire pour les chrétiens la possibilité de vivre pleinement le dimanche comme jour de la rencontre avec le Seigneur. Il n'est pas rare qu'il se réduise à n'être qu'une “fin de semaine”, un simple temps d'évasion. C'est pourquoi il faut une action pastorale organique au niveau éducatif, spirituel et social, qui aide à en vivre le sens véritable.
82. Je renouvelle donc l'appel à redécouvrir le sens profond du jour du Seigneur: qu'il soit sanctifié par la participation à l'Eucharistie et par un repos rempli de joie chrétienne et de fraternité. Qu'il soit célébré comme le centre de tout le culte, comme l'annonce incessante de la vie sans fin, qui ranime l'espérance et redonne courage sur le chemin. Ne craignons pas alors de le défendre contre toute attaque et de tout mettre en œuvre pour que, dans l'organisation du travail, il soit sauvegardé, de manière à être un jour pour l'homme, au bénéfice de la société entière. En effet, si le dimanche était privé de sa signification originelle et s'il devenait impossible en ce jour de réserver un temps convenable à la prière, au repos, à la communion et à la joie, il pourrait arriver “que l'homme reste enfermé dans un horizon si réduit qu'il ne peut plus voir le ciel; alors, même revêtu d'un habit de fête, il devient profondément incapable de faire la fête”. Et sans la dimension de la fête, l'espérance ne trouverait pas de maison où habiter.

CHAPITRE V
SERVIR L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE
                “Je connais ta conduite, ton amour, ta foi, ton sens du service, ta persévérance” (Ap 2, 19)

Le chemin de l'amour
83. La Parole que l'Esprit adresse aux Églises contient un jugement sur leur vie. Elle concerne les actes et les comportements: “Je connais ta conduite” est l'introduction qui, tel un refrain et avec peu de variantes, apparaît dans les lettres écrites aux sept Églises. Quand les œuvres s'avèrent positives, elles sont le fruit du labeur, de la persévérance, de l'acceptation des épreuves, des tribulations, de la pauvreté, de la fidélité dans la persécution, de la charité, de la foi, du service. En ce sens, elles peuvent être lues comme la description d'une Église qui non seulement annonce et célèbre le salut venant du Seigneur, mais qui en “vit” réellement.
                Pour servir l'Évangile de l'espérance, l'Église qui est en Europe est elle aussi appelée à suivre la route de l'amour. C'est une route qui passe par la charité évangélisatrice, l'engagement multiforme dans le service, la détermination dans une générosité sans trêve ni frontière.

I. Le service de la charité
Dans la communion et dans la solidarité
84. Pour toute personne, l'amour reçu et donné constitue l'expérience originaire dans laquelle naît l'espérance. “L'homme ne peut vivre sans amour. Il demeure pour lui-même un être incompréhensible, sa vie est privée de sens s'il ne reçoit pas la révélation de l'amour, s'il ne rencontre pas l'amour, s'il n'en fait pas l'expérience et s'il ne le fait pas sien, s'il n'y participe pas fortement”.
                Le défi pour l'Église dans l'Europe d'aujourd'hui consiste donc à aider l'homme contemporain à faire l'expérience de l'amour de Dieu le Père et du Christ dans l'Esprit Saint, à travers le témoignage de l'amour, qui en lui-même possède une force évangélisatrice intrinsèque.
                En définitive,”l'Évangile”, joyeuse annonce faite à tout homme, consiste en ceci: Dieu nous a aimés le premier (cf. Jn 4, 10.19); Jésus nous a aimés jusqu'au bout (cf. Jn 13, 1). Grâce au don de l'Esprit, l'amour de Dieu est offert aux croyants, les rendant participants de sa capacité d'aimer: il saisit le cœur de tout disciple et de l'Église entière (cf. 2 Co 5, 14). Précisément parce qu'il est donné par Dieu, l'amour devient commandement pour l'homme (cf. Jn 13, 34).
                Vivre dans l'amour devient ainsi une joyeuse nouvelle pour tout homme, rendant visible l'amour de Dieu qui n'abandonne personne. En fin de compte, cela signifie donner à l'homme égaré de véritables raisons pour continuer à espérer.
85. C'est la vocation de l'Église, comme “signe tangible, bien que toujours inadéquat, de l'amour vécu, de faire que les hommes et les femmes rencontrent l'amour de Dieu et du Christ qui vient à leur recherche”. “Signe et instrument de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain”, l'Église en témoigne lorsque les personnes, les familles et les communautés vivent intensément l'Évangile de la charité. En d'autres termes, nos communautés ecclésiales sont appelées à être de véritables lieux privilégiés d'entraînement à la communion.
De par sa nature même, le témoignage de la charité est appelé à s'étendre au-delà des limites de la communauté ecclésiale, pour atteindre toute personne, de sorte que l'amour pour tous les hommes devienne incitation à une authentique solidarité pour l'ensemble de la vie sociale. Quand l'Église sert la charité, elle fait en même temps croître la “culture de la solidarité”, contribuant ainsi à redonner vie aux valeurs universelles de la convivialité humaine.
Dans cette perspective, il convient de redécouvrir le sens authentique du bénévolat chrétien. Naissant de la foi et étant continuellement nourri par elle, il doit conjuguer les compétences professionnelles et l'amour authentique, poussant ceux qui s'y livrent à “élever leurs sentiments de simple philanthropie à la hauteur de la charité du Christ; à reconquérir chaque jour, dans le labeur et la fatigue, la conscience de la dignité de tout homme; à aller à la découverte des besoins des personnes en ouvrant, s'il le faut, de nouvelles voies là où le besoin se fait le plus urgent, et là où l'attention et le soutien sont les plus déficients”.

II. Servir l'homme dans la société
Redonner espérance aux pauvres
86. À toute l'Église il est demandé de redonner espérance aux pauvres. Les accueillir et les servir signifie pour elle accueillir et servir le Christ (cf. Mt 25, 40). L'amour préférentiel pour les pauvres est une dimension nécessaire de l'être chrétien et du service de l'Évangile. Aimer les personnes et leur témoigner qu'elles sont particulièrement aimées de Dieu veut dire reconnaître qu'elles ont une valeur en elles-mêmes, quelles que soient les conditions économiques, culturelles et sociales dans lesquelles elles vivent, les aidant à développer leurs potentialités.
87. Il faut par ailleurs se laisser interpeller par le phénomène du chômage, qui, dans beaucoup de pays d'Europe, constitue un grave fléau social. À cela s'ajoutent aussi les problèmes liés à l'accroissement des flux migratoires. Il est demandé à l'Église de rappeler que le travail est un bien que toute la société doit prendre en charge.
                Présentant à nouveau les critères éthiques qui doivent guider le marché et l'économie, dans un respect scrupuleux de la place centrale que l'homme y occupe, l'Église ne peut négliger la recherche du dialogue avec les personnes engagées dans le domaine politique et syndical, et dans le monde de l'entreprise. Le dialogue doit tendre à l'édification d'une Europe entendue comme communauté de peuples et de personnes, communauté solidaire dans l'espérance, non soumise exclusivement aux lois du marché, mais fermement préoccupée de sauvegarder la dignité de l'homme même dans ses rapports économiques et sociaux.
88. Qu'une attention particulière soit aussi portée à la pastorale des malades. Considérant que la maladie est une situation qui suscite des questions essentielles sur le sens de la vie, “dans une société de la prospérité et de l'efficacité, dans une culture caractérisée par l'idolâtrie du corps, par le refus de la souffrance et de la douleur, et par le mythe de la jeunesse éternelle”, l'attention envers les malades doit être considérée comme une priorité. À cette fin, il faut promouvoir, d'une part, une présence pastorale appropriée dans les différents lieux de la souffrance, par exemple à travers l'engagement d'aumôniers d'hôpitaux, de membres d'associations de bénévolat, d'institutions sanitaires liées à l'Église, et, d'autre part, un soutien aux familles des malades. De plus, il est nécessaire d'être proche du personnel médical et paramédical, avec des moyens pastoraux adaptés, pour le soutenir dans son exigeante vocation au service des malades. En effet, dans leur activité professionnelle, les personnes qui travaillent dans le monde de la santé rendent chaque jour un noble service à la vie. Il leur est demandé d'offrir aussi aux patients le soutien spirituel particulier qui suppose la chaleur d'un contact humain authentique.
89. Enfin, on ne saurait oublier qu'il est parfois fait un usage indu des biens de la terre. Manquant en effet à la mission de cultiver et de garder la terre avec sagesse et amour (cf Gn 2, 15), l'homme a, dans de nombreuses régions, dévasté plaines et forêts, pollué les eaux, rendu l'air irrespirable, bouleversé les systèmes hydrogéologiques et atmosphériques, et provoqué la désertification de vastes zones.
Même dans ce cas, servir l'Évangile de l'espérance veut dire s'engager de manière nouvelle pour un usage correct des biens de la terre, développant l'attention qui, en plus de sauvegarder des habitats naturels, défend la qualité de vie des personnes, afin de préparer pour les générations futures un monde plus conforme au projet du Créateur.

La vérité sur le mariage et la famille
90. L'Église en Europe, dans toutes ses composantes, doit proposer à nouveau, avec fidélité, la vérité sur le mariage et la famille. C'est une nécessité qu'elle ressent intensément en elle-même, car elle sait qu'elle est qualifiée pour accomplir cette tâche, en vertu de la mission évangélisatrice que lui a confiée son Époux et Seigneur, et que cette tâche s'impose aujourd'hui de nouveau avec une insistance inégalée. De nombreux facteurs culturels, sociaux et politiques contribuent en effet à provoquer une crise, toujours plus évidente, de la famille. Ils compromettent, dans certaines mesures, la vérité et la dignité de la personne humaine, et ils remettent en cause, en la dénaturant, l'idée même de famille. La valeur de l'indissolubilité du mariage est de plus en plus méconnue; on revendique des formes de reconnaissance légale des unions de fait, les mettant sur le même plan que les mariages légitimes; on observe même des tentatives visant à faire accepter des modèles de couples où la différence sexuelle ne serait plus essentielle.
                Dans ce contexte, il est demandé à l'Église d'annoncer avec une vigueur renouvelée ce que dit l'Évangile sur le mariage et la famille, pour en saisir la signification et la valeur dans le dessein salvifique de Dieu. Il est en particulier nécessaire de réaffirmer que ces institutions sont des réalités qui proviennent de la volonté de Dieu. Il faut redécouvrir la vérité de la famille, en tant que communauté intime de vie et d'amour, ouverte à la génération de nouvelles vies; et aussi sa dignité “d'Église domestique” et sa participation à la mission de l'Église et à la vie de la société.
91. Selon les Pères du Synode, il faut reconnaître que de nombreuses familles, dans le quotidien d'une existence vécue dans l'amour, sont des témoins visibles de la présence de Jésus qui les accompagne et qui les soutient par le don de son Esprit. Pour affermir leur marche, on devra approfondir la théologie et la spiritualité du mariage et de la famille; proclamer avec fermeté et intégrité, et montrer au moyen d'exemples efficaces la vérité et la beauté de la famille fondée sur le mariage entendu comme union stable et féconde d'un homme et d'une femme; promouvoir dans toute communauté ecclésiale une pastorale familiale organique et adaptée. En même temps, il sera nécessaire d'offrir, avec une sollicitude maternelle de la part de l'Église, une aide à ceux qui se trouvent dans des situations difficiles, par exemple les mères célibataires, les personnes séparées, les divorcés, les enfants abandonnés. Dans tous les cas, il conviendra d'encourager, d'accompagner et de soutenir une juste participation des familles, seules ou associées, dans l'Église et dans la société, et de veiller à ce que les États et l'Union européenne elle-même mettent en place des politiques familiales authentiques et adaptées.
92. Une attention particulière doit être réservée à l'éducation des jeunes et des fiancés à l'amour, grâce à des parcours spécifiques de préparation à la célébration du sacrement de Mariage, qui les aident à arriver jusqu'à ce jour en vivant dans la chasteté. Dans son œuvre éducative, l'Église se montrera prévenante, accompagnant également les jeunes époux après la célébration de leur mariage.
93. Enfin, l'Église est aussi appelée à rencontrer, avec une bonté maternelle, tous ceux qui sont dans des situations matrimoniales qui peuvent facilement faire perdre l'espérance. En particulier, “face aux nombreuses familles disloquées, l'Église se sent appelée, non pas à exprimer un jugement sévère et distant, mais plutôt à introduire dans les plaies de tant de drames humains la lumière de la Parole de Dieu, accompagnée du témoignage de sa miséricorde. Tel est l'esprit avec lequel la pastorale familiale cherche à prendre en charge également les situations des croyants qui sont divorcés et se sont remariés civilement. Ils ne sont pas exclus de la communauté: ils sont même invités à participer à sa vie, en accomplissant un chemin de croissance dans la ligne des exigences évangéliques. Sans leur taire la vérité du désordre moral objectif dans lequel ils se trouvent et des conséquences qui en découlent quant à la pratique sacramentelle, l'Église entend leur montrer toute sa proximité maternelle”.
94. S'il est nécessaire, pour servir l'Évangile de l'espérance, d'apporter une attention particulière et prioritaire à la famille, il est tout aussi vrai que les familles elles-mêmes ont une tâche irremplaçable à accomplir à l'égard de ce même Évangile de l'espérance. C'est pourquoi, en toute confiance et affection, je renouvelle mon invitation à toutes les familles chrétiennes qui vivent en Europe: “Familles, devenez ce que vous êtes !” Vous êtes une représentation vivante de l'amour de Dieu: Vous avez la “mission de garder, de révéler et de communiquer l'amour, reflet vivant et participation réelle de l'amour de Dieu pour l'humanité et de l'amour du Christ Seigneur pour l'Église son Épouse”.
                Vous êtes le “sanctuaire de la vie [...]: le lieu où la vie, don de Dieu, peut être convenablement accueillie et protégée contre les nombreuses attaques auxquelles elle est exposée, le lieu où elle peut se développer suivant les exigences d'une croissance humaine authentique”.
Vous êtes le fondement de la société, en tant que lieu premier de l'“humanisation” de la personne et du “vivre ensemble”, modèle pour l'instauration de rapports sociaux vécus dans l'amour et la solidarité.
                Soyez vous-mêmes des témoins crédibles de l'Évangile de l'espérance ! Car vous êtes “Gaudium et spes”.

Servir l'Évangile de la vie
95. Le vieillissement et la diminution de la population auxquels on assiste dans divers pays d'Europe ne peuvent pas ne pas être des motifs de préoccupation; en effet, la chute des naissances est le symptôme d'un rapport perturbé avec l'avenir; c'est une manifestation évidente d'un manque d'espérance, c'est le signe de la “culture de mort” qui traverse la société contemporaine.
Avec la chute de la natalité, il faut rappeler d'autres signes qui concourent à provoquer l'éclipse de la valeur de la vie et à déchaîner une sorte de conjuration contre elle. Parmi eux, il faut tout d'abord mentionner avec tristesse la diffusion de l'avortement, même en utilisant des préparations chimiques et pharmaceutiques qui le rendent possible sans devoir recourir à un médecin, et en le soustrayant ainsi à toute forme de responsabilité sociale; cela est favorisé par la présence, dans les législations de nombreux États du continent, de lois permettant un geste qui demeure un “crime abominable” et qui constitue toujours un grave désordre moral. On ne peut pas oublier non plus les attentats perpétrés à travers les interventions “sur les embryons humains qui, bien que poursuivant des buts en soi légitimes, en comportent inévitablement le meurtre”, ou bien l'utilisation détournée des techniques de diagnostic prénatal, qui sont mises non pas au service de thérapies précoces, parfois envisageables, mais “d'une mentalité eugénique qui accepte l'avortement sélectif”.
                Il faut aussi mentionner la tendance, que l'on observe dans certaines parties de l'Europe, à penser qu'il pourrait être permis de mettre fin sciemment à ses jours ou à ceux d'autrui: d'où une diffusion de l'euthanasie, cachée ou effectuée au grand jour, en faveur de laquelle les demandes et les tristes exemples de légalisation ne manquent pas.
96. Face à cet état de fait, il est nécessaire de “servir l'Évangile de la vie” également grâce “à une mobilisation générale des consciences et à un effort commun d'ordre éthique, pour mettre en œuvre une grande stratégie pour le service de la vie. Nous devons construire tous ensemble une nouvelle culture de la vie”. C'est là un grand défi qu'il faut affronter avec responsabilité, dans la certitude que “l'avenir de la civilisation européenne dépend en grande partie d'une défense et d'une promotion résolues des valeurs de la vie, centre de son patrimoine culturel”; il s'agit en effet de rendre à l'Europe sa véritable dignité, qui est d'être le lieu où toute personne est reconnue dans son incomparable dignité.
Je fais volontiers miennes ces paroles des Pères du synode: “Le synode des évêques européens incite les communautés chrétiennes à se faire les évangélisatrices de la vie. Il encourage les couples chrétiens et les familles chrétiennes à se soutenir mutuellement pour demeurer fidèles à leur mission de collaborer avec Dieu dans la génération et l'éducation de nouvelles créatures; il apprécie toute généreuse tentative de réagir à l'égoïsme en matière de transmission de la vie, égoïsme nourri par de faux modèles de sécurité et de bonheur; il demande aux États et à l'Union européenne de mettre en œuvre des politiques clairvoyantes qui promeuvent les conditions concrètes de logement, de travail et d'aide sociale, en vue d'aider à la constitution de la famille et à répondre à la vocation à la maternité et à la paternité, et qui en plus assurent à l'Europe d'aujourd'hui la ressource la plus précieuse: les Européens de demain”.

Bâtir une cité digne de l'homme
97. La charité active nous engage à hâter la venue du Règne de Dieu. C'est pourquoi elle apporte son concours à la promotion des valeurs authentiques qui sont à la base d'une civilisation digne de l'homme. Comme le rappelle en effet le Concile Vatican II, “dans leur marche vers la cité céleste, les chrétiens doivent rechercher et goûter les choses d'en haut; mais, par là, la gravité du devoir de travailler en collaboration avec tous les hommes à l'édification d'un monde plus humain, loin d'être diminuée, est plutôt accrue”. L'attente des cieux nouveaux et de la terre nouvelle, loin d'éloigner de l'histoire, intensifie la sollicitude pour le monde présent où, jusqu'à aujourd'hui, croît la nouveauté qui est germe et figure du monde à venir.
                Animés par ces certitudes de foi, engageons-nous à construire une cité digne de l'homme! Même s'il n'est pas possible de réaliser dans l'histoire un ordre social parfait, nous savons pourtant que tout effort sincère pour construire un monde meilleur est accompagné de la bénédiction de Dieu et que toute semence de justice et d'amour plantée dans le temps présent donnera son fruit dans l'éternité.
98. Dans la construction d'une cité digne de l'homme, un rôle d'inspiration doit être reconnu à la doctrine sociale de l'Église. À travers elle, en effet, l'Église pose au continent européen la question de la valeur morale de sa civilisation. Cette doctrine tire son origine de la rencontre entre, d'une part, le message biblique et la raison, et, d'autre part, les problèmes et les situations concernant la vie de l'homme et de la société. Par l'ensemble des principes qu'elle propose, cette doctrine contribue à poser des bases solides pour une vie sociale à la mesure de l'homme, dans la justice, la vérité, la liberté et la solidarité. Tournée vers la défense et la promotion de la dignité de la personne, fondement non seulement de la vie économique et politique, mais aussi de la justice sociale et de la paix, elle apparaît capable d'assurer des bases solides aux piliers sur lesquels se bâtit l'avenir du continent européen. La doctrine sociale de l'Église comporte aussi les points de repères qui permettent de défendre la structure morale de la liberté, de manière à sauvegarder la culture et la société européennes aussi bien de l'utopie totalitaire de la “justice sans liberté” que de celle d'une “liberté sans vérité” qui s'accompagne d'une fausse conception de la “tolérance”, toutes deux porteuses d'erreurs et d'horreurs pour l'humanité, comme en témoigne malheureusement l'histoire récente de l'Europe elle-même.
99. La doctrine sociale de l'Église, en raison de son lien intrinsèque avec la dignité de la personne, est faite pour être comprise aussi par ceux qui n'appartiennent pas à la communauté des croyants. Il est donc urgent d'en répandre la connaissance et l'étude, dans le but de surmonter l'ignorance que même les chrétiens ont à son endroit. C'est ce qu'exige l'Europe nouvelle en voie de construction, elle qui a besoin de personnes éduquées selon ces valeurs et disposées à travailler à la réalisation du bien commun. À cette fin s'avère nécessaire la présence de laïcs chrétiens qui, dans les diverses responsabilités de la vie civique, économique, culturelle, dans le monde de la santé, de l'éducation et de la politique, agissent de manière à pouvoir y diffuser les valeurs du Royaume.

Pour une culture de l'accueil
100. Parmi les défis qui se posent aujourd'hui pour le service de l'Évangile de l'espérance apparaît celui du phénomène croissant de l'immigration, qui interroge l'Église sur sa capacité d'accueillir chaque personne, quel que soit le peuple ou la nation auquel elle appartient. Il incite également toute la société européenne et ses institutions à rechercher un ordre juste et des modes de convivialité respectueux de tous, comme aussi de la législation, en vue d'une éventuelle intégration.
                Devant l'état de pauvreté, de sous-développement ou même d'insuffisance de liberté qui, malheureusement, caractérise encore divers pays et qui pousse de nombreuses personnes à abandonner leur terre, se fait sentir le besoin d'un engagement courageux de tous pour la réalisation d'un ordre économique international plus juste, qui soit en mesure de promouvoir l'authentique développement de tous les peuples et de tous les pays.
101. Face au phénomène migratoire, l'Europe est mise au défi de trouver des formes nouvelles et intelligentes d'accueil et d'hospitalité. C'est la vision “universaliste” du bien commun qui l'exige: il faut dilater son regard jusqu'à embrasser les exigences de toute la famille humaine. Le phénomène même de la mondialisation demande ouverture et partage s'il veut être non pas une source d'exclusion et de marginalisation, mais au contraire de participation solidaire de tous à la production et à l'échange des biens.
                Chacun doit s'employer à la croissance d'une solide culture de l'accueil qui, tenant compte de l'égale dignité de toute personne et du devoir de solidarité à l'égard des plus faibles, demande que soient reconnus les droits fondamentaux de tout migrant. Il est de la responsabilité des autorités publiques d'exercer un contrôle sur les flux migratoires en fonction des exigences du bien commun. L'accueil doit toujours se réaliser dans le respect des lois et donc se conjuguer, si nécessaire, avec une ferme répression des abus.
102. Il faut également s'employer à découvrir les formes possibles d'une véritable intégration des immigrés légitimement accueillis dans le tissu social et culturel des diverses nations européennes. Cela exige que l'on ne cède pas à l'indifférence à l'égard des valeurs humaines universelles et que l'on soit attentif à sauvegarder le patrimoine culturel propre à chaque nation. Une convivialité pacifique et un échange des richesses intérieures réciproques rendront possible l'édification d'une Europe qui sache être la maison commune, où chacun puisse être accueilli, où nul ne fasse l'objet de discrimination, où tous soient traités et vivent de façon responsable comme membres d'une seule grande famille.
103. Pour sa part, l'Église est appelée à “continuer son action pour créer et améliorer sans cesse ses services d'accueil et ses attentions pastorales à l'égard des immigrés et des réfugiés”, pour faire en sorte que soient respectées leur dignité et leur liberté, et que soit favorisée leur intégration.
On veillera en particulier à assurer une assistance pastorale à l'intégration des immigrés catholiques, en respectant leur culture et l'originalité de leurs traditions religieuses. À cette fin, il est bon de favoriser les contacts entres les Églises d'origine des immigrés et celles qui les accueillent, en vue d'étudier des formes d'aide qui peuvent également prévoir la présence, parmi les immigrés, de prêtres, de personnes consacrées et d'agents pastoraux, convenablement formés, provenant de leur pays.
                Le service de l'Évangile exige en outre que l'Église, défendant la cause des opprimés et des exclus, demande aux autorités politiques des divers États et aux responsables des Institutions européennes de reconnaître la condition de réfugié à ceux qui fuient leur pays d'origine en raison de menaces pour leur vie, et aussi de faciliter leur retour dans leur pays, ainsi que de créer les conditions pour que soit respectée la dignité de tous les immigrés et que soient défendus leurs droits fondamentaux.

III. Optons pour la charité
104. L'appel à vivre une charité active, adressé par les Pères synodaux à tous les chrétiens du continent européen, représente la synthèse heureuse d'un service authentique rendu à l'Évangile de l'espérance. Aujourd'hui, je te propose à mon tour cet appel, Église du Christ qui vis en Europe. Que les joies et les espérances, que les tristesses et les angoisses des Européens d'aujourd'hui, surtout des pauvres et de ceux qui souffrent, soient aussi tes joies et tes espérances, tes tristesses et tes angoisses, et que rien de ce qui est authentiquement humain ne manque de trouver un écho dans ton cœur ! Regarde l'Europe et son cheminement, avec la sympathie de celui qui apprécie tout élément positif, mais qui, en même temps, ne ferme pas les yeux sur ce qui n'est pas en harmonie avec l'Évangile et qui le dénonce avec force!
105. Église en Europe, accueille chaque jour avec une fraîcheur renouvelée le don de la charité que le Seigneur t'offre et dont il te rend capable! Apprends de lui le contenu et la mesure de l'amour ! Et sois l'Église des Béatitudes, continuellement conformée au Christ (cf. Mt 5, 1-12).
                Libre de toute entrave et de toute dépendance, sois pauvre et amie des plus pauvres, accueillante envers toute personne et attentive à toute forme de pauvreté, qu'elle soit ancienne ou nouvelle !
                Continuellement purifiée par la bonté du Père, reconnais dans l'attitude de Jésus, qui a toujours défendu la vérité tout en se montrant miséricordieux envers les pécheurs, la norme suprême de ton action.
                En Jésus, à la naissance duquel la paix fut annoncée (cf. Lc 2, 14), en lui qui dans sa mort a abattu toute inimitié (cf. Ep 2, 14) et qui a donné la paix véritable (cf. Jn 14, 27), sois un artisan de paix, invitant tes fils à laisser purifier leur cœur de toute hostilité, égoïsme ou esprit partisan, favorisant en toute circonstance le dialogue et le respect réciproques !
                En Jésus, justice de Dieu, ne te lasse jamais de dénoncer toute forme d'injustice! En vivant dans le monde avec les valeurs du Règne qui vient, tu seras l'Église de la charité, tu apporteras ton indispensable contribution à l'édification en Europe d'une civilisation toujours plus digne de l'homme.

CHAPITRE VI
L'ÉVANGILE DE L'ESPÉRANCE POUR UNE EUROPE NOUVELLE
                “J'ai vu descendre du ciel, d'auprès de Dieu, la cité sainte, la Jérusalem nouvelle” (Ap 21, 2)

La nouveauté de Dieu dans l'histoire
106. L'Évangile de l'espérance qui résonne dans l'Apocalypse ouvre le cœur à la contemplation de la nouveauté opérée par Dieu: “Alors j'ai vu un ciel nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et il n'y avait plus de mer” (Ap 21, 1). C'est Dieu lui-même qui proclame cette nouveauté avec des mots expliquant la vision qui vient d'être décrite: “Voici que je fais toutes choses nouvelles” (Ap 21, 5).
                La nouveauté de Dieu – pleinement compréhensible sur l'arrière-plan des choses du passé, faites de larmes, de deuil, d'affliction et de mort (cf. Ap 21, 4) – consiste à sortir de la condition du péché et de ses conséquences, dans laquelle se trouve l'humanité; c'est le ciel nouveau et la nouvelle terre, la Jérusalem nouvelle, par opposition à un ciel et à une terre anciens, à un antique ordre des choses et à une Jérusalem vétuste, tourmentée par ses rivalités.
                Il n'est pas indifférent pour la construction de la cité de l'homme d'utiliser l'image de la Jérusalem nouvelle qui descend “du ciel, d'auprès de Dieu, toute prête, comme une fiancée parée pour son époux” (Ap 21, 2) et qui se réfère directement au mystère de l'Église. C'est une image qui parle d'une réalité eschatologique: elle va au-delà de tout ce que l'homme peut faire; elle est un don de Dieu qui s'accomplira dans les derniers temps. Mais elle n'est pas une utopie: elle est une réalité déjà présente. C'est ce qu'indique le verbe au présent utilisé par Dieu – “Voici que je fais toutes choses nouvelles” (Ap 21, 5) – avec la précision qui suit: “Tout est réalisé désormais” (Ap 21, 6). Car Dieu est déjà en train d'agir pour renouveler le monde; la Pâque de Jésus est déjà la nouveauté de Dieu. Elle fait naître l'Église, elle en anime l'existence, elle renouvelle et transforme l'histoire.
107. Cette nouveauté commence à prendre forme avant tout dans la communauté chrétienne, qui est déjà aujourd'hui “la demeure de Dieu avec les hommes” (cf. Ap 21, 3), au sein de laquelle Dieu est déjà à l'œuvre, renouvelant la vie de ceux qui se soumettent au souffle de l'Esprit. L'Église est pour le monde signe et instrument du Royaume qui se réalise avant tout dans les cœurs. Un reflet de cette même nouveauté se manifeste aussi dans toute forme de convivialité humaine animée par l'Évangile. Il s'agit d'une nouveauté qui interroge la société à tout moment de l'histoire et en tout point de la terre, particulièrement la société européenne qui, depuis de nombreux siècles, écoute l'Évangile du Règne inauguré par Jésus.

I. La vocation spirituelle de l'Europe
L'Europe promotrice des valeurs universelles
108. L'histoire du continent européen est marquée par l'influence vivifiante de l'Évangile. “Si nous tournons notre regard vers les siècles passés, nous ne pouvons pas manquer de rendre grâce au Seigneur pour le fait que le christianisme a été pour notre continent un facteur primordial d'unité entre les peuples et les cultures et de promotion intégrale de l'homme et de ses droits”.
                On ne peut certes pas douter que la foi chrétienne fait partie, de façon radicale et déterminante, des fondements de la culture européenne. Le christianisme a en effet donné sa forme à l'Europe, y faisant pénétrer certaines valeurs fondamentales. La modernité européenne elle- même, qui a donné au monde l'idéal démocratique et les droits humains, puise ses valeurs dans son héritage chrétien. Plus qu'un espace géographique, cet héritage peut être qualifié de “concept majoritairement culturel et historique, caractérisant une réalité née comme continent grâce, entre autres, à la force unificatrice du christianisme; celui-ci a su fondre entre eux des peuples différents et des cultures diverses, et il est intimement lié à la culture européenne tout entière”.
                Cependant, au moment même où l'Europe d'aujourd'hui renforce et élargit son union économique et politique, elle semble aussi souffrir d'une profonde crise de valeurs. Bien qu'elle dispose de moyens accrus, elle donne l'impression de manquer d'élan pour nourrir un projet commun et pour redonner à ses citoyens des raisons d'espérer.

Le nouveau visage de l'Europe
109. Dans le processus de transformation qu'elle vit actuellement, l'Europe est appelée avant tout à retrouver sa véritable identité. En effet, bien qu'elle soit parvenue à constituer une réalité fortement diversifiée, elle doit édifier un nouveau modèle d'unité dans la diversité, une communauté de nations réconciliées, ouverte aux autres continents et engagée dans le processus actuel de mondialisation.
                Pour donner un nouvel élan à son histoire, elle doit “reconnaître et retrouver, dans une fidélité créatrice, les valeurs fondamentales à l'acquisition desquelles le christianisme a apporté une contribution déterminante, et qui peuvent se résumer dans l'affirmation de la dignité transcendante de la personne, de la valeur de la raison, de la liberté, de la démocratie, de l'état de droit et de la distinction entre politique et religion”.
110. L'Union européenne continue à s'élargir. Tous les peuples qui partagent le même héritage fondamental ont pour vocation d'en faire partie à plus ou moins longue échéance. Il faut souhaiter que, en plus d'assurer une mise en œuvre plus affermie des principes de subsidiarité et de solidarité, une telle expansion se réalise dans le respect de tous, valorisant les particularités historiques et culturelles, les identités nationales et la richesse des apports que pourront fournir les nouveaux membres. Dans le processus d'intégration du continent, il est capital de prendre en compte le fait que l'Union n'aurait pas de consistance si elle était réduite à ses seules composantes géographiques et économiques, mais qu'elle doit avant tout consister en une harmonisation des valeurs appelées à s'exprimer dans le droit et dans la vie.

Promouvoir la solidarité et la paix dans le monde
111. Dire “Europe” doit vouloir dire “ouverture”. Malgré les expériences et les signes contraires qui d'ailleurs n'ont pas manqué, c'est son histoire même qui l'exige: “L'Europe n'est pas vraiment un territoire clos ou isolé; elle s'est construite en allant, au-delà des mers, à la rencontre d'autres peuples, d'autres cultures, d'autres civilisations”. C'est pourquoi l'Europe doit être un continent ouvert et accueillant qui continue à pratiquer, dans l'actuelle mondialisation, des formes de coopération non seulement économique, mais également sociale et culturelle.
                Il y a une exigence à laquelle le continent doit répondre de manière positive pour que son visage soit véritablement nouveau: “L'Europe ne saurait se replier sur elle-même. Elle ne peut ni ne doit se désintéresser du reste du monde; elle doit au contraire garder pleine conscience que d'autres pays, d'autres continents, attendent d'elle des initiatives audacieuses, pour offrir aux peuples les plus pauvres les moyens de leur développement et de leur organisation sociale, et pour édifier un monde plus juste et plus fraternel”. Pour réaliser une telle mission de manière appropriée, il sera nécessaire “de repenser la coopération internationale en termes de nouvelle culture de solidarité. Considérée comme ferment de paix, la coopération ne peut pas se réduire à l'aide et à l'assistance, surtout quand on envisage en retour de tirer profit des ressources mises à disposition. Au contraire, elle doit exprimer un engagement concret et tangible de solidarité qui vise à faire des pauvres les acteurs de leur développement et qui permette au plus grand nombre possible de personnes d'exercer, dans les circonstances économiques et politiques concrètes dans lesquelles elles vivent, la créativité propre à la personne humaine, d'où dépend aussi la richesse des nations”.
112. De plus, l'Europe doit prendre une part active dans la promotion et dans la mise en pratique d'une mondialisation “dans la” solidarité. Comme condition de cette dernière, il faut ajouter une sorte de mondialisation “de la” solidarité et des valeurs connexes d'équité, de justice et de liberté, dans la ferme conviction que le marché requiert d'être “dûment contrôlé par les forces sociales et par l'État, de manière à garantir la satisfaction des besoins fondamentaux de toute la société”.
                L'Europe qui nous est léguée par l'histoire a vu, surtout au siècle dernier, s'affirmer des idéologies totalitaires et des nationalismes exacerbés qui, faisant perdre l'espérance aux hommes et aux peuples du continent, ont nourri des conflits au sein des Nations et entre les Nations elles-mêmes, jusqu'à l'effroyable tragédie des deux guerres mondiales. Les luttes ethniques plus récentes, qui ont à nouveau ensanglanté le continent européen, ont montré elles aussi à tous que la paix est fragile, qu'elle a besoin d'un engagement actif de tous et qu'elle ne peut être garantie qu'en ouvrant de nouvelles perspectives d'échange, de pardon et de réconciliation entre les personnes, entre les peuples et entre les Nations.
                Face à cet état de fait, l'Europe, avec tous ses habitants, doit s'employer inlassablement à construire la paix à l'intérieur de ses frontières et dans le monde entier. À ce propos, il convient de rappeler “d'une part que les différences nationales doivent être maintenues et cultivées comme le fondement de la solidarité européenne; et, d'autre part, que l'identité nationale elle-même ne se réalise que dans l'ouverture aux autres peuples et à travers la solidarité envers eux”.

II. La construction européenne
Le rôle des Institutions européennes
113. Si l'on veut dessiner le nouveau visage du continent, c'est, sous de nombreux aspects déterminants, par leur rôle que les Institutions internationales qui sont principalement liées au territoire européen, et qui y agissent, ont contribué à marquer le cours historique des événements sans s'engager dans des opérations à caractère militaire. À ce sujet, je voudrais mentionner avant tout l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, qui travaille au maintien de la paix et à la stabilité, y compris par la protection et la promotion des droits humains et des libertés fondamentales, comme aussi à la coopération économique et environnementale.
                Il y a aussi le Conseil de l'Europe, dont font partie les États qui ont signé la Convention européenne pour la sauvegarde des droits humains fondamentaux de 1950 et la Charte sociale de 1961. La Cour européenne des droits de l'homme lui est rattachée. Ces deux institutions visent, à travers la coopération politique, sociale, juridique et culturelle, comme aussi à travers la promotion des droits humains et de la démocratie, à la réalisation de l'Europe de la liberté et de la solidarité. Enfin, l'Union européenne, avec son Parlement, avec le Conseil des Ministres et avec la Commission, propose un modèle d'intégration qui se perfectionne progressivement, dans la perspective d'adopter un jour une charte fondamentale commune. Cet organisme a pour but de réaliser une plus grande unité politique, économique et monétaire entre les États membres, aussi bien les membres actuels que ceux qui en feront partie à l'avenir. Dans leur diversité et à partir de l'identité propre à chacune d'elles, les Institutions mentionnées ci-dessus ont pour but de promouvoir l'unité du continent, et plus profondément sont au service de l'homme.
114. Aux Institutions européennes elles-mêmes et aux divers États d'Europe, je demande avec les Pères synodaux de reconnaître qu'un bon ordonnancement de la société doit s'enraciner dans d'authentiques valeurs éthiques et civiques, partagées le plus possible par les citoyens, en notant que de telles valeurs constituent avant tout le patrimoine des divers corps sociaux. Il est important que les Institutions et les États reconnaissent que, parmi ces corps sociaux, il y a aussi les Églises et Communautés ecclésiales, ainsi que les autres organisations religieuses. À plus forte raison, quand elles existent déjà avant la fondation des nations européennes, elles ne sont pas réductibles à de simples entités privées, mais elles agissent avec un poids institutionnel spécifique, qui mérite d'être sérieusement pris en considération. Dans le déroulement de leurs activités, les différentes Institutions étatiques ou européennes doivent agir en sachant que leurs systèmes juridiques ne seront pleinement respectueux de la démocratie que s'ils prévoient des formes de “saine collaboration” avec les Églises et les Organisations religieuses.
                À la lumière de ce qui vient d'être souligné, je voudrais m'adresser encore une fois aux rédacteurs du futur traité constitutionnel de l'Europe, pour que, dans ce dernier, figure une référence au patrimoine religieux et spécialement chrétien de l'Europe. Dans le plein respect de la laïcité des Institutions, je souhaite par-dessus tout que soient reconnus trois aspects complémentaires: le droit des Églises et des communautés religieuses de s'organiser librement, en conformité avec leurs propres statuts et leurs propres convictions; le respect de l'identité spécifique des Confessions religieuses et le fait de prévoir un dialogue structuré entre l'Union européenne et ces mêmes Confessions; le respect du statut juridique dont les Églises et les institutions religieuses jouissent déjà en vertu des législations des États membres de l'Union.
115. Les Institutions européennes ont pour but déclaré la défense des droits de la personne humaine. Par cet engagement, elles contribuent à construire l'Europe des valeurs et du droit. Les Pères synodaux ont fait appel aux responsables européens, leur disant: “Élevez la voix quand sont violés les droits humains des individus, des minorités et des peuples, à commencer par le droit à la liberté religieuse; réservez la plus grande attention à tout ce qui regarde la vie humaine de sa conception jusqu'à sa mort naturelle, et la famille fondée sur le mariage: telles sont les bases sur lesquelles repose la maison commune européenne; [...] affrontez, en toute justice et équité, et avec un grand sens de la solidarité, le phénomène croissant des migrations, faisant en sorte qu'elles soient une nouvelle ressource pour l'avenir européen; faites tous vos efforts pour qu'aux jeunes soit garanti un avenir vraiment humain, par le travail, la culture, l'éducation aux valeurs morales et spirituelles”.

L'Église pour la nouvelle Europe
116. L'Europe a besoin d'une dimension religieuse. Pour être “nouvelle”, à la manière de ce qui est dit de la “cité nouvelle” de l'Apocalypse (cf. 21, 2), elle doit se laisser rejoindre par l'action de Dieu. L'espérance de construire un monde plus juste et plus digne de l'homme ne peut en effet faire abstraction de la prise de conscience que les efforts humains ne conduiraient à rien s'ils n'étaient pas accompagnés par le soutien divin, car, “si le Seigneur ne bâtit la maison, les bâtisseurs travaillent en vain” (Ps 127 [126], 1). Pour que l'Europe puisse être édifiée sur des bases solides, il est nécessaire de s'appuyer sur les valeurs authentiques, qui ont leur fondement dans la loi morale universelle, inscrite dans le cœur de tout homme. “Non seulement les chrétiens peuvent s'unir à tous les hommes de bonne volonté pour travailler à la construction de ce grand projet, mais plus encore ils sont invités à en être en quelque sorte l'âme, en montrant le véritable sens de l'organisation de la cité terrestre”.
                Une et universelle, tout en étant présente dans la multiplicité des Églises particulières, l'Église catholique peut offrir une contribution unique à l'édification d'une Europe ouverte au monde. De l'Église en effet se dégage un modèle d'unité essentielle dans la diversité des expressions culturelles, la conscience d'appartenir à une communauté universelle qui s'enracine dans les communautés locales mais ne s'épuise pas en elles, le sens de ce qui unit au-delà de ce qui distingue.
117. Dans ses relations avec les pouvoirs publics, l'Église ne demande pas un retour à des formes d'État confessionnel. Mais en même temps, elle déplore tout type de laïcisme idéologique ou de séparation hostile entre les institutions civiles et les confessions religieuses.
                Pour sa part, dans la logique d'une saine collaboration entre communauté ecclésiale et société politique, l'Église catholique est convaincue de pouvoir apporter une contribution spécifique à la perspective de l'unification, offrant aux institutions européennes, en continuité avec sa tradition et en harmonie avec les directives de sa doctrine sociale, la présence de communautés de croyants qui cherchent à réaliser l'humanisation de la société à partir de l'Évangile vécu sous le signe de l'espérance. Dans cette optique, il est nécessaire que des chrétiens, convenablement formés et compétents, soient présents dans les diverses instances et Institutions européennes, pour concourir, dans le respect des justes dynamismes démocratiques et à travers une confrontation des propositions, à définir une convivialité européenne toujours plus respectueuse de tout homme et de toute femme, et donc conforme au bien commun.
118. L'Europe qui est en train de se construire comme “union” pousse aussi les chrétiens vers l'unité pour qu'ils soient de vrais témoins d'espérance. Dans ce cadre, il faut poursuivre et développer cet échange de dons, qui a revêtu ces dernières années des expressions significatives. Réalisé entre communautés ayant des histoires et des traditions diverses, il incite à nouer des liens plus durables entre les Églises des divers pays et il conduit à leur enrichissement mutuel, à travers rencontres, confrontations et aides réciproques. Il faut en particulier mettre en valeur la contribution de la tradition culturelle et spirituelle offerte par les Églises catholiques orientales.
                Un rôle important pour la croissance de cette unité peut être joué par les organismes continentaux de communion ecclésiale, qui attendent d'être ultérieurement encouragés. Parmi ceux-ci, il convient d'attribuer un rôle particulier au Conseil des Conférences épiscopales d'Europe dont la mission est, au niveau de tout le continent, d'“assurer la promotion d'une communion toujours plus intense entre les diocèses et les Conférences épiscopales nationales, l'accroissement de la collaboration œcuménique entre les chrétiens, l'élimination des obstacles qui menacent l'avenir de la paix et le progrès des peuples, le renforcement de la collégialité affective et effective et de la “communio” hiérarchique”. De même, il faut reconnaître le service de la Commission des Épiscopats de la Communauté européenne qui, suivant le processus de consolidation et d'élargissement de l'Union européenne, favorise l'information mutuelle et coordonne les initiatives pastorales des Églises d'Europe concernées.
119. Le renforcement de l'Union au sein du continent européen incite les chrétiens à coopérer au processus d'intégration et de réconciliation à travers un dialogue théologique, spirituel, éthique et social.188 En effet, “dans l'Europe en marche vers l'unité politique, pouvons-nous admettre que ce soit précisément l'Église du Christ qui soit un facteur de désunion et de discorde ? Ne serait-ce pas là un des plus grands scandales de notre temps ?”.

À partir de l'Évangile, un nouvel élan pour l'Europe
120. L'Europe a besoin d'un saut qualitatif dans la prise de conscience de son héritage spirituel. Un tel élan ne peut lui venir que d'une écoute renouvelée de l'Évangile du Christ. Il appartient à tous les chrétiens de s'employer à satisfaire cette faim et cette soif de vie.
                C'est pourquoi “l'Église éprouve le devoir de renouveler avec vigueur le message d'espérance qui lui a été confié par Dieu” et elle répète à l'Europe: ““Le Seigneur ton Dieu est en toi, c'est lui, le héros qui apporte le salut” (So 3, 17). Son invitation à l'espérance ne se fonde pas sur une idéologie utopiste. [...] C'est, au contraire, le message éternel du salut proclamé par le Christ (cf. Mc 1, 15). Avec l'autorité qui lui vient de son Seigneur, l'Église répète à l'Europe d'aujourd'hui:
                Europe du troisième millénaire, “que tes mains ne défaillent pas ! ” (So 3, 16); ne cède pas au découragement, ne te résigne pas à des modes de penser et de vivre qui n'ont pas d'avenir, car ils ne sont pas fondés sur la ferme certitude de la Parole de Dieu !”.
                Reprenant cette invitation à l'espérance, je te le répète encore aujourd'hui, Europe qui es au début du troisième millénaire: “Retrouve-toi toi- même. Sois toi-même. Découvre tes origines. Avive tes racines”. Au cours des siècles, tu as reçu le trésor de la foi chrétienne. Il fonde ta vie sociale sur les principes tirés de l'Évangile et on en voit les traces dans l'art, la littérature, la pensée et la culture de tes nations. Mais cet héritage n'appartient pas seulement au passé; c'est un projet pour l'avenir, à transmettre aux générations futures, car il est la matrice de la vie des personnes et des peuples qui ont forgé ensemble le continent européen.
121. Ne crains pas ! L'Évangile n'est pas contre toi, il est en ta faveur. Cela est confirmé par la constatation que l'inspiration chrétienne peut transformer l'ensemble des composantes politiques, culturelles et économiques en une convivialité où tous les Européens se sentent chez eux et forment une famille de nations dont d'autres régions du monde peuvent s'inspirer de manière fructueuse.
                Aie confiance ! Dans l'Évangile, qui est Jésus, tu trouveras l'espérance forte et durable à laquelle tu aspires. C'est une espérance fondée sur la victoire du Christ sur le péché et sur la mort. Cette victoire, il a voulu qu'elle soit tienne, pour ton salut et pour ta joie.
                Sois-en sûre ! L'Évangile de l'espérance ne déçoit pas. Dans les vicissitudes de ton histoire d'hier et d'aujourd'hui, c'est une lumière qui éclaire et oriente ton chemin; c'est une force qui te soutient dans l'épreuve; c'est une prophétie d'un monde nouveau; c'est le signe d'un nouveau départ; c'est une invitation à tous, croyants ou non, à tracer des chemins toujours nouveaux qui ouvrent sur l'“Europe de l'Esprit”, pour en faire une véritable “maison commune” où l'on trouve la joie de vivre.

CONCLUSION
Consécration à Marie
                “Un signe grandiose apparut dans le ciel: une Femme, ayant le soleil pour manteau” (Ap 12, 1)

La femme, le dragon et l'enfant
122. L'histoire de l'Église s'accompagne de “signes” qui sont sous les yeux de tous, mais qui demandent à être interprétés. Parmi eux, l'Apocalypse présente le “signe grandiose” apparu dans le ciel, qui parle d'une lutte entre la femme et le dragon.
                La femme ayant le soleil pour manteau, qui est en train d'accoucher dans la souffrance (cf. Ap 12, 1-2), peut désigner l'Israël des prophètes qui enfante le Messie, “celui qui sera le berger de toutes les nations, les menant avec un sceptre de fer” (Ap 12, 5; cf. Ps 2, 9). Mais elle représente aussi l'Église, peuple de la nouvelle Alliance, en proie à la persécution, mais protégée par Dieu. Le dragon est “le serpent des origines, celui qu'on nomme Démon ou Satan, celui qui égarait le monde entier” (Ap 12, 9). Le combat est inégal: le dragon semble avoir l'avantage, tant est grande son outrecuidance face à la femme sans défense et souffrante. En réalité, le vainqueur, c'est le fils que la femme vient de mettre au monde. Dans ce combat, une chose est certaine: le grand dragon a déjà été vaincu, “il fut jeté sur la terre, et ses anges avec lui” (Ap 12, 9). Ceux qui l'ont vaincu, ce sont le Christ, Dieu fait homme, par sa mort et sa résurrection, et les martyrs, “par le sang de l'Agneau et le témoignage de leur parole” (Ap 12, 11). Et même si le dragon persiste dans son opposition, il n'y a rien à craindre, car sa défaite est déjà consommée.
123. Telle est la certitude qui anime l'Église au long de son chemin, tandis qu'elle relit son histoire de toujours à partir de la femme et du dragon. La femme qui met au monde un enfant mâle nous rappelle aussi la Vierge Marie, surtout au moment où, transpercée par la souffrance au pied de la Croix, elle engendre de nouveau le Fils, comme vainqueur du prince de ce monde. Elle est confiée à Jean qui, à son tour, lui est confié (cf. Jn 19, 26-27), et elle devient ainsi la Mère de l'Église. Grâce au lien qui unit Marie à l'Église, et l'Église à Marie, le mystère de la femme prend une clarté nouvelle: “En effet, Marie, présente dans l'Église comme Mère du Rédempteur, participe maternellement au “dur combat contre les puissances des ténèbres” qui se déroule à travers toute l'histoire des hommes. Et par cette identification ecclésiale avec la “femme enveloppée de soleil” (Ap 12, 1), on peut dire que “l'Église, en la personne de la bienheureuse Vierge, atteint déjà la perfection qui la fait sans tache ni ride”“.
124. L'Église entière regarde donc Marie. Grâce aux multiples sanctuaires mariaux disséminés dans toutes les nations du continent, la dévotion à Marie est très vivante et fort répandue parmi les peuples européens.
                Église en Europe, continue à contempler Marie, et reconnais qu'elle apporte “sa présence et son assistance maternelles dans les problèmes multiples et complexes qui accompagnent aujourd'hui la vie des personnes, des familles et des nations” et qu'elle vient au secours “du peuple chrétien dans la lutte incessante entre le bien et le mal, afin qu'il “ne tombe pas” ou, s'il est tombé, qu'il “se relève”“.

Prière à Marie, Mère de l'espérance
125. Dans cette contemplation, animée par un amour authentique, Marie nous apparaît comme la figure de l'Église qui, nourrie par l'espérance, reconnaît l'action salvifique et miséricordieuse de Dieu, à la lumière duquel elle lit son propre chemin et toute l'histoire. Elle nous aide à interpréter, aujourd'hui encore, nos itinéraires en référence à son Fils Jésus. Créature nouvelle modelée par l'Esprit Saint, Marie fait croître en nous la vertu de l'espérance.
                À Elle, Mère de l'espérance et de la consolation, nous adressons avec confiance notre prière: nous lui confions l'avenir de l'Église en Europe et l'avenir de toutes les femmes et tous les hommes de ce continent:

Marie, Mère de l'espérance,
marche avec nous !
Apprends-nous à proclamer le Dieu vivant;
Aide-nous à témoigner de Jésus,
l'unique Sauveur;
rends-nous serviables envers notre prochain,
accueillants envers ceux
qui sont dans le besoin, artisans de justice,
bâtisseurs passionnés d'un monde plus juste;
intercède pour nous
qui œuvrons dans l'histoire,
avec la certitude
que le dessein du Père s'accomplira.

Aurore d'un monde nouveau,
montre-toi la Mère de l'espérance
et veille sur nous !
Veille sur l'Église en Europe:
qu'elle soit transparente à l'Évangile;
qu'elle soit un authentique lieu
de communion;
qu'elle vive sa mission
d'annoncer, de célébrer et de servir
l'Évangile de l'espérance
pour la paix et la joie de tous.

Reine de la paix,
protège l'humanité du troisième millénaire !
Veille sur tous les chrétiens:
qu'ils avancent dans la confiance
sur le chemin de l'unité,
comme un ferment pour la concorde
sur le continent.
Veille sur les jeunes,
espérance de l'avenir,
qu'ils répondent généreusement
à l'appel de Jésus;
veille sur les responsables des nations:
qu'ils s'emploient à édifier
une maison commune,
dans laquelle soient respectés la dignité
et les droits de chacun.

Marie, donne-nous Jésus !
Fais que nous le suivions
et que nous l'aimions !
C'est lui l'espérance de l'Église,
de l'Europe et de l'humanité.
C'est lui qui vit avec nous, au milieu de nous,
dans son Église.
Avec toi, nous disons
“Viens, Seigneur Jésus !” (Ap 22, 20):
Que l'espérance de la gloire
déposée par Lui en nos cœurs
porte des fruits de justice et de paix !

Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 28 juin 2003, vigile de la solennité des saints Apôtres Pierre et Paul, en la vingt-cinquième année de mon pontificat.

JEAN-PAUL II

Friday, 12 January 2018

Friday's Sung Word: "Só Louco" by Dorival Caymmi (in Portuguese)

Só louco
Amou como eu amei
Só louco
Quis o bem que eu quis
Ah,insensato coração
Porque me fizeste sofrer?
Porque de amor para entender
É preciso amar?
Por que?



"Só Louco" sung by Gal Costa.

Thursday, 11 January 2018

Thursday's Serial: "The Golden Age" by Keneth Grahame (in English) - V



THE FINDING OF THE PRINCESS.

It was the day I was promoted to a tooth-brush. The girls, irrespective of age, had been thus distinguished some time before; why, we boys could never rightly understand, except that it was part and parcel of a system of studied favouritism on behalf of creatures both physically inferior and (as was shown by a fondness for tale-bearing) of weaker mental fibre. It was not that we yearned after these strange instruments in themselves; Edward, indeed, applied his to the scrubbing-out of his squirrel’s cage, and for personal use, when a superior eye was grim on him, borrowed Harold’s or mine, indifferently; but the nimbus of distinction that clung to them—that we coveted exceedingly. What more, indeed, was there to ascend to, before the remote, but still possible, razor and strop?
                Perhaps the exaltation had mounted to my head; or nature and the perfect morning joined to him at disaffection; anyhow, having breakfasted, and triumphantly repeated the collect I had broken down in the last Sunday—‘twas one without rhythm or alliteration: a most objectionable collect—having achieved thus much, the small natural man in me rebelled, and I vowed, as I straddled and spat about the stable-yard in feeble imitation of the coachman, that lessons might go to the Inventor of them. It was only geography that morning, any way: and the practical thing was worth any quantity of bookish theoretic; as for me, I was going on my travels, and imports and exports, populations and capitals, might very well wait while I explored the breathing, coloured world outside.
                True, a fellow-rebel was wanted; and Harold might, as a rule, have been counted on with certainty. But just then Harold was very proud. The week before he had “gone into tables,” and had been endowed with a new slate, having a miniature sponge attached, wherewith we washed the faces of Charlotte’s dolls, thereby producing an unhealthy pallor which struck terror into the child’s heart, always timorous regarding epidemic visitations. As to “tables,” nobody knew exactly what they were, least of all Harold; but it was a step over the heads of the rest, and therefore a subject for self-adulation and—generally speaking—airs; so that Harold, hugging his slate and his chains, was out of the question now. In such a matter, girls were worse than useless, as wanting the necessary tenacity of will and contempt for self-constituted authority. So eventually I slipped through the hedge a solitary protestant, and issued forth on the lane what time the rest of the civilised world was sitting down to lessons.
                The scene was familiar enough; and yet, this morning, how different it all seemed! The act, with its daring, tinted everything with new, strange hues; affecting the individual with a sort of bruised feeling just below the pit of the stomach, that was intensified whenever his thoughts flew back to the ink-stained, smelly schoolroom. And could this be really me? or was I only contemplating, from the schoolroom aforesaid, some other jolly young mutineer, faring forth under the genial sun? Anyhow, here was the friendly well, in its old place, half way up the lane. Hither the yoke-shouldering village-folk were wont to come to fill their clinking buckets; when the drippings made worms of wet in the thick dust of the road. They had flat wooden crosses inside each pail, which floated on the top and (we were instructed) served to prevent the water from slopping over. We used to wonder by what magic this strange principle worked, and who first invented the crosses, and whether he got a peerage for it. But indeed the well was a centre of mystery, for a hornet’s nest was somewhere hard by, and the very thought was fearsome. Wasps we knew well and disdained, storming them in their fastnesses. But these great Beasts, vestured in angry orange, three stings from which—so ‘t was averred—would kill a horse, these were of a different kidney, and their warning drone suggested prudence and retreat. At this time neither villagers nor hornets encroached on the stillness: lessons, apparently, pervaded all Nature. So, after dabbling awhile in the well—what boy has ever passed a bit of water without messing in it?—I scrambled through the hedge, avoiding the hornet-haunted side, and struck into the silence of the copse.
                If the lane had been deserted, this was loneliness become personal. Here mystery lurked and peeped; here brambles caught and held with a purpose of their own, and saplings whipped the face with human spite. The copse, too, proved vaster in extent, more direfully drawn out, than one would ever have guessed from its frontage on the lane: and I was really glad when at last the wood opened and sloped down to a streamlet brawling forth into the sunlight. By this cheery companion I wandered along, conscious of little but that Nature, in providing store of water-rats, had thoughtfully furnished provender of right-sized stones. Rapids, also, there were, telling of canoes and portages—crinkling bays and inlets—caves for pirates and hidden treasures—the wise Dame had forgotten nothing—till at last, after what lapse of time I know not, my further course, though not the stream’s, was barred by some six feet of stout wire netting, stretched from side to side, just where a thick hedge, arching till it touched, forbade all further view.
                The excitement of the thing was becoming thrilling. A Black Flag must surely be fluttering close by. Here was evidently a malignant contrivance of the Pirates, designed to baffle our gun-boats when we dashed up-stream to shell them from their lair. A gun-boat, indeed, might well have hesitated, so stout was the netting, so close the hedge: but I spied where a rabbit was wont to pass, close down by the water’s edge; where a rabbit could go a boy could follow, albeit stomach-wise and with one leg in the stream; so the passage was achieved, and I stood inside, safe but breathless at the sight.
                Gone was the brambled waste, gone the flickering tangle of woodland. Instead, terrace after terrace of shaven sward, stone-edged, urn-cornered, stepped delicately down to where the stream, now tamed and educated, passed from one to another marble basin, in which on occasion gleams of red hinted at gold-fish in among the spreading water-lilies. The scene lay silent and slumbrous in the brooding noonday sun: the drowsing peacock squatted humped on the lawn, no fish leapt in the pools, nor bird declared himself from the environing hedges. Self-confessed it was here, then, at last the Garden of Sleep!
                Two things, in those old days, I held in especial distrust: gamekeepers and gardeners. Seeing, however, no baleful apparitions of either nature, I pursued my way between rich flower-beds, in search of the necessary Princess. Conditions declared her presence patently as trumpets; without this centre such surroundings could not exist. A pavilion, gold topped, wreathed with lush jessamine, beckoned with a special significance over close-set shrubs. There, if anywhere, She should be enshrined. Instinct, and some knowledge of the habits of princesses, triumphed; for (indeed) there She was! In no tranced repose, however, but laughingly, struggling to disengage her hand from the grasp of a grown-up man who occupied the marble bench with her. (As to age, I suppose now that the two swung in respective scales that pivoted on twenty. But children heed no minor distinctions; to them, the inhabited world is composed of the two main divisions: children and upgrown people; the latter being in no way superior to the former—only hopelessly different. These two, then, belonged to the grown-up section.) I paused, thinking it strange they should prefer seclusion when there were fish to be caught, and butterflies to hunt in the sun outside; and as I cogitated thus, the grown-up man caught sight of me.
                “Hallo, sprat!” he said, with some abruptness, “where do you spring from?”
                “I came up the stream,” I explained politely and comprehensively, “and I was only looking for the Princess.”
                “Then you are a water-baby,” he replied. “And what do you think of the Princess, now you’ve found her?”
                “I think she is lovely,” I said (and doubtless I was right, having never learned to flatter). “But she’s wide-awake, so I suppose somebody has kissed her!”
                This very natural deduction moved the grown-up man to laughter; but the Princess, turning red and jumping up, declared that it was time for lunch.
                “Come along, then,” said the grown-up man; “and you too, Water-baby; come and have something solid. You must want it.”
                I accompanied them, without any feeling of false delicacy. The world, as known to me, was spread with food each several mid-day, and the particular table one sat at seemed a matter of no importance. The palace was very sumptuous and beautiful, just what a palace ought to be; and we were met by a stately lady, rather more grownup than the Princess—apparently her mother.
                My friend the Man was very kind, and introduced me as the Captain, saying I had just run down from Aldershot. I didn’t know where Aldershot was, but had no manner of doubt that he was perfectly right. As a rule, indeed, grown-up people are fairly correct on matters of fact; it is in the higher gift of imagination that they are so sadly to seek.
                The lunch was excellent and varied. Another gentleman in beautiful clothes—a lord, presumably—lifted me into a high carved chair, and stood behind it, brooding over me like a Providence. I endeavoured to explain who I was and where I had come from, and to impress the company with my own tooth-brush and Harold’s tables; but either they were stupid—or is it a characteristic of Fairyland that every one laughs at the most ordinary remarks? My friend the Man said good-naturedly, “All right, Water-baby; you came up the stream, and that’s good enough for us.” The lord—a reserved sort of man, I thought—took no share in the conversation.
                After lunch I walked on the terrace with the Princess and my friend the Man, and was very proud. And I told him what I was going to be, and he told me what he was going to be; and then I remarked, “I suppose you two are going to get married?” He only laughed, after the Fairy fashion. “Because if you aren’t,” I added, “you really ought to”: meaning only that a man who discovered a Princess, living in the right sort of Palace like this, and didn’t marry her there and then, was false to all recognised tradition.
                They laughed again, and my friend suggested I should go down to the pond and look at the gold-fish, while they went for a stroll.
                I was sleepy, and assented; but before they left me, the grown-up man put two half-crowns in my hand, for the purpose, he explained, of treating the other water-babies. I was so touched by this crowning mark of friendship that I nearly cried; and thought much more of his generosity than of the fact that the Princess; ere she moved away, stooped down and kissed me.
                I watched them disappear down the path—how naturally arms seem to go round waists in Fairyland!—and then, my cheek on the cool marble, lulled by the trickle of water, I slipped into dreamland out of real and magic world alike. When I woke, the sun had gone in, a chill wind set all the leaves a-whispering, and the peacock on the lawn was harshly calling up the rain. A wild unreasoning panic possessed me, and I sped out of the garden like a guilty thing, wriggled through the rabbit-run, and threaded my doubtful way homewards, hounded by nameless terrors. The half-crowns happily remained solid and real to the touch; but could I hope to bear such treasure safely through the brigand-haunted wood? It was a dirty, weary little object that entered its home, at nightfall, by the unassuming aid of the scullery-window: and only to be sent tealess to bed seemed infinite mercy to him. Officially tealess, that is; for, as was usual after such escapades, a sympathetic housemaid, coming delicately by backstairs, stayed him with chunks of cold pudding and condolence, till his small skin was tight as any drum. Then, nature asserting herself, I passed into the comforting kingdom of sleep, where, a golden carp of fattest build, I oared it in translucent waters with a new half-crown snug under right fin and left; and thrust up a nose through water-lily leaves to be kissed by a rose-flushed Princess.