Thursday, 2 December 2021

Thursday's Serial: “Sous le Soleil de Satan” by George Bernanos (in French) - VII

Chapitre IV

C’est à l’église, dans la sacristie dont il avait toujours la clef dans sa poche, que l’abbé Donissan attendit l’heure de sa messe, qu’il célébra comme d’habitude. Depuis quelques jours, M. Menou-Segrais gardait la chambre, souffrant d’une crise plus violente d’asthme. Vers dix heures et demie, regardant la route, il aperçut son vicaire et s’étonna. Mais déjà les gros souliers résonnaient sur les dalles du vestibule, puis dans l’escalier. Enfin, derrière la porte, la voix, toujours ferme et calme, demanda :

— Puis-je entrer, monsieur le doyen?

— Volontiers, s’écria le curé de Campagne, intrigué. Tout de suite.

Il tourna malaisément la tête, calée entre deux énormes oreillers au dossier du grand fauteuil. Le visage de l’abbé lui apparut mal distinct dans la chambre obscure (les rideaux étaient encore à demi tirés). Ce qu’il en vit démentait suffisamment le calme affecté de la voix. D’ailleurs il n’exprima son étonnement que par un battement des paupières, sur son regard aigu.

— Quelle surprise! commença-t-il avec beaucoup de douceur. Comment êtes-vous déjà de retour?

Il se gardait bien de montrer un siège, sachant par expérience que, debout devant lui, les bras ballants, la gaucherie du pauvre prêtre doublait sa timidité naturelle, le tenait mieux à sa merci.

— J’ai été ridicule, comme toujours, répondit l’abbé Donissan… Enfin, je me suis perdu…

— De sorte que vous êtes arrivé trop tard à Étaples, les confessions terminées?

— Je n’ai pas encore tout dit, avoua le vicaire piteusement.

— Par exemple! s’écria l’abbé Menou-Segrais, en frappant violemment l’accoudoir de son fauteuil, avec une vivacité bien différente de ses manières habituelles. Et que vont dire ces messieurs, je vous le demande? Arriver en retard, soit. Mais ne pas arriver du tout!

Si peu soucieux qu’il fût à l’ordinaire de l’opinion d’autrui, il craignait le ridicule d’une crainte nerveuse, qui était comme l’élément féminin d’une nature pourtant assez mâle. Et de quelle moquerie ne serait-il pas l’objet, par un détour, dans la personne de son vicaire, déjà assez brocardé! Toutefois, rencontrant le regard de l’abbé Donissan, d’une magnifique loyauté, il rougit de sa faiblesse et continua paisiblement :

— Ce qui est fait est fait. J’écrirai ce soir au chanoine, pour nous excuser. À présent, dites-moi…

Pitoyable, il montrait une chaise de sa main tendue. À sa grande surprise son vicaire resta debout.

— Dites-moi, répéta-t-il sur un ton bien différent de sollicitude et d’autorité, comment vous vous êtes perdu dans un pays qui n’est tout de même pas un désert sauvage?

La tête de l’abbé Donissan restait penchée sur son épaule, et son attitude exprimait un humble respect. Pourtant sa réponse tomba de haut :

— Dois-je vous dire ce que je crois être la vérité?

— Vous le devez, répliqua M. Menou-Segrais.

— Je le dirai donc, poursuivit le vicaire de Campagne.

Son pâle visage, encore creusé par les terreurs et les fatigues de la nuit, témoignait d’une résolution déjà prise et qui serait infailliblement accomplie. La seule marque de sa honte fut qu’il détourna la tête. Il parla, les yeux baissés et avec un peu de hâte, peut-être…

D’ailleurs, la netteté de certains propos, leur hardiesse, le visible souci de ne rien ménager eussent découvert, même à un observateur moins sagace, le secret espoir sans doute d’une interruption, d’une contradiction violente qui eût secouru le pauvre prêtre sans le faire manquer à sa promesse. Mais il fut écouté dans un profond silence.

— Je ne me suis pas égaré, commença-t-il. Au pis aller, j’aurais pu me perdre à mi-chemin, dans la plaine. C’est pourquoi j’ai pris la grande route : je ne l’ai quittée qu’un instant. Je n’avais qu’à marcher droit devant moi. Même en pleine nuit (car la nuit était noire, je l’avoue), il était impossible de manquer le but. Si je ne l’ai pas atteint, d’autres que moi en porteront la peine.

Il s’arrêta pour reprendre haleine :

— Si étrange, si fou que cela vous paraisse, reprit-il, il y a plus étrange et plus fou. Il y a pis. Une autre épreuve m’était préparée.

À ce point, sa voix frémit, et il fit de la main le geste involontaire d’un homme surpris au cours d’un récit par une objection capitale. Son regard se fixa cette fois humblement sur le visage du doyen.

— Je vous demanderai… n’y a-t-il aucune faute à rapporter une aventure comme celle-ci — même absurde — à l’interpréter comme il me paraît convenable (il hésita encore) : …en m’attribuant involontairement un rôle… et des lumières?…

— Allez! Allez, coupa court l’abbé Menou-Segrais.

Il obéit, car, après un silence pendant lequel il parut plutôt s’efforcer d’éviter tout détour inutile, toute tentation de respect humain :

— Dieu m’a permis deux fois, et sans aucun doute possible, de voir de mes yeux une âme, à travers l’obstacle charnel. Et ceci non par des moyens ordinaires, par étude et réflexion, mais par une grâce particulière, merveilleuse, dont je dois le témoignage à vous, quoi qu’il m’en puisse coûter…

— Que vous tenez pour un miracle? demanda l’abbé Menou-Segrais de son ton le plus ordinaire.

— Je le crois ainsi, dit-il.

— Vous en rendrez compte à votre évêque, répondit simplement le doyen de Campagne.

Il n’y avait, d’ailleurs, aucune surprise dans le regard dont il enveloppa — littéralement — l’étrange silhouette de son vicaire ; aucune surprise, mais une attention tranquille, indifférente à la personne, à peine curieuse des faits, avec une nuance de pitié hautaine. Le vicaire rougit jusqu’au front.

— Qu’avez-vous donc rencontré, en plein champ, en pleine nuit?

— Un homme d’abord, dont j’ignore le nom.

— Oh! fit seulement M. Menou-Segrais.

— Comprenez-moi, répéta l’abbé Donissan, avec un frémissement douloureux des lèvres. Il m’a abordé le premier… Je ne pensais à rien de pareil… Je ne voyais même pas son visage… Je ne connaissais pas sa voix! Nous avons fait route ensemble un moment. Nous parlions de choses insignifiantes… le temps… la nuit… que sais-je?…

Il s’arrêta, pris du remords de céler une partie de la vérité à son juge. Et, brusquement, pour en finir :

— C’est à ce moment que j’ai reçu cette grâce, cette illumination dont j’ai parlé. Pour l’autre rencontre…

— J’en sais assez… momentanément du moins, interrompit le doyen. Le détail importe peu.

Il renversa la tête sur l’oreiller, prit, avec une grimace douloureuse, sa tabatière tout au fond de sa poche, huma sa prise, et, levant mollement les mains comme pour s’excuser poliment d’interrompre une conversation ordinaire :

— Voulez-vous sonner Mme Estelle? C’est l’heure où je dois prendre ma potion de salicylate et j’ignore où elle a placé le flacon.

Le flacon fut retrouvé à sa place habituelle. Il but lentement, s’essuya les lèvres avec beaucoup de soin, puis congédia la gouvernante d’un regard affectueux. Lorsque la porte se fut refermée :

— On va vous prendre pour un fou, mon garçon, dit-il.

Mais il avait devant lui (il n’en doutait pas) un de ces hommes dont l’expérience est tout intérieure, comme formés par le dedans et dont l’équilibre n’est pas aisément rompu. À peine une légère contraction des traits accusa-t-elle plus de surprise que de crainte. Il répliqua posément :

— Je vous devais cet aveu. Dieu m’est témoin que je désire l’oubli de tout ceci, et le silence.

— Comptez sur moi, continua le doyen de Campagne, pour cacher tout ce qui peut être célé sans mensonge. Car enfin je suis votre supérieur direct, mon ami, mais j’ai mes supérieurs, moi aussi!

Après un temps :

— Je vais écrire… non! j’irai plutôt, j’irai voir le chanoine Couvremont, l’ancien directeur du grand séminaire. C’est un confrère très sûr, très ferme. Il avisera. D’ailleurs, je ne doute point que nous ne tombions vite d’accord, lui et moi. Je prévois aisément sa décision…

Peut-être attendait-il une question, mais il n’eut pas même un regard.

— Nous demanderons pour vous une retraite prolongée, à Tortefontaine, ou chez les Bénédictins de Chévetogne. Il vous faut parler franc, l’abbé. Je vous ai cru ; je vous crois encore marqué d’un signe, choisi. N’allons pas plus loin. Nous ne sommes plus au temps des miracles. On les craindrait plutôt, mon ami. L’ordre public y est intéressé. L’administration n’attend qu’un prétexte pour nous tomber dessus. De plus, la mode est aux sciences — comme ils disent — neurologiques. Un petit bonhomme de prêtre qui lit dans les âmes comme dans un livre… On vous soignerait, mon garçon. Pour moi, ce que vous avez dit me suffit : je n’en demande pas plus : j’aime autant ne pas en entendre plus long.

Il étendit les deux mains, comme pour repousser ce secret dangereux, puis reposa sa tête au creux de l’oreiller. Mais au premier mouvement de retraite du vicaire :

— Attention! je vous interdis formellement d’ouvrir seulement la bouche sur un tel sujet, sans mon autorisation préalable, en présence de n’importe qui. N’importe qui, entendez-vous?

— Même mon confesseur habituel?… demanda timidement l’abbé Donissan.

— Celui-là surtout, répondit l’autre, avec tranquillité.

Alors le silence retomba, plus lourd. Une fois, deux fois, le grand corps du vicaire oscilla de droite à gauche, et son regard se tourna vers la porte. Sa main droite tourmentait nerveusement les boutons de sa soutane. Et il entendit soudain, à son grand étonnement, sa propre voix :

— Je n’ai pas tout dit, fit-il.

Nulle réponse.

— Ce qui me reste à dire intéresse — en quelle mesure, Dieu le sait! — le salut d’une pauvre âme dont nous aurons à répondre, vous et moi. La Providence semble me l’avoir confiée, nommément, expressément, c’est sûr, car cette personne appartient à votre famille paroissiale, monsieur le doyen.

— J’écoute, répondit l’abbé Menou-Segrais, levant lentement les yeux.

Pas une seconde, au cours du long récit qui suivit, le lucide et puissant regard ne se détourna de la face ravagée du vicaire. Une espèce d’attention douloureuse s’y pouvait lire, où la claire résolution se formait déjà peu à peu. Pas un mot ne sortit de la bouche serrée, pas un frémissement ne parcourut les longues mains blêmes posées sur les bras du fauteuil, et la tête un peu renversée, le menton haut, resplendissait d’intelligence et de volonté.

Lorsque le vicaire eut achevé, le doyen de Campagne se détourna sans affectation vers le Christ florentin pendu à son chevet et dit, d’une voix à la fois forte et tendre :

— Dieu soit béni, mon enfant, parce que vous avez si franchement et si humblement parlé. Car cette simplicité désarme l’esprit du mal même.

Faisant signe au jeune prêtre d’approcher, il se leva légèrement vers lui, chercha son regard et, face à face :

— Je vous crois, dit-il, je vous crois sans réserves. Mais j’ai besoin de préparer un moment ce que je m’en vais dire… Prenez sur ma table, à droite, là, oui : c’est l’Imitation de notre-Seigneur… Vous l’ouvrirez au livre III, chapitre lvi, et vous prononcerez du fond du cœur, particulièrement, les versets 5 et 6. Allez… Laissez-moi.

Le vieux prêtre aux dons magnifiques, que l’ignorance, l’injustice et l’envie avaient jadis désarmé, sentit à cette heure unique qu’il consommait son destin. Les comparaisons sont peu de chose, quand il faut les emprunter à la vie commune pour donner quelque idée des événements de la vie intérieure et de leur majesté. Le moment était venu où cet homme exceptionnel, à la fois subtil et passionné, aussi hardi qu’aucun autre mais capable de porter sur toute chose la pointe aiguë de l’esprit, allait donner sa pleine mesure.

— La honte d’avoir fui la gloire…, murmura-t-il, répétant de mémoire les derniers mots du chapitre. À présent, écoutez-moi, mon ami.

Docilement, le vicaire de Campagne quitta le prie-Dieu, et se tint debout à quelques pas.

— Ce que vous allez entendre, dit l’abbé Menou-Segrais, vous fera du mal sans doute. Dieu sait que je vous ai jusqu’ici trop ménagé! Je ne voudrais point vous troubler cependant. Quoi que je dise, restez en paix. Car vous n’avez commis aucune faute, sinon d’inexpérience et de zèle. M’avez-vous compris?

L’abbé hocha la tête.

— Vous avez agi comme un enfant, continua le vieux prêtre, après un silence. Les épreuves qui vous attendent ici ne sont point de celles qu’on peut affronter avec présomption : plus que jamais, quoi qu’il vous en coûte, vous devez leur tourner le dos, fuir, sans seulement un regard en arrière. Chacun de nous n’est tenté que selon ses forces. Notre concupiscence naît, grandit, évolue avec nous-mêmes. Elle est, comme certaines de ces infirmités chroniques, une espèce de compromis entre la maladie et la santé. Alors, la patience suffit. Mais il arrive que le mal s’aggrave tout à coup, qu’un élément nouveau…

Il s’interrompit, non sans quelque embarras vite surmonté.

— Prenez d’abord note de ceci : pour tout le monde vous n’êtes désormais (jusqu’à quand?) qu’un petit abbé plein d’imagination et de suffisance, moitié rêveur, moitié menteur, ou un fou. Subissez donc la pénitence qui vous sera sûrement imposée, le silence et l’oubli temporaire du cloître, non pas comme un châtiment injuste, mais nécessaire et justifié…. M’avez-vous compris encore?

Même regard et même signe.

— Sachez-le, mon enfant. Depuis des mois je vous observe, sans doute avec trop de prudence, d’hésitation. Cependant j’ai vu clair, dès le premier jour. Certaines grâces vous sont prodiguées comme avec excès, sans mesure : c’est apparemment que vous êtes exceptionnellement tenté. L’Esprit-Saint est magnifique, mais ses libéralités ne sont jamais vaines : il les proportionne à nos besoins. Pour moi, ce signe ne peut tromper : le diable est entré dans votre vie.

L’abbé Donissan se tut encore.

— Ah! mon petit enfant! Les nigauds ferment les yeux sur ces choses! Tel prêtre n’ose seulement prononcer le nom du diable. Que font-ils de la vie intérieure? Le morne champ de bataille des instincts. De la morale? Une hygiène des sens. La grâce n’est plus qu’un raisonnement juste qui sollicite l’intelligence, la tentation un appétit charnel qui tend à la suborner. À peine rendent-ils ainsi compte des épisodes les plus vulgaires du grand combat livré en nous. L’homme est censé ne rechercher que l’agréable et l’utile, la conscience guidant son choix. Bon pour l’homme abstrait des livres, cet homme moyen rencontré nulle part! De tels enfantillages n’expliquent rien. Dans un pareil univers d’animaux sensibles et raisonneurs il n’y a plus rien pour le saint, ou il faut le convaincre de folie. On n’y manque pas, c’est entendu. Mais le problème n’est pas résolu pour si peu. Chacun de nous — ah! puissiez-vous retenir ces paroles d’un vieil ami! — est tour à tour, de quelque manière, un criminel ou un saint, tantôt porté vers le bien, non par une judicieuse approximation de ses avantages, mais clairement et singulièrement par un élan de tout l’être, une effusion d’amour qui fait de la souffrance et du renoncement l’objet même du désir, tantôt tourmenté du goût mystérieux de l’avilissement, de la délectation au goût de cendre, le vertige de l’animalité, son incompréhensible nostalgie. Hé! qu’importe l’expérience, accumulée depuis des siècles, de la vie morale. Qu’importe l’exemple de tant de misérables pécheurs, et de leur détresse! Oui, mon enfant, souvenez-vous. Le mal, comme le bien, est aimé pour lui-même, et servi.

La voix naturellement faible du doyen de Campagne s’était assourdie peu à peu, en sorte qu’il semblait depuis un moment parler pour lui tout seul. Il n’en était rien pourtant. Son regard, sous les paupières à demi baissées, ne quittait point le visage de l’abbé Donissan.

Jusqu’alors ce visage était resté en apparence impassible. À ces derniers mots, cette impassibilité se dissipa soudain, et ce fut comme un masque qui tombe.

— Faut-il donc croire!… s’écria-t-il. Sommes-nous vraiment si malheureux!

Il n’acheva pas la phrase commencée, il ne l’appuya d’aucun geste ; une détresse infinie, au delà sans doute d’aucun langage, s’exprima si douloureusement par cette protestation bégayante, la résignation désespérée de ses yeux pleins d’ombre, que M. Menou-Segrais lui ouvrit, presque involontairement, les bras. Il s’y jeta.

À présent, il était à genoux contre le haut fauteuil capitonné, sa rude tête aux cheveux courts naïvement jetée sur la poitrine de son ami… Mais d’un commun accord, leur étreinte fut brève. Le vicaire reprit simplement l’attitude d’un pénitent aux pieds de son confesseur. L’émotion du doyen se marqua seulement au léger tremblement de sa main droite dont il le bénit.

— Ces paroles vous scandalisent, mon enfant. Puissent-elles aussi vous armer! Il n’est que trop sûr ; votre vocation n’est pas du cloître.

Il eut un sourire triste, vite réprimé.

— La retraite qu’on vous imposera bientôt sera sans nul doute un temps d’épreuve et de déréliction très amère. Il se prolongera plus que vous ne pensez, n’en doutez pas.

D’un regard paternel, non sans un rien d’ironie très douce, il considéra longuement le visage penché.

— Vous n’êtes point né pour plaire, car vous savez ce que le monde hait le mieux, d’une haine perspicace, savante ; le sens et le goût de la force. Ils ne vous lâcheront pas de sitôt.

…Le travail que Dieu fait en nous, reprit-il après un court silence, est rarement ce que nous attendons. Presque toujours l’Esprit-Saint nous semble agir à rebours, perdre du temps. Si le morceau de fer pouvait concevoir la lime qui le dégrossit lentement, quelle rage et quel ennui! C’est pourtant ainsi que Dieu nous use. Certaines vies de saints paraissent d’une affreuse monotonie, un vrai désert.

Il baissa lentement la tête, et pour la première fois l’abbé Donissan vit ses yeux s’obscurcir et deux profondes larmes en descendre.

Tout aussitôt, secouant la tête :

— En voilà assez, fit-il. Hâtons-nous! Car l’heure sonnera bientôt où je ne pourrai plus rien pour vous, selon le monde. Parlons à présent bien net, aussi clairement que possible. Rien de meilleur que d’exprimer le surnaturel dans un langage commun, vulgaire, avec les mots de tous les jours. Aucune illusion ne tient là contre. Je passe sur votre première aventure : que vous ayez, ou non, vu face à face à celui que nous rencontrons chaque jour — non point, hélas! au détour d’un chemin, mais en nous-mêmes — comment le saurais-je? Le vîtes-vous réellement, ou bien en songe, que m’importe? Ce qui peut paraître au commun des hommes l’épisode capital n’est le plus souvent, pour l’humble serviteur de Dieu, que l’accessoire. Nul moyen de juger de votre clairvoyance et de votre sincérité que vos œuvres ; vos œuvres rendront témoignage pour vous. Laissons cela.

Il releva ses oreillers, reprit haleine, et continua, avec la même singulière bonhomie :

— J’en viens à votre seconde aventure, qui n’est pas sans intérêt pour moi-même, il s’en faut. Car une erreur de votre jugement a pu nuire ici à l’une de ces âmes qui, vous l’avez dit, nous sont confiées. Je ne connais pas la fille de M. Malorthy. Je ne sais rien du crime dont vous la pensez coupable. À nos yeux le problème se pose autrement. Criminelle ou non, cette petite fille a-t-elle été l’objet d’une grâce exceptionnelle? Avez-vous été l’instrument de cette grâce? Comprenez-moi… Comprenez-moi… À chaque instant, il peut nous être inspiré le mot nécessaire, l’intervention infaillible — celle-là — pas une autre. C’est alors que nous assistons à de véritables résurrections de la conscience. Une parole, un regard, une pression de la main, et telle volonté jusqu’alors infléchissable s’écroule tout à coup. Pauvres sots qui nous imaginons que la direction spirituelle obéit aux lois ordinaires des confidences humaines, même sincères! Sans cesse nos plans se trouvent bouleversés, nos meilleures raisons réduites à rien, nos faibles moyens retournés contre nous. Entre le prêtre et le pénitent, il y a toujours un troisième acteur invisible qui parfois se tait, parfois murmure, et tout soudain parle en maître. Notre rôle est souvent tellement passif! Aucune vanité, aucune suffisance, aucune expérience ne résiste à ça! Comment donc imaginer, sans un certain serrement de cœur, que ce même témoin, capable de se servir de nous sans nous rendre nul compte, nous associe plus étroitement à son action ineffable? S’il en a été ainsi pour vous, c’est qu’il vous éprouve, et cette épreuve sera rude, si rude qu’elle peut bouleverser votre vie.

— Je le sais, balbutia le pauvre prêtre. Ah! que vos paroles me font mal!

— Vous le savez? interrogea l’abbé Menou-Segrais. De quelle manière?

L’abbé Donissan se cacha le visage dans ses mains, puis, comme honteux d’un premier mouvement, il reprit, la tête droite, les yeux sur le pâle jour du dehors :

— Dieu m’a inspiré cette pensée qu’il me marquait ainsi ma vocation, que je devrais poursuivre Satan dans les âmes, et que j’y compromettrais infailliblement mon repos, mon honneur sacerdotal, et mon salut même.

— N’en croyez rien, répliqua vivement le curé de Campagne. On ne compromet son salut qu’en s’agitant hors de sa voie. Là où Dieu nous suit, la paix peut nous être ôtée, non la grâce.

— Votre illusion est grande, répondit l’abbé Donissan avec calme, sans paraître s’apercevoir combien de telles paroles étaient éloignées de son ton habituel de déférence et d’humilité. Je ne puis douter de la volonté qui me presse, ni du sort qui m’attend.

Le regard de l’abbé Menou-Segrais eut cette joie du chercheur qui entrevoit soudain la solution longtemps cherchée.

— Quel sort vous attend donc, mon fils?

Le vîcaire haussa légèrement les épaules.

— Je ne vous demanderai pas votre secret. J’en aurais eu le droit jadis. À présent nous changeons de route, vous et moi, et déjà vous ne m’appartenez plus.

— Ne parlez pas ainsi, murmura l’abbé Donissan, les yeux sombres et fixes. Où que j’aille, si profondément que je m’enfonce, — oui — dans les bras mêmes de Satan, je me souviendrai de votre charité.

Puis, comme si l’image qui s’emparait de son esprit l’agitait trop douloureusement et qu’il voulût la fuir (ou peut-être l’affronter), il se mit brusquement debout.

— Est-ce là votre secret, s’écria M. Menou-Segrais, est-ce là ce que vous prétendez tenir de Dieu! Ai-je bien compris que vous blasphémiez en vous la divine miséricorde? Ce ne sont pas là mes leçons! Entendez-moi, malheureux! Vous êtes (depuis combien de temps?…) la dupe, le jouet, le ridicule instrument de celui que vous redoutez le plus.

Il faisait de ses deux mains levées, puis abaissées, un geste d’horreur et de découragement, que démentait l’éclat volontaire de son regard.

— Je n’ai pas blasphémé, reprit l’abbé Donissan. Je n’ai pas désespéré de la justice du bon Dieu. Je croirai jusqu’à la dernière minute de ma misérable vie que les seuls mérites de Notre-Seigneur sont bien assez grands pour m’absoudre, moi-même et tous avec moi. Cependant ce n’est sans cause qu’il m’a été révélé un jour, d’une manière si efficace, l’effrayante horreur du péché, le misérable état des pécheurs, et la puissance du démon.

— À quel moment?… commença l’abbé Menou-Segrais.

Mais, sans le laisser achever, ou plutôt comme s’il ne se souciait point de l’entendre, le futur saint de Lumbres continuait :

— De cela, le pressentiment me fut donné jadis. Avant que de connaître la vérité, j’en ai porté la tristesse. Chacun reçoit sa part de lumière : de plus zélés, de plus instruits ont sans doute un sentiment très vif de l’ordre divin des choses. Pour moi, dès l’enfance, j’ai vécu moins dans l’espérance de la gloire que nous posséderons un jour que dans le regret de celle que nous avons perdue. (Son visage se durcissait à mesure, un pli de colère se creusait sur son front.) Ah! mon père, mon père! J’ai désiré écarter de moi cette croix! Est-ce possible! Je la reprenais toujours. Sans elle, la vie n’a pas de sens : le meilleur devient un de ces tièdes que le Seigneur vomit. Dans notre affreuse misère, humiliés, foulés, piétinés par le plus vil, que serions-nous, si nous ne sentions au moins l’outrage! Il n’est pas tout à fait maître du monde, tant que la sainte colère gonfle nos cœurs, tant qu’une vie humaine, à son tour, jette le Non Serviam à sa face.

Des mots se pressaient dans sa bouche, sans proportion avec les images intérieures qui les suscitaient. Et ce flot de paroles chez un homme naturellement silencieux trahissait presque le délire.

— Je vous arrête, dit froidement l’abbé Menou-Segrais. Je vous ordonne de m’entendre. Vous ne parlez tant que pour vous tromper vous-même et me tromper avec vous. Laissons cela. Mais je sais que vous n’êtes pas homme à vous payer de mots. Cette violence suppose quelque résolution, quelque projet, quelque acte peut-être, que je veux connaître.

Ce coup porta si juste que l’abbé Donissan leva vers son doyen un regard éperdu. Mais le vieillard subtil et fort poursuivait déjà :

— De quelle manière avez-vous réalisé dans votre vie des sentiments dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils sont troubles et dangereux?

Le jeune prêtre se tut.

— Je vous mettrai donc sur la voie, reprit M. Menou-Segrais. Vous commençâtes par des mortifications excessives. Puis vous vous êtes jeté dans le ministère avec une égale frénésie. Les résultats que vous obteniez réjouissaient votre cœur. Ils eussent dû vous rendre la paix. Cependant vous ne la connaissiez pas encore! Dieu ne la refuse jamais au bon serviteur, à la limite de ses forces. L’auriez-vous donc, délibérément refusée?

— Je ne l’ai pas refusée, répliqua l’abbé Donissan, avec effort. Je suis plutôt disposé par la nature à la tristesse qu’à la joie… Il parut réfléchir un instant, chercher à sa pensée une expression modérée, conciliante, puis, se décidant tout à coup, d’une voix que la passion assourdissait plutôt, comparable à une flamme sombre :

— Ah! plutôt le désespoir, s’écria-t-il, et tous les tourments qu’une lâche complaisance pour les œuvres de Satan!

À sa grande surprise, car il avait laissé échapper ce souhait comme un cri, et l’avait entendu avec une espèce d’effroi, le doyen de Campagne lui prit les deux mains dans les siennes et dit doucement :

— C’en est assez : je lis clairement en vous : je ne m’étais pas trompé. Non seulement vous n’avez pas sollicité de consolation, mais vous avez entretenu votre esprit de tout ce qui était capable de vous pousser au désespoir. Vous avez entretenu le désespoir en vous.

— Non pas le désespoir, s’écria-t-il, mais la crainte.

— Le désespoir, répéta l’abbé Menou-Segrais sur le même ton, et qui vous eût conduit de la haine aveugle du péché au mépris et à la haine du pécheur.

À ces mots, l’abbé Donissan, s’arrachant à l’étreinte du doyen de Campagne, et les yeux soudain pleins de larmes :

— La haine du pécheur! s’écria-t-il d’une voix rauque (la pitié de son regard avait quelque chose de farouche). La haine du pécheur!

La violence et le désordre de ses sentiments arrêtèrent la parole sur ses lèvres, et ce ne fut qu’après un long silence qu’il ajouta, les yeux clos sur une vision mystérieuse :

— J’ai disposé d’un bien autrement précieux que la vie…

Alors la voix du doyen de Campagne retentit dans le nouveau silence, ferme, claire, impossible à éluder :

— Je n’ai jamais douté qu’il y eût dans votre vie intérieure un secret, mieux gardé par votre ignorance et votre bonne foi que par n’importe quelle duplicité. Il y a quelque imprudence consommée. Je ne serais pas surpris que vous ayez formé quelque vœu dangereux…

— Je n’aurais pu former aucun vœu sans la permission de mon confesseur, balbutia le pauvre prêtre.

— Si ce n’est un vœu, c’est quelque chose qui lui ressemble, répliqua l’abbé Menou-Segrais.

Puis, se dressant péniblement hors de ses oreillers, les deux mains posées sur ses genoux, sans élever le ton :

— Je vous l’ordonne, mon enfant.

Au grand étonnement du doyen, son vicaire hésita longtemps, le regard dur. Puis avec un frisson douloureux :

— Il est vrai, je vous assure… Je n’ai fait aucun vœu, aucune promesse, à peine un souhait… peut-être… sans doute mal justifié, au moins selon la prudence humaine…

— Il empoisonne votre cœur, répliqua l’abbé Menou-Segrais.

Alors, secouant la tête et prenant parti :

— Voilà peut-être ce qui mérite vos reproches… La possession de tant d’âmes par le péché… m’a souvent transporté de haine contre l’ennemi… Pour leur salut, j’ai offert tout ce que j’avais ou posséderais jamais… ma vie d’abord — cela est si peu de chose!… — les consolations de l’Esprit-Saint…

Il hésita encore :

— Mon salut, si Dieu le veut! fit-il à voix basse.

L’aveu fut reçu dans un profond silence. Les paroles extraordinaires parurent créer ce silence, s’y perdre d’elles-mêmes.

Alors l’abbé Menou-Segrais parla de nouveau :

— Avant de continuer, fit-il avec sa simplicité ordinaire, renoncez cette pensée à jamais, et priez Dieu de vous pardonner. De plus, je vous interdis de parler de ces choses à un autre que moi.

Puis, comme l’abbé ouvrait la bouche pour lui répondre, le magistral clinicien des âmes, toujours ferme dans sa prudence et son bon sens souverain :

— Gardez-vous d’insister, fit-il. Taisez-vous. Il ne s’agit plus que d’oublier. Je sais tout. L’entreprise a été irréprochablement conçue et réalisée de point en point. Le démon ne trompe pas autrement ceux qui vous ressemblent. S’il ne savait abuser des dons de Dieu, il ne serait rien de plus qu’un cri de haine dans l’abîme, auquel aucun écho ne répondrait…

Bien que sa voix ne décelât aucune excessive émotion, cette dernière se marqua pourtant à ce signe que l’abbé Menou-Segrais prit sa canne au pied du fauteuil, se leva, et fit quelques pas dans sa chambre. Son vicaire demeurait debout, à la même place.

— Mon petit enfant, dit le vieux prêtre, que de périls vous attendent! Le Seigneur vous appelle à la perfection, non pas au repos. Vous serez de tous le moins assuré dans votre voie, clairvoyant seulement pour autrui, passant de la lumière aux ténèbres, instable. L’offre téméraire a été, en quelque manière, entendue. L’espérance est presque morte en vous, à jamais. Il n’en reste que cette dernière lueur sans quoi toute œuvre deviendrait impossible et tout mérite vain. Ce dénuement de l’espérance, voilà ce qui importe. Le reste n’est rien. Sur la route que vous avez choisie — non! où vous vous êtes jeté! — vous serez seul, décidément seul, vous marcherez seul. Quiconque vous y suivrait, se perdrait sans vous secourir.

— Je n’ai pas demandé cela, s’écria le futur saint de Lumbres, avec une violence soudaine. (Par un contraste véritablement pathétique, sa voix restait sombre et volontaire.) Je n’ai pas sollicité ces grâces singulières. Je n’en veux pas! Je ne désire pas de miracles! Je n’en ai jamais demandé! Qu’on me laisse donc vivre et mourir dans la peau d’un pauvre homme qui ne sait ni A ni B. Non! Non! ce qui a été commencé cette nuit ne sera pas achevé! J’ai rêvé. J’étais fou.

L’abbé Menou-Segrais regagna son fauteuil, s’y étendit, et répliqua sans élever la voix :

— Qui le sait? Lequel d’entre ceux que nous honorons comme nos pères dans la foi n’a été traité de visionnaire? Quel visionnaire n’a eu ses disciples? Au point où vous êtes, vos œuvres seules parleront pour ou contre vous. Après un moment, il ajouta, sur un ton plus doux :

— Ne suis-je pas à plaindre aussi, mon enfant? Mon expérience des âmes, une réflexion de plusieurs mois me portent à croire que Dieu vous a choisi. Les nigauds incrédules n’admettent pas les saints. Les nigauds dévots s’imaginent qu’ils poussent tout seuls comme l’herbe des champs. Peu savent que l’arbre est d’autant plus fragile qu’il est d’essence plus rare. Votre destinée, à laquelle tant d’autres destinées sont liées sans doute, cela est à la merci d’un faux pas, d’un abus même involontaire de la grâce, d’une décision hâtive, d’une incertitude, d’une équivoque. Et vous m’êtes confié! Vous êtes à moi! De quelles mains tremblantes je vous offre à Dieu! Aucune faute ne m’est permise. Qu’il m’est cruel de ne pouvoir me jeter à genoux à vos côtés, rendre grâces avec vous! J’attendais de jour en jour une confirmation surnaturelle des desseins de Dieu sur votre âme. J’attendais cette confirmation de votre zèle, de votre influence grandissante, de la conversion de mon petit troupeau. Et dans votre vie si troublée, si pleine d’orages, le signe a éclaté comme la foudre. Il me laisse plus perplexe qu’avant. Car il est sûr désormais que ce signe est équivoque, que le miracle même n’est pas pur!

Il réfléchit un moment, puis, levant les épaules, dans un geste d’impuissance :

— Dieu sait que je ne céderais pas à la crainte! Dieu sait que je suis trop tenté d’affronter le jugement d’autrui! On m’accuse volontiers d’indépendance et même d’insubordination. Il y a pourtant telle règle qu’on ne peut enfreindre. Que vous vous déchiriez à coups de discipline, j’y mettrais ordre. Que vous rêviez le diable, ou le rencontriez à tous les carrefours, cela me regarde. Mais cette histoire, non moins invraisemblable de la petite Malorthy, m’éclaire. Je ne puis vous laisser libre de parler et d’agir dans cette paroisse selon vos lumières… Je ne puis m’en remettre à vous… Je dois… il faut… il est nécessaire que je m’ouvre de tout ceci à nos supérieurs. Mon appui vous sera de peu! D’autre part, vous devrez ne dissimuler rien. Dès lors… ah! dès lors!… qui sait quand vous l’emporterez enfin sur la défiance des uns, la pitié des autres, la contradiction de tous! L’emporterez-vous même jamais? Me serais-je trompé sur vous? Ai-je encore trop attendu! Un vieillard ne peut plus manquer sa vie. Mais j’aurai manqué ma mort.

L’abbé Donissan sortit enfin de son silence. Loin de le confondre, ce dernier doute exprimé lui rendait visiblement courage. Il objecta timidement :

— Je ne désire rien tant que l’oubli, l’effacement, la vie commune, mes devoirs d’état. Si vous le vouliez, qui m’empêcherait de redevenir ce que j’étais avant? Qui se soucierait de moi? Je n’attire l’attention de personne. J’ai la réputation que je mérite d’un prêtre bien simple, bien borné… Ah! si vous le permettiez, il me semble que j’arriverais à passer inaperçu même du bon Dieu et de ses anges!

— Inaperçu! s’écria doucement l’abbé Menou-Segrais (il souriait, mais avec des yeux pleins de larmes…) Toutefois il s’interrompit aussitôt. L’escalier retentissait du pas singulièrement précipité de la gouvernante. La porte s’ouvrit presque aussitôt, et, très pâle, avec cette hâte des vieilles femmes à annoncer les mauvaises nouvelles :

— Mlle Malorthy vient de se périr, dit-elle.

Et, déjà satisfaite de l’effet produit, elle ajouta :

— Elle s’a ouvert la gorge avec un rasoir…

 

On lira ci-dessous la lettre de Monseigneur au chanoine Gerbier :

 

Mon cher Chanoine,

 

J’ai des remerciements à vous faire pour le sang-froid, l’intelligence et le zèle discret dont vous avez fait preuve au cours de certains événements bien douloureux à mon cœur paternel. Le malheureux abbé Donissan a quitté cette semaine la maison de santé de Vaubecourt, où il a été traité avec le plus grand dévouement par le docteur Jolibois. Ce praticien, élève du docteur Bernheim de Nancy, m’a entretenu hier du présent état de santé de notre cher enfant. Il a témoigné de cette largeur de vues et de cette tendre sollicitude que j’ai eu l’occasion d’admirer déjà bien souvent chez des hommes de science que leurs études ont malheureusement détournés de la foi. Il attribue ces troubles passagers à une grave intoxication des cellules nerveuses, probablement d’origine intestinale.

Sans manquer à la charité, qui doit être notre règle constante, je déplore avec vous la négligence, pour ne pas dire plus, de M. le doyen de Campagne. En agissant nettement et vigoureusement, il nous eût sans doute évité de paraître momentanément en conflit avec les autorités civiles. Toutefois, grâce à votre judicieuse intervention et après un premier malentendu, vite dissipé, M. le docteur Gallet a usé vis-à-vis de nous de la plus haute courtoisie en nous aidant à limiter le scandale. Par ailleurs, son diagnostic a été confirmé par son éminent confrère de Vaubecourt. Ces deux traits font autant d’honneur à son caractère qu’à ses connaissances professionnelles.

Le témoignage de Mlle Malorthy, les confidences faites en pleine démence, ou dans la période de pré-agonie, n’eussent pas suffi sans doute à compromettre, dans la personne de M. Donissan, la dignité de notre ministère. Mais sa présence au chevet de la mourante, en dépit de la protestation formelle de M. Malorthy, ne devait être en aucun cas tolérée par M. le doyen de Campagne. J’accorde que ce qui a suivi ne pouvait être prévu d’un homme sensé. Le désir de cette jeune personne, manifesté publiquement, d’être conduite au pied de l’église pour y expirer, ne devait pas être pris en considération. Outre que le père et le médecin traitant s’opposaient à une telle imprudence, ce qu’on sait du passé et de l’indifférence religieuse de Mlle Malorthy autorisait à croire que, déjà soignée jadis pour troubles mentaux, l’approche de la mort bouleversait sa faible raison. Que dire de l’altercation qui a suivi! Des étranges paroles prononcées par le malheureux vicaire! Que dire surtout du véritable rapt commis par lui, lors que, arrachant la malade aux mains paternelles, il l’a portée tout ensanglantée et moribonde à l’église, heureusement voisine! De tels excès sont d’un autre âge, et ne se qualifient point.

Grâce au ciel, le scandale a heureusement pris fin. De bonnes âmes, plus zélées que sages, attiraient déjà l’attention sur cette conversion in articulo mortis, dont l’invraisemblance nous eût couverts de ridicule. J’y ai mis bon ordre. Notre solution a contenté tout le monde. À l’exception sans doute de M. le doyen de Campagne qui, en se renfermant dans un silence dédaigneux, et en nous refusant son témoignage, s’est montré, pour le moins, singulier.

Sur mes instructions, M. l’abbé Donissan est entré à la Trappe de Tortefontaine. Il y restera jusqu’à confirmation de sa guérison. J’accorde que sa parfaite docilité plaide en sa faveur, et qu’il y a lieu d’espérer que nous pourrons un jour, ces faits regrettables tombés dans l’oubli, lui trouver dans le diocèse un petit emploi, en rapport avec ses capacités.

Cinq ans plus tard, en effet, l’ancien vicaire de Campagne était nommé curé desservant d’une petite paroisse, au hameau de Lumbres. Ses œuvres y sont connues de tous. La gloire, auprès de laquelle toute gloire humaine pâlit, alla chercher dans ce lieu désert le nouveau curé d’Ars. La deuxième partie de ce livre, d’après des documents authentiques et des témoignages que personne n’oserait récuser, rapporte le dernier épisode de son extraordinaire vie.

Wednesday, 1 December 2021

Good Reading: 1st Homily on St Matthew by St John Chrysostom (translated into English by George Prevost and M. B. Riddle)

It were indeed meet for us not at all to require the aid of the written Word, but to exhibit a life so pure, that the grace of the Spirit should be instead of books to our souls, and that as these are inscribed with ink, even so should our hearts be with the Spirit. But, since we have utterly put away from us this grace, come, let us at any rate embrace the second best course.

For that the former was better, God has made manifest, both by His words, and by His doings. Since unto Noah, and unto Abraham, and unto his offspring, and unto Job, and unto Moses too, He discoursed not by writings, but Himself by Himself, finding their mind pure. But after the whole people of the Hebrews had fallen into the very pit of wickedness, then and thereafter was a written word, and tables, and the admonition which is given by these.

And this one may perceive was the case, not of the saints in the Old Testament only, but also of those in the New. For neither to the apostles did God give anything in writing, but instead of written words He promised that He would give them the grace of the Spirit: for "He," says our Lord, "shall bring all things to your remembrance." John 14:26 And that you may learn that this was far better, hear what He says by the Prophet: "I will make a new covenant with you, putting my laws into their mind, and in their heart I will write them," and, "they shall be all taught of God." And Paul too, pointing out the same superiority, said, that they had received a law "not in tables of stone, but in fleshy tables of the heart."

But since in process of time they made shipwreck, some with regard to doctrines, others as to life and manners, there was again need that they should be put in remembrance by the written word.

Reflect then how great an evil it is for us, who ought to live so purely as not even to need written words, but to yield up our hearts, as books, to the Spirit; now that we have lost that honor, and have come to have need of these, to fail again in duly employing even this second remedy. For if it be a blame to stand in need of written words, and not to have brought down on ourselves the grace of the Spirit; consider how heavy the charge of not choosing to profit even after this assistance, but rather treating what is written with neglect, as if it were cast forth without purpose, and at random, and so bringing down upon ourselves our punishment with increase.

But that no such effect may ensue, let us give strict heed unto the things that are written; and let us learn how the Old Law was given on the one hand, how on the other the New Covenant.

How then was that law given in time past, and when, and where? After the destruction of the Egyptians, in the wilderness, on Mount Sinai, when smoke and fire were rising up out of the mountain, a trumpet sounding, thunders and lightnings, and Moses entering into the very depth of the cloud. But in the new covenant not so — neither in a wilderness, nor in a mountain, nor with smoke and darkness and cloud and tempest; but at the beginning of the day, in a house, while all were sitting together, with great quietness, all took place. For to those, being more unreasonable, and hard to guide, there was need of outward pomp, as of a wilderness, a mountain, a smoke, a sound of trumpet, and the other like things: but they who were of a higher character, and submissive, and who had risen above mere corporeal imaginations, Yea, for it was removal of punishment, and remission of sins, and "righteousness, and sanctification, and redemption," and adoption, and an inheritance of Heaven, and a relationship unto the Son of God, which he came declaring unto all; to enemies, to the perverse, to them that were sitting in darkness. What then could ever be equal to these good tidings? God on earth, man in Heaven; and all became mingled together, angels joined the choirs of men, men had fellowship with the angels, and with the other powers above: and one might see the long war brought to an end, and reconciliation made between God and our nature, the devil brought to shame, demons in flight, death destroyed, Paradise opened, the curse blotted out, sin put out of the way, error driven off, truth returning, the word of godliness everywhere sown, and flourishing in its growth, the polity of those above planted on the earth, those powers in secure intercourse with us, and on earth angels continually haunting, and hope abundant touching things to come.

Therefore he has called the history good tidings, forasmuch as all other things surely are words only without substance; as, for instance, plenty of wealth, greatness of power, kingdoms, and glories, and honors, and whatever other things among men are accounted to be good: but those which are published by the fishermen would be legitimately and properly called good tidings: not only as being sure and immoveable blessings, and beyond our deserts, but also as being given to us with all facility.

For not by laboring and sweating, not by fatigue and suffering, but merely as being beloved of God, we received what we have received.

And why can it have been, that when there were so many disciples, two write only from among the apostles, and two from among their followers? (For one that was a disciple of Paul, and another of Peter, together with Matthew and John, wrote the Gospels.) It was because they did nothing for vainglory, but all things for use.

"What then? Was not one evangelist sufficient to tell all?" One indeed was sufficient; but if there be four that write, not at the same times, nor in the same places, neither after having met together, and conversed one with another, and then they speak all things as it were out of one mouth, this becomes a very great demonstration of the truth.

"But the contrary," it may be said, "has come to pass, for in many places they are convicted of discordance." Nay, this very thing is a very great evidence of their truth. For if they had agreed in all things exactly even to time, and place, and to the very words, none of our enemies would have believed but that they had met together, and had written what they wrote by some human compact; because such entire agreement as this comes not of simplicity. But now even that discordance which seems to exist in little matters delivers them from all suspicion, and speaks clearly in behalf of the character of the writers.

But if there be anything touching times or places, which they have related differently, this nothing injures the truth of what they have said. And these things too, so far as God shall enable us, we will endeavor, as we proceed, to point out; requiring you, together with what we have mentioned, to observe, that in the chief heads, those which constitute our life and furnish out our doctrine, nowhere is any of them found to have disagreed, no not ever so little.

But what are these points? Such as follow: That God became man, that He wrought miracles, that He was crucified, that He was buried, that He rose again, that He ascended, that He will judge, that He has given commandments tending to salvation, that He has brought in a law not contrary to the Old Testament, that He is a Son, that He is only-begotten, that He is a true Son, that He is of the same substance with the Father, and as many things as are like these; for touching these we shall find that there is in them a full agreement.

And if among the miracles they have not all of them mentioned all, but one these, the other those, let not this trouble you. For if on the one hand one had spoken of all, the number of the rest would have been superfluous; and if again all had written fresh things, and different one from another, the proof of their agreement would not have been manifest. For this cause they have both treated of many in common, and each of them has also received and declared something of his own; that, on the one hand, he might not seem superfluous, and cast on the heap to no purpose; on the other, he might make our test of the truth of their affirmations perfect.

Now Luke tells us also the cause wherefore he proceeds to write: "that you may hold," says he, "the certainty of the words wherein you have been instructed;" Luke 1:4 that is, that being continually reminded you may hold to the certainty, and abide in certainty.

But as to John, he has himself kept silence touching the cause; yet, (as a tradition says, which has come down to us from the first, even from the Fathers,) neither did he come to write without purpose; but forasmuch as it had been the care of the three to dwell upon the account of the dispensation, and the doctrines of the Godhead were near being left in silence, he, moved by Christ, then and not till then set himself to compose his Gospel. And this is manifest both from the history itself, and from the opening of his Gospel. For he does not begin like the rest from beneath, but from above, from the same point, at which he was aiming, and it was with a view to this that he composed the whole book. And not in the beginning only, but throughout all the Gospel, he is more lofty than the rest.

Of Matthew again it is said, that when those who from among the Jews had believed came to him, and besought him to leave to them in writing those same things, which he had spoken to them by word, he also composed his Gospel in the language of the Hebrews. And Mark too, in Egypt, is said to have done this self-same thing at the entreaty of the disciples.

For this cause then Matthew, as writing to Hebrews, sought to show nothing more, than that He was from Abraham, and David; but Luke, as discoursing to all in general, traces up the account higher, going on even to Adam. And the one begins with His generation, because nothing was so soothing to the Jew as to be told that Christ was the offspring of Abraham and David: the other does not so, but mentions many other things, and then proceeds to the genealogy.

But the harmony between them we will establish, both by the whole world, which has received their statements, and by the very enemies of the truth. For many sects have had birth, since their time, holding opinions opposed to their words; whereof some have received all that they have said, while some have cut off from the rest certain portions of their statements, and so retain them for themselves. But if there were any hostility in their statements, neither would the sects, who maintain the contrary part, have received all, but only so much as seemed to harmonize with themselves; nor would those, which have parted off a portion, be utterly refuted by that portion; so that the very fragments cannot be hid, but declare aloud their connection with the whole body. And like as if you should take any part from the side of an animal, even in that part you would find all the things out of which the whole is composed — nerves and veins, bones, arteries, and blood, and a sample, as one might say, of the whole lump — so likewise with regard to the Scriptures; in each portion of what is there stated, one may see the connection with the whole clearly appearing. Whereas, if they were in discord, neither could this have been pointed out, and the doctrine itself had long since been brought to nought: "for every kingdom," says He, "divided against itself shall not stand." But now even in this shines forth the might of the Spirit, namely, in that it prevailed on these men, engaged as they were in those things which are more necessary and very urgent, to take no hurt at all from these little matters.

Now, where each one was abiding, when he wrote, it is not right for us to affirm very positively.

But that they are not opposed to each other, this we will endeavor to prove, throughout the whole work. And thou, in accusing them of disagreement, art doing just the same as if you were to insist upon their using the same words and forms of speech.

And I do not yet say, that those likewise who glory greatly in rhetoric and philosophy, having many of them written many books touching the same matters, have not merely expressed themselves differently, but have even spoken in opposition to one another (for it is one thing to speak differently and another to speak at variance); none of these things do I say. Far be it from me to frame our defense from the frenzy of those men, neither am I willing out of falsehood to make recommendations for the truth.

But this I would be glad to inquire: how were the differing accounts believed? How did they prevail? How was it that, while saying opposite things, they were admired, were believed, were celebrated everywhere in the world?

And yet the witnesses of what they said were many, and many too were the adversaries and enemies thereof. For they did not write these things in one corner and bury them, but everywhere, by sea and by land, they unfolded them in the ears of all, and these things were read in the presence of enemies, even as they are now, and none of the things which they said offended any one. And very naturally, for it was a divine power that pervaded all, and made it to prosper with all men.

For if it had not been so, how could the publican, and the fisherman, and the unlearned, have attained to such philosophy? For things, which they that are without have never been able to imagine, no not in a dream, are by these men with great certainty both published and made convincing, and not in their lives only, but even after death: neither to two men, nor twenty men, nor an hundred, nor a thousand, nor ten thousand, but to cities, nations, and people, both to land and sea, in the land both of Greeks and barbarians, both inhabited and desert; and all concerning things far beyond our nature. For leaving the earth, all their discourse is concerning the things in heaven, while they bring in unto us another principle of life, another manner of living: both wealth and poverty, freedom and slavery, life and death, our world and our polity, all changed.

Not like Plato, who composed that ridiculous Republic, or Zeno, or if there be any one else that has written a polity, or has framed laws. For indeed, touching all these, it has been made manifest by themselves, that an evil spirit, and some cruel demon at war with our race, a foe to modesty, and an enemy to good order, oversetting all things, has made his voice be heard in their soul. When, for example, they make their women common to all, and stripping virgins naked in the Palæstra, bring them into the gaze of men; and when they establish secret marriages, mingling all things together and confounding them, and overturning the limits of nature, what else is there to say? For that these their sayings are all inventions of devils, and contrary to nature, even nature herself would testify, not tolerating what we have mentioned; and this, though they write not amidst persecutions, nor dangers, nor fightings, but in all security and freedom, and deck it out with many ornaments from many sources. But these doctrines of the fishermen, chased as they were, scourged and in jeopardy, both learned and unlearned, both bond and free, both kings and private soldiers, both barbarians and Greeks, have received with all good will.

And you can not say, that it was because these things were trifling and low, that they were easily to be received by all men: nay, for these doctrines are far higher than those. For as to virginity, they never imagined even the name thereof so much as in a dream, nor yet of voluntary poverty, nor of fasting, nor of any other of those things that are high.

But they that are of our part not only exterminate lust, they chastise not only the act, but even an unchaste look, and insulting language, and disorderly laughter, and dress, and gait, and clamor, and they carry on their exactness even to the smallest things, and have filled the whole earth with the plant of virginity. And touching God too, and the things in heaven, they persuade men to be wise with such knowledge as no one of those has at any time been able so much as to conceive in his mind. For how could they, who made for gods images of beasts, and of monsters that crawl on the earth, and of other things still more vile?

Yet these high doctrines were both accepted and believed, and they flourish every day and increase; but the others have passed away, and perished, having disappeared more easily than spiders' webs.

And very naturally, for they were demons that published these things; wherefore besides their uncleanness, their obscurity is great, and the labor they require greater. For what could be more ridiculous than that "republic," in which, besides what I have mentioned, the philosopher, when he has spent lines without number, that he may be able to show what justice is, has over and above this prolixity filled his discourse with much indistinctness? This, even if it did contain anything profitable, must needs be very useless for the life of man. For if the husbandman and the smith, the builder and the pilot, and every one who subsists by the labor of his hands, is to leave his trade, and his honest toils, and is to spend such and such a number of years in order to learn what justice is; before he has learned he will often times be absolutely destroyed by hunger, and perish because of this justice, not having learned anything else useful to be known, and having ended his life by a cruel death.

But our lessons are not such; rather Christ has taught us what is just, and what is seemly, and what is expedient, and all virtue in general, comprising it in few and plain words: at one time saying that, "on two commandments hang the Law and the Prophets;" Matthew 22:40 that is to say, on the love of God and on the love of our neighbor: at another time, "Whatsoever ye would that men should do to you, do ye also to them; for this is the Law and the Prophets." Matthew 7:12

And these things even to a laborer, and to a servant, and to a widow woman, and to a very child, and to him that appears to be exceedingly slow of understanding, are all plain to comprehend and easy to learn. For the lessons of the truth are like this; and the actual result bears witness thereto. All at least have learned what things they are to do, and not learned only, but been emulous also of them; and not in the cities alone nor in the midst of the market places, but also in the summits of the mountains.

Yea, for there will you see true wisdom abounding, and choirs of angels shining forth in a human body, and the commonwealth of Heaven manifested here on earth. For a commonwealth did these fishermen too write for us, not with commands that it should be embraced from childhood, like those others, nor making it a law that the virtuous man must be so many years old, but addressing their discourse generally to every age. For those lessons are children's toys, but these are the truth of things.

And as a place for this their commonwealth they have assigned Heaven, and God they have brought in as the framer thereof, and as lawgiver of the statutes there set; as indeed was their duty. And the rewards in their commonwealth are not leaves of bay nor olive, nor an allowance of meat in the public hall, nor statues of brass, these cold and ordinary things, but a life which has no end, and to become children of God, to join the angels' choir, and to stand by the royal throne, and to be always with Christ. And the popular guides of this commonwealth are publicans, and fishermen, and tent-makers, not such as have lived for a short time, but such as are now living forever. Therefore even after their death they may possibly do the greatest good to the governed.

This republic is at war not with men, but with devils, and those incorporeal powers. Wherefore also their captain is no one of men, nor of angels, but God Himself. And the armor too of these warriors suits the nature of the warfare, for it is not formed of hides and steel, but of truth and of righteousness, and faith, and all true love of wisdom.

Since then the aforesaid republic is both the subject on which this book was written, and it is now proposed for us to speak thereof, let us give careful heed to Matthew, discoursing plainly concerning this: for what he says is not his own, but all Christ's, who has made the laws of this city. Let us give heed, I say, that we may be capable of enrolment therein, and of shining forth among those that have already become citizens thereof, and are awaiting those incorruptible crowns. To many, however, this discourse seems to be easy, while the prophetic writings are difficult. But this again is the view of men who know not the depth of the thoughts laid up therein. Wherefore I entreat you to follow us with much diligence, so as to enter into the very ocean of the things written, with Christ for our guide at this our entering in.

But in order that the word may be the more easy to learn, we pray and entreat you, as we have done also with respect to the other Scriptures, to take up beforehand that portion of the Scripture which we may be going to explain, that your reading may prepare the way for your understanding (as also was the case with the eunuch Acts 8:28), and so may greatly facilitate our task.

And this because the questions are many and frequent. See, for instance, at once in the beginning of his Gospel, how many difficulties might be raised one after the other. As first, wherefore the genealogy of Joseph is traced, who was not father of Christ. Secondly, whence may it be made manifest that He derives His origin from David, while the forefathers of Mary, who bare Him, are not known, for the Virgin's genealogy is not traced? Thirdly, on what account Joseph's genealogy is traced, when he had nothing to do with the birth; while with regard to the Virgin, who was the very mother, it is not shown of what fathers, or grandfathers, or ancestors, she is sprung.

And along with these things, this is also worth inquiry, wherefore it can be, that, when tracing the genealogy through the men, he has mentioned women also; and why since he determined upon doing this, he yet did not mention them all, but passing over the more eminent, such as Sarah, Rebecca, and as many as are like them, he has brought forward only them that are famed for some bad thing; as, for instance, if any was a harlot, or an adulteress, or a mother by an unlawful marriage, if any was a stranger or barbarian. For he has made mention of the wife of Uriah, and of Thamar, and of Rahab, and of Ruth, of whom one was of a strange race, another an harlot, another was defiled by her near kinsman, and with him not in the form of marriage, but by a stolen intercourse, when she had put on herself the mask of an harlot; and touching the wife of Uriah no one is ignorant, by reason of the notoriety of the crime. And yet the evangelist has passed by all the rest, and inserted in the genealogy these alone. Whereas, if women were to be mentioned, all ought to be so; if not all but some, then those famed in the way of virtue, not for evil deeds.

See you how much care is required of us straightway in the first beginning? And yet the beginning seems to be plainer than the rest; to many perhaps even superfluous, as being a mere numbering of names.

After this, another point again is worth inquiry; wherefore he has omitted three kings. For if, because they were exceeding ungodly, he therefore passed by their names in silence, neither should he have mentioned the others, that were like them.

And this again is another question; why, after having spoken of fourteen generations, he has not in the third division maintained the number.

And wherefore Luke has made mention of other names, and not only not all of them the same, but also many more of them, while Matthew has both fewer and different, though he too has ended with Joseph, with whom Luke likewise concluded.

You see how much wakeful attention is needed on our part, not only for explanation, but even that we may learn what things we have to explain. For neither is this a little matter, to be able to find out the difficulties; there being also this other hard point, how Elizabeth, who was of the Levitical tribe, was kinswoman to Mary.

But that we may not overload your memory, by stringing many things together, here let us stay our discourse for a time. For it is enough for you in order that you be thoroughly roused, that you learn the questions only. But if you long for their solution also, this again depends on yourselves, before we speak. For if I see you thoroughly awakened, and longing to learn, I will endeavor to add the solution also; but if gaping and not attending, I will conceal both the difficulties, and their solution, in obedience to a divine law. For, says He, "Give not the holy things to the dogs, neither cast ye your pearls before swine, lest they trample them under their feet."

But who is he that tramples them under foot? He that does not account these things precious, and venerable. And who, it may be asked, is so wretched as not to esteem these things venerable, and more precious than all? He who does not bestow on them so much leisure as on the harlot women in the theatres of Satan. For there the multitude pass the whole day, and give up not a few of their domestic concerns for the sake of this unseasonable employment, and they retain with exactness whatever they have heard, and this though it be to the injury of their souls, that they keep it. But here, where God is speaking, they will not bear to tarry even a little time.

Therefore, let me warn you, we have nothing in common with Heaven, but our citizenship goes no further than words. And yet because of this, God has threatened even hell, not in order to cast us therein, but that He might persuade us to flee this grievous tyranny. But we do the opposite, and run each day the way that leads there, and while God is commanding us not only to hear, but also to do what He says, we do not submit so much as to hearken.

When then, I pray you, are we to do what is commanded, and to put our hand to the works, if we do not endure so much as to hear the words that relate to them, but are impatient and restless about the time we stay here, although it be exceedingly short?

And besides, when we are talking of indifferent matters, if we see those that are in company do not attend, we call what they do an insult; but do we consider that we are provoking God, if, while He is discoursing of such things as these, we despise what is said, and look another way?

Why, he that is grown old, and has travelled over much country, reports to us with all exactness the number of stadia, and the situations of cities, their plans, and their harbors and markets; but we ourselves know not even how far we are from the city that is in Heaven. For surely we should have endeavored to shorten the space, had we known the distance. That city being not only as far from us as Heaven is from the earth, but even much farther, if we be negligent; like as, on the other hand, if we do our best, even in one instant we shall come to the gates thereof. For not by local space, but by moral disposition, are these distances defined.

But you know exactly the affairs of the world, as well new as old, and such too as are quite ancient; you can number the princes under whom you have served in time past, and the ruler of the games, and them that gained the prize, and the leaders of armies, matters that are of no concern to you; but who has become ruler in this city, the first or the second or the third, and for how long, each of them; and what each has accomplished, and brought to pass, you have not imagined even as in a dream. And the laws that are set in this city you will not endure to hear, nor attend to them, even when others tell you of them. How then, I pray you, do you expect to obtain the blessings that are promised, when thou dost not even attend to what is said?

But though never before, now, at any rate, let us do this. Yea, for we are on the point of entering into a city (if God permit) of gold, and more precious than any gold.

Let us then mark her foundations, her gates consisting of sapphires and pearls; for indeed we have in Matthew an excellent guide. For through his gate we shall now enter in, and much diligence is required on our part. For should He see any one not attentive, He casts him out of the city.

Yes, for the city is most kingly and glorious; not as the cities with us, divided into a market-place, and the royal courts; for there all is the court of the King. Let us open therefore the gates of our mind, let us open our ears, and with great trembling, when on the point of setting foot on the threshold, let us worship the King that is therein. For indeed the first approach has power straightway to confound the beholder.

For the present we find the gates closed; but when we see them thrown open (for this is the solution of the difficulties), then we shall perceive the greatness of the splendor within. For there also, leading you with the eyes of the Spirit, is one who offers to show you all, even this Publican; where the King sits, and who of His host stand by Him; where are the angels, where the archangels; and what place is set apart for the new citizens in this city, and what kind of way it is that leads there, and what manner of portion they have received, who first were citizens therein, and those next after them, and such as followed these. And how many are the orders of these tribes, how many those of the senate, how many the distinctions of dignity.

Let us not therefore with noise or tumult enter in, but with a mystical silence.

For if in a theatre, when a great silence has been made, then the letters of the king are read, much more in this city must all be composed, and stand with soul and ear erect. For it is not the letters of any earthly master, but of the Lord of angels, which are on the point of being read.

If we would order ourselves on this wise, the grace itself of the Spirit will lead us in great perfection, and we shall arrive at the very royal throne, and attain to all the good things, by the grace and love towards man of our Lord Jesus Christ, to whom be glory and might, together with the Father and the Holy Ghost, now and always, even for ever and ever. Amen.