Saturday 18 December 2021

"Animarum Studio" by Pope Pius XII (translated into Italian)

Martedì, 16 dicembre 1947

 

Il Pontefice concede ai sacerdoti la facoltà di confessare durante i viaggi aerei, come già previsto in passato per i viaggi marittimi.

Poiché diversi Ordinari territoriali hanno fatto presente a questa Sede Apostolica che quanto stabilito dal can. 883 C.I.C. sulla facoltà concessa ai sacerdoti di ascoltare le confessioni di coloro che viaggiano per mare possa essere opportunamente esteso anche per i viaggi aerei, Noi, spinti dall’amore per le anime, ben sapendo che attualmente i viaggi di questo tipo diventano ogni giorno più frequenti, e volendo che ai seguaci di Cristo non manchi l’opportunità che, nata dalla lodevole attenzione degli Ordinari, genera santificazione delle anime, con grande Nostro piacere abbracciamo questa proposta e motu proprio, con piena consapevolezza e matura riflessione, nella pienezza del potere Apostolico decidiamo e deliberiamo che tutto quanto previsto dal canone 883 C.I.C. relativo alla facoltà dei sacerdoti che effettuano viaggi marittimi di ricevere le confessioni, sia valido e venga esteso — con le stesse clausole — anche ai sacerdoti che viaggiano in aereo.

Disponiamo che ciò che motu proprio abbiamo decretato con questa Nostra Lettera Apostolica rimanga valido in perpetuo, nonostante qualsiasi opposizione.

Inoltre ordiniamo che esso abbia vigore dal momento in cui questa Nostra Lettera Apostolica verrà pubblicata nel Commentario Ufficiale intitolato Acta Apostolicae Sedis.

 

Dato a Roma, presso San Pietro, il 16 dicembre 1947, anno nono del Nostro Pontificato.

Friday 17 December 2021

Friday's Sung Word: "Malandro Medroso" by Noel Rosa (in Portuguese)

Eu devo, não quero negar, mas te pagarei quando puder
Se o jogo permitir, se a polícia consentir e se Deus quiser
Não pensa que eu fui ingrato, nem que fiz triste papel
Hoje vi que o medo é o fato e eu não quero um pugilato
Com seu velho coronel

A consciência agora que me doeu
E eu evito concorrência, quem gosta de mim sou eu!
Neste momento eu saudoso me retiro
Pois teu velho é ciumento e pode me dar um tiro

Se um dia ficares no mundo sem ter nesta vida mais ninguém
Hei de te dar meu carinho
Onde um tem seu cantinho, dois vivem também
Tu podes guardar o que eu te digo contando com a gratidão
E com o braço habilidoso de um malandro que é medroso
Mas que tem bom coração.

 

You can listen "Malandro Medroso" sung by Noel Rosa  here.

Thursday 16 December 2021

Thursday's Serial: “Sous le Soleil de Satan” by George Bernanos (in French) - IX

Chapitre V

— Sortons, avait dit le curé de Lumbres.

L’autre l’avait suivi, non pas fasciné, comme il l’a cru depuis de bonne foi, mais par simple curiosité, pour voir. L’ancien professeur connaissait peu de choses du vieux prêtre, devenu tout à coup gardien d’un immense troupeau sans cesse accru. Par quel prodige ce bonhomme aux souliers crottés, toujours seul dans les chemins, et passant vite, avec un sourire triste, avait-il rassemblé autour de son confessionnal un véritable peuple, son peuple ? M. le curé de Luzarnes, nouveau venu dans le diocèse, partageait « jusqu’à un certain point » la méfiance de quelques-uns de ses confrères. « Je me réserve », disait-il ingénument. Et voilà qu’aujourd’hui, par hasard (un autre mot qu’il aimait), d’un premier pas il entrait dans la confidence, de ce singulier esprit.

Ils sortirent dans le petit jardin, clos de murs, derrière la maison. Le beau soleil filtrait sur les romaines et les laitues. Des abeilles, dans le vent d’ouest, filaient comme des flèches. Car la brise s’était levée avec le jour.

Tout à coup le curé de Lumbres s’arrêta et fit un pas vers son compagnon. En pleine lumière, son vieux visage apparut, marqué de la flétrissure de l’insomnie, aussi reconnaissable que le masque d’un agonisant. Une minute, la pauvre bouche se détendit, trembla ; puis, au regard curieux qui l’observait, l’autre regard, vaincu, livra son secret, se livra… Le bonhomme pleurait.

Déjà le futur chanoine s’apitoyait, dressait en l’air sa petite main blonde.

— En vérité, mon cher confrère…

Il dit beaucoup de choses, en hâte, au hasard, comme il convient dans un cas si grave, se raffermissant à mesure au son de sa propre voix. Il regardait en parlant, pour être plus sûr de le convaincre, le prêtre tout chancelant que son infaillible éloquence allait tout à l’heure redresser. « Cette crise d’exaltation, mon pieux ami, n’est qu’une épreuve passagère, et un avertissement de la Providence qui n’approuve peut-être pas toujours les excès de votre zèle, ces rigueurs de pénitence, ces jeûnes, ces veilles… »

Il allait, il allait, pressé de conclure, donnant à pleines mains son emplâtre et ses baumes, quand une voix, d’un accent si singulier, ah ! certes une voix si singulière, si peu attendue, d’un homme qui n’avait point écouté, qui n’écouterait plus, dont la seule plainte restituait au néant l’éloquence déçue.

— Mon ami, mon ami, je n’en puis plus. Je suis à bout.

Une autre parole trembla sur ses lèvres, qu’il n’acheva pas. Mais le vigilant confrère, un moment déconcerté :

— Ce désespoir…, commença-t-il.

Le curé de Lumbres posait déjà sur la sienne une main impérieuse, fébrile.

— Écartons-nous un peu, dit-il, je vous en prie, jusque-là.

Ils s’arrêtèrent au pied d’un mur tout croulant. Quelle joyeuse vie bourdonnait autour !

— Je suis à bout, reprit la voix lamentable. Ah ! par pitié, mon ami, à présent mon unique ami, que votre charité ne vous égare pas. Soyez dur ! Je ne suis qu’un prêtre indigne, un pauvre prêtre, une âme aride, un aveugle, un misérable aveugle…

— Non pas… non pas…, rectifia poliment le futur chanoine, non pas vous, mais peut-être quelques esprits téméraires qui abusent de votre cré… de votre bonne foi… Il est aisé de croire à tout le bien qu’on dit de nous !

Il sourit, écartant de sa main une guêpe importune (la guêpe, et cette bouche émerveillée, pleine de discours, deux bêtes bourdonnantes)… Mais, péremptoire :

— Je vous écoute, dit-il.

Le curé de Lumbres glisse à ses pieds, tombe à genoux.

— Dieu me remet entre vos mains, fait-il, me donne à vous !

— Quel enfantillage ! s’écrie le futur chanoine. Relevez-vous, mon ami. Votre imagination enfle démesurément une simple impression de fatigue, de surmenage. Oh ! je ne suis qu’un homme ordinaire, mais une certaine expérience…, conclut-il avec un sourire.

Le curé de Lumbres répond à ce sourire par un autre sourire navré. Qu’importe ! il ne veut voir en celui-là qu’un ami, avant le suprême détour, non choisi, mais reçu visiblement reçu de Dieu, son dernier ami. Ah ! certes, il n’espère plus retourner en arrière, retrouver la paix, revivre. Il est déjà trop loin sur la route maudite. Il ira, il ira, jusqu’à bout de souffle, avec ce seul compagnon.

— Hélas ! s’écrie-t-il, tel j’étais au grand séminaire, tel je suis resté, une tête dure, un cœur sec, sans aucun élan, pour tout dire : un homme vil dont la Providence s’est servie. Le bruit fait autour de moi, l’obstination à me poursuivre, l’amitié de tant de pécheurs, autant de signes et d’épreuves dont je n’entendais ni le sens, ni le but. Un saint mûrit dans le silence, et le silence m’était refusé. Tout à l’heure encore, j’aurais dû me taire… Je n’aurais pas à présent à vous faire un aveu… (Oui… mon cœur saignait de quitter en un pareil moment cette pauvre femme à genoux — si durement — oui, durement frappée…) Ce n’était pas sans raison… pas sans raison… Car… Mon ami, alors que j’étais déjà sur le seuil de la porte… une pensée… une telle pensée m’est venue…

— Laquelle ? demanda M. le curé de Luzarnes.

D’un geste involontaire, il s’est penché vers lui, jusqu’à sa bouche d’où ne sort maintenant qu’un murmure confus… Puis il se relève, atterré…

— Oh ! mon ami… s’écrie-t-il… ô mon ami !

Il lève les bras au ciel, et les croise sur sa poitrine, laissant retomber ses larges épaules, avec accablement. Le vieux prêtre est toujours à genoux, tête basse. On ne voit que sa nuque grise courbée par la honte.

— Ainsi, épelle M. le curé de Luzarnes, cette pensée vous est venue, tout à coup, pour la première fois ?

— Pour la première fois,

— Et jamais avant ?…

— Mon Dieu ! s’écrie le curé de Lumbres, jamais avant ! Je ne suis qu’un malheureux. Depuis des années, je ne sais plus ce que c’est qu’une heure de paix. Comment pouvez-vous croire… Quoi ! jusque sous les pieds de Satan ! Un miracle, moi !… Mon ami, en vérité, je n’ai peut-être pas fait, dans toute ma vie, un seul acte d’amour divin, même imparfait, même incomplet… Non ! il a fallu l’affreux travail de cette dernière nuit… Mot à mot, je ne m’appartiens plus… J’étais dans les convulsions du désespoir… Et c’est alors… alors, comme par dérision… que cette pensée m’est venue…

— Il fallait l’écarter, dit l’autre.

— Comprenez-moi, reprit le bonhomme, humblement… Je dis : Cette pensée m’est venue. C’est mal dit. Non pas une pensée, mais une certitude… (Ah ! les mots me manquent ; ils m’ont toujours manqué, s’écrie-t-il avec une impatience naïve…) Je dois aller jusqu’au bout, mon bien-aimé frère, jusqu’à ce dernier aveu… Même à genoux devant vous, plongé dans l’angoisse, doutant même de mon salut… je crois… je dois croire… invinciblement… que cette certitude venait de Dieu.

— Avez-vous eu — comment dirais-je ? — un signe matériel…

— Quel signe ? fait le curé de Lumbres, candide.

— Mais que sais-je ?… Avez-vous vu ou entendu ?…

— Rien… Seulement cette voix intérieure. Si un ordre m’eût été donné, aussi net, j’aurais obéi sur-le-champ. Mais c’était moins un ordre que la simple assurance, la certitude que cela serait… si je voulais. Dieu m’est témoin que l’aveu que je vous fais m’arrache le cœur, je devrais en mourir de honte… Je savais… Je sais… toujours… je suis sûr… qu’un mot de moi eût… mon Dieu !… eût ressuscité… oui ! ressusciterait ce petit mort !

— Regardez-moi, dit le curé de Luzarnes, après un long silence, avec autorité.

Il le relevait des deux mains. Quand il le vit debout, près de lui, les genoux crottés, la tête basse, il l’aima…

— Regardez-moi, dit-il encore… Répondez-moi franchement. Qui vous a retenu d’éprouver… d’éprouver votre pouvoir, à l’instant même ?

— Je ne sais pas, fit le vieux prêtre… C’était une terrible chose… Lorsque l’instrument est trop vil. Dieu le jette, après s’en être servi.

— Mais votre… conviction reste intacte ?

— Oui, dit encore le curé de Lumbres.

— Et présentement, que décidez-vous ?

— D’obéir, répondit cet homme étrange.

Le futur chanoine retira vivement son binocle, et le brandit.

— Je ne vous conseillerai rien que de simple, dit-il. Premièrement, vous allez rentrer derrière moi, vous vous excuserez de votre mieux. (Votre départ si brusque a dû paraître bien extraordinaire, peu délicat.) Tandis que je remplirai ce devoir de politesse, vous irez — entendez-moi bien — vous irez dans la chambre mortuaire faire vos dévotions — de votre mieux — comme il vous plaira… Je ne voudrais laisser aucun doute dans votre esprit, déjà si bouleversé… Je prends tout sur moi, conclut-il après une imperceptible hésitation, mais par un geste tranchant, décisif.

(C’est ainsi qu’il dérobait à ses propres yeux la faiblesse d’un mouvement de curiosité à peine consciente, inavouée. Car parfois le plus vulgaire des hommes, égaré dans une salle de jeu, est pris au rythme de tous ces cœurs rapides, jette un louis sur le tableau, et découvre un peu de soi-même.)

Puis, ramenant son binocle à la hauteur des yeux :

— Après quoi, mon ami, vous irez sagement prendre un peu de repos.

— J’essaierai, dit humblement le vieux prêtre.

— Cela dépend de vous. L’acte du repos, affirment les spécialistes, est un acte volontaire. Chez beaucoup de malades, l’insomnie même n’est qu’une des mille formes de l’aboulie. Croyez-en un homme à qui ces questions sont familières. Une crise morale telle que celle-ci n’est sans doute que la réaction naturelle d’un organisme surmené. Entre nous, mon cher confrère, parlons net. Neuf fois sur dix, la paix que vous allez chercher si loin est à votre portée ; une bonne hygiène vous la rendra. Certes, dans la bouche d’un prêtre, ces vérités sont parfois dangereuses, ou d’un maniement délicat. Mais d’un esprit supérieur, comme est le vôtre, je n’ai pas à craindre une de ces interprétations excessives…, que certaines âmes scrupuleuses…

— Vous me croyez fou, dit le curé de Lumbres, avec douceur.

Il levait sur lui son regard, tout à l’heure baissé, plein d’une tendresse mystérieuse. Puis il reprit :

— Hélas ! il y a peu de temps, je l’eusse encore souhaité. À certaines heures, voir est à soi seul une épreuve si dure, qu’on voudrait que Dieu brisât le miroir. On le briserait, mon ami… Car il est dur de rester debout au pied de la Croix, mais plus dur encore de la regarder fixement… Quel spectacle, mon ami, que celui de l’innocence à l’agonie ! Mais, après tout, cette mort n’est rien…, on pourrait peut-être la donner d’un coup, l’achever, remplir de terre la bouche ineffable, étouffer son cri… Non ! La main qui le serre est plus savante et plus forte ; le regard qui se rassasie de lui n’est pas un regard humain. À la haine effroyable qui couve le juste expirant, tout est donné, tout est livré. La chair divine n’est pas seulement déchirée, elle est forcée, profanée, par un sacrilège absolu, jusque dans la majesté de l’agonie… La dérision de Satan, mon ami ! Le rire, l’incompréhensible joie de Satan !…

…Pour un tel spectacle, dit-il après un silence, notre boue est encore trop pure…

— Le drame du Calvaire, commença le futur chanoine…

Il n’acheva pas. Dès ce moment, ce prêtre cartésien cessa de voir clair en lui. L’éminent philosophe, dont les discours révélèrent jadis à tant de belles curieuses un autre univers sensible, et qui, par un dosage savant de mathématique et d’esprit, fit du problème de l’être un divertissement d’honnêtes gens — s’il eût un jour entendu parler l’un de ses singuliers animaux, tout en ressorts, leviers et pignons — ne se serait pas trouvé plus accablé que le prêtre malheureux, jusqu’alors si ferme, et qui, subitement tiré hors de lui-même, ne se reconnaît plus.

Le curé de Lumbres pose sur le front du futur chanoine un doigt aigu.

— Malheureux sommes-nous, dit-il d’une voix rauque et lente, malheureux sommes-nous qui n’avons ici qu’un peu de cervelle, et l’orgueil de Satan ! Qu’ai-je à faire de votre prudence ? À présent mon sort est fixé. Quelle paix j’ai cherchée, quel silence ? Il n’y a pas de paix ici-bas, vous dis-je, aucune paix, et dans un seul instant de vrai silence ce monde pourri se dissiperait comme une fumée, comme une odeur, j’ai prié Notre-Seigneur de m’ouvrir les yeux ; j’ai voulu voir sa Croix ; je l’ai vue ; vous ne savez pas ce que c’est… Le drame du Calvaire, dites-vous… Mais il vous crève les yeux, il n’y a rien d’autre… Tenez ! moi qui vous parle, Sabiroux, j’ai entendu — oui — jusque dans la chaire de la cathédrale… des choses… je ne peux pas dire… Ils parlent de la mort de Dieu comme d’un vieux conte… Ils l’embellissent… ils en rajoutent. Où vont-ils chercher tout ça ? Le drame du Calvaire ! Prenez bien garde, Sabiroux.

— Mon cher ami… mon cher ami, bégayait l’autre à bout de forces… une telle exaltation… une telle violence… si éloignée de votre caractère…

Et, certes, la parole elle-même l’effrayait moins que cette voix devenue si dure. Mais le pis, c’était son propre nom, les trois syllabes en plein vent, jetées comme un ordre : Sabiroux… Sabiroux…

— Prenez bien garde, Sabiroux, que le monde n’est pas une mécanique bien montée. Entre Satan et Lui, Dieu nous jette, comme son dernier rempart. C’est à travers nous que depuis des siècles et des siècles la même haine cherche à l’atteindre, c’est dans la pauvre chair humaine que l’ineffable meurtre est consommé. Ah ! Ah ! si haut, si loin que nous enlèvent la prière et l’amour, nous l’emportons avec nous, attaché à nos flancs, l’affreux compagnon, tout éclatant d’un rire immense ! Prions ensemble, Sabiroux, pour que l’épreuve soit courte et la misérable foule humaine épargnée… Misérable foule !…

Sa voix se brise dans sa gorge, et il couvre ses yeux de ses mains frémissantes. Tout autour, le clair petit jardin siffle et chante. Mais ils ne l’entendaient plus.

Misérable foule ! répète-t-il tout bas. Au souvenir de ceux qu’il avait tant aimés, sa bouche trembla, une espèce de sourire monta lentement sur sa face et s’y répandit avec une majesté si douce que Sabiroux craignit de le voir tomber là, devant lui, mort. Il l’appela deux fois, timidement. Alors, comme un homme qui s’éveille :

— Je devais parler ainsi. Cela va mieux. Je crois qu’il m’était permis, Sabiroux, de rectifier un peu votre jugement sur moi. Il me serait pénible de vous laisser croire que j’aie jamais été favorisé de… de visions… d’apparitions… enfin de tentations peu communes. Cela n’était pas fait pour moi. Non ! Ce que j’ai vu, mon ami, je l’ai vu dans ma petite sacristie, assis sur ma chaise de paille, aussi clairement que je vous vois. Voyez-vous, on ne sait pas ce que c’est qu’un pécheur. Qu’est-ce qu’une voix dans le noir d’un confessionnal, qui ronronne, se hâte, se hâte, et ne se pose que sur les premières syllabes au mea culpa ? Bon pour les enfants, ça, pauvres petits ! Mais il faut voir, il faut voir les visages où tout se peint, et les regards. Des yeux d’homme, Sabiroux ! On a toujours à dire là-dessus. Certes ! j’ai assisté bien des mourants ; ce n’est rien ; ils n’effraient plus. Dieu les recouvre. Mais les misérables que j’ai vus devant moi — et qui discutent, sourient, se débattent, mentent, mentent, mentent — jusqu’à ce qu’une dernière angoisse les jette à nos pieds comme des sacs vides ! Cela fait encore figure dans le monde, allez ! Ça piaffe devant les filles. Ça blasphème agréablement… Ah ! longtemps, je n’ai pas compris ; je ne voyais que des égarés, que Dieu ramasse en passant. Mais il y a quelque chose entre Dieu et l’homme, et non pas un personnage secondaire… Il y a… il y a cet être obscur, incomparablement subtil et têtu, à qui rien ne saurait être comparé, sinon l’atroce ironie, un cruel rire. À celui-là Dieu s’est livré pour un temps. C’est en nous qu’il est saisi, dévoré. C’est de nous qu’il est arraché. Depuis des siècles le peuple humain est mis sous le pressoir, notre sang exprimé à flots afin que la plus petite parcelle de la chair divine soit de l’affreux bourreau l’assouvissement et la risée… Oh ! notre ignorance est profonde ! Pour un prêtre érudit, courtois, politique, qu’est-ce que le diable, je vous le demande ? À peine ose-t-on le nommer sans rire. Ils le sifflent comme un chien. Mais quoi ! pensent-ils l’avoir rendu familier ? Allez ! Allez ! c’est qu’ils ont lu trop de livres, et n’ont pas assez confessé. On ne veut que plaire. On ne plaît qu’aux sots, qu’on rassure. Nous ne sommes pas des endormeurs, Sabiroux ! Nous sommes au premier rang d’une lutte à mort et nos petits derrière nous. Des prêtres ! Mais ils ne l’entendent donc pas, le cri de la misère universelle ! Ils ne confessent donc que leurs bedeaux ! Ils n’ont donc jamais tenu devant eux, face à face, un visage bouleversé ? Ils n’ont donc jamais vu se lever un de ces regards inoubliables, déjà pleins de la haine de Dieu, auxquels on n’a plus rien à donner, rien ! L’avare rongé par son cancer, le luxurieux comme un cadavre, l’ambitieux plein d’un seul rêve, l’envieux qui toujours veille. Hé quoi ! quel prêtre n’a jamais pleuré d’impuissance devant le mystère de la souffrance humaine, d’un Dieu outragé dans l’homme, son refuge !… Ils ne veulent pas voir ! Ils ne veulent pas voir !

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À mesure que l’âpre voix s’élevait dans le vent et le soleil, le vigoureux petit jardin la défiait de toute sa forte vie. La brise de mai, roulant au ciel ses nuages gris, bloquait parfois au-dessous de l’horizon leur immense troupeau. C’est alors qu’un jet de lumière éblouissante, pareil à l’éclair d’un sabre, rasant toute la plaine assombrie, venait éclater dans la haie splendide.

Je me sentais, écrivait plus tard l’abbé Sabiroux, comme sur une cime isolée, exposé sans défense aux coups d’un invisible ennemi… Et lui, redevenu silencieux, fixait le même point dans l’espace. Il avait l’air d’attendre un signe, qui ne vint pas.

 

 

Chapitre VI

Il faut que nous rendions la parole au témoin dont nous tenons le meilleur de ce récit, et qui fut choisi par un plus habile et plus puissant pour assister le vieil homme de Lumbres à son dernier combat. Comme les citations précédentes, celles-ci furent tirées du volumineux rapport adressé à ses supérieurs par le scrupuleux chanoine. Assurément, on y verra la crainte et l’amour-propre s’y exprimer parfois avec une ruse innocente. Mais il n’y a rien de tout à fait vil dans le plaidoyer d’un malheureux qui défend son préjugé, son repos, sa vanité, ses raisons de vivre.

Certes, il est bien difficile de se représenter avec assez de force un événement déjà ancien, mais une conversation comme celle que j’essaie de rapporter ici est, pour ainsi dire, insaisissable, et la mémoire la plus fidèle n’en saurait retracer à distance l’attitude, le ton, mille petits faits qui modifient à mesure le sens des mots et nous disposent à n’entendre plus que ceux-là qui s’accordent à notre sentiment secret. Il faut que le respect que je dois à l’ordre formel de mes supérieurs et mon désir de les éclairer triomphe de ma répugnance et de mon scrupule. J’essaierai donc, moins de rapporter les termes, que d’en reproduire le sens général, et l’impression singulière que j’en ressentis.

— Prenez garde, Sabiroux ! s’était écrié tout à coup mon malheureux confrère, d’une voix qui me cloua sur place. Ses yeux lançaient des flammes. Une fois ou deux, je tentai de me faire entendre sans qu’il daignât seulement baisser son regard. Devrais-je l’avouer encore ? J’étais sous le charme, si l’on peut appeler charme une affreuse contraction des nerfs, une curiosité dévorante. Aussi longtemps qu’il parla, je ne doutai plus d’être en présence d’un homme véritablement surnaturel, en pleine extase. Mille choses, auxquelles je n’avais jamais pensé, et qui m’apparaissaient aujourd’hui pleines de contresens et d’obscurités, ou même d’imaginations puériles, éclairèrent alors ensemble mon cœur et ma raison. Je crus pénétrer dans un nouveau monde. Comment reproduire de sang-froid ces phrases singulières où, suppliant et menaçant tour à tour, tantôt pâle de rage, tantôt ruisselant de larmes, avec un accent déchirant, il désespérait du salut des âmes, retraçait leur inutile martyre, s’emportant contre le mal et la mort comme s’il eût serré Satan à la gorge. Satan ! le nom revenait sans cesse sur ses lèvres, et il le prononçait avec un accent extraordinaire, qui vous perçait le cœur. S’il était permis à des yeux humains d’entrevoir l’ange rebelle, à qui la sainte naïveté de nos pères attribuait tant de merveilles, aujourd’hui mieux connues, de telles paroles l’eussent évoqué, car déjà son ombre était entre nous deux, humbles prêtres, dans le petit jardin. Non ! messieurs, un pareil discours ne peut être repris de sang-froid ! Il faudrait entendre cet homme vénérable, transfiguré par l’horreur, et comme transporté de haine, évoquant les souvenirs les plus secrets de son saint ministère, d’effroyables aveux, le travail du péché dans les âmes, et jusqu’aux visages des infortunés, devenus la proie du démon, où son regard visionnaire voyait se retracer ligne à ligne l’agonie de Notre-Seigneur sur la Croix. Une espèce d’enthousiasme me transportait. Je n’étais plus un de ces ministres de la morale chrétienne mais un homme inspiré, un de ces exorcistes légendaires, prêts à arracher aux puissances du mal les brebis de leur troupeau. Miracle de l’éloquence ! Je prononçais des paroles sans suite, j’aurais voulu m’élancer, braver des dangers, peut-être le martyre. Pour la première fois, il me parut que j’entrevoyais le but véritable de ma vie et la majesté du sacerdoce. Je me jetai, oui, je me jetai aux genoux de M. le curé de Lumbres. Bien plus ! Je pressai entre mes mains les plis de sa pauvre soutane, j’y imprimai mes lèvres, je l’arrosai de mes larmes, et m’écriant, hélas ! dans la surabondance de ma joie, je jetai ces paroles plutôt que je ne les prononçai : « Vous êtes un saint !… Vous êtes un saint !… »

Non pas une fois, mais vingt fois le chanoine terrassé répéta ce mot, et il le bégayait avec ivresse. La terre brûlait ses gros souliers, l’horizon tournait comme une roue. Il se sentait plus léger qu’un homme de liège, merveilleusement libre et léger, dans l’air élastique. « Je me crus dégagé des liens mortels, » note-t-il.

Quelle parole fut donc assez forte pour élever si haut ce poids pesant, ou quel miraculeux silence ? Que lui disait-il à l’oreille, ce tragique vieillard, que la tentation remuait alors jusqu’au fond, et qui, repoussé de tous, et de Dieu même, forcé, rendu, se tournait en mourant vers un regard ami ? Mais cela, nous ne le saurons point…

— Ah ! Satan nous tient sous ses pieds, dit-il enfin, d’une voix douce et désarmée.

Le curé de Luzarnes, d’étonnement, bégaye :

— Mon ami, mon frère, je vous ai méconnu… Je ne savais pas… Dieu vous a fait pour être l’honneur du diocèse, de l’Église, de la chaire de Vérité… Et, possédant de si admirables dons, quoi ! vous soupirez encore, vous vous voyez vaincu ! Vous ! Laissez-moi au moins vous exprimer ma reconnaissance, mon émotion, pour le bien que vous m’avez fait, pour l’enthousiasme…

— Vous ne m’avez pas compris, dit simplement le curé de Lumbres.

Il sait qu’il doit se taire, il parlera cependant. La faiblesse a sa logique et sa pente, comme l’héroïsme. Et toutefois le vieil homme hésite, avant de porter ses derniers coups.

— Je ne suis pas un saint, reprend-il. Allons ! laissez-moi dire. Je suis peut-être un réprouvé… Oui ! regardez-moi… Ma vie passée s’éclaire, et je la vois comme un paysage, comme en haut de Chennevières le bourg du Pin, sous mes pieds. Je travaillais à me détacher du monde, je le voulais, mais l’autre est plus fort et plus rusé ; il m’aidait à user en moi l’espérance. Comme j’ai souffert, Sabiroux ! Que de fois j’ai ravalé ma salive ! J’entretenais en moi ce dégoût ; c’est comme si j’avais serré sur mon cœur le diable enfant. J’étais à bout de forces quand cette crise a fini de tout briser. Bête que j’étais ! Dieu n’est pas là, Sabiroux ! Il hésite encore, devant l’innocente victime : ce prêtre fleuri, aux yeux candides. Et puis, avec rage, il frappe et redouble :

— Un saint ! Vous avez tous ce mot dans la bouche. Des saints ! savez-vous ce que c’est ? Et vous-même, Sabiroux, retenez ceci ! Le péché entre en nous rarement par force, mais par ruse. Il s’insinue comme l’air. Il n’a ni forme, ni couleur, ni saveur qui lui soit propre, mais il les prend toutes. Il nous use par dedans. Pour quelques misérables qu’il dévore vifs et dont les cris nous épouvantent, que d’autres sont déjà froids, et qui ne sont même plus des morts, mais des sépulcres vides. Notre-Seigneur l’a dit : quelle parole, Sabiroux ! L’Ennemi des hommes vole tout, même la mort, et puis il s’envole en riant.

(La même flamme repasse dans ses yeux fixes, comme un reflet sur un mur.)

— Son rire ! voici l’arme du prince du monde. Il se dérobe comme il ment, il prend tous les visages, même le nôtre. Il n’attend jamais, il ne fait ferme nulle part. Il est dans le regard qui le brave, il est dans la bouche qui le nie. Il est dans l’angoisse mystique, il est dans l’assurance et la sérénité du sot…. Prince du monde ! Prince du monde !

Pourquoi cette colère ? Contre qui ?… se demande le curé de Luzarnes, bonnement.

— Ah ! s’écrie-t-il, des hommes tels que vous…

Mais le saint de Lumbres ne le laisse pas finir ; il marche dessus, à l’accoler.

— Des hommes tels que moi ! Le saint Livre vous le dit, Sabiroux ; ils s’évanouissent dans leur sagesse.

Puis il lui demande soudain, de sa voix coupante :

— Prince du monde… que pensez-vous de ce monde-là, vous ?

— Ma foi, sans doute…, siffle le bonhomme entre ses dents.

— Prince du monde ; voilà le mot décisif. Il est prince de ce monde, il l’a dans ses mains, il en est roi.

…Nous sommes sous les pieds de Satan, reprend-il après un silence. Vous, moi plus que vous, avec une certitude désespérée. Nous sommes débordés, noyés, recouverts. Il ne prend même pas la peine de nous écarter, chétifs, il fait de nous ses instruments ; il se sert de nous, Sabiroux. À cette minute, que suis-je moi-même ? Un scandale pour vous, une épine qu’il vous enfonce dans le cœur. Pardonnez-moi, au nom de la pitié divine ! J’ai porté cette pensée, chaque jour mûrie, en silence, toute ma vie. Je ne la contiens plus ; elle m’a dévoré. C’est moi qui suis en elle, mon enfer ! J’ai connu trop d’âmes, Sabiroux, j’ai trop entendu la parole humaine, quand elle ne sert plus à déguiser la honte, mais à l’exprimer ; prise à sa source, pompée comme le sang d’une blessure. Moi aussi, j’ai cru pouvoir lutter, sinon vaincre. Au début de notre vie sacerdotale nous nous faisons du pécheur une idée si singulière, si généreuse. Révolte, blasphème, sacrilège, cela a sa grandeur sauvage, c’est une bête qu’on va dompter… Dompter le pécheur ! ô la ridicule pensée ! Dompter la faiblesse et la lâcheté mêmes ! Qui ne se lasserait de soulever une masse inerte ? Tous les mêmes ! Dans l’effusion de l’aveu, dans l’élargissement du pardon, menteurs encore, toujours ! Ils jouent l’homme fort et ombrageux qui a pris le mors aux dents à travers les convenances, la morale et le reste, ils implorent une poigne solide. Ah ! misère ! ils sont fourbus ! J’en ai vu, tenez, j’en ai vu qu’un nom de femme jetait dans les convulsions de la rage et qui, déchirés de crainte, de remords et d’envie, rampaient à mes pieds comme des bêtes…, j’en ai vu. Non ! Non ! cette immense duperie, ce rire cruel, cette manière de profaner ce qu’il tue, voilà Satan vainqueur ! M’avez-vous compris, Sabiroux ?

Les yeux d’azur du professeur soutiennent son regard avec une curiosité candide, une bienveillance infinie, éternelle. Ah ! qu’on le brise enfin, cet émail bleu ! Et le vieil athlète, en face du gros enfant épanoui, rougit et pâlit tour à tour. Son cœur bat à grands coups réguliers dans sa poitrine où la puissante volonté, jamais tout à fait assujettie, se roidit déjà, brise son frein. Il pousse Sabiroux contre le mur, il lui crie dans l’oreille, et d’un inoubliable accent :

— Nous sommes vaincus, vous dis-je. Vaincus ! Vaincus !

Une minute, une longue minute, il écoute son propre blasphème, comme la dernière pelletée de terre sur une tombe. Celui qui renia trois fois son maître, un seul regard a pu l’absoudre, mais quelle espérance a celui-là qui s’est renié lui-même ?

— Mon ami ! Mon ami ! s’écrie le curé de Luzarnes.

Mais le saint de Lumbres lui repousse doucement les mains :

— Laissez-moi, dit-il, laissez-moi… ne m’écoutez plus.

— Vous laisser ! reprend l’autre d’une voix éclatante, vous laisser ! Je n’ai jamais rien vu qui vous ressemblât. Pardonnez-moi plutôt d’avoir douté de vous. Je suis prêt à vous servir de témoin dans l’épreuve que vous avez méditée… Rien n’est impossible ni incroyable d’un homme tel que vous… Allez ! Allez ! Je vous suis ; c’est Dieu qui vous inspirait tout à l’heure. Allons ! retournons ensemble à la maison. Allez rendre à sa mère le petit mort.

Le curé de Lumbres le regarde avec stupeur, passe sa main sur son front, cherche à comprendre… Même pour un moraliste, le tragique, l’étonnant oubli !… Hé quoi ! il ne se souvient plus ?…

— Voyons, mon ami, mon vénérable ami, répète-t-il, est-ce à moi de vous rappeler ce que tout à l’heure, à cette place ?…

Il s’est souvenu. Le dernier appel de la miséricorde, la promesse éblouissante qui l’eût sauvé, et qu’il n’a entendue qu’avec méfiance, au lieu d’obéir comme l’enfant dont les petites mains font de grandes choses qu’il ignore, est-il possible ? Il faut qu’un autre la rappelle. L’idée fixe à laquelle depuis deux jours et deux nuits, le misérable enchaînait sa pensée — ô rage ! — peut-être au moment de la délivrance, et par quelle main ! s’est emparée de lui tout entier. À la minute décisive, à la minute unique de son extraordinaire vie — dérision souveraine, absolue — il n’était plus qu’un pauvre animal humain, puissant seulement pour souffrir et crier.

Ah ! le naufragé qui, dans la brume du matin, ne retrouve plus la voile vermeille ; l’artiste qui, sa veine épuisée, meurt vivant ; la mère qui voit dans les yeux de son fils à l’agonie le regard glisser hors de sa présence, n’élèvent pas au ciel un cri plus dur

Sous un tel coup cependant, l’héroïque vieillard n’a pas plié les genoux. Il ne prie plus. Il mesure froidement la profondeur de sa chute ; il repasse une dernière fois la tactique supérieure de l’ennemi qui l’a vaincu. — J’ai haï le péché, se dit-il, puis la vie même, et ce que je sentais d’ineffable, dans les délices de l’oraison, c’était peut-être ce désespoir qui me fondait dans le cœur.

Une à une, les images épuisent sur nous leur dessin, puis, en plein désordre de la conscience, la raison vient qui nous achève. Autant que l’instinct même, la haute faculté dont nous sommes fiers a sa panique. Le curé de Lumbres  ; l’éprouve ; il consomme la pensée qui le tue. Quoi donc ! au moment même où je me croyais… Quoi ! jusque dans l’ivresse de l’amour divin !…

— Dieu s’est-il joué de moi ? s’écrie-t-il.

Dans la dissipation d’un rêve qui nous parut toujours la réalité même, et auquel notre destin s’était lié, lorsque le désastre est complet — atteint son point de perfection, — quelle autre force nous sollicite encore, sinon l’âpre désir de provoquer le malheur, de le hâter, de le connaître, enfin ?

— Allons, dit le curé de Lumbres.

Wednesday 15 December 2021

Good Reading: "The Dog and the Oyster" by Aesop (translated into English)

     A Dog, used to eating eggs, saw an Oyster and, opening his mouth to its widest extent, swallowed it down with the utmost relish, supposing it to be an egg. Soon afterwards suffering great pain in his stomach, he said, "I deserve all this torment, for my folly in thinking that everything round must be an egg."  

    They who act without sufficient thought, will often fall into unsuspected danger.