Thursday, 17 December 2020

Thursday's Serial: "Le Comte de Chanteleine - épisode de la Révolution" by Jules Verne (in French) - IV

IX — Douarnenez

Douarnenez, en l’an II de la République, ne comptait encore qu’une vingtaine de familles de pêcheurs ; la réunion de ces maisons, faites d’éclats de granit, offrait un pittoresque coup d’œil à qui arrivait par mer.

Le bourg, longtemps caché derrière les sinuosités de la côte, apparaissait tout à coup, dominé par le clocher solitaire d’une église située au sommet d’une colline.

Le bourg, étendu au fond même de la baie, venait baigner ses pieds dans les hautes vagues ; les toitures des maisons étaient recouvertes de grosses pierres, afin de résister aux vents violents du nord-ouest.

La côte de la Bretagne, depuis Concarneau jusqu’à Brest, est échancrée par une suite de baies de toutes grandeurs.

Les plus importantes sont celles de Douarnenez et de Brest, qui mesurent jusqu’à vingt-cinq lieues de tour ; les baies d’Audierne, des Trépassés, de Camaret, de Dinan ne forment que des anses, à proprement parler ; entre toutes, la baie de Douarnenez est la plus mauvaise, et de nombreux naufrages lui ont assuré une sinistre réputation.

Sa partie méridionale est formée par une langue de terre presque droite, une pyramide renversée de huit lieues de long, qui va s’enfoncer dans l’Océan à la pointe du Raz.

Sa base a environ quatre lieues de largeur au méridien de Douarnenez ; là se rencontrent les paroisses du Poullan, de Benzec, de Cleden, d’Audierne, de Pont-Croix, de Plogoff et quelques villages épars.

La partie nord de la baie est faite d’une immense courbure de la côte, que vient terminer brusquement le cap de la Chèvre. Là se trouvent situées les magnifiques grottes de Morgat. Au-dessus, on aperçoit les montagnes d’Aray, estompées par la brume.

La baie, n’étant pas suffisamment fermée, reste exposée à toutes les tempêtes du large.

Aussi la mer y est-elle toujours mauvaise ; les pêcheurs, aventurés dans leur chaloupe, s’y voient souvent en perdition, et, devant leur petit port de refuge, ils restent des journées entières sans pouvoir attérir.

Le bourg est situé à l’embouchure d’une petite rivière qui est à sec à marée basse. C’est là que les bateaux de pêche vont se réfugier par les mauvais temps, car la jetée qui couvre actuellement le petit port n’existait pas alors, et les maisons du rivage étaient battues d’écharpe par les vagues.

L’extrémité de la petite rivière, du côté du bourg, se nomme le Guet.

C’est à cette pointe même que s’élevait la petite maison du bonhomme Locmaillé. De ses fenêtres latérales, on pouvait apercevoir toute l’échancrure de la baie, depuis le cap de la Chèvre jusqu’à Douarnenez. Cette maisonnette se distinguait peu des roches environnantes ; elle n’était pas belle, mais solide et sûre.

Elle se composait d’une salle basse, avec une large cheminée autour de laquelle on suspendait les filets mouillés et les engins de pêche, et de trois petites chambres au-dessus, d’où l’on apercevait la barque du pêcheur échouée ou flottante dans la rivière, suivant les caprices de la marée.

Elle était habitée par le bonhomme Locmaillé, âgé de soixante ans, un serviteur dévoué de la famille, un autre Kernan, moins l’instruction.

C’est là que furent reçus le comte de Chanteleine et sa fille ; le bonhomme leur fit comprendre qu’ils étaient chez eux, et en entrant ils ne purent retenir un soupir de satisfaction ; cette humble cabane leur apparaissait comme un lieu de refuge, sinon un lieu d’asile.

Bien que la demeure fût petite, Henry trouva moyen de réserver une chambre pour la jeune fille, une autre pour le comte et même une sorte de petit cabinet pour lui ; suivant la coutume, ces chambres ne communiquaient pas avec la salle basse, et on y arrivait par un escalier de pierre construit extérieurement.

La grande salle convenait parfaitement au bonhomme Locmaillé et à Kernan, décidé à devenir un pêcheur déterminé, en attendant mieux.

Les installations ne furent pas longues ; un feu de sarment crépita bientôt dans la chambre de Marie, et une demi-heure après son arrivée à Douarnenez, elle était véritablement chez elle. Pour la première fois, le père et la fille pouvaient se trouver enfin seuls, et ils se retirèrent. On respecta leur isolement.

Pendant ce temps, Kernan, aidé de Locmaillé, prépara un déjeuner frugal, fait de poissons frais et de quelques œufs ; lorsque le comte et sa fille redescendirent, les proscrits s’installèrent dans la chambre basse ; ils mangèrent dans des écuelles avec de l’argenterie de bois noir, sans linge, sur une table raboteuse, mais au moins en sûreté dans cette maison de pêcheur.

— Mes amis, dit le chevalier, le Ciel nous a protégés en nous conduisant jusqu’ici, mais il ne veut nous aider qu’à la condition que nous nous aiderons nous-mêmes ; parlons donc de nos projets à venir.

— Mon cher enfant, répondit le comte, nous nous en rapportons à vous ; je remets ma vie et celle de ma fille entre vos mains !

— Monsieur le comte, dit le chevalier, je crois que le temps de vos grandes douleurs est passé, et j’ai bon espoir pour l’avenir.

— Moi aussi, dit Kernan, vous êtes un digne jeune homme, monsieur Henry, et à nous cinq, il faudra bien que nous nous tirions d’affaire ; mais, dites-moi, notre arrivée dans le pays ne paraîtra-t-elle pas extraordinaire ?

— Non ! Locmaillé a dit à qui voulait l’entendre qu’il attendait ses parents à Douarnenez.

— Bien, répondit le Breton ; mais ne peut-on trouver singulier cet accroissement de famille ?

— Non ; M. le comte de Chanteleine est mon oncle, et Mlle Marie ma cousine.

— Votre sœur, monsieur Henry, dit la jeune fille, votre sœur ! N’ai-je pas à remplacer près de vous cette noble fille qui n’est plus ?

— Mademoiselle ! fit Henry avec l’accent de la plus vive émotion.

— Cela se peut ! cela se peut, répondit Kernan ; moi, je serai le cousin du bonhomme Locmaillé, si cela lui va.

— Trop honoré, fit le vieux pêcheur.

— Eh bien, la famille sera complète, une famille de pêcheurs ; ce ne sera pas la première fois que notre maître et moi, nous ferons ce métier ; nous n’étions pas maladroits, dans notre jeunesse, et j’espère que nous n’aurons pas trop perdu.

— Eh bien, fit le chevalier, dès demain nous courrons la baie de Douarnenez ! La barque est-elle en état, Locmaillé ?

— Toute parée, répondit le bonhomme.

— Mes amis, dit alors le comte, si nous devons rester dans ce pays, s’il nous faut y braver la tourmente révolutionnaire, si nous ne pouvons fuir plus loin de nos ennemis, j’approuve sans réserve vos arrangements ; mais devons-nous renoncer à l’espoir de passer à l’étranger ?

— Monsieur le comte, répondit Henry, si un pareil projet eût été praticable, croyez bien que je vous l’eusse déjà proposé ; mais moi-même, depuis longtemps, j’ai voulu fuir en Angleterre, sans en trouver le moyen ; tout ce que je puis vous promettre, c’est que si l’occasion se présente, nous ne la manquerons pas, et peut-être, à prix d’or, pourrons-nous la faire naître.

— Malheureusement, il me reste peu de ressources.

— Et moi, je n’ai pour vivre que mes bras et mon bateau.

— Bon ! bon ! dit Kernan, nous verrons plus tard ! Mais actuellement, notre maître, fussiez-vous dix fois plus riche, et eussions-nous une bonne chaloupe à notre disposition, que je ne conseillerais à personne de s’y embarquer. Nous sommes dans les mauvais mois de l’hiver et la mer est terriblement dure en dehors de la baie. Les tempêtes nous rejetteraient bientôt sur quelque point de la côte, où nous pourrions nous trouver fort mal pris, et ma nièce Marie ne doit pas affronter un pareil danger. Dans les beaux jours, si Dieu n’a pas encore eu pitié de la France, on verra ce qu’il y aura à faire ; mais maintenant, nous n’avons rien de mieux à imaginer que de pêcher, puisque nous sommes des pêcheurs, et de vivre tranquilles dans ce pays.

— Bien parlé, Kernan, dit le chevalier.

— Bien dit, mon bon Kernan, répondit le comte, sachons donc nous résigner, et, sans demander l’impossible, contentons-nous de ce que le ciel nous donne.

— Mes amis, dit alors la jeune fille, si mon oncle Kernan a parlé, nous devons l’écouter, car il est de bon conseil : il sait bien que je n’aurais pas reculé devant les dangers de la mer ; mais puisqu’une traversée lui paraît impraticable, il faut nous regarder comme arrivés au port et attendre, nous ne sommes pas riches, eh bien, nous travaillerons, et pour mon compte, je veux apporter mon faible contingent à la communauté.

— Oh ! mademoiselle, fit vivement le jeune homme, c’est un dur métier que le nôtre ; vous n’avez pas été élevée comme les femmes et les filles de nos pêcheurs ; nous ne pouvons pas vous exposer à de pareilles fatigues. D’ailleurs, nous vous gagnerons votre pain de chaque jour.

— Pourquoi, monsieur Henry, répondit la jeune fille, si je puis me procurer un travail qui ne dépasse pas la mesure de mes forces ? ce sera un plaisir et une consolation pour moi. Ne puis-je au besoin coudre ou repasser ?

— Comment donc, s’écria Kernan, mais ma nièce Marie travaille comme une fée, et je lui ai vu broder des devants d’autel pour l’église de la Palud, dont sainte Anne devait être fière !

— Hélas ! mon oncle Kernan, répondit Marie avec tristesse, il n’est plus question maintenant de devants d’autel ou d’ornements d’église ! Mais il est d’autres ouvrages plus humbles, plus lucratifs !…

— Ma foi, j’en vois peu, fit Henry, qui ne voulait pas que la jeune fille s’occupât d’un travail manuel ; je vous assure que vous ne trouverez rien à faire dans le pays.

— À moins de coudre des grosses chemises pour les pêcheurs, ou les Bleus de Quimper, dit Locmaillé.

— Oh !

— J’accepte volontiers, s’écria Marie.

— Mademoiselle ! fit le chevalier.

— Et pourquoi pas ? dit Kernan, je vous assure que ma nièce s’en tirera à merveille.

— Oui, fit le bonhomme, mais à cinq sols la pièce !

— C’est très-beau, cinq sols la pièce, s’écria Kernan ; ainsi, ma nièce Marie, tu seras lingère !

— C’était le métier de Mlles de Sapinaud et de La Lézardière après leur fuite du Mans, répondit la jeune fille, et je puis bien faire comme elles.

— Convenu. Locmaillé te trouvera de l’ouvrage.

— C’est entendu.

— Et maintenant, Marie, maintenant, notre maître, reposez-vous pendant le reste de la journée ; je vais aller visiter la chaloupe avec M. Henry, et demain, nous nous mettrons en mer.

Cela dit, Henry et Kernan sortirent ; Locmaillé alla courir le village, et la jeune fille, restée avec son père, se mit à ranger le petit ménage de la maison.

Le chevalier et Kernan, arrivés à la pointe du Guet, trouvèrent l’embarcation en parfait état ; elle portait deux hautes voiles rouges, et était faite pour tenir la mer par les gros temps.

Là, quelques pêcheurs, en train de raccommoder leurs filets, vinrent causer « pour causer », et Kernan répondit à leurs questions en marin fini ; il donna son avis sur un petit nuage noir qui ne présageait rien de bon, et fit néanmoins des préparatifs de départ en homme qui s’y entendait. Le lendemain, en effet, il se mit en mer en compagnie du chevalier, pour lequel il ressentait une bien grande amitié.

C’était, en effet, un bon et excellent cœur que ce jeune homme ; il avait pris avec courage la situation terrible que la Révolution faisait aux gens de sa naissance et de son âge ; bien qu’il comptât vingt-cinq ans à peine, les événements mûrirent singulièrement son esprit au milieu de cette atmosphère qui embrasait la France. Après avoir tout perdu, sans famille, seul, il semblait naturel qu’Henry de Trégolan reportât ce qu’il avait d’affection et de dévouement sur le comte et sur sa fille. Kernan le sentait bien et il entrevoyait déjà, pour l’avenir, certains arrangements qui ne lui déplaisaient pas ; au contraire.

Au sang-froid surhumain que le jeune Trégolan montra en sauvant Mlle de Chanteleine, au courage qu’il déployait dans son métier de pêcheur, Kernan reconnut en lui un caractère adroit, sage et résolu. C’était un homme dans toute l’acception du mot, c’est-à-dire un appui sûr qu’il ne fallait pas dédaigner à cette époque de bouleversement social.

Quand Kernan aimait quelqu’un, il l’aimait bien, et il en parlait ; plusieurs fois, il formula devant le comte son opinion bien arrêtée sur Henry, et il n’attendait guère que Marie ne fût pas là pour la dire.

Quelques jours après son arrivée à Douarnenez, le comte voulut aider lui-même ses compagnons dans leur pénible travail ; il s’embarqua avec eux ; il était toujours fort triste, mais les incidents de la pêche amenaient une heureuse diversion dans ses idées. Quelquefois les journées étaient bonnes, mais cinq jours sur huit, le gros temps empêchait les bateaux de sortir.

Les poissons se vendaient sur place à des expéditeurs qui les envoyaient à Quimper ou à Brest ; on en consommait aussi dans le ménage. En somme, ce que la pêche rapportait et les quelques sols gagnés par la jeune fille à ses ouvrages de couture suffisaient à faire vivre ce petit monde, qui se trouvait presque heureux dans sa détresse.

Kernan ne voulait pas que l’on touchât à l’argent du comte ; les circonstances pouvaient devenir graves, et il fallait le garder précieusement, pour le cas où il fût devenu nécessaire ou possible de quitter le pays.

Quant à lui, s’il était jamais obligé de fuir la Bretagne, il le ferait, il n’abandonnerait pas son maître ; mais assurément il y reviendrait accomplir certaine vengeance qui lui tenait au cœur. Seulement il n’en parlait jamais, et ne faisait aucune allusion à Karval.

Pendant la pêche, on s’arrangeait toujours de façon à ce que la jeune fille ne fût jamais seule, et soit son père, soit le bonhomme Locmaillé, il y avait toujours quelqu’un près d’elle.

D’ailleurs, l’arrivée des nouveaux venus dans le pays n’avait surpris personne ; on ne s’inquiétait aucunement de leur présence ; on les acceptait comme des parents du bonhomme Locmaillé, et comme ils étaient fort serviables, on finit par les aimer. D’ailleurs, ils avaient peu de communication avec le dehors, et les bruits de la révolution venaient expirer au seuil de leur cabane.

Le 1er janvier 1794, Henry vint trouver la jeune fille en présence de son père et de Kernan, et lui offrit une petite bague, pour présent de nouvelle année.

— Acceptez, mademoiselle, lui dit-il d’une voix émue : cette bague vient de ma sœur.

— Ah ! monsieur Henry, murmura Marie.

Elle s’arrêta, regarda son père et Kernan, se jeta dans leurs bras en les mouillant de larmes ; puis elle revint vers le chevalier.

— Henry, dit-elle en lui tendant timidement sa joue, je n’ai pas d’autre présent à vous faire.

Le jeune homme effleura de ses lèvres la joue fraîche de la jeune fille, et sentit son cœur battre à se rompre dans sa poitrine.

Kernan souriait, et le comte mêlait involontairement dans sa pensée les noms d’Henry de Trégolan et de Marie de Chanteleine.

 

X — L’Iîle Tristan

Le mois de janvier s’écoula paisiblement, et les hôtes de Locmaillé reprirent peu à peu confiance. Trégolan se sentait chaque jour plus vivement attiré vers la jeune fille ; mais, Marie étant son obligée, il mettait à cacher son amour tout le soin qu’un autre, moins délicat, eût mis à l’afficher ; personne donc ne s’en doutait, si ce n’est peut-être Kernan, qui avait de bons yeux et qui se disait :

— Cela se fera, et rien de plus heureux n’aura pu se faire.

Le village de Douarnenez était tranquille et ce calme ne fut troublé qu’une seule fois, et dans les circonstances suivantes.

Il y avait, de l’autre côté de la rivière, en face de la maison de Locmaillé, à un demi-quart de lieue à peine, une île très-rapprochée de la côte et faite uniquement d’un gros rocher inculte ; un feu allumé à son sommet signalait pendant la nuit l’entrée du port. On l’appelait l’île Tristan, et elle justifiait bien son nom ; Kernan avait remarqué que les pêcheurs semblaient l’avoir prise en horreur ; ils évitaient avec soin d’y aborder ; plusieurs d’entre eux même montraient le poing en passant devant elle ; d’autres se signaient et leurs femmes menaçaient les enfants méchants de « l’île maudite ».

On eût dit qu’elle renfermait une léproserie ou un lazaret. C’était un véritable lieu de proscription et dont on avait peur.

Les pêcheurs disaient parfois :

— Le vent souffle de l’île Tristan, la mer sera mauvaise, et plus d’un y restera.

Cette crainte n’était évidemment pas justifiée ; néanmoins cet endroit passait pour dangereux et funeste. Et cependant il était habité, car de temps à autre on apercevait, errant sur les rocs, un homme vêtu de noir, que les gens de Douarnenez se montraient du doigt en criant :

— Le voilà ! le voilà !

Souvent même, à ces cris se joignaient des menaces.

— À mort ! à mort ! répétaient les pêcheurs avec colère.

Alors l’homme vêtu de noir rentrait dans une hutte délabrée, située au sommet de l’îlot.

Cet incident se renouvela plusieurs fois ; Kernan le fit observer au comte, et ils interrogèrent Locmaillé à ce sujet.

— Ah ! fit celui-ci ! vous l’avez donc vu ?

— Oui ! répondit le comte ; pouvez-vous me dire, mon ami, quel est ce malheureux qui semble rejeté de la société des hommes ?

— Ça ! c’est le maudit ! répliqua le pêcheur avec un air de menace.

— Mais quel maudit ? demanda Kernan.

— Yvenat, le juroux.

— Quel Yvenat ? quel juroux ?

— Il vaut mieux n’en pas parler, répliqua le bonhomme.

Il n’y avait rien à tirer du vieil entêté ; mais un soir, dans les premiers jours de février, cette question fut reprise sur une réflexion que fit Locmaillé lui-même. Tout le petit monde était réuni devant le vaste feu de la salle basse. Le temps était mauvais ; la pluie et le vent sifflaient au-dehors ; on entendait les ais de la porte et des volets gémir péniblement ; il se faisait aussi, dans le large tuyau de la cheminée, de grands engouffrements d’air qui rabattaient la flamme et la fumée dans la chambre.

Chacun était plongé dans ses pensées ; on écoutait rugir la tempête, quand le bonhomme dit, comme s’il se fût parlé à lui-même :

— Un bon temps et une bonne nuit pour le juroux ! on n’en pouvait pas choisir une plus belle !

— Ah ! tu veux parler de cet Yvenat, dit Henry.

— Du maudit ! oui ! mais bientôt, si on en parle encore, on ne le verra plus, du moins !

— Que veux-tu dire ?

— Je m’entends.

Et le bonhomme retomba dans ses réflexions, tout en prêtant l’oreille à quelque rumeur attendue.

— Henry, dit alors le comte, vous paraissez connaître l’histoire de ce malheureux, pourriez-vous nous dire quel est cet Yvenat, et quel est ce maudit ?

— Oui, monsieur Henry, dit la jeune fille, j’en ai entendu parler, j’ai même vu un infortuné sur l’île Tristan, mais je n’ai pu en apprendre davantage.

— Mademoiselle, répondit Trégolan, cet Yvenat est un prêtre constitutionnel, un assermenté, un juroux, comme ils disent, et depuis que la municipalité de Quimper est venue l’installer à sa cure, il n’a eu d’autre ressource que de se réfugier dans cette île pour échapper à la fureur de ses paroissiens !

— Ah ! s’écria le comte, c’est un assermenté, un de ces prêtres qui ont adhéré à la constitution civile du clergé !

— Comme vous dites, monsieur le comte, répondit Trégolan ; aussi, dès que la force armée qui l’avait installé a été partie, vous voyez ce qu’est devenu ce malheureux. Il a dû s’échapper dans une barque, et se réfugier au sommet de cette île, où il vit de quelques coquillages !

— Et comment ne s’enfuit-il pas ? demanda Kernan.

— On ne laisse pas une chaloupe approcher de l’île, et cet infortuné finira par périr.

— Ce ne sera pas long, murmura Locmaillé.

— Le malheureux ! dit le comte en poussant un profond soupir, voilà donc ce qu’il a gagné à se rallier à la constitution civile ! il n’a pas compris le rôle sublime du prêtre pendant ces époques de bouleversement et de terreurs !

— Oui, fit Trégolan, c’est une noble mission !

— Certes, reprit le comte avec enthousiasme, plus belle même que celui du Vendéen et du Breton qui ont couru aux armes pour la défense de la sainte cause ! J’ai vu de près ces ministres du ciel ! je les ai vus bénissant et absolvant une armée entière agenouillée avant la bataille ! je les ai vus célébrant la messe sur un tertre isolé avec une croix de bois, des vases de terre et des ornements de toile ; je les ai vus ensuite, se jetant dans la mêlée le crucifix à la main, secourir, consoler, absoudre les blessés jusque sous le feu des canons républicains, et là, ils m’ont paru plus enviables qu’autrefois dans la pompe des cérémonies religieuses.

En parlant ainsi, le comte semblait animé du feu sacré des martyrs ; son regard brillait d’une ardeur toute catholique ; on sentait en lui une inébranlable conviction, qui en eût fait un confesseur déterminé de la foi.

— Enfin, ajouta-t-il, pendant ce terrible temps d’épreuves, si je n’avais été ni époux ni père !… j’aurais voulu être prêtre !

Chacun regarda la figure du comte. Elle resplendissait.

En ce moment, une sourde rumeur se fit entendre au milieu des sifflements de la tempête ; des menaces humaines se mêlaient à la menace des éléments. C’était encore un bruit indécis ; mais sans doute Locmaillé savait à quoi s’en tenir, car il se leva en disant :

— Bon ! les voilà ! les voilà !

— Que se passe-t-il donc ? fit Kernan.

Il alla vers la porte ; celle-ci, à peine entre-bâillée, fut si violemment repoussée par le vent, que le robuste Breton n’eut pas trop de toute sa force pour la refermer.

Mais si peu qu’il eût regardé au-dehors, il avait aperçu sur la ligne du rivage des torches allumées qui s’agitaient dans les rafales ; des cris terribles retentissaient pendant les courts apaisements de la tempête. De sinistres scènes se préparaient pour la nuit.

Autrefois, avant la Révolution, les prêtres étaient en grande vénération dans toute la Bretagne ; ils n’avaient point trempé dans les excès ni dans les abus de pouvoir qui signalèrent le clergé des provinces plus avancées. Dans ce coin de la France, ils étaient bons, humbles, serviables, et faits pour ainsi dire du meilleur de la population. On les comptait en grand nombre, et personne ne songeait à s’en plaindre ; il y avait jusqu’à cinq prêtres par paroisse, et même quelquefois douze ; en somme, plus de quinze cents religieux dans le seul département du Finistère. Les curés, ou, pour les appeler comme en Bretagne, les recteurs, jouissaient d’un pouvoir considérable, mais considéré. Ils nommaient leurs desservants, ils enregistraient les actes de l’état civil, les contrats, les testaments ; ils étaient presque tous inamovibles et comptaient sous leurs ordres de nombreux jeunes clercs, qui vivaient avec les paysans, les instruisaient dans leurs devoirs religieux et leur apprenaient des cantiques.

Quand arriva le serment, lorsque la constitution civile du clergé fut décrétée, alors que tous les prêtres de France durent y adhérer, le clergé français se sépara en assermentés et en insermentés. Ceux-ci furent les plus nombreux ; ils refusèrent de jurer, et durent opter entre la prison ou l’exil ; une somme de trente-deux livres fut accordée à qui amènerait les récalcitrants au district, et enfin une loi du 26 août 1792 décréta leur déportation en masse.

Pendant un assez long temps, les prêtres réfractaires purent se soustraire aux dénonciations et aux poursuites de leurs ennemis ; mais la haine ne se lassa pas ; bientôt ils furent tous pris, déportés ou massacrés, et des départements entiers se virent privés de leurs vieux amis.

C’est ce qui arriva dans le Finistère, où le clergé fut très-vivement traqué ; les prêtres disparurent bientôt, et les secours de la religion manquèrent absolument.

Alors les Municipalités introduisirent les prêtres constitutionnels ; les paroissiens refusèrent de les recevoir. Il y eut lutte et bataille en plus d’un endroit ; les paysans chassèrent les jureurs ; plusieurs prises de possession de cure furent ensanglantées.

À Douarnenez, le 23 décembre 1792, les gardes nationaux de Quimper vinrent établir le prêtre Yvenat ; ce n’était point un méchant homme, loin de là ; avant cette malheureuse affaire du serment, il avait toujours rempli dignement son sacerdoce ; c’était certainement un homme de bien, à qui sa conscience ne défendait pas d’adhérer à une constitution que Louis XVI avait signée, après tout, et quoique assermenté, il eût certainement rempli dignement son ministère.

Mais c’était un jureur ; les paysans n’en voulurent point ; ils ne raisonnaient pas à cet égard ; c’était affaire de sentiment ; aussi, dès le début, les ennuis commencèrent pour le prêtre Yvenat ; il ne trouva personne pour le servir au presbytère ; les cordes de ses cloches furent coupées ; il ne pouvait faire sonner les offices ; aucun enfant ne voulut répondre la messe, aucun parent ne l’eût permis ; on préférait s’en passer ; enfin, le vin lui manquait pour le saint sacrifice ; pas un aubergiste n’eût osé lui en vendre. Yvenat eut beau faire, patienter, il n’obtint rien ; on ne lui parlait pas, puis quand on vint à lui parler, ce fut pour l’injurier ; des injures aux mauvais traitements il n’y avait qu’un pas, il fut franchi ; puis la superstition s’en mêla ; on vit dans ce jureur le mauvais génie, le maudit, on l’accusa des tempêtes ; on mit sur son compte les barques chavirées ; on s’ameuta, et enfin la colère publique prit de telles proportions, que le prêtre dut abandonner le presbytère ; il se réfugia dans l’île Tristan, où les pêcheurs le laissèrent mourant de faim ; il y avait plus d’un mois qu’il habitait ce roc isolé, vivant de mauvais légumes, pêchant au besoin ; la charité ne semblait pas faite pour lui.

Mais la patience des paysans devait avoir un terme, et leur colère revint avec les calamités qui, chaque jour, fondaient sur eux. Les Bretons échappés aux balles républicaines pendant la guerre de Vendée rentraient dans leurs foyers, épuisés, blessés, se traînant ; la misère s’accroissait ; la famine menaçait le pays. Tant de maux ne pouvaient être imputés qu’au maudit dans une contrée superstitieuse. Après avoir laissé cet infortuné végéter sur un roc nu, la haine se retourna vers lui ; jusqu’où elle irait, on ne pouvait le prévoir de la part de ces rudes paysans. Enfin le jour de l’explosion arriva et fut annoncé par ces cris que Kernan venait d’entendre.

Henry de Trégolan avait raconté tous les détails de la vie d’Yvenat à ses compagnons. Et quand Kernan lui apprit ce qu’il avait vu par la porte-entr'ouverte, il comprit que ces menaces s’adressaient au jureur, et qu’on en voulait à sa vie.

Il n’entrait pas dans la pensée de gens braves comme le comte et ses amis, qu’un homme seul, quelles que fussent ses fautes, pût être abandonné aux fureurs de toute une population ameutée, et d’un commun accord ils se levèrent.

— Mon père, s’écria Marie, où allez-vous ?

— Empêcher un crime ! répondit le comte.

— Restez, notre maître, dit Kernan ; M. de Trégolan et moi, nous sommes là, ma nièce Marie ne peut demeurer seule. Venez, monsieur Henry, venez !

— Je vous suis, répondit le jeune homme, qui serra précipitamment la main du comte ; puis Kernan et lui s’élancèrent au-dehors, pendant que le bonhomme Locmaillé secouait la tête d’un air de désapprobation.

Henry et Kernan se précipitèrent vers la plage, du côté où les cris plus distincts arrivaient jusqu’à eux. Là les gens de Douarnenez, mêlés à ceux de Pont-Croix, de Poullan, de Crozon, marchaient en pleine tempête, accompagnés de femmes, d’enfants, et secouant leurs torches de résine enflammée ; ils traversèrent en bateau la rivière du Guet, et prenant par la côte opposée, ils arrivèrent devant l’île Tristan.

Le Breton et le jeune homme avaient si bien manœuvré, qu’ils se trouvaient au premier rang de la foule. Songer à la retenir eût été une folie, il valait mieux tenter de lui arracher sa victime.

À ce moment, les plus irrités des pêcheurs se jetèrent dans des barques au nombre d’une vingtaine, et ramèrent vers l’île.

La foule, restée sur la plage, hurlait, et l’on entendait ces cris de haine :

— À mort ! à mort ! le juroux !

— Cassez-lui la tête d’un coup de pen-bas !

— Un bon coup de ferte au maudit !

Le malheureux prêtre, éveillé par ces vociférations, était sorti de sa hutte ; on le voyait courir sur cette île sans issue, épouvanté, effaré ; il se sentait voué à une mort affreuse ; il allait et venait, les cheveux hérissés, et vêtu d’une mauvaise soutane toute déchirée aux arêtes aiguës des rocs.

Bientôt les assaillants accostèrent l’île et se dirigèrent vers le maudit ; ils couraient en secouant leurs torches. Kernan, comme s’il eût été le plus ardent à la vengeance, les devançait tous.

Yvenat, éperdu, s’était enfui vers la mer ; mais enfin, acculé à un rocher, il n’avait plus moyen de s’échapper, il fallait périr ; les cris retentissaient autour de lui, et toutes les angoisses de la dernière heure se peignaient sur son visage livide.

Deux ou trois pêcheurs, le bâton levé, se précipitèrent vers lui ; mais, plus rapide, Kernan le saisit à bras-le-corps, le souleva, et avec lui se lança dans les flots noirs et écumants.

— Kernan ! s’écria le chevalier.

— À mort ! à mort ! s’écrièrent les assaillants, qui se penchaient sur l’abîme. Noie-le comme un chien !

Cependant Kernan, invisible dans l’ombre, remonta à la surface de l’eau avec Yvenat, qui ne savait pas nager ; il le soutint, et, quand la connaissance fut revenue au prêtre :

— Tenez-moi bien, lui dit-il.

— Grâce ! s’écria le malheureux.

— Je vous sauve !

— Vous !

— Oui ; gagnons un point de la côte ! N’ayez pas peur ! appuyez-vous sur moi.

Le prêtre, sans se rendre compte de ce secours inattendu, ne comprit qu’une chose, c’est que sa vie pouvait être sauvée. Il se cramponna au vigoureux Breton, qui nageait d’un bras robuste, pendant que les cris de mort retentissaient dans les ténèbres.

Au bout d’une demi-heure, Kernan et le prêtre abordèrent sur la côte, bien au-dessous de l’île. Le prêtre était épuisé.

— Pouvez-vous marcher ? lui demanda le Breton.

— Oui ! oui ! s’écria Yvenat en faisant un suprême effort.

— Eh bien ! prenez par les champs, évitez les maisons, vous avez la nuit devant vous ! Que le matin vous trouve du côté de Brest ou de Quimper.

— Mais qui êtes-vous ? demanda le prêtre avec un vif accent de reconnaissance.

— Un ennemi, répondit Kernan. Allez ! que le Ciel vous conduise, s’il a encore pitié de vous.

Yvenat voulut serrer la main de son sauveur ; mais celui-ci s’était déjà éloigné ; le prêtre alors, se traînant vers les plaines incultes, disparut dans la nuit.

Kernan avait repris le chemin de la côte ; il revint vers la foule des pêcheurs.

— Le maudit ! le maudit ! lui crièrent cent voix haineuses.

— Mort ! répondit le Breton.

Un immense silence succéda à cette réponse, et cependant personne n’entendit Kernan murmurer à l’oreille du jeune homme :

— Il est sauvé, monsieur Henry ! Voilà une bonne action dont je ferai pénitence !

 

XI -  Quelques Jours de Bonheur.

Après cette terrible soirée, dans laquelle la colère de toute une population se déchaîna contre un seul homme, le village de Douarnenez reprit son calme habituel, et, il faut le dire, les pécheurs retournèrent à leurs travaux accoutumés avec plus de confiance ; depuis la mort du maudit, ils ne pensaient pas avoir à redouter les représailles des républicains, qui ne connaissaient rien de l’affaire. Il n’en était pas ainsi du comte et de ses amis ; ils devaient craindre que le premier acte de la liberté d’Yvenat ne fût une dénonciation en règle contre les habitants de Douarnenez. On pouvait donc s’attendre, un jour ou l’autre, à la visite des gardes nationaux du département et des forcenés des villes.

De là un danger sérieux pour le comte et pour sa fille.

Quelques jours se passèrent dans les plus vives inquiétudes ; Kernan fit même ses préparatifs pour le cas où un départ subit fût devenu nécessaire. Mais enfin, une semaine après les événements, rien ne légitimant la crainte d’une invasion des républicains, le comte commença à se rassurer.

Ou Yvenat n’avait pu gagner les villes, et était retombé entre les mains de ses paroissiens, ou, ne voulant pas se venger de ses ennemis, il avait pris le parti de rentrer dans l’ombre.

Il existait aussi une troisième hypothèse : que les municipalités des villes, les délégués du Comité de salut public, trop occupés de la guerre vendéenne qu’il fallait terminer, et de la chouannerie qui prenait naissance, n’eussent pas de temps à consacrer à la vengeance du prêtre Yvenat.

Quoi qu’il en soit, le pays demeura tranquille ; le comte reprit peu à peu confiance et retomba dans ses préoccupations habituelles. À le considérer, on voyait combien le malheur l’avait rapidement vieilli ; Kernan s’en effrayait quelquefois ; il lui semblait d’ailleurs que son maître était dominé par une grande idée, dont lui n’avait pas le secret. Véritable peine pour le fidèle Breton, habitué à partager toutes les pensées du comte ; mais il respectait le silence dans lequel celui-ci se renfermait.

Marie avait aussi remarqué combien son père se retirait de plus en plus en lui-même. Toutes les fois qu’elle pénétrait dans sa chambre, elle le voyait le plus souvent agenouillé et priant avec une extrême ferveur. Elle revenait alors tout émue et se sentait prise d’une indéfinissable inquiétude qu’elle ne voulut pas cacher à Kernan. Celui-ci la rassurait de son mieux, sans être rassuré lui-même.

Cependant, les jours se succédaient avec la série de leurs incidents peu variés. La pêche allait tant bien que mal, et les hôtes de Locmaillé étaient réduits à manger ses produits plus souvent qu’à les vendre. L’hiver avait été fort rigoureux : Marie travaillait à ses grosses chemises, et ses faibles doigts se tiraient à leur honneur de cette tâche ingrate ; souvent même, Trégolan l’aidait dans la partie des gros ourlets qu’elle n’avait pas la force de coudre, et quand il ne faisait pas le métier de pêcheur, assis à ses côtés, il faisait bravement celui de couturière. D’ailleurs, à cette époque, plus d’un gentilhomme émigré dut demander ainsi l’existence à l’ouvrage de ses mains ; ce n’était pas déroger, au contraire. Henry commettait souvent bien des maladresses et des gaucheries dont souriait la jeune fille ; cependant, aidée ou non, elle ne gagnait guère plus de cinq à six sols par jour.

Pendant ces quelques heures de travail, Henry avait raconté toute sa vie, et toute l’histoire de cette pauvre sœur qu’il aimait tant. Marie trouvait dans son cœur de douces consolations pour le jeune homme.

— Monsieur Henry, lui disait-elle, ne puis-je être votre sœur ? ne dois-je pas remplacer près de vous cette sainte martyre dont la mort m’a sauvée ?

— Oui ! répondait le chevalier, vous êtes ma sœur ; vous êtes belle et bonne comme elle ! vous avez son cœur et ses yeux ; c’est son âme tout entière que je retrouve en vous ! oui ! vous êtes ma sœur, et ma sœur bien-aimée !

Alors il s’arrêtait, et souvent s’enfuyait pour ne pas en dire davantage ; car il sentait un autre sentiment, plus fort que celui de l’amour fraternel, l’envahir tout entier.

La jeune fille, bien qu’elle ne se rendît pas compte de l’état de son âme, sentait aussi une émotion inconnue se glisser en son cœur ; mais elle prenait cette émotion pour la reconnaissance poussée à l’extrême envers son sauveur.

Cependant le secret de pareils sentiments ne peut demeurer éternellement dans les âmes généreuses sans faire irruption au-dehors ; celui qui aime véritablement est souvent débordé par son amour ; il faut qu’il parle, et, comme Henry se serait gardé sur toutes choses de déclarer ses véritables sentiments à la jeune fille, il cherchait dans Kernan le confident obligé.

Le Breton avait tout vu, mais il laissait venir.

Henry causa d’abord fort évasivement.

— Si le comte venait à manquer à sa fille, lui dit-il un jour, que deviendrait-elle ? ne serait-ce pas une situation funeste que celle de cette orpheline ? comment la pauvre proscrite pourrait-elle échapper à ses ennemis ?

— Je serais là, répondit Kernan en souriant.

— Sans doute, reprit Henry, sans doute ; mais, mon brave Kernan, qui sait où la destinée vous entraînera ! Le comte ne peut-il vous rappeler sous les drapeaux de l’armée catholique, eh bien ! dans ce cas, qui protégerait Marie ?

Kernan pouvait facilement répondre que ni le comte ni le serviteur n’abandonneraient ensemble la demoiselle de Chanteleine, mais il feignit d’accepter l’argument du chevalier comme irréfutable.

— Oui ! dit-il, qui la protégerait alors ? Ah ! monsieur Henry, il lui faudrait un brave cœur pour l’aimer, et le bras d’un mari pour la défendre ! Mais qui oserait prendre à sa charge cette jeune fille proscrite et sans fortune ?

— Il ne faudrait pas être bien audacieux pour le faire, répondit Henry avec vivacité, la connaissant comme nous pouvons la connaître ! Marie a passé par de terribles épreuves, et elle fera une digne femme, la femme qu’il faut à un honnête homme pour traverser les époques révolutionnaires.

— Vous avez raison, monsieur Henry, reprit Kernan, si on la connaissait, mais on ne la connaît pas, et il n’y a guère d’apparence que dans ce village de Douarnenez nous trouvions jamais le mari qui convient à ma nièce.

En parlant ainsi, le Breton voulait obliger le jeune homme à s’ouvrir plus clairement ; mais cette réponse produisit un effet tout opposé. Le chevalier crut voir dans ces paroles une désapprobation complète. Et ce jour-là il n’en dit pas davantage, ce dont Kernan fut très-vexé.

Le mois de février se passa. Pendant la semaine, chacun travaillait de son mieux ; le dimanche, le comte lisait l’office divin dans la salle basse, et ces pieuses gens y apportaient une ferveur vraiment catholique ; ils imploraient le ciel pour leurs martyrs, et, en vrais chrétiens, ils priaient aussi pour leurs ennemis, sauf Kernan. Le Breton faisait seul exception ; il n’était pas chrétien jusqu’à l’oubli des injures, et chaque soir sa prière était suivie d’un serment de vengeance.

Puis, quand le temps était beau, Kernan proposait une promenade sur la côte. Le plus souvent le comte restait à la maison. Alors Henry, Kernan et Marie s’en allaient par les rochers ; ils gravissaient la colline sur laquelle est assis le village de Douarnenez ; ils remontaient la grande route du côté de l’église qui domine la baie, et de là leurs regards se perdaient sur ce morceau de mer largement ouvert à l’horizon, qui a ses tempêtes et ses sinistres comme l’Océan. Quel magnifique spectacle que celui de cette baie agitée et furieuse ! On apercevait quelque barque attardée qui, sa voile au bas-ris, luttait avec les vagues, disparaissait parfois, et se voyait entraînée souvent loin du port ; de là, l’œil suivait jusqu’à la pointe du raz ce long promontoire qui s’enfonçait dans la mer.

Henry, très au courant des choses du pays, faisait admirer ces beaux points de vue à sa compagne ; il l’instruisait ; il lui nommait tous les clochers, ceux de Poullan, de Beuzec, de Pont-Croix, de Plogoff, qui signalaient alors tant de paroisses désertes.

Puis les promenades se prolongeaient jusque du côté de Sainte-Anne de la Palud ; on tournait la baie ; on apercevait au loin la chaîne des monts d’Aray affaissés sur eux-mêmes comme des montagnes fatiguées qui se seraient couchées dans la plaine.

Un autre jour, les promeneurs faisaient bravement leurs quatre lieues de pays et allaient écouter l’Océan mugir à la pointe du Raz. Là, le ressac produisait des effets merveilleux et terribles sur les rocs de cette petite baie au nom sinistre, qui s’appelle la baie des Trépassés. Ce spectacle des flots irrités impressionnait vivement la jeune fille ; elle se serrait au bras du chevalier quand les nappes d’écume enlevées par le vent retombaient en bruyantes cataractes.

Il y avait aussi certaines vieilles légendes qu’Henry racontait et dont la plus célèbre est celle de la fille du roi Canut, qui livra au diable les clés d’un puits immense et sans fond. C’était du temps où des plaines immenses s’étalaient à la place de la baie ; mais les portes du puits ayant été imprudemment ouvertes, les flots firent irruption, noyèrent les villes, les habitants, les troupeaux, tout ce pays alors si fertile, et formèrent ce bras de mer qui s’est appelé depuis la baie de Douarnenez.

— Un singulier temps que celui où l’on croyait à de pareilles choses, disait Henry.

— Ne valait-il pas notre siècle de malheur ? répondait Kernan.

— Non, Kernan, reprenait le jeune homme, car les époques d’ignorance et de superstitions sont toujours détestables ; il n’en peut rien sortir de bon ; tandis que, lorsque Dieu aura pris pitié de la France, qui sait si de ces épouvantables excès l’humanité n’aura pas retiré quelque profit que nous ne pouvons prévoir ! Les voies du ciel sont impénétrables, et dans le mal se trouve toujours le germe du bien.

Puis, en causant ainsi, en se faisant un fond d’espérance pour l’avenir, on revenait tranquillement à la maison, et de ces longues courses on rapportait un bon appétit. C’étaient véritablement des jours heureux pour ce petit monde, et n’eût été la profonde préoccupation du comte, ces pauvres proscrits n’auraient rien demandé que la continuation de ce bonheur.

Cependant Henry n’avait pas renouvelé sa tentative auprès de Kernan, bien qu’il eût surpris souvent le Breton à regarder la jeune fille et lui avec un malin sourire.

Mais Marie, qui n’y entendait pas malice, naïve et simple, ne se gênait pas pour parler à son oncle du chevalier de Trégolan ; elle le faisait même à son insu avec un véritable enthousiasme.

— Un bien excellent cœur ! disait-elle ; un véritable cœur de gentilhomme, et tel que je ne pourrais souhaiter d’autre frère que lui.

Kernan la laissait dire.

— Quelquefois même, reprenait Marie, je me demande si nous n’abusons pas de sa générosité ! car il travaille pour nous, ce pauvre M. Henry, il se donne bien du mal, et nous ne pourrons jamais le payer de ses peines !

Kernan ne répliquait pas.

— Ajoute, continuait la jeune fille, qui se figurait sans doute que le Breton répondait affirmativement à toutes ses questions, ajoute qu’il n’est pas proscrit, lui, qu’il a des protecteurs, puisqu’il a pu obtenir à Paris la grâce de sa sœur ! Et cependant, il reste dans ce pays, dans cette cabane ; il se condamne à un rude métier, il y risque sa vie ; et cela, pour qui ? pour nous ! Oh ! il faudra bien que le ciel le récompense un jour, car nous, nous serons impuissants à le faire.

Kernan se taisait toujours, mais il souriait en songeant que la récompense n’était pas loin.

— Enfin, dit Marie, est-ce que tu ne trouves pas que c’est un digne jeune homme ?

— Certes, répondit Kernan, ton père n’en voudrait pas d’autre pour fils, et moi, ma nièce Marie, je n’en voudrais pas d’autre pour neveu.

Ce fut la seule allusion que se permît le Breton, mais il ne sut pas si elle fut comprise. Cependant il est probable qu’en causant avec le chevalier, Marie lui rapporta l’opinion de Kernan à son égard. En effet, quelques jours plus tard, Henry se trouvant à la pêche avec Kernan, lui fit les plus complètes ouvertures en rougissant et en laissant échapper ses filets.

— Il faut en parler au père, se contenta de répondre le Breton.

— Tout de suite ! s’écria le chevalier, effrayé d’une telle hâte.

— En rentrant.

— Mais… fit le jeune homme.

— Mettez donc la barre au vent, ou nous allons ralinguer.

Et ce fut tout. Henry redressa la barre, mais il la tenait si mal, que Kernan fut obligé de prendre place au gouvernail.

Ceci se passait le 20 mars ; pendant les jours précédents le comte avait paru plus soucieux que d’habitude ; plusieurs fois il avait pris sa fille dans ses bras et l’avait serrée sur son cœur sans prononcer une parole. Lorsque Kernan fut de retour après la pêche, une pêche d’amoureux pour tout dire et qui fut assez mauvaise, il s’adressa d’abord à Marie.

— Où est ton père ? lui demanda-t-il.

— Mon père est sorti, répondit la jeune fille.

— Tiens ! cela est singulier, fit Kernan ; ce n’est guère dans ses habitudes.

— Il ne vous a rien dit, mademoiselle ? dit Henry.

— Non ! je lui ai proposé de l’accompagner ; mais il s’est contenté, pour toute réponse, de m’embrasser bien affectueusement, et il est parti.

— Eh bien, attendons son retour, monsieur Henry, dit Kernan.

— Vous aviez à lui parler ? demanda la jeune fille.

— Oui, mademoiselle, balbutia Henry.

— Oui, répondit Kernan, une bêtise, un rien ; attendons.

Ils attendirent ; l’heure du souper arriva sans que le comte fût de retour. On patienta, mais bientôt on commença à s’inquiéter. Le bonhomme Locmaillé avait vu le comte se diriger vers la route de Chateaulin ; il marchait rapidement, un bâton à la main, comme quelqu’un qui voyage.

— Qu’est-ce que cela veut dire ? s’écria Marie.

— Comment ! il serait parti sans nous prévenir.

Henry se précipita dans l’escalier et monta à la chambre du comte ; il redescendit bientôt, tenant à la main une lettre, qu’il remit à Marie ; elle ne contenait que ces mots :

« Ma fille, je pars pour quelques jours. Que Kernan veille sur toi ! Prie pour ton père,

Wednesday, 16 December 2020

Excellent Readings: Sonnet LXXVI by William Shakespeare (in English)

Why is my verse so barren of new pride,
So far from variation or quick change?
Why with the time do I not glance aside
To new-found methods, and to compounds strange?
Why write I still all one, ever the same,
And keep invention in a noted weed,
That every word doth almost tell my name,
Showing their birth, and where they did proceed?
O! know sweet love I always write of you,
And you and love are still my argument;
So all my best is dressing old words new,
Spending again what is already spent:
   For as the sun is daily new and old,
   So is my love still telling what is told.

Tuesday, 15 December 2020

Tuesday’s Serial: “On War” by General Carl von Clausewitz (Translated into English by Colonel J.J. Graham) – XXX

CHAPTER XVIII - Defence of Streams and Rivers

Streams and large rivers, in so far as we speak of their defence, belong, like mountains, to the category of strategic barriers. But they differ from mountains in two respects. The one concerns their relative, the other their absolute defence.

Like mountains, they strengthen the relative defence; but one of their peculiarities is, that they are like implements of hard and brittle metal, they either stand every blow without bending, or their defence breaks and then ends altogether. If the river is very large, and the other conditions are favourable, then the passage may be absolutely impossible. But if the defence of any river is forced at one point, then there cannot be, as in mountain warfare, a persistent defence afterwards; the affair is finished with that one act, unless that the river itself runs between mountains.

The other peculiarity of rivers in relation to war is, that in many cases they admit of very good, and in general of better combinations than mountains for a decisive battle.

Both again have this property in common, that they are dangerous and seductive objects which have often led to false measures, and placed generals in awkward situations. We shall notice these results in examining more closely the defence of rivers.

Although history is rather bare in examples of rivers defended with success, and therefore the opinion is justified that rivers and streams are no such formidable barriers as was once supposed, when an absolute defensive system seized all means of strengthening itself which the country offered, still the influence which they exercise to the advantage of the battle, as well as of the defence of a country, cannot be denied.

In order to look over the subject in a connected form, we shall specify the different points of view from which we propose to examine it.

First and foremost, the strategic results which streams and rivers produce through their defence, must be distinguished from the influence which they have on the defence of a country, even when not themselves specially defended.

Further, the defence itself may take three different forms:—

 

1. An absolute defence with the main body.

2. A mere demonstration of resistance.

3. A relative resistance by subordinate bodies of troops, such as outposts, covering lines, flanking corps, etc.

 

Lastly, we must distinguish three different degrees or kinds of defence, in each of its forms, namely—

 

1. A direct defence by opposing the passage.

2. A rather indirect one, by which the river and its valley are only used as a means towards a better combination for the battle.

3. A completely direct one, by holding an unassailable position on the enemy’s side of the river.

 

We shall subdivide our observations, in conformity with these three degrees, and after we have made ourselves acquainted with each of them in its relation to the first, which is the most important of the forms, we shall then proceed to do the same in respect to their relations to the other two. Therefore, first, the direct defence, that is, such a defence as is to prevent the passage of the enemy’s army itself.

This can only come into the question in relation to large rivers, that is, great bodies of water.

The combinations of space, time, and force, which require to be looked into as elements of this theory of defence, make the subject somewhat complicated, so that it is not easy to gain a sure point from which to commence. The following is the result at which every one will arrive on full consideration.

The time required to build a bridge determines the distance from each other at which the corps charged with the defence of the river should be posted. If we divide the whole length of the line of defence by this distance, we get the number of corps required for the defence; if with that number we divide the mass of troops disposable, we shall get the strength of each corps. If we now compare the strength of each single corps with the number of troops which the enemy, by using all the means in his power, can pass over during the construction of his bridge, we shall be able to judge how far we can expect a successful resistance. For we can only assume the forcing of the passage to be impossible when the defender is able to attack the troops passed over with a considerable numerical superiority, say the double, before the bridge is completed. An illustration will make this plain.

If the enemy requires twenty-four hours for the construction of a bridge, and if he can by other means only pass over 20,000 men in those twenty-four hours, whilst the defender within twelve hours can appear at any point whatever with 20,000 men, in such case the passage cannot be forced; for the defender will arrive when the enemy engaged in crossing has only passed over the half of 20,000. Now as in twelve hours, the time for conveying intelligence included, we can march four miles, therefore every eight miles 20,000 men would be required, which would make 60,000 for the defence of a length of twenty-four miles of river. These would be sufficient for the appearance of 20,000 men at any point, even if the enemy attempted the passage at two points at the same time; if at only one point twice 20,000 could be brought to oppose him at that single point.

Here, then, there are three circumstances exercising a decisive influence: (1) the breadth of the river; (2) the means of passage, for the two determine both the time required to construct the bridge, and the number of troops that can cross during the time the bridge is being built; (3) the strength of the defender’s army. The strength of the enemy’s force itself does not as yet come into consideration. According to this theory we may say that there is a point at which the possibility of crossing completely stops, and that no numerical superiority on the part of the enemy would enable him to force a passage.

This is the simple theory of the direct defence of a river, that is, of a defence intended to prevent the enemy from finishing his bridge and from making the passage itself; in this there is as yet no notice taken of the effect of demonstrations which the enemy may use. We shall now bring into consideration particulars in detail, and measures requisite for such a defence.

Setting aside, in the first place, geographical peculiarities, we have only to say that the corps as proposed by the present theory, must be posted close to the river, and each corps in itself concentrated. It must be close to the river, because every position further back lengthens unnecessarily and uselessly the distance to be gone over to any point menaced; for as the waters of the river give security against any important movement on the part of the enemy, a reserve in rear is not required, as it is for an ordinary line of defence, where there is no river in front. Besides, the roads running parallel to and near a river up and down, are generally better than transverse roads from the interior leading to any particular points on the river. Lastly, the river is unquestionably better watched by corps thus placed than by a mere chain of posts, more particularly as the commanders are all close at hand.—Each of these corps must be concentrated in itself, because otherwise all the calculation as to time would require alteration. He who knows the loss of time in effecting a concentration, will easily comprehend that just in this concentrated position lies the great efficacy of the defence. No doubt, at first sight, it is very tempting to make the crossing, even in boats, impossible for the enemy by a line of posts; but with a few exceptions of points, specially favourable for crossing, such a measure would be extremely prejudicial. To say nothing of the objection that the enemy can generally drive off such a post by bringing a superior force to bear on it from the opposite side, it is, as a rule, a waste of strength, that is to say, the most that can be obtained by any such post, is to compel the enemy to choose another point of passage. If, therefore, we are not so strong that we can treat and defend the river like a ditch of a fortress, a case for which no new precept is required, such a method of directly defending the bank of a river leads necessarily away from the proposed object. Besides these general principles for positions, we have to consider—first, the examination of the special peculiarities of the river; second, the removal of all means of passage; third, the influence of any fortresses situated on the river.

A river, considered as a line of defence, must have at the extremities of the line, right and left, points d’appui, such as, for instance, the sea, or a neutral territory; or there must be other causes which make it impracticable for the enemy to turn the line of defence by crossing beyond its extremities. Now, as neither such flank supports nor such impediments are to be found, unless at considerable distances, we see at once that the defence of a river must embrace a considerable portion of its length, and that, therefore, the possibility of a defence by placing a large body of troops behind a relatively short length of the river vanishes from the class of possible facts (to which we must always confine ourselves). We say a relatively short length of the river, by which we mean a length which does not very much exceed that which the same number of troops would usually occupy on an ordinary position in line without a river. Such cases, we say, do not occur, and every direct defence of a river always becomes a kind of cordon system, at least as far as regards the extension of the troops, and therefore is not at all adapted to oppose a turning movement on the part of the enemy in the same manner which is natural to an army in a concentrated position. Where, therefore, such turning movement is possible, the direct defence of the river, however promising its results in other respects, is a measure in the highest degree dangerous.

Now, as regards the portion of the river between its extreme points, of course we may suppose that all points within that portion are not equally well suited for crossing. This subject admits of being somewhat more precisely determined in the abstract, but not positively fixed, for the very smallest local peculiarity often decides more than all which looks great and important in books. Besides, it is wholly unnecessary to lay down any rules on this subject, for the appearance of the river, and the information to be obtained from those residing near it, will always amply suffice, without referring back to books.

As matters of detail, we may observe that roads leading down upon a river, its affluents, the great towns through which it passes, and lastly above all, its islands, generally favour a passage the most; that on the other hand, the elevation of one bank over another, and the bend in the course of the river at the point of passage, which usually act such a prominent rôle in books, are seldom of any consequence. The reason of this is, that the presumed influence of these two things rests on the limited idea of an absolute defence of the river bank—a case which seldom or never happens in connection with great rivers.

Now, whatever may be the nature of the circumstances which make it easier to cross a river at particular points, they must have an influence on the position of the troops, and modify the general geometrical law; but it is not advisable to deviate too far from that law, relying on the difficulties of the passage at many points. The enemy would choose exactly those spots which are the least favourable by nature for crossing, if he knew that these are the points where there is the least likelihood of meeting us.

In any case the strongest possible occupation of islands is a measure to be recommended, because a serious attack on an island indicates in the surest way the intended point of passage.

As the corps stationed close to a river must be able to move either up or down along its banks according as circumstances require, therefore if there is no road parallel to the river, one of the most essential preparatory measures for the defence of the river is to put the nearest small roads running in a parallel direction into suitable order, and to construct such short roads of connection as may be necessary.

The second point on which we have to speak, is the removal of the means of crossing.—On the river itself the thing is no easy matter, at least requires considerable time; but on the affluents which fall into the river, particularly those on the enemy’s side, the difficulties are almost insurmountable, as these branch rivers are generally already in the hands of the enemy. For that reason it is important to close the mouths of such rivers by fortifications.

As the equipment for crossing rivers which an enemy brings with him, that is his pontoons, are rarely sufficient for the passage of great rivers, much depends on the means to be found on the river itself, its affluents, and in the great towns adjacent, and lastly, on the timber for building boats and rafts in forests near the river. There are cases in which all these circumstances are so unfavourable, that the crossing of a river is by that means almost an impossibility.

Lastly, the fortresses, which lie on both sides, or on the enemy’s side of the river, serve both to prevent any crossing at any points near them, up or down the river, and as a means of closing the mouths of affluents, as well as to receive immediately all craft or boats which may be seized.

So much as to the direct defence of a river, on the supposition that it is one containing a great volume of water. If a deep valley with precipitous sides or marshy banks, are added to the barrier of the river itself, then the difficulty of passing and the strength of the defence are certainly increased; but the volume of water is not made up for by such obstacles, for they constitute no absolute severance of the country, which is an indispensable condition of direct defence.

If we are asked what rôle such a direct river defence can play in the strategic plan of the campaign, we must admit that it can never lead to a decisive victory, partly because the object is not to let the enemy pass over to our side at all, or to crush the first mass of any size which passes; partly because the river prevents our being able to convert the advantages gained into a decisive victory by sallying forth in force.

On the other hand, the defence of a river in this way may produce a great gain of time, which is generally all important for the defensive. The collecting the means of crossing, takes up often much time; if several attempts fail a good deal more time is gained. If the enemy, on account of the river, gives his forces an entirely different direction, then still further advantages may be gained by that means. Lastly, whenever the enemy is not in downright earnest about advancing, a river will occasion a stoppage in his movements and thereby afford a durable protection to the country.

A direct defence of a river, therefore, when the masses of troops engaged are considerable, the river large, and other circumstances favourable, may be regarded as a very good defensive means, and may yield results to which commanders in modern times (influenced only by the thought of unfortunate attempts to defend rivers, which failed from insufficient means), have paid too little attention. For if, in accordance with the supposition just made (which may easily be realized in connection with such rivers as the Rhine or the Danube), an efficient defence of 24 miles of river is possible by 60,000 men in face of a very considerably superior force, we may well say that such a result deserves consideration.

We say, in opposition to a considerably superior force, and must again recur to that point. According to the theory we have propounded, all depends on the means of crossing, and nothing on the numerical strength of the force seeking to cross, always supposing it is not less than the force which defends the river. This appears very extraordinary, and yet it is true. But we must take care not to forget that most defences of rivers, or, more properly speaking, the whole, have no absolute points d’appui, therefore, may be turned, and this turning movement will be very much easier if the enemy has very superior numbers.

If now we reflect that such a direct defence of a river, even if overcome by the enemy, is by no means to be compared to a lost battle, and can still less lead to a complete defeat, since only a part of our force has been engaged, and the enemy, detained by the tedious crossing over of his troops on a single bridge, cannot immediately follow up his victory, we shall be the less disposed to despise this means of defence.

In all the practical affairs of human life it is important to hit the right point; and so also, in the defence of a river, it makes a great difference whether we rightly appreciate our situation in all its relations; an apparently insignificant circumstance may essentially alter the case, and make a measure which is wise and effective in one instance, a disastrous mistake in another. This difficulty of forming a right judgment and of avoiding the notion that “a river is a river” is perhaps greater here than anywhere else, therefore we must especially guard against false applications and interpretations; but having done so, we have also no hesitation in plainly declaring that we do not think it worth while to listen to the cry of those who, under the influence of some vague feeling, and without any fixed idea, expect everything from attack and movement, and think they see the most true picture of war in a hussar at full gallop brandishing his sword over his head.

Such ideas and feelings are not always all that is required (we shall only instance here the once famous dictator Wedel, at Züllichau, in 1759); but the worst of all is that they are seldom durable, and they forsake the general at the last moment if great complex cases branching out into a thousand relations bear heavily upon him.

We therefore believe that a direct defence of a river with large bodies of troops, under favourable conditions, can lead to successful results if we content ourselves with a moderate negative: but this does not hold good in the case of smaller masses. Although 60,000 men on a certain length of river could prevent an army of 100,000 or more from passing, a corps of 10,000 on the same length would not be able to oppose the passage of a corps of 10,000 men, indeed, probably, not of one half that strength if such a body chose to run the risk of placing itself on the same side of the river with an enemy so much superior in numbers. The case is clear, as the means of passing do not alter.

We have as yet said little about feints or demonstrations of crossing, as they do not essentially come into consideration in the direct defence of a river, for partly such defence is not a question of concentration of the army at one point, but each corps has the defence of a portion of the river distinctly allotted to it; partly such simulated intentions of crossing are also very difficult under the circumstances we have supposed. If, for instance, the means of crossing in themselves are already limited, that is, not in such abundance as the assailant must desire to ensure the success of his undertaking, he will then hardly be able or willing to apply a large share to a mere demonstration: at all events the mass of troops to be passed over at the true point of crossing must be so much the less, and the defender gains again in time what through uncertainty he may have lost.

This direct defence, as a rule, seems only suitable to large rivers, and on the last half of their course.

The second form of defence is suitable for smaller rivers with deep valleys, often also for very unimportant ones. It consists in a position taken up further back from the river at such a distance that the enemy’s army may either be caught in detail after the passage (if it passes at several points at the same time) or if the passage is made by the whole at one point, then near the river, hemmed in upon one bridge and road. An army with the rear pressed close against a river or a deep valley, and confined to one line of retreat, is in a most disadvantageous position for battle; in the making proper use of this circumstance, consists precisely the most efficacious defence of rivers of moderate size, and running in deep valleys.

The disposition of an army in large corps close to a river which we consider the best in a direct defence, supposes that the enemy cannot pass the river unexpectedly and in great force, because otherwise, by making such a disposition, there would be great danger of being beaten in detail. If, therefore, the circumstances which favour the defence are not sufficiently advantageous, if the enemy has already in hand ample means of crossing, if the river has many islands or fords, if it is not broad enough, if we are too weak, etc., etc., then the idea of that method may be dismissed: the troops for the more secure connection with each other must be drawn back a little from the river, and all that then remains to do is to ensure the most rapid concentration possible upon that point where the enemy attempts to cross, so as to be able to attack him before he has gained so much ground that he has the command of several passages. In the present case the river or its valley must be watched and partially defended by a chain of outposts whilst the army is disposed in several corps at suitable points and at a certain distance (usually a few leagues) from the river.

The most difficult point lies here in the passage through the narrow way formed by the river and its valley. It is not now only the volume of water in the river with which we are concerned, but the whole of the defile, and, as a rule, a deep rocky valley is a greater impediment to pass than a river of considerable breadth. The difficulty of the march of a large body of troops through a long defile is in reality much greater than appears at first consideration. The time required is very considerable; and the danger that the enemy during the march may make himself master of the surrounding heights must cause disquietude. If the troops in front advance too far, they encounter the enemy too soon, and are in danger of being overpowered; if they remain near the point of passage then they fight in the worst situation. The passage across such an obstacle of ground with a view to measure strength with the enemy on the opposite side is, therefore, a bold undertaking, or it implies very superior numbers and great confidence in the commander.

Such a defensive line cannot certainly be extended to such a length as in the direct defence of a great river, for it is intended to fight with the whole force united, and the passages, however difficult, cannot be compared in that respect with those over a large river; it is, therefore, much easier for the enemy to make a turning movement against us. But at the same time, such a movement carries him out of his natural direction (for we suppose, as is plain in itself, that the valley crosses that direction at about right angles), and the disadvantageous effect of a confined line of retreat only disappears gradually, not at once, so that the defender will still always have some advantage over the advancing foe, although the latter is not caught exactly at the crisis of the passage, but by the detour he makes is enabled to get a little more room to move.

As we are not speaking of rivers in connection only with the mass of their waters, but have rather more in view the deep cleft or channel formed by their valleys, we must explain that under the term we do not mean any regular mountain gorge, because then all that has been said about mountains would be applicable. But, as every one knows, there are many level districts where the channels of even the smallest streams have deep and precipitous sides; and, besides these, such as have marshy banks, or whose banks are otherwise difficult of approach, belong to the same class.

Under these conditions, therefore, an army on the defensive, posted behind a large river or deep valley with steep sides, is in a very excellent position, and this sort of river defence is a strategic measure of the best kind.

Its defect (the point on which the defender is very apt to err) is the over-extension of the defending force. It is so natural in such a case to be drawn on from one point of passage to another, and to miss the right point where we ought to stop; but then, if we do not succeed in fighting with the whole army united, we miss the intended effect; a defeat in battle, the necessity of retreat, confusion in many ways and losses reduce the army nearly to ruin, even although the resistance has not been pushed to an extremity.

In saying that the defensive, under the above conditions, should not extend his forces widely, that he should be in any case able to assemble all his forces on the evening of the day on which the enemy passes, enough is said, and it may stand in place of all combinations of time, power, and space, things which, in this case, must depend on many local points.

The battle to which these circumstances lead must have a special character—that of the greatest impetuosity on the side of the defender. The feigned passages by which the enemy will keep him for some time in uncertainty—will, in general prevent his discovering the real point of crossing a moment too soon. The peculiar advantages of the situation of the defender consist in the disadvantageous situation of the enemy’s corps just immediately in his front; if other corps, having passed at other points, menace his flank, he cannot, as in a defensive battle, counteract such movements by vigorous blows from his rear, for that would be to sacrifice the above-mentioned advantage of his situation; he must, therefore, decide the affair in his front before such other corps can arrive and become dangerous, that is, he must attack what he has before him as swiftly and vigorously as possible, and decide all by its defeat.

But the object of this form of river defence can never be the repulse of a very greatly superior force, as is conceivable in the direct defence of a large river; for as a rule we have really to deal with the bulk of the enemy’s force, and although we do so under favourable circumstances, still it is easy to see the relation between the forces must soon be felt.

This is the nature of the defence of rivers of a moderate size and deep valleys when the principal masses of the armies are concerned, for in respect to them the considerable resistance which can be offered on the ridges or scarps of the valley stands no comparison with the disadvantages of a scattered position, and to them a decisive victory is a matter of necessity. But if nothing more is wanted but the reinforcement of a secondary line of defence which is intended to hold out for a short time, and which can calculate on support, then certainly a direct defence of the scarps of the valley, or even of the river bank, may be made; and although the same advantages are not to be expected here as in mountain positions, still the resistance will always last longer than in an ordinary country. Only one circumstance makes this measure very dangerous, if not impossible: it is when the river has many windings and sharp turnings, which is just what is often the case when a river runs in a deep valley, Only look at the course of the Mosel. In a case of its defence, the corps in advance on the salients of the bends would almost inevitably be lost in the event of a retreat.

That a great river allows the same defensive means, the same form of defence, which we have pointed out as best suited for rivers of a moderate size, in connection with the mass of an army, and also under much more favourable circumstances, is plain of itself. It will come into use more especially when the point with the defender is to gain a decisive victory (Aspern).

The case of an army drawn up with its front close on a river, or stream, or deep valley, in order by that means to command a tactical obstacle to the approach to its position, or to strengthen its front, is quite a different one, the detailed examination of which belongs to tactics. Of the effect of this we shall only say this much, that it is founded on a delusion.—If the cleft in the ground is very considerable, the front of the position becomes absolutely unassailable. Now, as there is no more difficulty in passing round such a position than any other, it is just the same as if the defender had himself gone out of the way of the assailant, yet that could hardly be the object of the position. A position of this kind can, therefore, only be advisable when, as a consequence of its position, it threatens the communications of the assailant, so that every deviation by him from the direct road is fraught with consequences altogether too serious to be risked.

In this second form of defence, feigned passages are much more dangerous, for the assailant can make them more easily, while, on the other hand, the proposition for the defender is, to assemble his whole army at the right point. But the defender is certainly not quite so much limited for time here, because the advantage of his situation lasts until the assailant has massed his whole force, and made himself master of several crossings; moreover, also, the simulated attack has not the same degree of effect here as in the defence of a cordon, where all must be held, and where, therefore, in the application of the reserve, it is not merely a question, as in our proposition, where the enemy has his principal force, but the much more difficult one, Which is the point he will first seek to force?

With respect to both forms of defence of large and small rivers, we must observe generally, that if they are undertaken in the haste and confusion of a retreat, without preparation, without the removal of all means of passage, and without an exact knowledge of the country, they cannot certainly fulfil what has been here supposed; in most such cases, nothing of the kind is to be calculated upon; and therefore it will be always a great error for an army to divide itself over extended positions.

As everything usually miscarries in war, if it is not done upon clear convictions and with the whole will and energy, so a river defence will generally end badly when it is only resorted to because we have not the heart to meet the enemy in the open field, and hope that the broad river or the deep valley will stop him. When that is the case, there is so little confidence in the actual situation that both the general and his army are usually filled with anxious forebodings, which are almost sure to be realized quick enough. A battle in the open field does not suppose a perfectly equal state of circumstances beforehand, like a duel; and the defender who does not know how to gain for himself any advantages, either through the special nature of the defence, through rapid marches, or by knowledge of the country and freedom of movement, is one whom nothing can save, and least of all will a river or its valley be able to help him.

The third form of defence—by a strong position taken up on the enemy’s side of the river—founds its efficacy on the danger in which it places the enemy of having his communications cut by the river, and being thus limited to some bridges. It follows, as a matter of course, that we are only speaking of great rivers with a great volume of water, as these alone can lead to such results, whilst a river which is merely in a deep ravine usually affords such a number of passages that all danger of the above disappears.

But the position of the defensive must be very strong, almost unassailable; otherwise he would just meet the enemy half way, and give up his advantages. But if it is of such strength that the enemy resolves not to attack it, he will, under certain circumstances, be confined thereby to the same bank with the defender. If the assailant crosses, he exposes his communications; but certainly, at the same time, he threatens ours. Here, as in all cases in which one army passes by another, the great point is, whose communications, by their number, situation, and other circumstances, are the best secured, and which has also, in other respects, most to lose, therefore can be outbid by his opponent; lastly, which possesses still in his army the most power of victory upon which he can depend in an extreme case. The influence of the river merely amounts to this, that it augments the danger of such a movement for both parties, as both are dependent on bridges. Now, in so far as we can assume that, according to the usual course of things, the passage of the defender, as well as of his depôts of all kinds, are better secured by fortresses than those of the offensive, in so far is such a defence conceivable, and one which might be substituted for the direct defence when circumstances are not favourable to that form. Certainly then the river is not defended by the army, nor the army by the river, but by the connection between the two the country is defended, which is the main point.

At the same time it must be granted that this mode of defence, without a decisive blow, and resembling the state of tension of two electric currents, of which the atmospheres only are as yet in contact, cannot stop any very powerful impulsive force. It might be applicable against even a great superiority of force on the side of the enemy, if their army is commanded by a cautious general, wanting in decision, and never disposed to push forward with energy; it might also answer when a kind of oscillation towards equality between the contending forces has previously arisen, and nothing but small advantages are looked for on either side. But if we have to deal with superior forces, led by a bold general, we are upon a dangerous course, very close to an abyss.

This form of defence looks so bold, and at the same time so scientific, that it might be called the elegant; but as elegance easily merges into folly, and as it is not so easily excused in war as in society, therefore we have had as yet few instances of this elegant art. From this third mode a special means of assistance for the first two forms is developed, that is, by the permanent occupation of a bridge and a tête du pont to keep up a constant threat of crossing.

Besides the object of an absolute defence with the main body, each of the three modes of defence may also have that of a feigned defence.

This show of a resistance, which it is not intended really to offer, is an act which is combined with many other measures, and fundamentally with every position which is anything more than a camp of route; but the feigned defence of a great river becomes a complete stratagem in this way, that it is necessary to adopt actually more or less a number of measures of detail, and that its action is usually on a greater scale and of longer duration than that of any other; for the act of passing a great river in sight of an army is always an important step for the assailant, one over which he often ponders long, or which he postpones to a more favourable moment.

For such a feigned defence it is therefore requisite that the main army should divide and post itself along the river, (much in the same manner as for a real defence); but as the intention of a mere demonstration shows that circumstances are not favourable enough for a real defence, therefore, from that measure as it always occasions a more or less extended and scattered disposition, the danger of serious loss may very easily arise if the corps should get engaged in a real resistance, even if not carried to an extremity; it would then be in the true sense a half measure. In a demonstration of defence, therefore, arrangement must be made for a sure concentration of the army at a point considerably (perhaps several days’ march) in rear, and the defence should not be carried beyond what is consistent with this arrangement.

In order to make our views plainer, and to show the importance of such a defensive demonstration, let us refer to the end of the campaign of 1813. Buonaparte repassed the Rhine with forty or fifty thousand men. To attempt to defend this river with such a force at all points where the Allies, according to the direction of their forces, might easily pass, that is, between Manheim and Nimeguen, would have been to attempt an impossibility. The only idea which Buonaparte could therefore entertain was to offer his first real resistance somewhere on the French Meuse, where he could make his appearance with his army in some measure reinforced. Had he at once withdrawn his forces to that point, the Allies would have followed close at his heels; had he placed his army in cantonments for rest behind the Rhine, the same thing must have taken place almost as soon, for at the least show of desponding caution on his part, the Allies would have sent over swarms of Cossacks and other light troops in pursuit, and, if that measure produced good results, other corps would have followed. The French corps had therefore nothing for it but to take steps to defend the Rhine in earnest. As Buonaparte could foresee that this defence must end in nothing whenever, the Allies seriously undertook to cross the river, it may therefore be regarded in the light of a mere demonstration, in which the French corps incurred hardly any danger, as their point of concentration lay on the Upper Moselle. Only Macdonald, who, as is known, was at Nimeguen with twenty thousand men, committed a mistake in deferring his retreat till fairly compelled to retire, for this delay prevented his joining Buonaparte before the battle of Brienne, as the retreat was not forced on him until after the arrival of Winzurgerode’s corps in January. This defensive demonstration on the Rhine, therefore, produced the result of checking the Allies in their advance, and induced them to postpone the crossing of the river until their reinforcements arrived, which did not take place for six weeks. These six weeks were of infinite value to Buonaparte. Without this defensive demonstration on the Rhine, Paris would have become the next immediate object after the victory of Leipsic, and it would have been impossible for the French to have given battle on that side of their capital.

In a river defence of the second class, therefore, in that of rivers of a smaller size, such demonstrations may also be used, but they will generally be less effectual, because mere attempts to cross are in such a case easier, and therefore the spell is sooner broken.

In the third kind of river defence, a demonstration would in all probability be still less effectual, and produce no more result than that of the occupation of any other temporary position.

Lastly, the two first forms of defence are very well suited to give a chain of outposts, or any other defensive line (cordon) established for a secondary object, or to a corps of observation, much greater and more reliable strength than it would have without the river. In all these cases the question is limited to a relative resistance, and that must naturally be considerably strengthened by such a great natural obstacle. At the same time, we must not think only of the relative quantity of time gained by the resistance in fight in a case of this sort, but also of the many anxieties which such undertakings usually excite in the mind of the enemy, and which in ninety-nine cases out of a hundred lead to his giving up his plans if not urged or pressed by necessity.

 

 

CHAPTER XIX - Defence of Streams and Rivers (continued)

We have still to add something respecting the influence of streams and rivers on the defence of a country, even when they are not themselves defended.

Every important river, with its main valley and its adjacent valleys, forms a very considerable obstacle in a country, and in that way it is, therefore, advantageous to defence in general; but its peculiar influence admits of being more particularly specified in its principal effects.

First we must distinguish whether it flows parallel to the frontier, that is, the general strategic front, or at an oblique or a right angle to it. In the case of the parallel direction we must observe the difference between having our own army or that of the enemy behind it, and in both cases again the distance between it and the army.

An army on the defensive, having behind it a large river within easy reach (but not less than a day’s march), and on that river an adequate number of secure crossings, is unquestionably in a much stronger situation than it would be without the river; for if it loses a little in freedom of movement by the requisite care for the security of the crossings, still it gains much more by the security of its strategic rear, that means chiefly of its lines of communication. In all this we allude to a defence in our own country; for in the enemy’s country, although his army might be before us, we should still have always more or less to apprehend his appearance behind us on the other side of the river, and then the river, involving as it does narrow defiles in roads, would be more disadvantageous than otherwise in its effect on our situation. The further the river is behind the army, the less useful it will be, and at certain distances its influence disappears altogether.

If an advancing army has to leave a river in its rear, the river cannot be otherwise than prejudicial to its movements, for it restricts the communications of the army to a few single passages. When Prince Henry marched against the Russians on the right bank of the Oder near Breslau, he had plainly a point d’appui in the Oder flowing behind him at a day’s march; on the other hand, when the Russians under Cznernitschef passed the Oder subsequently, they were in a very embarrassing situation, just through the risk of losing their line of retreat, which was limited to one bridge.

If a river crosses the theatre of war more or less at a right angle with the strategic front, then the advantage is again on the side of the defensive; for, in the first place, there are generally a number of good positions leaning on the river, and covered in front by the transverse valleys connected with the principal valley (like the Elbe for the Prussians in the Seven Years’ War); secondly, the assailant must leave one side of the river or the other unoccupied, or he must divide his forces; and such division cannot fail to be in favour again of the defensive, because he will be in possession of more well secured passages than the assailant. We need only cast a glance over the whole Seven Years’ War, to be convinced that the Oder and Elbe were very useful to Frederick the Great in the defence of his theatre of war (namely Silesia, Saxony and the Mark), and consequently a great impediment to the conquest of these provinces by the Austrians and Russians, although there was no real defence of those rivers in the whole Seven Years’ War, and their course is mostly, as connected with the enemy, at an oblique or a right angle rather than parallel with the front.

It is only the convenience of a river as a means of transport, when its course is more or less in a perpendicular direction, which can, in general, be advantageous to the assailant; in that respect it may be so for this reason, that as he has the longer line of communication, and, therefore, the greater difficulty in the transport of all he requires, water carriage may relieve him of a great deal of trouble and prove very useful. The defender, on his side, certainly has it in his power to close the navigation within his own frontier by fortresses; still even by that means the advantages which the river affords the assailant will not be lost so far as regards its course up to that frontier. But if we reflect upon the fact that many rivers are often not navigable, even where they are of no unimportant breadth as respects other military relations, that others are not navigable at all seasons, that the ascent against the stream is tedious, that the winding of a river often doubles its length, that the chief communications between countries now are high roads, and that now more than ever the wants of an army are supplied from the country adjacent to the scene of its operations, and not by carriage from distant parts,—we can well see that the use of a river does not generally play such a prominent part in the subsistence of troops as is usually represented in books, and that its influence on the march of events is therefore very remote and uncertain.