Thursday, 9 December 2021

Thursday's Serial: “Sous le Soleil de Satan” by George Bernanos (in French) - VIII

LE SAINT DE LUMBRES

 

Chapitre I

Il ouvrit la fenêtre ; il attendait encore on ne sait quoi. À travers le gouffre d’ombre ruisselant de pluie, l’église luisait faiblement, seule vivante… « Me voici », dit-il, comme en rêve…

La vieille Marthe, en bas, tirait les verrous. Au loin, l’enclume du maréchal tinta. Mais déjà il n’écoutait plus : c’était l’heure de la nuit où cet homme intrépide, soutien de tant d’âmes, chancelait sous le poids de son magnifique fardeau. « Pauvre curé de Lumbres ! disait-il en souriant, il ne fait rien de bon… il ne sait même plus dormir ! » Il disait aussi : « Croyez-vous bien ? J’ai peur du noir !… »

La lampe du sanctuaire dessinait peu à peu, dans la nuit, l’ogive des grandes fenêtres à trois meneaux. La vieille tour, construite entre le chœur et la grande nef, élevait juste au-dessus sa flèche en charpente, et son pesant beffroi. Il ne les voyait plus. Il était debout, face aux ténèbres, seul, et comme à la proue d’un navire. La grande vague ténébreuse roulait autour avec un bruit surhumain. Des quatre coins de l’horizon accouraient vers lui les champs et les bois invisibles… et derrière les champs et les bois, d’autres villages et d’autres bourgs, tous pareils, crevant d’abondance, ennemis des pauvres, pleins d’avares accroupis, froids comme des suaires… Et plus loin encore les villes, qui ne dorment jamais.

— Mon Dieu ! Mon Dieu !… répétait-il, ne pouvant pleurer ni prier… Comme au chevet d’un moribond, chaque minute tombait dans ces ténèbres, irréparable. Si courtes que soient les nuits, le jour vient trop tard ; Célimène a déjà mis son rouge, l’ivrogne a cuvé son vin. La sorcière, retour du sabbat, toute chaude encore, s’est glissée dans ses draps blancs… Le jour vient trop tard… Mais la seule justice, d’un pôle à l’autre, surprendra le monde.

Il finit par glisser à genoux, comme on coule à pic. Cette justice, qu’un peuple généreux attend de M. le ministre des Finances, il ne la cherchait pas si loin — plutôt là-bas, au-dessous de l’horizon, toute prête, pétrie à l’aube prochaine, irrésistible, dans la nuit qui vole en éclats. La main ouverte ne se fermera pas… la parole séchera sur les lèvres… le monstre Évolution, fixé à jamais, cessera soudain de s’étendre et de bouillonner… L’effrayante aurore, qui se lève au dedans de l’homme, donnera à la pensée la plus secrète sa forme et son volume éternel, et le cœur double et furtif ne pourra même plus se renier… Consummatum est, c’est-à-dire tout est défini pour toujours.

M. Loyolet, inspecteur d’Académie (au titre d’agrégé ès lettres), a voulu voir le saint de Lumbres, dont tout le monde parle. Il lui a fait une visite, en secret, avec sa fille et sa dame. Il était un peu ému. « Je m’étais figuré un homme imposant, dit-il, ayant de la tenue et des manières. Mais ce petit curé n’a pas de dignité : il mange en pleine rue, comme un mendiant »… « Quel dommage, disait-il aussi, qu’un tel homme puisse croire au diable ! »

Le curé de Lumbres y croit, et cette nuit même il le craint. « J’étais, a-t-il avoué plus tard, éprouvé depuis des semaines, par une angoisse nouvelle pour moi : j’avais passé ma vie au confessionnal, et j’étais tout à coup accablé du sentiment de mon impuissance ; je sentais moins de pitié que de dégoût. Il faut n’être qu’un pauvre prêtre pour savoir ce que c’est que l’effrayante monotonie du péché !… Je ne trouvais rien à dire… Je ne pouvais plus qu’absoudre et pleurer… »

Au-dessus de lui, la nuée se déchire en lambeaux. Une, dix, cent étoiles renaissent, une par une, à la cime de la nuit. Une pluie fine, une poussière d’eau retombe d’un nuage crevé par le vent. Il respire l’air rafraîchi, détendu par l’orage… Ce soir, il ne se défendra plus : il n’a plus rien à défendre ; il a tout donné ; il est vide… Ce cœur humain, il le connaît bien, lui… (Il y est entré avec sa pauvre soutane et ses gros souliers.) Ce cœur !

Ce vieux cœur, qu’habite l’incompréhensible ennemi des âmes, l’ennemi puissant et vil, magnifique et vil. L’étoile reniée du matin : Lucifer, ou la fausse Aurore…

Il sait tant de choses, pauvre curé de Lumbres ! que la Sorbonne ne sait pas. Tant de choses qui ne s’écrivent pas, qui se disent à peine, dont on s’arrache l’aveu, comme d’une plaie refermée — tant de choses ! Et il sait aussi ce qu’est l’homme : un grand enfant plein de vices et d’ennui.

Qu’apprendrait-il de nouveau, ce vieux prêtre ? Il a vécu mille vies, toutes pareilles. Il ne s’étonnera plus ; il peut mourir. Il y a des morales toutes neuves, mais on ne renouvellera pas le péché.

Pour la première fois, il doute, non pas de Dieu, mais de l’homme. Mille souvenirs le pressent : il entend les plaintes confuses les bégaiements pleins de honte, le cri de douleur de la passion qui se dérobe et qu’un mot a clouée sur place, que la parole lucide retourne et dépouille toute vive… Il revoit les pauvres visages bouleversés, les regards qui veulent et ne veulent pas, les lèvres vaincues qui se relâchent, et la bouche amère qui dit non… Tant de faux révoltés, si éloquents dans le monde, qu’il a vus à ses pieds, risibles ! Tant de cœurs fiers, où pourrit un secret ! Tant de vieux hommes, pareils à d’affreux enfants ! Et par-dessus tout, fixant le monde d’un regard froid, les jeunes avares, qui ne pardonnent jamais.

Aujourd’hui comme hier, comme au premier jour de sa vie sacerdotale, les mêmes… Il est au terme de son effort, et l’obstacle manque tout à coup. Ceux qu’il a voulu délivrer, c’étaient ceux-là mêmes qui refusent la liberté comme un fardeau, et l’ennemi qu’il a poursuivi jusqu’au ciel rit au-dessous, insaisissable, invulnérable. Tous l’ont berné. « Nous cherchons la paix, » disaient-ils. Non pas la paix, mais un court repos, une halte dans les ténèbres. Aux pieds du solitaire, ils venaient jeter leur écume ; et puis ils retournaient à leurs tristes plaisirs, à leur vie sans joie. (Et il se comparait aussi à ces vieilles murailles insultées, où le passant grave une ligne obscène, et qui se détruisent lentement, pleines de secrets dérisoires.)

Ceux qu’il a tant de fois consolés ne le connaîtraient plus. À cette minute, une des plus tragiques de sa vie, il se sent pressé de toutes parts, tout est remis en question. Certaines pensées plus perfides, longtemps repoussées, réapparaissent soudain, et il ne les connaît plus. Il trouve à toute choses un sens, et comme une saveur nouvelle… Pour la première fois, il contemple sans amour, mais avec pitié, le lamentable troupeau humain, né pour paître et mourir. Il goûte l’amer sentiment de sa défaite et de sa grandeur. À la limite de l’angoisse, la volonté intrépide refuse de s’avouer vaincue ; elle veut retrouver son équilibre, coûte que coûte…

Il est debout, maintenant ; il pose devant lui un regard inflexible… Que de nuits, pareilles à cette nuit, jusqu’à la dernière nuit ! Mais toujours, dans la foule, la grâce divine frappera son coup ; toujours elle marquera quelqu’un de ces hommes, vers qui monte la justice, à travers le temps, comme un astre. L’astre docile accourt à leur voix.

Il ne regarde plus la petite église, il regarde au-dessus. Il est tout vibrant d’une exaltation sans joie. Il ne souffre presque plus, il est fixé pour toujours. Il ne désire rien ; il est vaincu. Par la brèche ouverte, l’orgueil rentre à flots dans son cœur…

— Je me damnais, sans y penser, disait-il plus tard ; je me sentais durcir comme une pierre.

Le projet qu’il a tant de fois formé d’aller se cacher pour mourir dans une retraite au bord du monde, Chartreuse ou Trappe, revient se présenter à son esprit mais comme une image nouvelle, avec une crispation du cœur, aiguë et douce, un évanouissement mystérieux. À de telles minutes, jadis, le pasteur n’abandonnait point son troupeau : il rêvait de le porter avec soi, jusqu’au lieu de sa pénitence, pour vivre encore et mériter pour lui. Mais à présent ce souvenir même s’efface, le dernier. L’infatigable ami des âmes ne souhaite plus que le repos, et quelque chose, encore, dont la pensée secrète détend toutes ses fibres, le besoin de mourir, pareil au désir des larmes… Et ce sont, en effet, des larmes qui baignent ses yeux, mais sans décharger son cœur, et dans sa naïveté le vieil homme ne les reconnaît plus, s’étonne et ne peut donner un nom à ce vertige voluptueux. La tentation suprême, où se sont abîmées avant lui tant de ces âmes ardentes, qui traversent d’un coup le plaisir et trouvent le néant, pour l’embrasser d’une définitive étreinte, il y va succomber, sans avoir ouvert les yeux. À la limite de son immense effort, la fatigue, tant de fois vaincue, refoulée, jaillit de lui, comme l’effusion de son propre sang. Nul remords. L’ennemi plein de ruse le roule dans cette lassitude désespérée comme dans un suaire, avec une adresse infinie, l’affreuse dérision des soins maternels… C’est en vain que le vieil homme accablé dirige, à travers la nuit blanchissante, un regard où s’élève une dernière lueur, et qui ne reflétera pas le jour levant. Il ne voit rien au dedans de lui, aucune image où fixer la tentation, aucun signe du travail qui le détruit lentement, sous les yeux d’un maître impassible. Ce n’est plus ce cloître qu’il désire, mais quelque chose de plus secret que la solitude, l’évanouissement d’une chute éternelle, dans les ténèbres refermées. À celui qui tint si longtemps sa chair esclave, la volupté découvre à la fin son vrai visage, plein d’un rire immobile. Et ce n’est pas non plus cette image, ni aucune autre, qui troublera les sens du vieux solitaire, mais, dans son cœur candide et têtu, l’autre concupiscence s’éveille, ce délire de la connaissance qui perdit la mère des hommes, droite et pensive, au seuil du Bien et du Mal. Connaître pour détruire, et renouveler dans la destruction sa connaissance et son désir — ô soleil de Satan ! — désir du néant recherché pour lui-même, abominable effusion du cœur ! Le saint de Lumbres n’a plus de force que pour appeler ce repos effroyable ; la grâce divine met un voile devant ces yeux tout à l’heure pleins encore du mystère divin… Ce regard si clair hésite à présent, ne sait où se poser… Une étrange jeunesse, une avidité naïve, pareille à la première blessure des sens, échauffe le vieux sang, bat dans sa maigre poitrine… Il cherche à tâtons, il caresse la mort, à travers tant de voiles, d’une main qui défaille.

Jusqu’à cette minute solennelle, sa vie a-t-elle eu un sens ? Il l’ignore. Il ne voit derrière lui qu’un paysage aride, et ces foules, qu’il a traversées, en les bénissant. Mais quoi ! Le troupeau trotte encore sur ses talons, le poursuit, le presse, ne lui laisse aucun repos, insatiable, avec cette grande rumeur anxieuse, et ce piétinement de bêtes blessées… Non ! il ne tournera pas la tête, il ne veut pas. Ils l’ont poussé jusque-là, jusqu’au bord, et au delà… ô miracle ! il y a le silence, le vrai silence, l’incomparable silence, son repos.

— Mourir, dit-il à voix basse, mourir… Il épèle le mot, pour s’en pénétrer, pour le digérer dans son cœur… C’est vrai qu’il le sent maintenant au fond de lui, dans ses veines, ce mot, poison subtil… Il insiste, il redouble, avec une fièvre grandissante ; il voudrait le vider d’un coup, hâter sa fin. Dans son impatience, il y a ce besoin du pécheur d’enfoncer dans son crime, toujours plus avant, pour s’y cacher à son juge ; il est à cette minute où Satan pèse de tout son poids, où s’appliquent au même point, d’une seule pesée, toutes les puissances d’en bas.

Et c’est en haut qu’il lève pourtant son regard, vers le carré de ciel grisâtre, où la nuit se dissipe en fumées. Jamais il n’a prié avec cette volonté dure, d’un tel accent. Jamais sa voix ne parut plus forte entre ses lèvres, murmure au dehors, mais qui au dedans retentit, pareille à un grondement prisonnier dans un bloc d’airain… Jamais l’humble thaumaturge, dont on raconte tant de choses, ne se sentit plus près du miracle, face à face. Il semble que sa volonté se détend pour la première fois, irrésistible, et qu’une seule parole, articulée dans le silence, va le détruire à jamais… Oui, rien ne le sépare du repos qu’un dernier mouvement de sa volonté souveraine… Il n’ose plus regarder l’église ni, dans la brume de l’aube, les maisons de son petit troupeau ; une honte le retient, qu’il a hâte de dissiper par un acte irréparable… À quoi bon s’embarrasser d’autres soins superflus ? Il baisse les yeux vers la terre, son refuge.

 

Chapitre II

C’est alors que par deux fois la porte basse, qui donne sur la route de Chavranches, claqua. Dans la courette, le poulailler tout entier battit des ailes. Le chien Jacquot secoua sa chaîne, et tous ces bruits ne firent qu’une seule note claire, dans le clair matin.

Les socques de la vieille Marthe claquaient déjà sur les marches — clic, clac, — et plus sourds, dans l’herbe humide — floc, floc. Puis la serrure grinça.

À ce moment le saint de Lumbres s’éveilla. Il n’y a de silence absolu que de l’autre côté de la vie ; par la plus mince fissure, le réel glisse et rejaillit, reprend son niveau. Un signe nous rappelle, un mot tout bas murmuré ressuscite un monde aboli, et tel parfum jadis respiré est plus tenace que la mort… Les yeux du bonhomme se tournèrent d’instinct vers le pauvre oignon d’argent, souvenir du Grand Séminaire, attaché au mur : « À cette heure du matin, se dit-il, assurément c’est un malade. » Un malade, un de ses enfants ! De son regard si bref et si aigu, il revit le village épars et les fumées dans les arbres. Toute la petite paroisse, et tant d’âmes à travers le monde, dont il était la force et la joie, l’appellent, le nomment… Il écoute ; il a déjà répondu ; il est prêt.

Qu’est-ce qui l’attend, au bas de l’escalier — son perchoir — comme il aime à dire ? Quelles paroles ? Quel visage ? Et, tout à l’heure encore, quel nouveau combat ? Car il emporte en lui cette chose qu’il ne peut nommer, accroupie dans son cœur, si large et pesante, son angoisse, Satan. Il n’a pas recouvré la paix, il le sait. Avec lui, respire un autre être. Parce que la tentation est comme la naissance d’un autre homme dans l’homme, et son affreux élargissement. Il traîne au dedans ce fardeau ; il n’ose le jeter, où le jetterait-il ? Dans un autre cœur.

Mais le saint est toujours seul, au pied de la croix. Nul autre ami.

— Monsieur le curé, s’écrie la vieille Marthe, monsieur le curé !

Il a descendu les marches sans y penser, et il poursuit son rêve à travers la cuisine, vers le jardin, les yeux mi-clos… La bonne femme le tire par la manche.

— Dans la salle, monsieur le curé, dans la salle…

Et elle hausse un peu les épaules, avec un sourire de pitié.

Cette salle est une belle pièce, une très belle pièce, bien cirée. On y voit six chaises de paille, deux bécassines empaillées sur la cheminée de marbre gris, à côté d’un gros coquillage, et une monumentale statue de Notre-Dame de Lourdes, en plâtre blanc, d’un terrible blanc bleuté (sœur Saint-Mémorin l’a rapportée de Conflans-en-Somme, aux dernières vacances de Pâques). Il y a aussi une Mise au tombeau, dans un cadre de chêne, toute piquée de moisissure. Et encore, sur le papier aux ramages pâlis (un vrai papier d’auberge), près de l’unique fenêtre, une grande croix de bois noir sans Christ, toute nue.

(Et c’est elle que M. le curé a vue premièrement, et il a aussitôt détourné les yeux…)

— Monsieur le curé, dit Marthe, voilà not’Maître du Plouy, rapport à son garçon malade…

Le Maître du Plouy s’est levé, a toussé un bon coup, et craché dans les cendres. Devant lui, la tasse à café, vide, fume encore.

— Lequel ? demande étourdiment le vieux prêtre.

…Et il s’arrête aussitôt, rougit sous le regard de Marthe, et balbutie… Chacun sait, mon Dieu! que le Maître du Plouy n’a qu’un garçon ! Mais le voyageur ne s’étonne pas, et rectifie paisiblement:

— C’est Tiennot, not’gars. Ça l’a pris, retour des Vêpres, comme on dirait une indigestion. Et puis des maux de tête à crier grâce. Alors, au petit matin, voilà qu’il dit à sa mère : « Mé, je peux plus remuer. » C’était vrai. Ni bras, ni jambes, rien. Une paralysie. Et des yeux tout retournés. M. Gambillet me dit : « Mon pauvre Arsène ! c’est la fin. » Une méningite, qu’il a dit. Alors la mère a entendu ; vous savez ce que c’est ? On ne peut pas lui faire entendre raison. « Va-t’en chercher le curé de Lumbres », qu’elle criait… Alors j’ai attelé le cheval, et me voici.

Il regarde le saint de Lumbres d’un bon regard où luit tout de même, à travers les larmes, un peu d’ironie. D’homme à homme, on sait ce que c’est qu’une idée de femme. (Et puis ce saint dont on raconte tant d’histoires, et qui ne connaît pas encore le petit gars du Plouy, ce saint auquel on en remontre !)

— Mon ami… mon bon ami… bredouille l’abbé, je veux bien… c’est-à-dire… je voudrais… je crains vraiment… Voyons, voyons ! Luzarnes n’est pas ma paroisse, et M. le curé de Luzarnes… Je suis très touché du souvenir de Mme Havret — pauvre femme ! — mais je dois… je devrais…

Il craint surtout d’humilier un confrère susceptible. Et puis il est si bas, aujourd’hui, vraiment !

Mais le Maître du Plouy n’a qu’une parole. Il a déjà roulé son cache-nez, fermé son manteau de drap. Et Marthe met entre les mains de son maître, avec autorité, un vieux chapeau verdi… Il faut partir… Il est parti.

 

Chapitre III

M. le curé de Luzarnes est un homme simple. Il vit de peu ; d’un petit nombre de sentiments simples, que sa prudence n’exprime pas. Il est jeune encore, passé cinquante ans, et il le sera toujours ; il n’a pas d’âge. Sa conscience est nette comme le feuillet d’un grand livre, sans ratures et sans pâté. Son passé n’est pas vide ; il y retrouve quelques joies, il les compte, il s’étonne qu’elles soient si bien mortes, en si bel ordre, à leur place, alignées comme des chiffres. Étaient-elles des joies vraiment ? Ont-elles jamais respiré ? Ont-elles jamais battu ?…

C’est un bon prêtre, assidu, ponctuel, qui n’aime pas qu’on trouble sa vie, fidèle à sa classe, à son temps, aux idées de son temps, prenant ceci, laissant cela, tirant de toutes choses un petit profit, né fonctionnaire et moraliste, et qui prédit l’extinction du paupérisme — comme ils disent — par la disparition de l’alcool et des maladies vénériennes, bref l’avènement d’une jeunesse saine et sportive, en maillots de laine, à la conquête du royaume de Dieu.

« Notre saint de Lumbres, » dit-il parfois avec un fin sourire. Mais, dans le feu de la discussion, il dit aussi : « Votre Saint ! » d’une autre voix. Car, s’il reproche volontiers au gouvernement diocésain son formalisme et son scrupule, il n’en déplore pas moins le désordre causé dans une juridiction paisible par un de ces hommes miraculeux qui bouleversent tous les calculs. « Monseigneur ne montrera jamais, en telle matière, trop de prudence et de discernement », conclut-il, prudent comme un chanoine, et déjà hérissé de textes… Seigneur ! Un saint ne va pas sans beaucoup de dégâts, mais on doit faire la part du feu.

Chaque tour de roue rapproche le curé de Lumbres de ce censeur impitoyable. Au travers du brouillard, il voit déjà ses yeux gris, si vifs, narquois, jamais en repos, où danse une petite flamme, toute grêle. À six kilomètres de sa pauvre paroisse au chevet d’un enfant riche à l’agonie, amené là comme un thaumaturge, quelle ridicule affaire ! Quel scandale ! Il reçoit par avance, en pleine poitrine, la phrase de bienvenue, pleine de malice… Que lui veut-on ! Espèrent-ils un miracle de cette vieille main fripée qui tremble à chaque cahot, sur le drap de sa soutane, gris d’usure ?…

Il regarde cette main paysanne, jamais nette, avec un effroi d’écolier. Ah ! qu’est-il, au milieu d’eux tous, qu’un paysan pauvre et têtu, fidèle au labeur quotidien pas à pas dans le grand champ vide ? Chaque jour lui présente une nouvelle tâche, comme un coin de terre à retourner, où enfoncer ses gros souliers. Il va, il va, sans tourner la tête, jetant à droite et à gauche une parole sans art, en bénissant du signe de la croix, infatigable. (Ainsi, dans le brouillard d’automne, les ancêtres jetaient l’orge et le blé.) Pourquoi viennent-ils de si loin, hommes et femmes, qui ne savent que son nom, et des récits légendaires ? À lui, plutôt qu’à d’autres, si bien parlants, curés de villes ou de gros villages et qui connaissent leur monde ? Bien des fois, à la chute du jour, oppressé de fatigue, il a retourné cette idée dans sa tête, jusqu’à l’obsession. Et puis, fermant les yeux, il finissait par s’endormir dans la pensée des incompréhensibles dons de Dieu, et de l’étrangeté de ses voies… Mais aujourd’hui ! D’où vient que le sentiment de son impuissance à faire le bien l’humilie sans lui rendre la paix ? Est-elle donc si rude à ses lèvres, la parole du renoncement fidèle ? Ô l’étrange détour du cœur ! Tantôt il rêvait d’échapper aux hommes, au monde, à l’universel péché ; le souvenir de son grand effort inutile, de la majesté de sa vie, de son extraordinaire solitude allait jeter sur sa mort une dernière joie, pleine d’amertume — et voilà qu’il doute à présent de cet effort même, et que Satan le tire plus bas… L’homme de sacrifice, lui ? La victime désignée, marquée ?… Non pas ! Mais un maniaque ignorant exalté par le jeûne et l’oraison, un saint villageois, fait pour l’émerveillement des oisifs et des blasés… « C’est ainsi, c’est ainsi !… » murmurait-il entre ses lèvres, à chaque cahot, les yeux vagues… Cependant la haie filait à droite et à gauche ; la carriole courait comme un rêve, mais la terrible angoisse courait devant, et l’attendait à chaque borne.

Car cet homme étrange, où tant d’autres se déposèrent comme un fardeau, eut le génie de la consolation et ne fut jamais consolé. On sait qu’il s’en ouvrit parfois, aux rares moments où il se déchargeait de sa peine, et pleurait dans les bras du P. Battelier, invoquant la pitié divine, avec des plaintes naïves, dans un langage d’enfant. Au fond du pauvre confessionnal de Lumbres, qui sent les ténèbres et la moisissure, ses fils à genoux n’entendaient que la voix souveraine, au-dessus de l’éloquence, qui crevait les cœurs les plus durs, impérieuse, suppliante et, dans sa douceur même, inflexible. De l’ombre sacrée où remuaient les lèvres invisibles, la parole de paix allait s’élargissant jusqu’au ciel et traînait le pécheur hors de soi, délié, libre. Parole simple, reçue dans le cœur, claire, nerveuse elliptique à travers l’essentiel, puis pressante irrésistible, faite pour exprimer tout le sens d’un commandement surhumain, où ceux qui l’aimaient mieux reconnurent plus d’une fois l’accent et comme l’écho de la plus violente des âmes. Hélas ! tandis qu’il se prodiguait ainsi au dehors, le dispensateur de la paix ne trouvait en lui-même que désordre, cohue, la galopade des images emportées, un sabbat plein de grimaces et de cris… Suivi d’un affreux silence.

Plusieurs ne comprirent jamais par quel miracle le même que des milliers d’hommes choisirent pour arbitre aux plus redoutables conflits du devoir se montre toujours, dans sa propre querelle, inégal, presque timide. « On s’amuse de moi, disait-il, on se sert de moi comme d’un jouet. » C’est ainsi qu’il donnait à pleines mains cette paix dont il était vide.

 

Chapitre IV

— Nous voilà, dit le Maître de Plouy, en tendant son fouet vers une fumée, à travers les arbres.

Un petit bonhomme, culotté de bleu horizon, poussa la barrière et prit les rênes. À l’entrée de la cour, maître Havret mit pied à terre. Son compagnon le suivit jusqu’à la maison.

M. le curé de Luzarnes les accueillit sur le seuil, haute silhouette noire.

— Mon cher confrère, dit-il, vous êtes attendu ici comme un grand seigneur de jadis, en détresse, attendait M. Saint-Vincent…

Il souriait encore, jovial, mais avec une espèce de discrétion professionnelle, à deux pas du petit moribond. En même temps, il corrigeait la plaisanterie d’une vigoureuse poignée de main, à la campagnarde.

…Mais déjà le curé de Lumbres l’entraînait au dehors, à quelques pas, au milieu des poules effarouchées.

— Je suis honteux, mon ami, véritablement honteux, dit-il de sa voix la plus douce, je vous prie d’excuser… l’ignorance de cette pauvre dame… Je vous prie aussi… de me pardonner… Nous parlerons de ça plus tard, conclut-il sur un autre ton, et vous verrez que je suis… le plus coupable des deux…

M. le curé de Luzarnes sentait sur son bras l’étreinte des doigts nerveux, un peu tremblants. Jusque dans l’humiliation volontaire de cet homme surnaturel, le don qu’il avait reçu rejaillissait au dehors, et il agissait encore en maître.

— Mon bon confrère, répondit l’ancien professeur de chimie, déjà moins jovial, ne vous accusez pas devant moi… Je passe, à tort ou à raison, pour un esprit fort, et même, auprès de quelques-uns, pour un mauvais esprit… Formation scientifique, vous savez, voilà tout… des nuances, un vocabulaire un peu différent… Mais je n’en ai pas moins… la plus grande estime pour votre caractère…

Il parlait, les yeux baissés, avec un embarras grandissant. Il se sentait ridicule, odieux peut-être. Enfin, il se tut. Mais, avant de relever le front, il vit, comme en lui-même, comme au plus profond miroir, le regard posé sur le sien, et il dut le chercher malgré lui, il dut se livrer tout entier… Une seconde, il se sentit nu, devant son juge plein de pardon.

Il ne voyait que le regard, dans la face tremblante, détendue, livide. Ce regard qui l’appelait de si loin, suppliant, désespéré. Plus fort que deux bras tendus, plus pitoyable qu’un cri, muet, noir, irrésistible… « Que me veut-il ? »… se demandait le bonhomme, avec une espèce d’horreur sacrée… « Je croyais le voir dans l’étang de feu ! » expliqua-t-il plus tard. Une inexplicable pitié lui crevait dans le cœur.

Un moment, sur son bras, il sentit la vieille main trembler plus fort.

— Priez pour moi… murmura le saint de Lumbres à son oreille.

Mais, resserrant son étreinte, puis s’écartant d’un geste brusque, il ajouta, d’une autre voix, rude, d’un homme qui défend sa vie :

— Ne me tentez pas !…

Et ils rentrèrent dans la maison, côte à côte, sans plus rien dire.

« Ne me tentez pas ! »

Il n’avait jeté que ce cri. Il aurait voulu expliquer… s’excuser…, déjà rouge de honte à la pensée qu’il entrait dans cette maison en dispensateur des biens de la vie, désespérant de se tirer de là sans faute grave, et sans scandaliser le prochain… Et puis, soudain, dans un éclair, les forces qui l’avaient assailli, tout au long de la nuit douloureuse, étaient suscitées de nouveau, et la parole qu’il allait dire, sa propre et secrète pensée, se dissipa d’un coup dans l’unique réalité de l’angoisse. Si bas que l’eût traîné jamais l’ingénieux ennemi, tout lien n’était pas rompu, ni tout écho du dehors étouffé… Mais cette fois, la forte main l’avait arraché tout vif, déraciné… « Sauve-toi toi-même, c’est l’heure !… » disait aussi la voix jamais entendue, tonnante. « Finies la lutte vaine et la monotone victoire ! Quarante ans de travail et de petit profit, quarante ans d’un débat fastidieux, quarante ans dans l’étable, à plat sur la bête humaine, au niveau de son cœur pourri, quarante ans gravis, surmontés !… Hâte-toi !… Voilà ton premier pas, ton unique pas hors du monde !… »

Et cette voix disait mille choses encore, et n’en disait qu’une, mille choses en une seule, et cette seule parole brève comme un regard, infinie… Le passé s’arrachait de lui, tombait en lambeaux. À travers la mouvante angoisse passait tout à coup, comme un éclair, l’éblouissement d’une joie terrible, un éclat de rire intérieur à faire éclater toute armure… Il se voyait petit prêtre, dans le préau du séminaire, un jour de pluie… Dans la haute salle aux décors de damas cerise, devant Sa Grandeur en camail et en rochet… Les premiers jours à Lumbres, le presbytère en ruines, la muraille nue, le vent d’hiver dans le petit jardin… Et puis… Et puis… le travail immense, et maintenant cette foule impitoyable, pressée nuit et jour autour du confessionnal de l’homme de Dieu comme d’un autre curé d’Ars ; la séparation volontaire de tout secours humain ; oui, l’homme de Dieu disputé comme une proie. Nul repos, nulle paix que celle achetée par le jeûne et les verges, dans un corps enfin terrassé ; les scrupules renaissants, l’angoisse de toucher sans cesse les plaies les plus obscènes du cœur humain, le désespoir de tant d’âmes damnées, l’impuissance à les secourir et à les étreindre à travers l’abîme de chair, l’obsession du temps perdu, l’énormité du labeur… Que de fois, et cette nuit même, il a supporté l’assaut de telles images !… Mais à cette heure une attente… une grande et merveilleuse attente l’éclaire au dedans, finit de consumer l’homme intérieur. Il est déjà l’homme des temps nouveaux, un nouveau convive… Comme ce monde est déjà loin derrière lui ! Loin derrière, son troupeau rétif ! Il ne retrouve plus, il ne retrouvera plus jamais ce sentiment si vif de l’universel péché. Il n’est plus sensible qu’à l’énorme mystification du vice, à son grossier et puéril mensonge. Pauvre cœur humain, à peine ébauché ! Pauvre cervelle aride ! Peuple d’en bas, qui remues dans ta vase, inachevée !… Il ne lui appartient plus, il ne le connaît plus, il est prêt à le renier sans haine. Il remonte au jour, pareil à un plongeur, tout son poids jeté vers les bras tendus, et qui dans l’eau noire et vibrante ouvre déjà les yeux à la lumière d’en haut.

— Tu t’es fait libre, disait l’autre (un autre si semblable à lui-même)… Ta vie passée, ton inutile mais touchant labeur, ton jeûne, ta discipline, ta fidélité un peu naïve et grossière, l’humiliation au dehors et au dedans, l’enthousiasme des uns, l’injuste défiance des autres, telle parole pleine de poison. Ah ! tout n’est qu’un rêve, et l’ombre d’un rêve ! Tout n’était qu’un rêve, hors ta lente ascension vers le monde réel, ta naissance, ton élargissement. Hausse-toi jusqu’à ma bouche, entends le mot où tient toute science.

Et il prête l’oreille, il attend. Il est là même où le voulut mener le vieil ennemi, qui n’a qu’une ruse. Avili, foulé, répandu à terre comme une lie, écrasé d’un poids immense, brûlé de tous les feux invisibles, repris à la pointe du glaive, encore percé, tronçonné, son dernier grincement couvert par le cri terrible des anges, ce vieux rebelle, à qui Dieu n’a laissé pour défense qu’un unique et monotone mensonge… Hélas ! le même mensonge aux coins d’une bouche avare, ou, dans la gorge avide et mourante où râle le plaisir féroce, le même : « Tu sauras… Tu vas savoir… Voici la première lettre au mot mystérieux… Entre ici… entre en moi… fouille la plaie vive… bois et mange… rassasie-toi ! »

Car, après tant de siècles, c’est encore vous qu’il attendait, mille fois repeint et rajeuni, ruisselant de fard et de baume, luisant d’huile, riant de toutes ses dents neuves, offrant à votre curiosité cruelle son corps tari, tout son mensonge, où votre bouche aride ne sucera pas une goutte de sang !

 

…Je le vis, ou plutôt nous le vîmes, écrivait beaucoup plus tard à M. le chanoine Cibot le curé de Luzarnes, ancien professeur au petit séminaire de Cambrai. Je le vis au milieu de nous, les yeux mi-clos, et pendant plusieurs minutes nous le regardâmes, sans vouloir rompre le silence. L’expression naturelle de son visage était une bonté pleine d’onction, à laquelle plusieurs personnes prudentes trouvaient déjà le caractère d’une certaine simplicité. Mais sa figure osseuse nous parut à tous, en cet instant, comme pétrifiée par un sentiment d’une extrême violence ; il avait l’air d’un homme qui donne tout son effort pour franchir le pas difficile. Je remarquai que sa taille s’était incroyablement redressée et quelle donnait, dans la vieillesse, l’impression d’une vigueur peu commune, et même de brutalité. Bien que mon esprit, formé jadis à la sévère méthode des sciences exactes, soit ordinairement peu sensible aux entraînements de l’imagination, je fus tellement frappé du spectacle de ce grand corps immobile, et comme foudroyé, dans le paisible décor d’un intérieur campagnard, que je doutai un moment du témoignage de mes sens, et quand je vis mon respectable ami s’agiter et parler de nouveau, j’en fus surpris comme d’un événement inattendu. Il semblait d’ailleurs sortir d’un rêve. Je vous ai dit plus haurt, mon très honoré collègue, que je m’étais porté à la rencontre de notre cher curé de Lumbres, et que je l’avais rejoint au bord de la route, à quelque distance de la maison. Certaines phrases, dont le sens précis m’échappa peut-être, avaient ajouté à mon inquiétude. J’essayais de répondre ce qu’une prudente amitié m’inspirait lorsque, me serrant le bras avec violence et plongeant son regard dans le mien : « Ne me tentez plus ! » dit-il… Notre premier entretien finit là, nos pas nous ayant déjà portés jusqu’au seuil de la maison Havret. J’eus à cette minute le pressentiment d’un malheur… Il n’était que trop vrai. L’enfant, dont l’état était d’ailleurs désespéré, s’était éteint pendant ma courte absence. La sage-femme, Mme Lambelin, avait scientifiquement constaté le décès, sans erreur possible. « Il est mort », nous dit cette personne à voix basse. (Mais je ne sais si M. le curé de Lumbres l’entendit.) Il avait passé le seuil, fait quelques pas, lorsque, par un mouvement bien touchant, et dont toute personne éclairée peut, en y déplorant toutefois une certaine exagération, due surtout à l’ignorance, honorer la sincère piété, la malheureuse mère vint littéralement se jeter aux pieds de mon vénérable confrère, et, dans l’emportement de son désespoir, elle baisait sa vieille soutane, frappant le sol de son front avec un bruit qui retentissait dans mon cœur. Au contact de la pauvre femme, et sans baisser sur elle les yeux, M. le curé de Lumbres s’arrêta net. C’est alors que nous le vîmes, pendant quelques longues minutes, immobile, au milieu de la pièce, comme une statue, et tel enfin que je vous le dépeignais tout à l’heure.

Puis, faisant sur la tête de Mme Havret le signe de la croix, et levant vers moi son regard : « Sortons ! » dit-il. Hélas ! mon cher et honoré collègue, telle est la faiblesse de notre esprit saisi par une impression trop vive que rien alors, il me semble, ne m’eût retenu de le suivre, et que, dans l’excès de son affliction, la mère infortunée nous laissa aller sans rien dire. De nous tous, seule peut-être, Mme Lambelin avait gardé son sang-froid. Il y a certes beaucoup à reprendre dans la conduite et la religion de cette personne, mais Dieu nous donnait par elle une leçon de bon sens et de raison. Sans aucun doute, j’étais, pendant cette effroyable matinée, comme un jouet entre les mains d’un malheureux homme qu’un conseil salutaire, appuyé sur l’expérience et le savoir, aurait pu préserver d’un affreux malheur… Dieu seul pourrait dire si je fus l’instrument de sa colère ou de sa miséricorde. Mais les tristes événements qui suivirent font pencher la balance en faveur de la première hypothèse.

Le distingué chanoine prébendé, mort depuis, semble revivre à chaque ligne de cette lettre véritablement unique, judicieuses et discrètes formules, enfilées comme des marrons d’Inde, où les sots ne trouveront rien que de banal et de bas, mais qu’enveloppe la magie d’un rêve. Seul rêve d’une pauvre vie qui ne connut jamais que ce cas de conscience et s’y brisa, seul doute et seul enchantement ! Peu de mois avant sa mort, l’innocente victime écrivait à l’un de ses familiers :

Forcé d’interrompre un travail qui était ma seule distraction, je ne puis détourner ma pensée de certains souvenirs, et parmi ceux-là du plus douloureux, la malheureuse et inexplicable fin de M. le curé de Lumbres. J’y reviens sans cesse. J’y vois un de ces événements, si rares en ce monde, qui passent la commune raison. Ma faible santé subit le contre-coup de cette idée fixe, et j’y vois la principale cause de mon affaiblissement progressif, et de la perte presque totale de l’appétit.

Ces dernières lignes réjouiront n’importe lequel de ces détrousseurs de documents humains, que nous laissons aujourd’hui barbotants et reniflants dans les eaux basses. Mais, à les lire, sans curiosité vile, en laissant retentir en soi-même l’écho de cette plainte naïve, on comprendra mieux ce qu’il y a de détresse sincère dans cet aveu d’impuissance, écrit d’un style ainsi soutenu. Le suprême effort de certains hommes simples, nés pour un labeur paisible, et qu’une merveilleuse rencontre a jetés au cœur des choses, dans un seul éclair vite éteint, — lorsqu’on les voit s’appliquer, jusqu’à la dernière minute de leur incompréhensible vie, à rappeler et ressaisir ce qui jamais ne repasse et qui les a frappés dans le dos, — est un spectacle si tragique et d’une amertume si profonde et si secrète qu’on ne saurait rien y comparer que la mort d’un petit enfant. C’est en vain qu’ils retournent pas à pas, de souvenir en souvenir, qu’ils épellent leur vie, lettre à lettre. Le compte y est, et pourtant l’histoire n’a plus de sens. Ils sont devenus comme étrangers à leur propre aventure ; ils ne s’y reconnaissent plus. Le tragique les a traversés de part en part, pour en tuer un autre à côté. Comment resteraient-ils insensibles à cette injustice du sort, à la malfaisance et à la stupidité du hasard ? Leur plus grand effort n’ira pas plus avant que le frisson de la bête innocente et désarmée ; ils subissent en mourant un destin qu’ils n’égalent pas. Car si loin qu’un esprit vulgaire puisse atteindre, et quand même on imaginerait qu’au travers des symboles et des apparences il a quelquefois touché le réel, il faut qu’il n’ait point dérobé la part des forts, et qui est moins la connaissance du réel que le sentiment de notre impuissance à le saisir et à le retenir tout entier, la féroce ironie du vrai.

Quel autre mieux que ce prêtre si distingué eût été capable de nous tracer le dernier chapitre d’une telle vie, consommée dans la solitude et le silence, à jamais scellée. Malheureusement, l’ancien curé de Luzarnes n’a laissé que quelques lettres incomplètes dont nous avons cité les passages essentiels. Le reste a été soigneusement détruit après la clôture de l’enquête ordonnée par l’autorité épiscopale, et dont les résultats furent provisoirement tenus secrets.

Wednesday, 8 December 2021

Good Reading: "Rip Van Winkle" by Washington Irwing (in English)

 

RIP VAN WINKLE

[A POSTHUMOUS WRITING OF DIEDRICH KNICKERBOCKER]

 

 

"By Woden, God of Saxons,

From whence comes Wensday, that is Wodensday,

Truth is a thing that ever I will keep

Unto thylke day in which I can creep into

My sepulchre——"

Cartwright.

 

Whoever has made a voyage up the Hudson must remember the Kaatskill Mountains. They are a dismembered branch of the great Appalachian family, and are seen away to the west of the river, swelling up to a noble height, and lording it over the surrounding country. Every change of season, every change of weather, indeed, every hour of the day, produces some change in the magical hues and shapes of these mountains, and they are regarded by all the good wives, far and near, as perfect barometers. When the weather is fair and settled, they are clothed in blue and purple, and print their bold outlines on the clear evening sky; but sometimes, when the rest of the landscape is cloudless, they will gather a hood of grey vapours about their summits, which, in the last rays of the setting sun, will glow and light up like a crown of glory.

At the foot of these fairy mountains, the voyager may have descried the light smoke curling up from a village, whose shingle-roofs gleam among the trees, just where the blue tints of the upland melt away into the fresh green of the nearer landscape. It is a little village, of great antiquity, having been founded by some of the Dutch colonists, in the early times of the province, just about the beginning of the government of the good Peter Stuyvesant (may he rest in peace!), and there were some of the houses of the original settlers standing within a few years, built of small yellow bricks brought from Holland, having latticed windows and gable fronts, surmounted with weathercocks.

In that same village, and in one of these very houses (which, to tell the precise truth, was sadly time-worn and weather-beaten), there lived many years since, while the country was yet a province of Great Britain, a simple, good-natured fellow, of the name of Rip Van Winkle. He was a descendant of the Van Winkles who figured so gallantly in the chivalrous days of Peter Stuyvesant, and accompanied him to the siege of Fort Christina. He inherited, however, but little of the martial character of his ancestors. I have observed that he was a simple, good-natured man; he was, moreover, a kind neighbour, and an obedient, henpecked husband. Indeed, to the latter circumstance might be owing that meekness of spirit which gained him such universal popularity; for those men are most apt to be obsequious and conciliating abroad, who are under the discipline of shrews at home. Their tempers, doubtless, are rendered pliant and malleable in the fiery furnace of domestic tribulation, and a curtain lecture is worth all the sermons in the world for teaching the virtues of patience and long-suffering. A termagant wife may, therefore, in some respects, be considered a tolerable blessing; and if so, Rip Van Winkle was thrice blessed.

Certain it is that he was a great favourite among all the good wives of the village, who, as usual with the amiable sex, took his part in all family squabbles, and never failed, whenever they talked those matters over in their evening gossipings, to lay all the blame on Dame Van Winkle. The children of the village, too, would shout with joy whenever he approached. He assisted at their sports, made their playthings, taught them to fly kites and shoot marbles, and told them long stories of ghosts, witches, and Indians. Whenever he went dodging about the village, he was surrounded by a troop of them, hanging on his skirts, clambering on his back, and playing a thousand tricks on him with impunity; and not a dog would bark at him throughout the neighbourhood.

The great error in Rip's composition was an insuperable aversion to all kinds of profitable labour. It could not be from the want of assiduity or perseverance, for he would sit on a wet rock, with a rod as long and heavy as a Tartar's lance, and fish all day without a murmur, even though he should not be encouraged by a single nibble. He would carry a fowling-piece on his shoulder for hours together, trudging through woods and swamps, and up hill and down dale, to shoot a few squirrels or wild pigeons. He would never refuse to assist a neighbour even in the roughest toil, and was a foremost man at all country frolics, for husking Indian corn, or building stone fences; the women of the village, too, used to employ him to run their errands, and to do such little odd jobs as their less obliging husbands would not do for them. In a word, Rip was ready to attend to anybody's business but his own; but as to doing family duty, and keeping his farm in order, he found it impossible.

In fact, he declared it was of no use to work on his farm; it was the most pestilent little piece of ground in the whole country; everything about it went wrong, and would go wrong, in spite of him. His fences were continually falling to pieces; his cow would either go astray, or get among the cabbages; weeds were sure to grow quicker in his fields than anywhere else; the rain always made a point of setting in just as he had some outdoor work to do; so that, though his patrimonial estate had dwindled away under his management, acre by acre, until there was little more left than a mere patch of Indian corn and potatoes, yet it was the worst-conditioned farm in the neighbourhood.

His children, too, were as ragged and wild as if they belonged to nobody. His son Rip, an urchin begotten in his own likeness, promised to inherit the habits, with the old clothes of his father. He was generally seen trooping like a colt at his mother's heels, equipped in a pair of his father's cast-off galligaskins, which he had much ado to hold up with one hand, as a fine lady does her train in bad weather.

Rip Van Winkle, however, was one of those happy mortals, of foolish, well-oiled dispositions, who take the world easy, eat white bread or brown, whichever can be got with least thought or trouble, and would rather starve on a penny than work for a pound. If left to himself, he would have whistled life away in perfect contentment; but his wife kept continually dinning in his ears about his idleness, his carelessness, and the ruin he was bringing on his family. Morning, noon, and night, her tongue was incessantly going, and everything he said or did was sure to produce a torrent of household eloquence. Rip had but one way of replying to all lectures of the kind, and that, by frequent use, had grown into a habit. He shrugged his shoulders, shook his head, cast up his eyes, but said nothing. This, however, always provoked a fresh volley from his wife; so that he was fain to draw off his forces, and take to the outside of the house—the only side which, in truth, belongs to a henpecked husband.

Rip's sole domestic adherent was his dog Wolf, who was as much henpecked as his master; for Dame Van Winkle regarded them as companions in idleness, and even looked upon Wolf with an evil eye, as the cause of his master's going so often astray. True it is, in all points of spirit befitting an honourable dog he was as courageous an animal as ever scoured the woods—but what courage can withstand the ever-during and all-besetting terrors of a woman's tongue? The moment Wolf entered the house his crest fell, his tail drooped to the ground, or curled between his legs; he sneaked about with a gallows air, casting many a sidelong glance at Dame Van Winkle, and at the least flourish of a broomstick or ladle, he would fly to the door with yelping precipitation.

Times grew worse and worse with Rip Van Winkle as years of matrimony rolled on; a tart temper never mellows with age, and a sharp tongue is the only edged tool that grows keener with constant use. For a long while he used to console himself, when driven from home, by frequenting a kind of perpetual club of the sages, philosophers, and other idle personages of the village, which held its sessions on a bench before a small inn, designated by a rubicund portrait of his Majesty George the Third. Here they used to sit in the shade through a long lazy summer's day, talking listlessly over village gossip, or telling endless sleepy stories about nothing. But it would have been worth any statesman's money to have heard the profound discussions that sometimes took place, when by chance an old newspaper fell into their hands from some passing traveller. How solemnly they would listen to the contents, as drawled out by Derrick Van Bummel, the schoolmaster, a dapper learned little man, who was not to be daunted by the most gigantic word in the dictionary; and how sagely they would deliberate upon public events some months after they had taken place.

The opinions of this junto were completely controlled by Nicholas Vedder, a patriarch of the village, and landlord of the inn, at the door of which he took his seat from morning till night, just moving sufficiently to avoid the sun and keep in the shade of a large tree, so that the neighbours could tell the hour by his movements as accurately as by a sundial. It is true he was rarely heard to speak, but smoked his pipe incessantly. His adherents, however (for every great man has his adherents), perfectly understood him, and knew how to gather his opinions. When anything that was read or related displeased him, he was observed to smoke his pipe vehemently, and to send forth short, frequent, and angry puffs, but when pleased he would inhale the smoke slowly and tranquilly, and emit it in light and placid clouds; and sometimes, taking the pipe from his mouth, and letting the fragrant vapour curl about his nose, would gravely nod his head in token of perfect approbation.

From even this stronghold the unlucky Rip was at length routed by his termagant wife, who would suddenly break in upon the tranquillity of the assemblage and call the members all to naught; nor was that august personage, Nicholas Vedder himself, sacred from the daring tongue of this terrible virago, who charged him outright with encouraging her husband in habits of idleness.

Poor Rip was at last reduced almost to despair, and his only alternative, to escape from the labour of the farm and clamour of his wife, was to take gun in hand and stroll away into the woods. Here he would sometimes seat himself at the foot of a tree, and share the contents of his wallet with Wolf, with whom he sympathised as a fellow-sufferer in persecution. "Poor Wolf," he would say, "thy mistress leads thee a dog's life of it; but never mind, my lad, whilst I live thou shalt never want a friend to stand by thee!" Wolf would wag his tail, look wistfully in his master's face, and if dogs can feel pity, I verily believe he reciprocated the sentiment with all his heart.

In a long ramble of the kind on a fine autumnal day, Rip had unconsciously scrambled to one of the highest parts of the Kaatskill Mountains. He was after his favourite sport of squirrel-shooting, and the still solitudes had echoed and re-echoed with the reports of his gun. Panting and fatigued, he threw himself, late in the afternoon, on a green knoll, covered with mountain herbage, that crowned the brow of a precipice. From an opening between the trees he could overlook all the lower country for many a mile of rich woodland. He saw at a distance the lordly Hudson, far, far below him, moving on its silent but majestic course, with the reflection of a purple cloud, or the sail of a lagging bark, here and there sleeping on its glassy bosom, and at last losing itself in the blue highlands.

On the other side he looked down into a deep mountain glen, wild, lonely, and shagged, the bottom filled with fragments from the impending cliffs, and scarcely lighted by the reflected rays of the setting sun. For some time Rip lay musing on this scene; evening was gradually advancing; the mountains began to throw their long blue shadows over the valleys; he saw that it would be dark long before he could reach the village, and he heaved a heavy sigh when he thought of encountering the terrors of Dame Van Winkle.

As he was about to descend, he heard a voice from a distance, hallooing, "Rip Van Winkle! Rip Van Winkle!" He looked round, but could see nothing but a crow winging its solitary flight across the mountain. He thought his fancy must have deceived him, and turned again to descend, when he heard the same cry ring through the still evening air, "Rip Van Winkle! Rip Van Winkle!"—at the same time Wolf bristled up his back, and, giving a loud growl, skulked to his master's side, looking fearfully down into the glen. Rip now felt a vague apprehension stealing over him; he looked anxiously in the same direction, and perceived a strange figure slowly toiling up the rocks, and bending under the weight of something he carried on his back. He was surprised to see any human being in this lonely and unfrequented place; but supposing it to be some one of the neighbourhood in need of his assistance, he hastened down to yield it.

On nearer approach he was still more surprised at the singularity of the stranger's appearance. He was a short, square-built old fellow, with thick bushy hair and a grizzled beard. His dress was of the antique Dutch fashion—a cloth jerkin, strapped round the waist, several pairs of breeches, the outer one of ample volume, decorated with rows of buttons down the sides, and bunches at the knees. He bore on his shoulder a stout keg, that seemed full of liquor, and made signs for Rip to approach and assist him with the load. Though rather shy and distrustful of this new acquaintance, Rip complied with his usual alacrity; and, mutually relieving each other, they clambered up a narrow gully, apparently the dry bed of a mountain torrent. As they ascended, Rip every now and then heard long rolling peals, like distant thunder, that seemed to issue out of a deep ravine, or rather cleft, between lofty rocks, toward which their rugged path conducted. He paused for an instant, but supposing it to be the muttering of one of those transient thunder-showers which often take place in mountain heights, he proceeded. Passing through the ravine they came to a hollow, like a small amphitheatre, surrounded by perpendicular precipices, over the brinks of which impending trees shot their branches, so that you only caught glimpses of the azure sky and the bright evening cloud. During the whole time Rip and his companion had laboured on in silence, for though the former marvelled greatly what could be the object of carrying a keg of liquor up this wild mountain, yet there was something strange and incomprehensible about the unknown that inspired awe and checked familiarity.

On entering the amphitheatre, new objects of wonder presented themselves. On a level spot in the centre was a company of odd-looking personages playing at nine-pins. They were dressed in a quaint outlandish fashion; some wore short doublets, others jerkins, with long knives in their belts, and most of them had enormous breeches, of similar style with that of the guide's. Their visages, too, were peculiar: one had a large head, broad face, and small piggish eyes; the face of another seemed to consist entirely of nose, and was surmounted by a white sugar-loaf hat, set off with a little red cock's tail. They all had beards, of various shapes and colours. There was one who seemed to be the commander. He was a stout old gentleman, with a weather-beaten countenance; he wore a laced doublet, broad belt and hanger, high-crowned hat and feather, red stockings, and high-heeled shoes, with roses in them. The whole group reminded Rip of the figures in an old Flemish painting, in the parlour of Dominie Van Shaick, the village parson, and which had been brought over from Holland at the time of the settlement.

What seemed particularly odd to Rip was that, though these folks were evidently amusing themselves, yet they maintained the gravest faces, the most mysterious silence, and were, withal, the most melancholy party of pleasure he had ever witnessed. Nothing interrupted the stillness of the scene but the noise of the balls, which, whenever they were rolled, echoed along the mountains like rumbling peals of thunder.

As Rip and his companion approached them, they suddenly desisted from their play, and stared at him with such fixed, statue-like gaze, and such strange, uncouth, lustre-like countenances, that his heart turned within him, and his knees smote together. His companion now emptied the contents of the keg into large flagons, and made signs to him to wait upon the company. He obeyed with fear and trembling; they quaffed the liquor in profound silence, and then returned to their game.

By degrees Rip's awe and apprehension subsided. He even ventured, when no eye was fixed upon him, to taste the beverage, which, he found, had much of the flavour of excellent Hollands. He was naturally a thirsty soul, and was soon tempted to repeat the draught. One taste provoked another; and he reiterated his visits to the flagon so often, that at length his senses were overpowered, his eyes swam in his head, his head gradually declined, and he fell into a deep sleep.

On waking, he found himself on the green knoll whence he had first seen the old man of the glen. He rubbed his eyes—it was a bright sunny morning. The birds were hopping and twittering among the bushes, and the eagle was wheeling aloft and breasting the pure mountain breeze. "Surely," thought Rip, "I have not slept here all night." He recalled the occurrences before he fell asleep. The strange man with the keg of liquor —the mountain ravine—the wild retreat among the rocks—the woe-begone party at ninepins—the flagon—"oh! that flagon! that wicked flagon!" thought Rip; "what excuse shall I make to Dame Van Winkle?"

He looked round for his gun, but in place of the clean, well-oiled fowling-piece, he found an old firelock lying by him, the barrel incrusted with rust, the lock falling off, and the stock worm-eaten. He now suspected that the grave roysterers of the mountain had put a trick upon him, and, having dosed him with liquor, had robbed him of his gun. Wolf, too, had disappeared, but he might have strayed away after a squirrel or partridge. He whistled after him, and shouted his name, but all in vain; the echoes repeated his whistle and shout, but no dog was to be seen.

He determined to revisit the scene of the last evening's gambol, and, if he met with any of the party, to demand his dog and gun. As he rose to walk, he found himself stiff in the joints, and wanting in his usual activity. "These mountain beds do not agree with me," thought Rip; "and if this frolic should lay me up with a fit of rheumatism, I shall have a blessed time with Dame Van Winkle." With some difficulty he got down into the glen; he found the gully up which he and his companion had ascended the preceding evening; but, to his astonishment, a mountain stream was now foaming down it—leaping from rock to rock, and filling the glen with babbling murmurs. He, however, made shift to scramble up its sides, working his toilsome way through thickets of birch, sassafras, and wild-hazel, and sometimes tripped up or entangled by the wild grape-vines that twisted their coils or tendrils from tree to tree, and spread a kind of network in his path.

At length he reached where the ravine had opened through the cliffs to the amphitheatre, but no traces of such opening remained. The rocks presented a high impenetrable wall, over which the torrent came tumbling in a sheet of feathery foam, and fell into a broad deep basin, black from the shadows of the surrounding forest. Here, then, poor Rip was brought to a stand. He again called and whistled after his dog; he was only answered by the cawing of a flock of idle crows, sporting high in air about a dry tree that overhung a sunny precipice; and who, secure in their elevation, seemed to look down and scoff at the poor man's perplexities. What was to be done?—the morning was passing away, and Rip felt famished for want of his breakfast. He grieved to give up his dog and his gun; he dreaded to meet his wife; but it would not do to starve among the mountains. He shook his head, shouldered the rusty firelock, and, with a heart full of trouble and anxiety, turned his steps homeward.

As he approached the village he met a number of people, but none whom he knew, which somewhat surprised him, for he had thought himself acquainted with every one in the country round. Their dress, too, was of a different fashion from that to which he was accustomed. They all stared at him with equal marks of surprise, and, whenever they cast their eyes upon him, invariably stroked their chins. The constant recurrence of this gesture induced Rip, involuntarily, to do the same—when, to his astonishment, he found his beard had grown a foot long!

He had now entered the skirts of the village. A troop of strange children ran at his heels, hooting after him, and pointing at his grey beard. The dogs, too, not one of whom he recognised for an old acquaintance, barked at him as he passed; the very village was altered—it was larger and more populous. There were rows of houses which he had never seen before, and those which had been his familiar haunts had disappeared. Strange names were over the doors—strange faces at the windows—everything was strange. His mind now misgave him; he began to doubt whether both he and the world around him were not bewitched. Surely this was his native village, which he had left but the day before. There stood the Kaatskill Mountains—there ran the silver Hudson at a distance—there was every hill and dale precisely as it had always been. Rip was sorely perplexed. "That flagon last night," thought he, "has addled my poor head sadly!"

It was with some difficulty that he found his way to his own house, which he approached with silent awe, expecting every moment to hear the shrill voice of Dame Van Winkle. He found the house gone to decay—the roof fallen in, the windows shattered, and the doors off the hinges. A half-starved dog that looked like Wolf was skulking about it. Rip called him by his name, but the cur snarled, showed his teeth, and passed on. This was an unkind cut indeed. "My very dog," sighed poor Rip, "has forgotten me!"

He entered the house, which, to tell the truth, Dame Winkle had always kept in neat order. It was empty, forlorn, and apparently abandoned. The desolateness overcame all his connubial fears; he called loudly for his wife and children; the lonely chambers rang for a moment with his voice, and then all again was silence.

He now hurried forth, and hastened to his old resort, the village inn—but it too was gone. A large rickety wooden building stood in its place, with great gaping windows, some of them broken and mended with old hats and petticoats, and over the door was painted, "The Union Hotel, by Jonathan Doolittle." Instead of the great tree that used to shelter the quiet little Dutch inn of yore, there was now reared a tall naked pole, with something on the top that looked like a red nightcap, and from it was fluttering a flag, on which was a singular assemblage of stars and stripes—all this was strange and incomprehensible. He recognised on the sign, however, the ruby face of King George, under which he had smoked so many a peaceful pipe; but even this was singularly metamorphosed. The red coat was changed for one of blue and buff, a sword was held in the hand instead of a sceptre, the head was decorated with a cocked hat, and underneath was painted, in large characters, General Washington.

There was, as usual, a crowd of folks about the door, but none that Rip recollected. The very character of the people seemed changed. There was a busy, bustling, disputatious tone about it, instead of the accustomed phlegm and drowsy tranquillity. He looked in vain for the sage Nicholas Vedder, with his broad face, double chin, and fair long pipe, uttering clouds of tobacco smoke instead of idle speeches; or Van Bummel, the schoolmaster, doling forth the contents of an ancient newspaper. In place of these, a lean, bilious -looking fellow, with his pockets full of handbills, was haranguing vehemently about rights of citizens—elections—members of Congress—liberty—Bunker's Hill—heroes of seventy-six—and other words, which were a perfect Babylonish jargon to the bewildered Van Winkle.

The appearance of Rip, with his long grizzled beard, his rusty fowling-piece, his uncouth dress, and an army of women and children at his heels, soon attracted the attention of the tavern politicians. They crowded round him, eyeing him from head to foot with great curiosity. The orator bustled up to him, and, drawing him partly aside, inquired "On which side he voted?" Rip stared in vacant stupidity. Another short but busy little fellow pulled him by the arm, and, rising on tiptoe, inquired in his ear, "Whether he was a Federal or a Democrat?" Rip was equally at a loss to comprehend the question; when a knowing, self-important old gentleman, in a sharp cocked hat, made his way through the crowd, putting them to the right and left with his elbows as he passed, and planting himself before Van Winkle, with one arm akimbo, the other resting on his cane, his keen eyes and sharp hat penetrating, as it were, into his very soul, demanded in an austere tone, "What brought him to the election with a gun on his shoulder and a mob at his heels; and whether he meant to breed a riot in the village?"—"Alas! gentlemen," cried Rip, somewhat dismayed, "I am a poor quiet man, a native of the place, and a loyal subject of the king, God bless him!"

Here a general shout burst from the bystanders—"A Tory! a Tory! a spy! a refugee! hustle him! away with him!" It was with great difficulty that the self-important man in the cocked hat restored order; and, having assumed a tenfold austerity of brow, demanded again of the unknown culprit what he came there for, and whom he was seeking? The poor man humbly assured him that he meant no harm, but merely came there in search of some of his neighbours, who used to keep about the tavern.

"Well, who are they? Name them."

Rip bethought himself a moment and inquired, "Where's Nicholas Vedder?"

There was a silence for a little while, when an old man replied in a thin piping voice, "Nicholas Vedder! why, he is dead and gone these eighteen years! There was a wooden tombstone in the churchyard that used to tell all about him, but that's rotten and gone too."

"Where's Brom Dutcher?"

"Oh, he went off to the army in the beginning of the war; some say he was killed at the storming of Stony Point, others say he was drowned in a squall at the foot of Antony's Nose. I don't know; he never came back again."

"Where's Van Bummel, the schoolmaster?"

"He went off to the wars too, was a great militia general, and is now in Congress."

Rip's heart died away at hearing of these sad changes in his home and friends, and finding himself thus alone in the world. Every answer puzzled him too, by treating of such enormous lapses of time, and of matters which he could not understand: war—Congress—Stony Point; he had no courage to ask after any more friends, but cried out in despair, "Does nobody here know Rip Van Winkle?"

"Oh, Rip Van Winkle!" exclaimed two or three. "Oh, to be sure! that's Rip Van Winkle yonder, leaning against the tree."

Rip looked, and beheld a precise counterpart of himself as he went up the mountain: apparently as lazy, and certainly as ragged. The poor fellow was now completely confounded. He doubted his own identity, and whether he was himself or another man. In the midst of his bewilderment, the man in the cocked hat demanded who he was, and what was his name?

"God knows," exclaimed he, at his wit's end; "I'm not myself—I'm somebody else—that's me yonder—no—that's somebody else got into my shoes—I was myself last night, but I fell asleep on the mountain, and they've changed my gun, and everything's changed, and I am changed, and I can't tell what's my name, or who I am!"

The bystanders began now to look at each other, nod, wink significantly, and tap their fingers against their foreheads. There was a whisper also about securing the gun, and keeping the old fellow from doing mischief, at the very suggestion of which the self-important man in the cocked hat retired with some precipitation. At this critical moment a fresh comely woman pressed through the throng to get a peep at the grey-bearded man. She had a chubby child in her arms, which, frightened at his looks, began to cry. "Hush, Rip," cried she, "hush, you little fool, the old man won't hurt you." The name of the child, the tone of her voice, all awakened a train of recollections in his mind.

"What is your name, my good woman?" asked he.

"Judith Gardenier."

"And your father's name?"

"Ah, poor man, Rip Van Winkle was his name, but it's twenty years since he went away from home with his gun, and never has been heard of since; his dog came home without him, but whether he shot himself, or was carried away by the Indians, nobody can tell. I was then but a little girl."

Rip had but one question more, but he put it with a faltering voice—

"Where's your mother?"

"Oh, she too had died but a short time since; she broke a blood-vessel in a fit of passion at a New England pedlar."

There was a drop of comfort, at least, in this intelligence. The honest man could contain himself no longer. He caught his daughter and her child in his arms. "I am your father!" cried he. "Young Rip Van Winkle once, old Rip Van Winkle now! Does nobody know poor Rip Van Winkle?"

All stood amazed, until an old woman, tottering out from among the crowd, put her hand to her brow, and peering under it into his face for a moment, exclaimed, "Sure enough! it is Rip Van Winkle; it is himself! Welcome home again, old neighbour. Why, where have you been these twenty long years?"

Rip's story was soon told, for the whole twenty years had been to him but as one night. The neighbours stared when they heard it; some were seen to wink at each other, and put their tongues in their cheeks; and the self-important man in the cocked hat, who, when the alarm was over, had returned to the field, screwed down the corners of his mouth, and shook his head upon which there was a general shaking of the head throughout the assemblage.

It was determined, however, to take the opinion of old Peter Vanderdonk, who was seen slowly advancing up the road. He was a descendant of the historian of that name, who wrote one of the earliest accounts of the province. Peter was the most ancient inhabitant of the village, and well versed in all the wonderful events and traditions of the neighbourhood. He recollected Rip at once, and corroborated his story in the most satisfactory manner. He assured the company that it was a fact, handed down from his ancestor the historian, that the Kaatskill Mountains had always been haunted by strange beings. That it was affirmed that the great Hendrick Hudson, the first discoverer of the river and country, kept a kind of vigil there every twenty years with his crew of the Half-moon; being permitted in this way to revisit the scenes of his enterprise, and keep a guardian eye upon the river and the great city called by his name. That his father had once seen them in their old Dutch dresses playing at ninepins in a hollow of the mountain; and that he himself had heard, one summer afternoon, the sound of their balls like distant peals of thunder.

To make a long story short, the company broke up, and returned to the more important concerns of the election. Rip's daughter took him home to live with her; she had a snug, well-furnished house, and a stout, cheery farmer for her husband, whom Rip recollected for one of the urchins that used to climb upon his back. As to Rip's son and heir, who was the ditto of himself, seen leaning against the tree, he was employed to work on the farm; but evinced an hereditary disposition to attend to anything else but his business.

Rip now resumed his old walks and habits; he soon found many of his former cronies, though all rather the worse for the wear and tear of time, and preferred making friends among the rising generation, with whom he soon grew into great favour.

Having nothing to do at home, and being arrived at that happy age when a man can be idle with impunity, he took his place once more on the bench at the inn door, and was reverenced as one of the patriarchs of the village, and a chronicle of the old times "before the war." It was some time before he could get into the regular track of gossip, or could be made to comprehend the strange events that had taken place during his torpor. How that there had been a revolutionary war—that the country had thrown off the yoke of old England—and that, instead of being a subject of his Majesty George the Third, he was now a free citizen of the United States. Rip, in fact, was no politician; the changes of states and empires made but little impression on him; but there was one species of despotism under which he had long groaned, and that was—petticoat government. Happily that was at an end; he had got his neck out of the yoke of matrimony, and could go in and out whenever he pleased without dreading the tyranny of Dame Van Winkle. Whenever her name was mentioned, however, he shook his head, shrugged his shoulders, and cast up his eyes, which might pass either for an expression of resignation to his fate or joy at his deliverance.

He used to tell his story to every stranger that arrived at Mr. Doolittle's hotel. He was at first observed to vary on some points every time he told it, which was, doubtless, owing to his having so recently awaked. It at last settled down to precisely the tale I have related, and not a man, woman, or child in the neighbourhood but knew it by heart. Some always pretended to doubt the reality of it, and insisted that Rip had been out of his head, and that this was one point on which he always remained flighty. The old Dutch inhabitants, however, almost universally gave it full credit. Even to this day they never hear a thunderstorm of a summer afternoon about the Kaatskill, but they say Hendrick Hudson and his crew are at their game of ninepins; and it is a common wish of all henpecked husbands in the neighbourhood, when life hangs heavy on their hands, that they might have a quieting draught out of Rip Van Winkle's flagon.