Thursday, 3 December 2020

Thursday's Serial: "Le Comte de Chanteleine - épisode de la Révolution" by Jules Verne (in French) - II

 III. — La Traversée.

Kernan, comme il venait de le dire, n’était pas embarrassé de conduire une chaloupe ; il avait fait ses preuves comme pêcheur pendant sa jeunesse, et les côtes de Bretagne lui étaient familières depuis la pointe du Croisic jusqu’au cap Finistère. Pas un rocher qu’il ne connût, pas une anse, pas une baie qu’il n’eût fréquentée ! Il savait ses heures de marée et ne craignait ni écueil ni haut-fond.

Cette barque que montaient les deux fugitifs était une chaloupe de pêche fine et basse de l’arrière, mais relevée de l’avant, et merveilleusement disposée pour tenir la mer, même par les gros temps ; elle portait deux voiles de couleur rouge, une misaine et un taille-vent.

Le pont qui régnait dans toute sa longueur n’offrait qu’une seule ouverture destinée à l’homme de la barre ; elle pouvait donc passer impunément au milieu des vagues, ce qui lui arrivait souvent, quand elle allait pêcher la sardine par le travers de Belle-Île, et qu’elle revenait ensuite chercher l’entrée de la Loire pour la remonter jusqu’à Nantes.

Kernan et le comte n’étaient pas trop de deux pour la manœuvrer. Mais une fois la voilure installée, la barque fila grand largue.

Le vent de surouë aidant, elle volait sur les flots avec rapidité. Bien que la brise fût très-forte, le Breton n’avait pas voulu prendre un seul ris dans ses voiles, qui s’inclinaient parfois jusqu’à mouiller leurs ralingues ; mais, soit d’un coup de barre audacieux, soit en filant un peu de son écoute, Kernan relevait la barque et la rejetait dans le vent.

À cinq heures du matin, elle passait entre Belle-Île et cette presqu’île de Quiberon qui, quelques mois plus tard, allait être inondée du sang français, à la honte de l’Angleterre.

Quelques provisions de poisson fumé formaient l’approvisionnement de la chaloupe ; les deux fugitifs purent donc prendre un peu de nourriture ; ils n’avaient pas mangé depuis plus de quinze heures.

Pendant les premiers moments de cette traversée, le comte de Chanteleine demeura taciturne ; il était en proie à une violente émotion. Son esprit mêlait confusément les scènes du passé à celles qu’il prévoyait dans l’avenir. Au moment où il courait au secours de sa femme et de sa fille, celles-ci lui apparaissaient de plus en plus menacées. Il discutait les chances d’un malheur possible, et il cherchait à se rappeler les dernières nouvelles qu’il avait reçues du château.

— Ce Karval, dit-il enfin à Kernan, est bien connu dans le pays, et certes, s’il y reparaissait, les habitants du château le recevraient fort mal.

— Certes ! répondit le Breton, et on ne manquerait pas de lui faire un mauvais parti. Mais si le gueux y vient, il n’y viendra pas seul, et d’ailleurs, rien que sur une dénonciation de sa part, on peut arrêter Mme la comtesse et ma nièce Marie. Deux pauvres femmes inoffensives ! Quel temps que celui où nous vivons !

— Oui, terrible ! Kernan, un temps où la colère de Dieu ne nous épargne guère, mais il faut se soumettre à sa volonté. Heureux ceux qui, sans famille, n’ont à craindre que pour eux seuls ! Nous autres, Kernan, nous luttons, nous nous défendons, nous nous battons pour la sainte cause ! Mais nos mères, nos sœurs, nos filles, nos femmes ne peuvent que pleurer et prier.

— Heureusement, nous sommes là, répondit Kernan, et, avant d’arriver jusqu’à elles, il faudra nous passer sur le corps. Quoi qu’il en soit, notre maître, vous avez bien fait de laisser Madame et Mademoiselle à Chanteleine ; les courageuses femmes voulaient vous suivre, et faire la campagne tout comme Mme de Lescure, Mme de Donnissant et tant d’autres ! mais au prix de quelles souffrances et de quelles misères !

— Et cependant, répliqua le comte, je regrette de ne pas les avoir à mes côtés ! Je les saurais en sûreté, et, depuis les menaces de ce Karval, j’ai peur.

— Oh ! demain matin, si le vent nous protège, nous relèverons la côte du Finistère, et, quoi qu’il arrive, nous ne serons pas éloignés du château.

— Elles seront bien surprises de nous revoir, ces pauvres femmes, dit le comte avec un triste sourire.

— Et heureuses donc, reprit Kernan. Comme ma nièce Marie va sauter au cou de son père et dans les bras de son oncle ! Mais il ne faudra pas perdre de temps pour les mettre en lieu sûr.

— Oui, tu as raison, les Bleus ne peuvent tarder à visiter le château ; la municipalité de Quimper aura bientôt l’éveil !

— Alors, notre maître, vous savez bien ce que nous aurons à faire en arrivant au château ?

— Oui, dit le comte en poussant un soupir.

— Il n y a pas deux partis à prendre, repartit le Breton, il n’y en a qu’un.

— Et lequel ? demanda le comte.

— Réunir tout votre argent, notre maître, le mien, nous procurer un navire à tout prix et fuir en Angleterre.

— Émigrer ! dit le comte avec un accent de douleur.

— Il le faut ! répondit Kernan, il n’y a plus de sûreté dans le pays pour vous ni pour les vôtres.

— Tu as raison ! Kernan ; le comité de salut public va exercer de terribles représailles en Bretagne et en Vendée ! après avoir vaincu, il va massacrer.

— Comme vous dites ; il a déjà envoyé ses agents les plus cruels à Nantes. Il en expédiera d’autres à Quimper, à Brest, et les rivières du Finistère regorgeront bientôt de cadavres comme la Loire.

— Oui ! répondit le comte ; ma femme ! ma fille ! il faut les sauver avant toute chose ! pauvres et douces créatures !… Mais si nous émigrons, tu nous suivras, Kernan.

— Je vous rejoindrai, notre maître.

— Tu ne partiras pas avec nous ?

— Non ! il y a quelqu’un à qui je veux dire deux mots avant de quitter la Bretagne.

— Ce Karval ?

— Lui-même !

— Hé ! laisse-le, Kernan ! il n’échappera pas à la justice divine.

— Notre maître, j’ai idée qu’il commencera par la justice humaine !

Le comte connaissait l’entêtement de son serviteur, et combien il eût été difficile de déraciner ses idées de vengeance. Il se tut donc, et, père et mari, toute sa pensée se reporta sur sa femme et sur son enfant.

Ainsi son regard dévorait la côte. Il comptait les heures, les minutes, sans songer aux périls qu’une tempête lui eût fait courir. Toute l’horreur de cette guerre civile, dans laquelle les cruautés furent épouvantables de part et d’autre, lui revenait à la mémoire. Jamais sa femme et sa fille ne lui avaient paru courir autant de dangers ! Il se les représentait attaquées, emprisonnées, ou peut-être en fuite, attendant dans quelques rochers du rivage un secours inespéré, et parfois il se prenait à écouter si quelque appel ne parvenait pas à son oreille.

— N’entends-tu rien ? disait-il à Kernan.

— Non ! répondit le Breton, c’est un cri de goéland emporté dans la tempête.

La traversée. Dessin de V. Foulquier.

À dix heures du soir, Kernan reconnut le goulet de la rade de Lorient et le fort du Port-Louis, dont le feu étincelait dans l’obscurité ; il donna dans la passe entre la côte et l’île de Croix, et s’élança en pleine mer.

Le vent était toujours favorable, mais il fraîchissait avec violence ; Kernan, quoiqu’il voulût aller vite, et malgré les impatiences du comte, dut prendre tous les ris de sa misaine et de son taille-vent. Le comte se mit lui-même à la manœuvre, et la barque, sans que sa rapidité parût avoir diminué, souleva de son avant les vagues écumeuses.

Il y avait quinze heures que durait cette dangereuse navigation.

La nuit fut épouvantable ; la tempête se déchaîna ; la vue des rocs de granit sur lesquels déferlait le ressac était faite pour épouvanter les plus intrépides ; la chaloupe prit le large pour éviter les récifs qui rendent si périlleux les accores de la côte bretonne.

Les deux fugitifs ne purent trouver un seul instant de sommeil ; un faux coup de la barre, un instant d’oubli, et leur barque chavirait ; ils luttaient héroïquement et puisaient de nouvelles forces dans le souvenir des êtres chéris qu’ils allaient protéger.

Vers les quatre heures du matin, l’ouragan perdit un peu de sa violence, et par une éclaircie, Kernan releva dans l’est la position de Trévignon.

Il pouvait à peine parler, mais du doigt il montra au comte de Chanteleine le feu vacillant du phare. Le comte joignit ses mains glacées, comme s’il murmurait une prière.

La chaloupe donnait alors dans la baie de la Forêt, qui s’étend entre les bourgs de Concarneau et du Fouesnant.

La mer était relativement plus calme, et les vagues abritées des vents du large y brisaient moins.

Une heure après, l’embarcation vint se heurter aux rochers du cap de Coz avec une violence extrême. Le choc fut épouvantable, sans qu’il eût été possible de l’éviter, et bien que les mâts fussent à sec de toile. Le comte et Kernan, précipités dans les flots, parvinrent à gagner le rivage, tandis que la chaloupe défoncée sombrait devant leurs yeux.

— Plus de traces, dit Kernan au comte.

— Bien ! fit ce dernier.

— Et maintenant au château, répondit le Breton.

Leur traversée avait duré vingt-six heures.

 

IV. — Le Château de Chanteleine.

Le château de Chanteleine était situé à trois lieues du bourg du Fouesnant, entre Pont-Labbé et Plougastel, à moins d’une lieue de la côte de Bretagne.

Les biens composant la propriété de Chanteleine appartenaient depuis un temps immémorial à la famille du comte, l’une des plus vieilles de Bretagne. Le château ne datait que du temps de Louis XIII, mais il était empreint de cette rudesse campagnarde que les murailles de granit donnent aux édifices ; on le sentait lourd, imposant, mais indestructible comme les roches de la côte. Cependant, il n’avait ni tours, ni mâchicoulis, ni poterne, ni guérite suspendue à l’angle des murs, comme des nids d’aigle, et il n’éveillait pas l’idée de forteresse ; dans la paisible terre de Bretagne, les seigneurs n’avaient jamais eu à se défendre contre personne, pas même contre leurs vassaux.

Depuis de longues années, la famille du comte exerçait une influence féodale presque sans conteste sur le pays. Les Chanteleine furent peu courtisans, n’étant pas d’humeur souple, et ils n’allèrent pas deux fois, en trois cents ans, faire leur cour au roi ; ils se croyaient Bretons avant tout et séparés du reste de la France. Pour eux, le mariage de Louis XII et d’Anne de Bretagne n’avait jamais eu lieu, et ils en voulurent toujours à cette fière duchesse de ce qu’ils appelaient à haute voix « une mésalliance, » pis même, une trahison.

Mais s’ils régnaient chez eux, les Chanteleine pouvaient être cités comme modèles aux rois de France et leur donner des leçons de gouvernement. D’ailleurs, le résultat le prouvait sans réplique, car ils étaient et furent toujours aimés de leurs paysans.

Cette noble et estimable famille, d’humeur fort pacifique, fournit peu d’illustres capitaines ; les Chanteleine n’étaient pas nés soldats ; à une époque où endosser le harnais de guerre semblait être le premier devoir du gentilhomme, ils demeurèrent paisiblement dans leurs terres et se rendirent heureux du bonheur qu’ils créaient autour d’eux. Depuis Philippe Auguste, où la croisade, c’est-à-dire la défense de la religion, entraîna leurs ancêtres en Terre sainte, pas un Chanteleine ne revêtit l’armure ou ne ceignit le baudrier. On comprend dès lors qu’ils fussent peu connus de la Cour, à laquelle ils ne demandèrent jamais aucune faveur, ne se souciant pas de les mériter.

Leurs biens patrimoniaux, sagement administrés, avaient acquis une importance considérable.

Aussi la propriété de Chanteleine, en prés, en marais salants et en terres labourées, comptait parmi les plus considérables du pays, tout en demeurant inconnue au delà d’un rayon de cinq ou six lieues ; grâce à cette situation, et quoique les communes environnantes, le Fouesnant, Concarneau, Pont-Labbé eussent déjà reçu la sanglante visite des républicains de Brest et du Finistère, le château de Chanteleine avait échappé comme par miracle à l’attention des municipalités, quand le comte le quitta pour la première fois.

Peu guerrier de son naturel, le comte cependant déploya de grandes qualités militaires pendant cette campagne de la Vendée. Avec la foi et le courage, on est partout soldat. Le comte se conduisit en héros, lui dont le caractère paisible n’annonçait pas de telles dispositions ; en effet, les premières tendances de son esprit le dirigèrent vers la carrière ecclésiastique, et il avait passé deux ans au grand séminaire de Rennes ; il était même occupé de ses études théologiques, lorsque son mariage avec sa cousine, Mlle de La Contrie, le jeta dans une voie tout opposée.

Mais le comte ne pouvait rencontrer une plus digne compagne de sa vie. Cette jeune fille si séduisante devint une femme courageuse et dévouée. Les premières années du mariage du comte et de la comtesse, avec leur fille Marie à élever, dans cette vieille propriété de famille, au milieu de serviteurs, humbles amis vieillis au paternel service des Chanteleine, furent aussi heureuses qu’il est donné à un homme d’en passer en ce monde.

Ce bonheur rejaillissait sur tout le pays, qui vénérait son seigneur. Les habitants se croyaient plutôt les sujets du comte que ceux du roi de France, et cela se conçoit ; ils n’avaient avec ce dernier que des relations désagréables, tandis qu’en toute occasion la famille de Chanteleine leur venait en aide. Aussi ne rencontrait-on pas un malheureux dans le pays, pas un mendiant ; depuis un temps immémorial, aucun crime n’avait été commis dans cette partie reculée de la Bretagne. On comprend donc l’effet que produisit le vol de ce Karval, un Breton cependant, entré depuis deux ans au service du comte, quand celui-ci fut obligé de le chasser du château. En agissant ainsi, d’ailleurs, le comte ne fit que prévenir la justice des paysans, qui n’auraient pas souffert un voleur dans le pays.

Ce Karval était bien un Breton, mais un Breton qui avait voyagé, vu du pays, et sans doute de vilains exemples avec ; on disait qu’il avait visité Paris, que ces paysans regardaient comme un endroit chimérique, et même, les plus superstitieux, comme l’antichambre de l’enfer ; il fallait bien qu’il y eût quelque chose de cela, puisque le seul d’entre eux à y avoir hasardé le pied en revint mauvais et criminel.

Cette affaire, qui fit un si grand scandale, s’était passée deux ans auparavant, et Karval avait quitté le pays en proférant des menaces de vengeance. On en haussa les épaules.

Mais ce que l’on pouvait mépriser de la part d’un voleur obscur méritait attention, quand ce voleur fut devenu un des agents bas et terribles du comité de salut public. Aussi le comte, en pressant sa marche vers le château, commençait à soupçonner de sinistres événements auxquels les paroles de Karval avaient fait allusion. Cependant, la bonté de sa femme devait être une sauvegarde pour elle ; en effet, pendant vingt années de sa vie, de 1773 à 1793, Mme de Chanteleine se consacra tout entière au bonheur de ceux qui l’approchaient. Elle savait qu’elle rendait son mari heureux en faisant le bien. Aussi la voyait-on sans cesse au chevet des malades, recueillant les vieillards, faisant instruire les enfants, fondant des écoles, et plus tard, quand Marie atteignit l’âge de quinze ans, elle l’associa à toutes ses bonnes œuvres.

Cette mère et cette fille, unies dans un même esprit de charité, et accompagnées de l’abbé Fermont, le chapelain du château, couraient les villages de la côte, depuis la baie de la Forêt jusqu’à la pointe du Raz ; elles consolaient et répandaient leurs délicates aumônes sur ces familles de pêcheurs si souvent éprouvées par les tempêtes.

— Notre maîtresse, l’appelaient les paysans.

— Notre bonne dame, disaient les paysannes.

— Notre bonne mère, répétaient les enfants.

On comprend donc combien Kernan devait être envié de tous, lui que Marie appelait son oncle, lui qui la nommait sa nièce, lui, le propre frère de lait du comte.

Lorsque celui-ci quitta le château après le soulèvement de Saint-Florent, ce fut sa première absence du foyer domestique, la première séparation du comte et de la comtesse ; elle fut douloureuse, mais Humbert de Chanteleine, emporté par le sentiment du devoir, partit, et sa courageuse femme ne put qu’approuver son départ.

Pendant les premiers mois de la guerre, les deux époux eurent souvent des nouvelles l’un de l’autre par des émissaires dévoués ; mais le comte ne put abandonner un seul jour l’armée catholique pour venir embrasser les siens ; des événements impérieux le clouèrent toujours à son poste ; depuis dix longs mois, il n’avait pas revu sa chère famille ; depuis trois mois même, depuis les désastres de Grandville, du Mans, de Chollet, il était sans nouvelles du château.

Son inquiétude se comprend donc, quand, accompagné de son fidèle Kernan, il revint vers le domaine de ses aïeux. On devine avec quelle émotion il mit le pied sur la côte du Fouesnant. Il n’était plus qu’à deux heures des embrassements de sa femme et des baisers de sa fille.

— Allons, Kernan, marchons, dit-il.

— Marchons ! répondit le Breton, et vite, cela nous réchauffera. Un quart d’heure après, le maître et le serviteur traversèrent le bourg du Fouesnant, encore profondément endormi, et prirent le long du cimetière, dévasté pendant la dernière visite des Bleus.

Car les gens du Fouesnant avaient donné des premiers contre la Révolution, à propos des prêtres jureurs qui leur furent envoyés par les municipalités ; le 19 juillet 1792, trois cents d’entre eux, conduits par leur juge de paix, Alain Nedelec, se battirent dans le bourg même contre les gardes nationaux de Quimper. Ils furent écrasés ; les vainqueurs firent paître leurs chevaux dans le cimetière, et bivouaquèrent au milieu de l’église ; le lendemain, trois charretées de vaincus rentraient à Quimper, et le premier martyr de la Bretagne, Alain Nedelec, étrennait le nouvel instrument de mort, que les administrateurs bretons appelaient la « machine à décapiter », et sur laquelle le procureur général syndic leur adressait de sa main des instructions soigneusement détaillées touchant la manière de s’en servir. Depuis, le bourg ne s’était pas relevé de sa défaite.

— On voit que les Bleus ont passé par là, dit Kernan ! des ruines et des profanations !…

Le comte ne répondit pas, et prit à travers ces longues plaines qui venaient mourir à la mer. Il était alors six heures du matin ; un froid assez vif avait succédé à la pluie ; la terre était dure ; il faisait très-obscur encore sur les landes désertes et les vastes champs d’ajoncs rebelles à toute culture ; les flaques d’eau avaient été saisies par la gelée, et les broussailles, revêtues de blanc, paraissaient pétrifiées.

À mesure que les fugitifs s’éloignaient de la mer, quelques arbres amaigris se voyaient de loin en loin, et, courbés sous les violentes rafales de l’ouest, ils dressaient à l’horizon leur squelette blanchâtre.

Bientôt aux plaines succédèrent des champs de blé noir, fortifiés de douves, de fossés, et séparés par des rangées de chênes trapus ; il fallait gagner à travers ces champs, et franchir des barrières pivotantes, équilibrées par une grosse pierre et tout embroussaillées d’épine sèche. Kernan les ouvrait devant le comte, et, au choc de l’échalier qui se refermait, les branches des arbres laissaient tomber une grêle blanche qui crépitait sur le sol.

Alors le comte et son compagnon s’élançaient par les étroites sentes piétinées entre les sillons et la haie des champs ; il y avait des instants où ils couraient malgré eux.

Vers sept heures, le jour commença à poindre ; le château n’était pas à une demi-lieue. Le pays paraissaient tranquille et désert, et même d’une tranquillité suspecte. Le comte ne put s’empêcher de remarquer ce singulier silence de la campagne :

— Pas un paysan, pas un cheval allant au pré ! dit-il d’un air inquiet.

— Il est encore grand matin, répondit Kernan, également frappé de la physionomie du pays, mais qui ne voulait pas effrayer le comte. On se lève tard en décembre !

En ce moment, ils pénétrèrent dans un grand bois de hauts sapins ; cette vaste sapinière, toujours verte, appartenant à la propriété du comte, s’apercevait de loin en mer.

Une foule de pommes sèches, grisâtres, et non écorcées, couvraient la terre au milieu des branches mortes à peau rugueuse ; il ne semblait pas que depuis longtemps un pied humain eût foulé le sol ; chaque année cependant, les enfants des villages environnants venaient ramasser toutes ces pommes de pin avec grande joie, et les ménagères y faisaient une provision de bois, que le comte leur abandonnait généreusement.

Or, cette année, les pauvres n’avaient pas fait leur récolte habituelle, et cette moisson de branches et de pommes sèches était encore intacte.

— Tu vois, dit le comte au Breton, ils ne sont pas venus ! ni les femmes ! ni les enfants !

Kernan secoua la tête sans répondre, il sentait quelque chose d’inquiétant dans l’air. Son cœur battait à se rompre dans sa poitrine. Il allongea le pas.

À mesure que les deux compagnons de route s’avançaient, des lièvres, des lapins, des perdrix se levaient en grand nombre sous leurs pas, en trop grand nombre même !… Évidemment les chasseurs avaient été rares cette année, et cependant chassait qui voulait sur les terres du comte.

Il y avait donc là des symptômes d’abandon et de délaissement qu’on ne pouvait méconnaître. La figure du comte pâlissait malgré le froid intense de cette matinée d’hiver.

— Enfin ! le château ! s’écria le Breton en montrant la pointe des deux tourelles qui perçait au-dessus d’un massif éloigné.

En ce moment, le comte et Kernan étaient près de la ferme de la Bordière, tenue par l’un des métayers du comte ; au tournant du bois, on allait l’apercevoir ; Louis Hégonec, le métayer, était un homme actif, matinal, assez bruyant dans ses travaux, et pourtant on ne l’entendait pas chanter en harnachant ses bœufs ou ses chevaux, ni même crier dans sa cour après sa vieille femme.

Non, rien ! Un silence de mort régnait partout ; le comte, saisi de terribles pressentiments, fut forcé de s’appuyer sur le bras de son fidèle Breton.

Au détour du bois, leurs regards se portèrent vivement vers la métairie.

Un spectacle horrible frappa leurs yeux. Quelques pans de murs ébranlés, avec des bouts de poutre noircis, l’extrémité d’un faîtage calciné, des restes de cheminées juchés au sommet d’un pignon, d’étroits sentiers de suie qui serpentaient sur les murailles, des portes brisées, et des gonds sortant comme des poings menaçants de l’interstice des pierres, toutes les traces d’un incendie récent apparurent à la fois. La ferme avait été brûlée ; les arbres portaient les traces d’une lutte violente ; des empreintes de coups de hache sur les portes, des éraflures de balles sur les vieux troncs de chêne, des instruments de labourage brisés, tordus, des charrettes culbutées, des roues dépourvues de leurs jantes, attestaient la violence de la bataille ; les cadavres d’animaux, de vaches, de chevaux abandonnés, infectaient l’air !

Le comte sentit ses jambes fléchir sous lui.

— Les Bleus ! toujours les Bleus ! répéta Kernan d’une voix sourde.

— Au château ! s’écria le comte en poussant un cri terrible.

Et cet homme qui, tout à l’heure, se soutenait à peine, Kernan avait maintenant de la peine à le suivre.

Pendant cette course, pas un être humain n’apparut dans les chemins défoncés ; le pays était non pas désert, mais déserté.

Le comte traversa le village. La plupart des maisons étaient brûlées ; quelques-unes encore debout, mais vides. Pour que ce pays fût ainsi dépeuplé, il fallait qu’un souffle de vengeance eût passé sur lui.

— Oh ! Karval ! Karval ! murmurait le Breton entre ses dents.

Enfin, le comte et Kernan arrivèrent devant la porte du château ; l’incendie l’avait respecté ; mais il demeurait sombre, silencieux ; pas une cheminée qui lançât dans l’air son panache de fumée matinale.

Le comte et Kernan se précipitèrent vers la porte, et s’arrêtèrent épouvantés.

— Vois ! vois ! dit le comte.

Une affiche énorme était collée sur l’un des montants ; elle portait en tête l’œil de la loi, des faisceaux de piques et de rameaux surmontés du bonnet phrygien. D’un côté se trouvait la description du domaine, de l’autre son évaluation.

Le château de Chanteleine, confisqué par la République, était à vendre.

— Les misérables ! s’écria Kernan.

Il essaya d’ébranler la porte ; mais, malgré sa force prodigieuse, il ne put y parvenir. Elle résistait obstinément ; le comte de Chanteleine ne pouvait pas même se reposer un instant dans le manoir de ses ancêtres ! sa propre porte restait fermée pour lui. Il était en proie au plus affreux désespoir !

— Ma femme ! ma fille ! s’écriait-il avec un accent impossible à rendre ! Où est ma femme ? mon enfant ? ils les ont tuées ! ils les ont tuées !…

De grosses larmes roulèrent sur les joues de Kernan, qui tâchait en vain de consoler son maître.

— Il est inutile, dit-il enfin, de nous obstiner devant cette porte qui ne s’ouvrira pas !…

— Où sont-elles ? où sont-elles ? criait le comte.

En ce moment, une vieille femme, blottie dans le fossé, se leva tout d’un coup. Elle eût fait mal à voir à des yeux moins consternés ; sa tête d’idiote remuait stupidement.

Le comte courut à elle.

— Où est ma femme ? dit-il.

Après de longs efforts, la vieille répondit :

— Morte dans l’attaque du château !

— Morte ! s’écria le comte avec un rugissement.

— Et ma nièce ? demanda Kernan en secouant violemment la vieille femme.

— Dans les prisons de Quimper ! dit enfin celle-ci.

— Qui a fait cela ? demanda Kernan avec un accent terrible.

— Karval ! répondit la vieille femme.

— À Quimper ! s’écria le comte. Viens, Kernan, viens !

Et ils quittèrent cette malheureuse, qui, seule, presque à son dernier souffle, représentait tout ce qui restait de vivant au bourg de Chanteleine.

 

V. — Quimper en 1793.

Quimper avait vu tomber la première tête sous la hache républicaine, celle d’Alain Nedelec, et le clergé breton compta dans cette ville son premier martyr, l’évêque Conan de Saint-Luc. Depuis ce jour, Quimper fut livré à l’arbitraire des républicains et de la municipalité.

Il faut dire que les Bretons des villes se distinguèrent par leur furie républicaine ; ils furent hardis à se jeter dans le mouvement national ; ces énergiques natures ne connurent aucune borne dans le bien ni dans le mal ; aussi les premiers héros du 10 août, qui envahirent les Tuileries et suspendirent le roi Louis XVI, furent-ils les fédérés de Brest, de Morlaix, de Quimper, levés à la voix de l’Assemblée législative, quand le 11 juillet 1792, en présence de la Prusse, du Piémont et de l’Autriche, coalisés contre la France, elle déclara « la patrie en danger. »

Aussi leurs services furent si bien appréciés, que le club breton de Paris forma le noyau du futur club des Jacobins ; et, plus tard, la section du faubourg Saint-Marceau prit, pour leur faire honneur, le titre de section du Finistère.

Quimper, entre autres, fut une des villes les plus agitées, ce qu’on n’eût guère attendu de ce chef-lieu enfoui au fond de la basse Bretagne. Les amis de la constitution s’y fondèrent et siégèrent dans l’ancienne chapelle des Cordeliers. Les clubs s’y multiplièrent, et plus tard ce fut l’un d’eux qui décréta que les nourrissons quitteraient le sein de leur nourrice pour venir écouter les cris de Vive la Montagne ! et que les enfants apprendraient à parler en bégayant la Déclaration des droits de l’homme.

Cependant, quand les administrateurs de Quimper, Kergariou en tête, virent la tournure des choses et où allait la révolution, ils voulurent enrayer le mouvement ; ils interdirent certains journaux, tels que l’Ami du peuple de Marat ; la commune de Paris envoya alors pour les mettre à la raison un proconsul ; mais à son arrivée, les Quimperrois l’emprisonnèrent au fort du Taureau, et protestèrent plus énergiquement encore que les Girondins de Paris contre les Montagnards de la Convention ; ils envoyèrent même avec Nantes deux cents volontaires à Paris pour appuyer leur protestation à main armée, ce qui amena un décret d’accusation en masse contre les administrations de la Bretagne. Mais, après la mort de Louis XVI, après l’exécution des Girondins, quand la France fut prise de vertige, lorsque le régime de la Terreur s’établit, les républicains réactionnaires de la Bretagne furent débordés.

Cependant, si les habitants des villes avaient donné dans le mouvement, les campagnes se signalèrent tout d’abord par leur résistance à l’installation des prêtres assermentés ; ils les chassèrent honteusement ; puis, quand arriva la loi du recrutement, il devint très-difficile de contenir les paysans du Finistère, ceux du Morbihan, de la Loire-Inférieure et des Côtes-du-Nord. Le général Canclaux put à peine les dompter avec son armée et les milices municipales. Il dut même, le 19 mars, livrer, à Saint-Pol-de-Léon, une bataille rangée.

Le comité de salut public résolut d’agir alors avec la plus extrême rigueur contre les villes et contre les campagnes. Il envoya deux délégués, Guermeur et Julien, qui organisèrent le sans-culotisme dans la Bretagne et à Quimper surtout.

Avec eux, ces proconsuls apportaient la loi des suspects de septembre 1793, cette œuvre de Merlin, de Douai, qui était libellée en ces termes :

« Sont réputés suspects :

« 1° Ceux qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, par leurs propos ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la tyrannie, du fédéralisme et ennemis de la liberté.

« 2° Ceux qui ne pourront pas justifier de leur manière d’exister et de l’acquit de leurs droits civiques.

« 3° Ceux à qui il a été refusé des certificats de civisme.

« 4° Les fonctionnaires publics, suspendus ou destitués de leurs fonctions.

« 5° Ceux des ci-devant nobles, ensemble les maris, femmes, pères, mères, fils ou filles, frères ou sœurs, et agents d’émigrés qui n’ont pas constamment manifesté leur attachement à la révolution. »

Armés de cette loi, les délégués du comité de salut public étaient maîtres du département. Qui pouvait espérer d’échapper à ces mesures révolutionnaires ? Il n’était personne qui ne tombât plus ou moins directement sous le coup de ces terribles articles. Aussi, les représailles allèrent bon train, et le Finistère tout entier fut livré à la plus extrême terreur.

Guermeur et Julien étaient accompagnés d’un sous-agent du comité, d’un infime personnage, qui n’était autre que ce Karval, ce maudit promis à la vengeance de Kernan.

Ce misérable s’était produit à Paris, et fait remarquer dans les clubs ; il s’était glissé dans les rangs des terroristes, et accompagnait les délégués, comme connaissant plus particulièrement le département du Finistère.

Il y venait en réalité exercer ses plus basses vengeances contre le pays qui l’avait chassé. Armé de cette loi des suspects, il ne lui était pas difficile d’atteindre la famille de Chanteleine.

Aussi, le lendemain de son arrivée à Quimper, il se mit en devoir d’agir.

Ce Karval était un homme de taille moyenne, porteur de l’une de ces mauvaises figures que la haine, la bassesse et la méchanceté ont faites peu à peu ; chaque vice nouveau s’y imprégnait et y laissait ses stigmates ; il ne manquait pas d’intelligence, mais, à le voir, on sentait que ce devait être un lâche. Comme beaucoup de ces héros de la révolution, il fut sanguinaire par peur, mais, par peur aussi il restait inflexible, et rien ne pouvait le toucher.

Une rue de Quimper, le 6 nivôse an II. Dessin de V. Foulquier.

Le lendemain de son arrivée, le 14 septembre, il alla trouver Guermeur :

— Citoyen, dit-il, il me faut cent hommes de la milice.

— Qu’en veux-tu faire ? demanda Guermeur.

— J’ai une tournée à opérer dans mon pays.

— Où cela ?

— Du côté de Chanleleine, entre Plougastel et Pont-l’Abbé. Je connais là un nid de Vendéens !

— Es-tu certain de ce que tu avances ?

— Certain. Demain, je t’amène le père et la mère.

— Ne laisse pas échapper les petits ! répliqua en riant le farouche proconsul.

— Sois tranquille ! ça me connaît. J’ai déniché des merles autrefois, et je veux leur apprendre à siffler le Ça ira !

— Va donc ! dit Guermeur en signant l’ordre que Karval demandait.

— Salut et fraternité ! dit Karval en se retirant.

Le lendemain, il se mit en marche avec son détachement, composé des forcenés de la ville ; le jour même il arrivait à Chanteleine.

Les paysans, à la vue de Karval qu’ils connaissaient bien, livrèrent un combat désespéré ; ils comprirent qu’il fallait vaincre ou mourir, mais ils furent vaincus, après avoir voulu défendre leur bonne dame.

La comtesse de Chanteleine, entre sa fille, l’abbé de Fermont et ses serviteurs, attendait dans les transes les plus vives l’issue de la bataille.

Elle la connut bientôt. Les miliciens de Quimper s’emparèrent du château. Karval, à leur tête, s’élança dans ses appartements en criant :

— Mort aux nobles ! mort aux Blancs ! mort aux Vendéens !

La comtesse, éperdue, voulut fuir, mais elle n’en eut pas le temps. Les forcenés arrivèrent jusqu’à elle dans la chapelle du château, où elle s’était réfugiée.

— Arrêtez cette femme et sa fille, femme et fille de brigand ! s’écria Karval, ivre de sang et de joie, et ce calotin, ajouta-t-il en désignant l’abbé de Fermont.

Marie s’était évanouie dans les bras de sa mère, à laquelle on l’arracha.

— Et ton mari, le comte ? demanda Karval d’une voix féroce.

La comtesse le regarda fièrement sans répondre.

— Et Kernan ? s’écria-t-il.

Même silence. Sa rage fut grande alors de voir que ces deux hommes lui échappaient, et dans sa colère, il frappa la comtesse d’un coup mortel ; la malheureuse femme tomba en jetant un dernier regard d’angoisse sur sa fille. Karval chercha, fouilla, mais en vain.

— Ils sont à l’armée des brigands, s’écria-t-il. Bon ! je les retrouverai !

Puis, s’adressant à ses hommes :

— Emmenez cette fille, dit-il, c’est toujours ça !

Marie, inanimée, fut mise en compagnie de l’abbé de Fermont, au milieu des paysans arrêtés ; on leur attacha les mains ; on les parqua comme des bestiaux, et ils furent emmenés.

Le lendemain, Karval ramenait ses prisonniers à Guermeur.

— Et le mâle ? fit Guermeur en riant.

— Envolé ! mais sois tranquille, répondit Karval avec un hideux sourire, je le repincerai.

Marie de Chanteleine et ses malheureux compagnons furent jetés pêle-mêle dans les prisons de la ville ; la jeune fille ne retrouva sa connaissance qu’entre les murs de son cachot.

Mais les prisons, finissaient par devenir trop étroites ; aussi travailla-t-on à les vider, et l’instrument de mort fonctionna sans relâche sur la grande place de Quimper. Il fut même question de l’installer dans le prétoire du tribunal pour aller plus vite.

On sait comment procédait, dans ces temps de terreur, la justice révolutionnaire, quelles formalités étaient remplies et quelles garanties entouraient les accusés.

Le tour de la malheureuse jeune fille ne pouvait tarder à venir.

Voilà ce qui s’était passé depuis ces deux mois pendant lesquels le comte de Chanteleine avait été sans nouvelles de sa femme et de sa fille ; voilà de quelles épouvantables scènes son château fut le théâtre.

Alors Kernan comprit cet air de vengeance satisfaite que respirait la figure de Karval, quand, au milieu de la mêlée, il lui lança ces paroles terribles :

— On t’attend au château de Chanteleine !…

Aussi, tout en marchant, en soutenant son maître que ce désastre abattait, il murmurait :

— Karval, je serai sans pitié ! sans pitié !…

Il était près de huit heures quand le comte et Kernan quittèrent le château ; ni la faim, ni la fatigue ne purent les arrêter un seul instant. Ils se jetèrent à travers champs, et une dernière fois, en se retournant, le Breton aperçut derrière les arbres dépouillés les murs du château de ses maîtres.

Alors le fidèle serviteur guida le comte presque fou de douleur ; il se chargea d’avoir du courage et de l’intelligence pour deux ; afin d’éviter toute mauvaise rencontre, il prit par les chemins de traverse, et rejoignit bientôt la grande route de Concarneau à Quimper au village de Kerroland.

Le comte et Kernan ne se trouvaient plus qu’à deux lieues et demie de Quimper, et du pas dont ils marchaient, ils devaient y arriver avant dix heures du matin.

— Où est-elle ?… où est ma fille ?… murmurait le comte, qui eût fait pitié aux cœurs les plus endurcis. — Morte ! morte !… comme sa pauvre mère !

De lugubres visions lui venaient à l’esprit ; et si épouvantables, que, pour les dissiper, il se prenait à courir comme si la vision n’eût pas été en lui.

Kernan ne le quittait pas ; il le suivait dans ses bonds insensés, et le forçait même à se jeter dans les halliers, quand quelque passant apparaissait au loin sur la route. Tout homme devenait dangereux en pareille circonstance, et dans l’état d’agitation où il se trouvait, le comte se fût dénoncé lui-même.

Certes, le Breton souffrait autant que son maître, mais il méditait en même temps des projets de vengeance auxquels celui-ci ne songeait pas. Sa douleur était mélangée d’une immense somme de colère. Puis il réfléchissait et se posait des questions auxquelles il ne pouvait répondre. — Qu’allait faire le comte à la ville ?

Si son enfant était emprisonnée, réussirait-il à la ravoir ? La justice révolutionnaire ne rendait jamais sa proie, et le comte lui-même serait arrêté à la moindre démarche suspecte.

Donc, sans plan arrêté, sans idée préconçue, ces deux hommes allaient comme à l’aventure, mais poussés par une invincible puissance.

Suivant les prévisions de Kernan, avant dix heures ils arrivèrent aux faubourgs de Quimper. Les rues étaient à peu près désertes, mais on pouvait entendre au loin une sorte de murmure funeste. Toute la population semblait s’être accumulée vers le centre de la ville. Kernan prit donc hardiment par les rues en contenant son maître, qui répétait à voix basse :

— Ma fille ! mon enfant !

Le père souffrait en lui plus encore que le mari, dont la douleur était sans remède.

Après une marche de dix minutes, le maître et le serviteur arrivèrent à l’une des rues qui avoisinent la cathédrale ; là ils se trouvèrent en queue d’un fort rassemblement.

Il y avait des gens qui vociféraient, qui hurlaient ; d’autres, effrayés, regagnaient leurs maisons dont ils fermaient les portes et les fenêtres. On entendait des accents de douleur mêlés à des imprécations ; il y avait des visages terrifiés près de faces sanguinaires. Quelque chose de sinistre planait dans l’air.

Bientôt, au milieu du bruit, se firent entendre ces paroles :

— Les voilà ! les voilà !

Mais ni le comte, ni Kernan ne purent voir ce qui excitait la curiosité de la foule. À ces paroles d’ailleurs succédèrent immédiatement les cris longuement prolongés de :

— À bas les Blancs ! à bas les aristocrates ! vive la République !

Évidemment il se passait quelque chose d’épouvantable sur la place voisine ; au tournant de la rue, toutes les figures étaient tendues vers un même point, et la plupart, il faut le dire, reflétaient des passions inhumaines, qui venaient chercher dans ce spectacle leur cruelle satisfaction.

On entendait de temps à autre des murmures plus violents ; à un certain moment, quelque chose d’extraordinaire parut se passer sur la place, car les mots :

— Non ! pas de grâce ! pas de grâce ! prononcés, hurlés plutôt par les gens qui voyaient, refluèrent jusqu’aux derniers rangs des spectateurs.

Le visage du comte était baigné d’une sueur froide.

— Qu’est-ce qu’il y a ? se demandait-on autour de lui ; et sans savoir, par un instinct de férocité, on s’écriait :

— Pas de grâce ! pas de grâce !

Kernan et le comte voulurent se frayer à tout prix un chemin dans la foule, mais ils ne purent y parvenir ; d’ailleurs, quelques minutes après leur arrivée, ce spectacle se termina, car le populaire se prit tout d’un coup à refluer ; les bras furent agités, les figures se retournèrent, et les vociférations s’éteignirent peu à peu.

Alors des crieurs se firent jour en lançant à la foule les noms des victimes.

— Exécution du 6 nivôse de l’an II de la République ! Qui veut la liste des condamnés ?

Le comte regarda Kernan d’un œil hagard.

— Voilà ! voilà ! continuaient les crieurs, le curé Fermont !…

Le comte serra la main de Kernan à la briser.

— La demoiselle de Chanteleine !

— Ah ! fit le comte en poussant un cri épouvantable.

Mais Kernan lui mit la main sur la bouche, le reçut dans ses bras comme il s’évanouissait, et, avant que les témoins de la scène eussent pu la comprendre, il entraîna son maître dans une rue écartée.

Pendant ce temps, d’autres noms étaient jetés à la foule, et ce cri retentissait de toutes parts :

— Mort aux aristocrates !… Vive la République !…

Wednesday, 2 December 2020

Good Reading: "Two Heavily Dressed Millers" by Ludwig Bechstein (translated into English)

Once on a time there lived a miller. Although he was naturally very strong and well, yet he wished to make himself proof against all blows or stabs or strokes of any kind. So he had some remarkable clothing made for him: First he had a carefully stuffed jacket, as heavy and sword-proof as any breast-plate ever worn by a knight.

Underneath this jacket he wore two coats of mail and nine woollen coats, and his legs were covered by more than four pair of strong leather trousers.

When the miller was dressed in this way he was quite as broad as he was long. He could get in and out of the city-gate only with some difficulty.

Every year when he attended church on St. Oswald's Day he went armed from head to foot in the most formidable manner, in a wagon drawn by six stout oxen. He was armed with two spears and a crossbow; at his side hung a double-hilted sword as long as himself and at his feet lay a second bow with a quiver full of arrows.

After him walked all his tenants and servants, with their wives and children.

When the ball-round miller at length came to church, he had to be raised from his wagon by means of cranes and ladders.

Now there was another miller in the neighbourhood who was quite as big and strong and quite as round as the first miller. He too wore a well-stuffed and strong-made jacket.

These two millers had hated and quarrelled with each other for a long time. Every holiday that they chanced to meet, they were sure to end up fighting, Neither of them could conquer the other, so they both came to be feared as two mighty warriors.

Now one of these millers had a son and the other a daughter and their loved one another. This only served to increase the feud between their fathers, till at last the friends of each set to work to reconcile them, and succeeded so well that the couple was engaged to be married.

As soon as the report of this was made known, there was a great outcry, for most people agreed that the two ball-round millers together could crush everyone between them like two millstones. Besides, the two millers could not be easily starved out, since within their wide coats they could carry as many sacks of meal as they needed for a long time.

It was a source of joy to many when the two millers agreed to fight together against enemies of the country and asked no other reward than the glory and honour of doing it. But rather soon they began to complain that they had no enemies to fight, for the renown of their might spread so far and wide that all were cautious of attacking them. In this way the two ball-round millers ended up without enemies to fight.

Tuesday, 1 December 2020

Tuesday’s Serial: “On War” by General Carl von Clausewitz (Translated into English by Colonel J.J. Graham) – XXVIII

CHAPTER XII - Defensive Position

Every position in which we accept battle, at the same time making use of the ground as a means of protection, is a defensive position, and it makes no difference in this respect whether we act more passively or more offensively in the action. This follows from the general view of the defensive which we have given.

Now we may also apply the term to every position in which an army whilst marching to encounter the enemy would certainly accept battle if the latter sought for it. In point of fact, most battles take place in this way, and in all the middle ages no other was ever thought of. That is, however, not the kind of position of which we are now speaking; by far the greater number of positions are of this kind, and the conception of a position in contradistinction to a camp taken up on the march would suffice for that. A position which is specially called a defensive position must therefore have some other distinguishing characteristics.

In the decisions which take place in an ordinary position, the idea of time evidently predominates; the armies march against each other in order to come to an engagement: the place is a subordinate point, all that is required from it is that it should not be unsuitable. But in a real defensive position the idea of place predominates; the decision is to be realised on this spot, or rather, chiefly through this spot. That is the only kind of position we have here in view.

Now the connection of place is a double one; that is, in the first instance, inasmuch as a force posted at this point exercises a certain influence upon the war in general; and next, inasmuch as the local features of the ground contribute to the strength of the army and afford protection: in a word, a strategic and a tactical connection.

Strictly speaking, the term defensive position has its origin only in connection with tactics, for its connection with strategy, namely, that an army posted at this point by its presence serves to defend the country, will also suit the case of an army acting offensively.

The strategic effect to be derived from a position cannot be shown completely until hereafter, when we discuss the defence of a theatre of war; we shall therefore only consider it here as far as can be done at present, and for that end we must examine more closely the nature of two ideas which have a similarity and are often mistaken for one another, that is, the turning a position, and the passing by it.

The turning a position relates to its front, and is done either by an attack upon the side of the position or on its rear, or by acting against its lines of retreat and communication.

The first of these, that is, an attack on flank or rear is tactical in its nature. In our days in which the mobility of troops is so great, and all plans of battles have more or less in view the turning or enveloping the enemy, every position must accordingly be adapted to meet such measures, and one to deserve the name of strong must, with a strong front, allow at least of good combinations for battle on the sides and rear as well, in case of their being menaced. In this way a position will not become untenable by the enemy turning it with a view to an attack on the flank or rear, as the battle which then takes place was provided for in the choice of the position, and should ensure the defender all the advantages which he could expect from this position generally.

If the position is turned by the enemy with a view to acting against the lines of retreat and communication, this is a strategic relation, and the question is how long the position can be maintained, and whether we cannot outbid the enemy by a scheme like his own, both these questions depend on the situation of the point (strategically), that is, chiefly on the relations of the lines of communication of both combatants. A good position should secure to the army on the defensive the advantage in this point. In any case the position will not be rendered of no effect in this way, as the enemy is neutralised by the position when he is occupied by it in the manner supposed.

But if the assailant, without troubling himself about the existence of the army awaiting his attack in a defensive position, advances with his main body by another line in pursuit of his object, then he passes by the position; and if he can do this with impunity, and really does it, he will immediately enforce the abandonment of the position, consequently put an end to its usefulness.

There is hardly any position in the world which, in the simple sense of the words, cannot be passed by, for cases such as the isthmus of Perekop are so rare that they are hardly worth attention. The impossibility of passing by must therefore be understood as merely applying to the disadvantages in which the assailant would become involved if he set about such an operation. We shall have a more fitting opportunity to state these disadvantages in the twenty-seventh chapter; whether small or great, in every case they are the equivalent of the tactical effect which the position is capable of producing but which has not been realised, and in common with it constitute the object of the position.

From the preceding observations, therefore, two strategic properties of the defensive position have resulted:

 

1. That it cannot be passed round.

2. That in the struggle for the lines of communication it gives the defender advantages.

 

Here we have to add two other strategic properties, namely—

 

3. That the relation of the lines of communication may also have a favourable influence on the form of combat; and

4. That the general influence of the country is advantageous.

 

For the relation of the lines of communication has an influence not only upon the possibility or impossibility of passing by a position or of cutting off the enemy’s supplies, but also on the whole course of the battle. An oblique line of retreat facilitates a tactical turning movement on the part of the assailant, and paralyses our own tactical movements during the battle. But an oblique position in relation to the lines of communication is often not the fault of tactics but a consequence of a defective strategic point; it is, for example, not to be avoided when the road changes direction in the vicinity of the position (Borodino, 1812); the assailant is then in such a position that he can turn our line without deviating from, his own perpendicular disposition.

Further, the aggressor has much greater freedom for tactical movement if he commands several roads for his retreat whilst we are limited to one. In such cases the tactical skill of the defensive will be exerted in vain to overcome the disadvantageous influence resulting from the strategic relations.

Lastly as regards the fourth point, such a disadvantageous general influence may predominate in the other characteristics of ground, that the most careful choice, and the best use of tactical means, can do nothing to combat them. Under such circumstances the chief points are as follows:

 

1. The defensive must particularly seek for the advantage of being able to overlook his adversary, so that he may be able swiftly to throw himself upon him inside the limits of his position. It is only when the local difficulties of approach combine with these two conditions that the ground is really favourable to the defensive.

 

On the other hand, those points which are under the influence of commanding ground are disadvantageous to him; also most positions in mountains (of which we shall speak more particularly in the chapters on mountain warfare). Further, positions which rest one flank on mountains, for such a position certainly makes the passing by more difficult, but facilitates a turning movement. Of the same kind are all positions which have a mountain immediately in their front, and generally all those which bear relation to the description of ground above specified.

As an example of the opposite of these disadvantageous properties, we shall only instance the case of a position which has a mountain in rear; from this so many advantages result that it may be assumed in general to be one of the most favourable of all positions for the defensive.

 

2. A country may correspond more or less to the character and composition of an army. A very numerous cavalry is a proper reason for seeking an open country. Want of this arm, perhaps also of artillery, while we have at command a courageous infantry inured to war, and acquainted with the country, make it advisable to take advantage of a difficult, close country.

 

We do not here enter into particulars respecting the tactical relation which the local features of a defensive position bear to the force which is to occupy it. We only speak of the total result, as that only is a strategic quantity.

Undoubtedly a position in which an army is to await the full force of the hostile attack, should give the troops such an important advantage of ground as may be considered a multiplier of its force. Where nature does much, but not to the full as much as we want, the art of entrenchment comes to our help. In this way it happens not unfrequently that some parts become unassailable, and not unusually the whole is made so: plainly in this last case, the whole nature of the measure is changed. It is then no longer a battle under advantageous conditions which we seek, and in this battle the issue of the campaign, but an issue without a battle. Whilst we occupy with our force an unassailable position, we directly refuse the battle, and oblige our enemy to seek for a solution in some other way.

We must, therefore, completely separate these two cases, and shall speak of the latter in the following chapter, under the title of a strong position.

But the defensive position with which we have now to do is nothing more than a field of battle with the addition of advantages in our favour; and that it should become a field of battle, the advantages in our favour must not be too great. But now what degree of strength may such a position have? Plainly more in proportion as our enemy is more determined on the attack, and that depends on the nature of the individual case. Opposed to a Buonaparte, we may and should withdraw behind stronger ramparts than before a Daun or a Schwartzenburg.

If certain portions of a position are unattackable, say the front, then that is to be taken as a separate factor of its whole strength, for the forces not required at that point are available for employment elsewhere; but we must not omit to observe that whilst the enemy is kept completely off such impregnable points, the form of his attack assumes quite a different character, and we must ascertain, in the first instance, how this alteration will suit our situation.

For instance, to take up a position, as has often been done, so close behind a great river that it is to be looked upon as covering the front, is nothing else but to make the river a point of support for the right or left flank; for the enemy is naturally obliged to cross further to the right or left, and cannot attack without changing his front: the chief question, therefore, is what advantages or disadvantages does that bring to us?

According to our opinion, a defensive position will come the nearer to the true ideal of such a position the more its strength is hid from observation, and the more it is favourable to our surprising the enemy by our combinations in the battle. Just as we advisably endeavour to conceal from the enemy the whole strength of our forces and our real intentions, so in the same way we should seek to conceal from the enemy the advantages which we expect to derive from the form of the ground. This of course can only be done to a certain degree, and requires, perhaps, a peculiar mode of proceeding, hitherto but little attempted.

The vicinity of a considerable fortress, in whatever direction it may be, confers on every position a great advantage over the enemy in the movement and use of the forces belonging to it. By suitable field-works, the want of natural strength at particular points may be remedied, and in that manner the great features of the battle may be settled beforehand at will; these are the means of strengthening by art; if with these we combine a good selection of those natural obstacles of ground which impede the effective action of the enemy’s forces without making action absolutely impossible, if we turn to the best account the advantage we have over the enemy in knowing the ground, which he does not, so that we succeed in concealing our movements better than he does his, and that we have a general superiority over him in unexpected movements in the course of the battle, then from these advantages united, there may result in our favour an overpowering and decisive influence in connection with the ground, under the power of which the enemy will succumb, without knowing the real cause of his defeat. This is what we understand under defensive position, and we consider it one of the greatest advantages of defensive war.

Leaving out of consideration particular circumstances, we may assume that an undulating, not too well, but still not too little, cultivated country affords the most positions of this kind.

 

CHAPTER XIII - Strong Positions and Entrenched Camps

We have said in the preceding chapter that a position so strong through nature, assisted by art, that it is unassailable, does not come under the meaning of an advantageous field of battle, but belongs to a peculiar class of things. We shall in this chapter take a review of what constitutes the nature of this peculiarity, and on account of the analogy between such positions and fortresses, call them strong positions.

Merely by entrenchments alone they can hardly be formed, except as entrenched camps resting on fortresses; but still less are they to be found ready formed entirely by natural obstacles. Art usually lends a hand to assist nature, and therefore they are frequently designated as entrenched camps or positions. At the same time, that term may really be applied to any position strengthened more or less by field works, which need have nothing in common with the nature of the position we are now considering.

The object of a strong position is to make the force there stationed in point of fact unattackable, and by that means, either really to cover a certain space directly, or only the troops which occupy that space in order then, through them, in another way to effect the covering of the country indirectly. The first was the signification of the lines of former times, for instance, those on the French frontier; the latter, is that of entrenched camps laid out near fortresses, and showing a front in every direction.

If, for instance, the front of a position is so strong by works and hindrances to approach that an attack is impossible, then the enemy is compelled to turn it, to make his attack on a side of it or in rear. Now to prevent this being easily done, points d’appui were sought for these lines, which should give them a certain degree of support on the side, such as the Rhine and the Vosges give the lines in Alsace. The longer the front of such a line the more easily it can be protected from being turned, because every movement to turn it is attended with danger to the side attempting the movement, the danger increasing in proportion as the required movement causes a greater deviation from the normal direction of the attacking force. Therefore, a considerable length of front, which can be made unassailable, and good flank-supports, ensure the possibility of protecting a large space of territory directly from hostile invasion: at least, that was the view in which works of this class originated; that was the object of the lines in Alsace, with their right flank on the Rhine and the left on the Vosges; and the lines in Flanders, fifteen miles long, resting their right on the Scheldt and the fortress of Tournay, their left on the sea.

But when we have not the advantages of such a long well-defended front, and good flank-supports, if the country is to be held generally by a force well entrenched, then that force (and its position) must be protected against being turned by such an arrangement that it can show a front in every direction. But then the idea of a thoroughly covered tract of country vanishes, for such a position is only strategically a point which covers the force occupying it, and thus secures to that force the power of keeping the field, that is to say, maintaining itself in the country. Such a camp cannot be turned, that is, cannot be attacked in flank or rear by reason of those parts being weaker than its front, for it can show front in all directions, and is equally strong everywhere. But such a camp can be passed by, and that much easier than a fortified line, because its extent amounts to nothing.

Entrenched camps connected with fortresses are in reality of this second kind, for the object of them is to protect the troops assembled in them; but their further strategic meaning, that is, the application of this protected force, is somewhat different from that of other fortified camps.

Having given this explanation of the origin of these three different defensive means, we shall now proceed to consider the value of each of them separately, under the heads of strong lines, strong positions, and entrenched camps resting on fortresses.

 

1. Lines.—They are the worst kind of cordon war: the obstacle which they present to the aggressor is of no value at all unless they are defended by a powerful fire; in themselves they are simply worthless. But now the extent to which an army can furnish an effective fire is generally very small in proportion to the extent of country to be defended; the lines can, therefore, only be short, and consequently cover only a small extent of country, or the army will not be able really to defend the lines at all points. In consequence of this, the idea was started of not occupying all points in the line, but only watching them, and defending them by means of strong reserves, in the same way as a small river may be defended; but this procedure is in opposition to the nature of the means. If the natural obstacles of the ground are so great that such a method of defence could be applied, then the entrenchments were needless, and entail danger, for that method of defence is not local, and entrenchments are only suited to a strictly local defence; but if the entrenchments themselves are to be considered the chief impediments to approach, then we may easily conceive that an undefended line will not have much to say as an obstacle to approach. What is a twelve or fifteen feet ditch, and a rampart ten or twelve feet high, against the united efforts of many thousands, if these efforts are not hindered by the fire of an enemy? The consequence, therefore, is, that if such lines are short and tolerably well defended by troops, they can be turned; but if they are extensive, and not sufficiently occupied, they can be attacked in front, and taken without much difficulty.

Now as lines of this description tie the troops down to a local defence, and take away from them all mobility, they are a bad and senseless means to use against an enterprising enemy. If we find them long retained in modern wars in spite of these objections, the cause lies entirely in the low degree of energy impressed on the conduct of war, one consequence of which was, that seeming difficulties often effected quite as much as real ones. Besides, in most campaigns these lines were used merely for a secondary defence against irregular incursions; if they have been found not wholly inefficacious for that purpose, we must only keep in view, at the same time, how much more usefully the troops required for their defence might have been employed at other points. In the latest wars such lines have been out of the question, neither do we find any trace of them; and it is doubtful if they will ever re-appear.

 

2. Positions.—The defence of a tract of country continues (as we shall show more plainly in the 27th chapter) as long as the force designated for it maintains itself there, and only ceases if that force removes and abandons it.

If a force is to maintain itself in any district of country which is attacked by very superior forces, the means of protecting this force against the power of the sword by a position which is unassailable is a first consideration.

Now such a position, as before said, must be able to show a front in all directions; and in conformity with the usual extent of tactical positions, if the force is not very large (and a large force would be contrary to the nature of the supposed case) it would take up a very small space, which, in the course of the combat, would be exposed to so many disadvantages that, even if strengthened in every possible way by entrenchments, we could hardly expect to make a successful defence. Such a camp, showing front in every direction, must therefore necessarily have an extent of sides proportionably great; but these sides must likewise be as good as unassailable; to give this requisite strength, notwithstanding the required extension, is not within the compass of the art of field fortification; it is therefore a fundamental condition that such a camp must derive part of its strength from natural impediments of ground which render many places impassable and others difficult to pass. In order, therefore, to be able to apply this defensive means, it is necessary to find such a spot, and when that is wanting, the object cannot be attained merely by field works. These considerations relate more immediately to tactical results in order that we may first establish the existence of this strategic means; we mention as examples for illustration, Pirna, Bunzelwitz, Colberg, Torres Vedras, and Drissa. Now, as respects the strategic properties and effects. The first condition is naturally that the force which occupies this camp shall have its subsistence secured for some time, that is, for as long as we think the camp will be required, and this is only possible when the position has behind it a port, like Colberg and Torres Vedras, or stands in connection with a fortress like Bunzelwitz and Pirna, or has large depôts within itself or in the immediate vicinity, like Drissa.

It is only in the first case that the provisioning can be ensured for any time we please; in the second and third cases, it can only be so for a more or less limited time, so that in this point there is always danger. From this appears how the difficulty of subsistence debars the use of many strong points which otherwise would be suitable for entrenched positions, and, therefore, makes those that are eligible scarce.

In order to ascertain the eligibility of a position of this description, its advantages and defects, we must ask ourselves what the aggressor can do against it.

 

a. The assailant can pass by this strong position, pursue his enterprise, and watch the position with a greater or less force.

We must here make a distinction between the cases of a position which is occupied by the main body, and one only occupied by an inferior force.

In the first case the passing by the position can only benefit the assailant, if, besides the principal force of the defendant, there is also some other attainable and decisive object of attack, as, for instance, the capture of a fortress or a capital city, etc. But even if there is such an object, he can only follow it if the strength of his base and the direction of his lines of communication are such that he has no cause to fear operations against his strategic flanks.

The conclusions to be drawn from this with respect to the admissibility and eligibility of a strong position for the main body of the defender’s army are, that it is only an advisable position when either the possibility of operating against the strategic flank of the aggressor is so decisive that we may be sure beforehand of being able in that way to keep him at a point where his army can effect nothing, or in a case where there is no object attainable by the aggressor for which the defence need be uneasy. If there is such an object, and the strategic flank of the assailant cannot be seriously menaced, then such position should not be taken up, or if it is it should only be as a feint to see whether the assailant can be imposed upon respecting its value; this is always attended with the danger, in case of failure, of being too late to reach the point which is threatened.

If the strong position is only held by an inferior force, then the aggressor can never be at a loss for a further object of attack, because he has it in the main body itself of the enemy’s army; in this case, therefore, the value of the position is entirely limited to the means which it affords of operating against the enemy’s strategic flank, and depends upon that condition.

 

b. If the assailant does not venture to pass by a position, he can invest it and reduce it by famine. But this supposes two conditions beforehand: first, that the position is not open in rear, and secondly, that the assailant is sufficiently strong to be able to make such an investment. If these two conditions are united then the assailant’s army certainly would be neutralised for a time by this strong position, but at the same time, the defensive pays the price of this advantage by a loss of his defensive force.

From this, therefore, we deduce that the occupation of such a strong position with the main body is a measure only to be taken,—

 

aa. When the rear is perfectly safe (Torres Vedras).

bb. When we foresee that the enemy’s force is not strong enough formally to invest us in our camp. Should the enemy attempt the investment with insufficient means, then we should be able to sally out of the camp and beat him in detail.

cc. When we can count upon relief like the Saxons at Pirna, 1756, and as took place in the main at Prague, because Prague could only be regarded as an entrenched camp in which Prince Charles would not have allowed himself to be shut up if he had not known that the Moravian army could liberate him.

 

One of these three conditions is therefore absolutely necessary to justify the choice of a strong position for the main body of an army; at the same time we must add that the two last are bordering on a great danger for the defensive.

But if it is a question of exposing an inferior corps to the risk of being sacrificed for the benefit of the whole, then these conditions disappear, and the only point to decide is whether by such a sacrifice a greater evil may be avoided. This will seldom happen; at the same time it is certainly not inconceivable. The entrenched camp at Pirna prevented Frederick the Great from attacking Bohemia, as he would have done, in the year 1756. The Austrians were at that time so little prepared, that the loss of that kingdom appears beyond doubt; and perhaps, a greater loss of men would have been connected with it than the 17,000 allied troops who capitulated in the Pirna camp.

 

c. If none of those possibilities specified under a and b are in favour of the aggressor; if, therefore, the conditions which we have there laid down for the defensive are fulfilled, then there remains certainly nothing to be done by the assailant but to fix himself before the position, like a setter before a covey of birds, to spread himself, perhaps, as much as possible by detachments over the country, and contenting himself with these small and indecisive advantages to leave the real decision as to the possession of territory to the future. In this case the position has fulfilled its object.

 

3. Entrenched camps near fortresses.—They belong, as already said, to the class of entrenched positions generally, in so far, as they have for their object to cover not a tract of territory, but an armed force against a hostile attack, and only differ in reality from the other in this, that with the fortress they make up an inseparable whole, by which they naturally acquire much greater strength.

But there follows further from the above the undermentioned special points.

 

a. That they may also have the particular object of rendering the siege of the fortress either impossible or extremely difficult. This object may be worth a great sacrifice of troops if the place is a port which cannot be blockaded, but in any other case we have to take care lest the place is one which may be reduced by hunger so soon that the sacrifice of any considerable number of troops is not justifiable.

b. Entrenched camps can be formed near fortresses for smaller bodies of troops than those in the open field. Four or five thousand men may be invincible under the walls of a fortress, when, on the contrary, in the strongest camp in the world, formed in the open field, they would be lost.

c. They may be used for the assembly and organisation of forces which have still too little solidity to be trusted in contact with the enemy, without the support afforded by the works of the place, as for example, recruits, militia, national levies, etc.

 

They might, therefore, be recommended as a very useful measure, in many ways, if they had not the immense disadvantage of injuring the fortress, more or less, when they cannot be occupied; and to provide the fortress always with a garrison, in some measure sufficient to occupy the camp also, would be much too onerous a condition.

We are, therefore, very much inclined to consider them only advisable for places on a sea coast, and as more injurious than useful in all other cases.

If, in conclusion, we should summarise our opinion in a general view, then strong and entrenched positions are—

 

1. The more requisite the smaller the country, the less the space afforded for a retreat.

2. The less dangerous the more surely we can reckon on succouring or relieving them by other forces, or by the inclemency of season, or by a rising of the nation, or by want, &c.

3. The more efficacious, the weaker the elementary force of the enemy’s attack.