Tuesday 16 May 2023

Tuesday's Serial: “Le Fantôme de l'Opéra” By Gaston Leroux (in French) - IV

 

VI - LE VIOLON ENCHANTÉ

Christine Daaé, victime d'intrigues sur lesquelles nous reviendrons plus tard, ne retrouva point tout de suite à l'Opéra le triomphe de la fameuse soirée de gala. Depuis, cependant, elle avait eu l'occasion de se faire entendre en ville, chez la duchesse de Zurich, où elle chanta les plus beaux morceaux de son répertoire; et voici comment le grand critique X. Y. Z., qui se trouvait parmi les invités de marque, s'exprime sur son compte:

«Quand on l'entend dans Hamlet, on se demande si Shakespeare est venu des Champs-Élysées lui faire répéter Ophélie... Il est vrai que, quand elle ceint le diadème d'étoiles de la reine de la nuit, Mozart, de son côté, doit quitter les demeures éternelles pour venir l'entendre. Mais non, il n'a pas à se déranger, car la voix aiguë et vibrante de l'interprète magique de sa Flûte enchantée vient le trouver dans le Ciel, qu'elle escalade avec aisance, exactement comme elle a su, sans effort, passer de sa chaumière du village de Skotelof au palais d'or et de marbre bâti par M. Garnier.»

Mais après la soirée de la duchesse de Zurich, Christine ne chante plus dans le monde. Le fait est qu'à cette époque, elle refuse toute invitation, tout cachet. Sans donner de prétexte plausible, elle renonce à paraître dans une fête de charité, pour laquelle elle avait précédemment promis son concours. Elle agit comme si elle n'était plus la maîtresse de sa destinée, comme si elle avait peur d'un nouveau triomphe.

Elle sut que le comte de Chagny, pour faire plaisir à son frère, avait fait des démarches très actives en sa faveur auprès de M. Richard; elle lui écrivit pour le remercier et aussi pour le prier de ne plus parler d'elle à ses directeurs. Quelles pouvaient bien être alors les raisons d'une aussi étrange attitude? Les uns ont prétendu qu'il y avait là un incommensurable orgueil, d'autres ont crié à une divine modestie. On n'est point si modeste que cela quand on est au théâtre; en vérité, je ne sais si je ne devrais point écrire simplement ce mot: effroi. Oui, je crois bien que Christine Daaé avait alors peur de ce qui venait de lui arriver et qu'elle en était aussi stupéfaite que tout le monde autour d'elle. Stupéfaite? Allons donc! J'ai là une lettre de Christine (collection du Persan) qui se rapporte aux événements de cette époque. Eh bien, après l'avoir relue, je n'écrirai point que Christine était stupéfaite ou même effrayée de son triomphe, mais bien épouvantée. Oui, oui... épouvantée! «Je ne me reconnais plus quand je chante!» dit-elle.

La pauvre, la pure, la douce enfant!

Elle ne se montrait nulle part, et le vicomte de Chagny essaya en vain de se trouver sur son chemin. Il lui écrivit, pour lui demander la permission de se présenter chez elle, et il désespérait d'avoir une réponse, quand un matin, elle lui fit parvenir le billet suivant:

«Monsieur, je n'ai point oublié le petit enfant qui est allé me chercher mon écharpe dans la mer. Je ne puis m'empêcher de vous écrire cela, aujourd'hui où je pars pour Perros, conduite par un devoir sacré. C'est demain l'anniversaire de la mort de mon pauvre papa, que vous avez connu, et qui vous aimait bien. Il est enterré là-bas, avec son violon, dans le cimetière qui entoure la petite église, au pied du coteau où, tous petits, nous avons tant joué; au bord de cette route où, un peu plus grands nous nous sommes dit adieu pour la dernière fois.»

Quand il reçut ce billet de Christine Daaé, le vicomte de Chagny se précipita sur un indicateur de chemin de fer, s'habilla à la hâte, écrivit quelques lignes que son valet de chambre devait remettre à son frère et se jeta dans une voiture, qui d'ailleurs le déposa trop tard sur le quai de la gare de Montparnasse pour lui permettre de prendre le train du matin sur lequel il comptait.

Raoul passa une journée maussade et ne reprit goût à la vie que vers le soir quand il fut installé dans son wagon. Tout le long du voyage, il relut le billet de Christine, il en respira le parfum; il ressuscita la douce image de ses jeunes ans. Il passa toute cette abominable nuit de chemin de fer dans un rêve fiévreux qui avait pour commencement et fin Christine Daaé. Le jour commençait à poindre quand il débarqua à Lannion. Il courut à la diligence de Perros-Guirec. Il était le seul voyageur. Il interrogea le cocher. Il sut que la veille au soir une jeune femme qui avait tout l'air d'une parisienne s'était fait conduire à Perros et était descendue à l'auberge du Soleil-Couchant. Ce ne pouvait être que Christine. Elle était venue seule. Raoul laissa échapper un profond soupir. Il allait pouvoir en toute paix, parler à Christine, dans cette solitude. Il l'aimait à en étouffer. Ce grand garçon, qui avait fait le tour du monde, était pur comme une vierge qui n'a jamais quitté la maison de sa mère.

Au fur et à mesure qu'il se rapprochait d'elle il se rappelait dévotement l'histoire de la petite chanteuse suédoise. Bien des détails en sont encore ignorés de la foule.

Il y avait une fois, dans un petit bourg, aux environs d'Upsal, un paysan qui vivait là, avec sa famille, cultivant la terre pendant la semaine et chantant au lutrin, le dimanche. Ce paysan avait une petite fille à laquelle, bien avant qu'elle sût lire, il apprit à déchiffrer l'alphabet musical. Le père de Daaé, était, sans qu'il s'en doutât peut-être, un grand musicien. Il jouait du violon et était considéré comme le meilleur ménétrier de toute la Scandinavie. Sa réputation s'étendait à la ronde et on s'adressait toujours à lui pour faire danser les couples dans les noces et les festins. La mère Daaé, impotente, mourut alors que Christine entrait dans sa sixième année. Aussitôt le père, qui n'aimait que sa fille et sa musique, vendit son lopin de terre et s'en fut chercher la gloire à Upsal. Il n'y trouva que la misère.

Alors, il retourna dans les campagnes, allant de foire en foire, raclant ses mélodies Scandinaves, cependant que son enfant, qui ne le quittait jamais, l'écoutait avec extase ou l'accompagnait en chantant. Un jour, à la foire de Limby, le professeur Valérius les entendit tous deux et les emmena à Gothenburg. Il prétendait que le père était le premier violoneux du monde et que sa fille avait l'étoffe d'une grande artiste. On pourvut à l'éducation et à l'instruction de l'enfant. Partout elle émerveillait un chacun par sa beauté, sa grâce et sa soif de bien dire et bien faire. Ses progrès étaient rapides. Le professeur Valérius et sa femme durent sur ces entrefaites, venir s'installer en France. Ils emmenèrent Daaé et Christine. La maman Valérius traitait Christine comme sa fille. Quant au bonhomme, il commençait à dépérir, pris du mal du pays. À Paris il ne sortait jamais. Il vivait dans une espèce de rêve qu'il entretenait avec son violon. Des heures entières, il s'enfermait dans sa chambre avec sa fille, et on l'entendait violoner et chanter tout doux, tout doux. Parfois, la maman Valérius venait les écouter derrière la porte, poussait un gros soupir, essuyait une larme et s'en retournait sur la pointe des pieds. Elle aussi avait la nostalgie de son ciel Scandinave.

Le père Daaé ne semblait reprendre des forces que l'été, quand toute la famille s'en allait villégiaturer à Perros-Guirec, dans un coin de Bretagne qui était alors à peu près inconnu des Parisiens. Il aimait beaucoup la mer de ce pays, lui trouvant disait-il, la même couleur que là-bas et, souvent, sur la plage, il lui jouait ses airs les plus dolents, et il prétendait que la mer se taisait pour les écouter. Et puis, il avait si bien supplié la maman Valérius, que celle-ci avait consenti à une nouvelle lubie de l'ancien ménétrier.

À l'époque des «pardons», des fêtes de villages, des danses et des «dérobées», il partit comme autrefois, avec son violon, et il avait le droit d'emmener sa fille pendant huit jours. On ne se lassait point de les écouter. Ils versaient pour toute l'année de l'harmonie dans les moindres hameaux, et couchaient la nuit dans des granges, refusant le lit de l'auberge, se serrant sur la paille l'un contre l'autre, comme au temps où ils étaient si pauvres en Suède.

Or, ils étaient habillés fort convenablement, refusaient les sous qu'on leur offrait, ne faisaient point de quête, et les gens, autour d'eux, ne comprenaient rien à la conduite de ce violoneux qui courait les chemins avec cette belle enfant qui chantait si bien qu'on croyait entendre un ange du paradis. On les suivait de village en village.

Un jour, un jeune garçon de la ville, qui était avec sa gouvernante, fit faire à celle-ci un long chemin, car il ne se décidait point à quitter la petite fille dont la voix si douce et si pure semblait l'avoir enchaîné. Ils arrivèrent ainsi au bord d'une crique que l'on appelle encore Trestraou. En ce temps-là, il n'y avait en ce lieu que le ciel et la mer et le rivage doré. Et, par-dessus tout, il y avait un grand vent qui emporta l'écharpe de Christine dans la mer. Christine poussa un cri et tendit les bras, mais le voile était déjà loin sur les flots. Christine entendit une voix qui lui disait:

—Ne vous dérangez pas, mademoiselle, je vais vous ramasser votre écharpe dans la mer.

Et elle vit un petit garçon qui courait, qui courait, malgré les cris et les protestations indignées d'une brave dame, toute en noir. Le petit garçon entra dans la mer tout habillé et lui rapporta son écharpe. Le petit garçon et l'écharpe étaient dans un bel état! La dame en noir ne parvenait pas à se calmer, mais Christine riait de tout son cœur, et elle embrassa le petit garçon. C'était le vicomte Raoul de Chagny. Il habitait, dans le moment, avec sa tante, à Lannion. Pendant la saison ils se revirent presque tous les jours et ils jouèrent ensemble. Sur la demande de la tante et par l'entremise du professeur Valérius, le bonhomme Daaé consentit à donner des leçons de violon au jeune vicomte. Ainsi, Raoul apprit-il à aimer les mêmes airs que ceux qui avaient enchanté l'enfance de Christine.

Ils avaient à peu près la même petite âme rêveuse et calme. Ils ne se plaisaient qu'aux histoires, aux vieux contes bretons, et leur principal jeu était d'aller les chercher au seuil des portes, comme des mendiants. «Madame ou mon bon monsieur, avez-vous une petite histoire à nous raconter, s'il vous plaît?» Il était rare qu'on ne leur «donnât» point. Quelle est la vieille grand'mère bretonne qui n'a point vu, au moins une fois dans sa vie danser les korrigans, sur la bruyère, au clair de lune?

Mais leur grande fête était lorsqu'au crépuscule, dans la grande paix du soir, après que le soleil s'était couché dans la mer, le père Daaé venait s'asseoir à côté d'eux sur le bord de la route, et leur contait à voix basse, comme s'il craignait de faire peur aux fantômes qu'il évoquait, les belles, douces ou terribles légendes du pays du Nord. Tantôt, c'était beau comme les contes d'Andersen, tantôt c'était triste, comme les chants du grand poète Runeberg. Quand il se taisait, les deux enfants disaient: «Encore!»

Il y avait une histoire qui commençait ainsi:

«Un roi s'était assis dans une petite nacelle, sur une de ces eaux tranquilles et profondes qui s'ouvrent comme un œil brillant au milieu des monts de la Norvège...»

Et une autre:

«La petite Lotte pensait à tout et ne pensait à rien. Oiseau d'été, elle planait dans les rayons d'or du soleil, portant sur ses boucles blondes sa couronne printanière. Son âme était aussi claire, aussi bleue que son regard. Elle câlinait sa mère, elle était fidèle à sa poupée, avait grand soin de sa robe, de ses souliers rouges et de son violon, mais elle aimait, par-dessus toutes choses, entendre en s'endormant l'Ange de la musique.»

Pendant que le bonhomme disait ces choses, Raoul regardait les yeux bleus et la chevelure dorée de Christine. Et Christine pensait que la petite Lotte était bienheureuse d'entendre en s'endormant l'Ange de la musique. Il n'était guère d'histoire du père Daaé où n'intervînt l'Ange de la musique, et les enfants lui demandaient des explications sur cet Ange, à n'en plus finir. Le père Daaé prétendait que tous les grands musiciens, tous les grands artistes reçoivent au moins une fois dans leur vie la visite de l'Ange de la musique. Cet Ange s'est penché quelquefois sur leur berceau, comme il est arrivé à la petite Lotte, et c'est ainsi qu'il y a de petits prodiges qui jouent du violon à six ans mieux que des hommes de cinquante, ce qui, vous l'avouerez, est tout à fait extraordinaire. Quelquefois, l'Ange vient beaucoup plus tard, parce que les enfants ne sont pas sages et ne veulent pas apprendre leur méthode et négligent leurs gammes. Quelquefois, l'Ange ne vient jamais, parce qu'on n'a pas le cœur pur ni une conscience tranquille. On ne voit jamais l'Ange, mais il se fait entendre aux âmes prédestinées. C'est souvent dans les moments qu'elles s'y attendent le moins, quand elles sont tristes et découragées. Alors, l'oreille perçoit tout à coup des harmonies célestes, une voix divine, et s'en souvient toute la vie. Les personnes qui sont visitées par l'Ange en restent comme enflammées. Elles vibrent d'un frisson que ne connaît point le reste des mortels. Et elles ont ce privilège de ne plus pouvoir toucher un instrument ou ouvrir la bouche pour chanter, sans faire entendre des sons qui font honte par leur beauté à tous les autres sons humains. Les gens qui ne savent pas que l'Ange a visité ces personnes disent qu'elles ont du génie.

La petite Christine demandait à son papa s'il avait entendu l'Ange. Mais le père Daaé secouait la tête tristement, puis son regard brillait en regardant son enfant et lui disait:

«Toi, mon enfant, tu l'entendras un jour! Quand je serai au Ciel, je te l'enverrai, je te le promets!»

Le père Daaé commençait à tousser à cette époque.

L'automne vint qui sépara Raoul et Christine.

Ils se revirent trois ans plus tard; c'étaient des jeunes gens. Ceci se passa à Perros encore et Raoul en conserva une telle impression qu'elle le poursuivit toute sa vie. Le professeur Valérius était mort, mais la maman Valérius était restée en France, où ses intérêts la retenaient avec le bonhomme Daaé et sa fille, ceux-ci toujours chantant et jouant du violon, entraînant dans leur rêve harmonieux leur chère protectrice, qui semblait ne plus vivre que de musique. Le jeune homme était venu à tout hasard à Perros et, de même, il pénétra dans la maison habitée autrefois par sa petite amie. Il vit d'abord le vieillard Daaé, qui se leva de son siège les larmes aux yeux et qui l'embrassa, en lui disant qu'ils avaient conservé de lui un fidèle souvenir. De fait, il ne s'était guère passé de jour sans que Christine ne parlât de Raoul. Le vieillard parlait encore quand la porte s'ouvrit et, charmante, empressée, la jeune fille entra, portant sur un plateau le thé fumant. Elle reconnut Raoul et déposa son fardeau. Une flamme légère se répandit sur son charmant visage. Elle demeurait hésitante, se taisait. Le papa les regardait tous deux. Raoul s'approcha de la jeune fille et l'embrassa d'un baiser qu'elle n'évita point. Elle lui posa quelques questions, s'acquitta joliment de son devoir d'hôtesse, reprit le plateau et quitta la chambre. Puis elle alla se réfugier sur un banc dans la solitude du jardin. Elle éprouvait des sentiments qui s'agitaient dans son cœur adolescent pour la première fois. Raoul vint la rejoindre et ils causèrent jusqu'au soir, dans un grand embarras. Ils étaient tout à fait changés, ne reconnaissaient point leurs personnages, qui semblaient avoir acquis une importance considérable. Ils étaient prudents comme des diplomates et ils se racontaient des choses qui n'avaient point affaire avec leurs sentiments naissants. Quand ils se quittèrent, au bord de la route, Raoul dit à Christine, en déposant un baiser correct sur sa main tremblante: «Mademoiselle, je ne vous oublierai jamais!» Et il s'en alla en regrettant cette parole hardie, car il savait bien que Christine Daaé ne pouvait pas être la femme du vicomte de Chagny.

Quant à Christine, elle alla retrouver son père et lui dit: «Tu ne trouves pas que Raoul n'est plus aussi gentil qu'autrefois? Je ne l'aime plus!» Et elle essaya de ne plus penser à lui. Elle y arrivait assez difficilement et se rejeta sur son art qui lui prit tous ses instants. Ses progrès devenaient merveilleux. Ceux qui l'écoutaient lui prédisaient qu'elle serait la première artiste du monde. Mais son père, sur ces entrefaites, mourut, et, du coup, elle sembla avoir perdu avec lui sa voix, son âme et son génie. Il lui resta suffisamment de tout cela pour entrer au Conservatoire, mais tout juste. Elle ne se distingua en aucune façon, suivit les classes sans enthousiasme et remporta un prix pour faire plaisir à la vieille maman Valérius, avec laquelle elle continuait de vivre. La première fois que Raoul avait revu Christine à l'Opéra, il avait été charmé par la beauté de la jeune fille et par révocation des douces images d'autrefois, mais il avait été plutôt étonné du côté négatif de son art. Elle semblait détachée de tout. Il revint l'écouter. Il la suivait dans les coulisses. Il l'attendit derrière un portant. Il essaya d'attirer son attention. Plus d'une fois, il l'accompagna jusque vers le seuil de sa loge, mais elle ne le voyait pas. Elle semblait du reste ne voir personne. C'était l'indifférence qui passait. Raoul en souffrit, car elle était belle; il était timide et n'osait s'avouer à lui-même qu'il l'aimait. Et puis, ça avait été le coup de tonnerre de la soirée de gala: les cieux déchirés, une voix d'ange se faisant entendre sur la terre pour le ravissement des hommes et la consommation de son cœur...

Et puis, et puis, il y avait eu cette voix d'homme derrière la porte: «Il faut m'aimer!» et personne dans la loge...

Pourquoi avait-elle ri quand il lui avait dit, dans le moment qu'elle rouvrait les yeux: «Je suis le petit enfant qui a ramassé votre écharpe dans la mer»? Pourquoi ne l'avait-elle pas reconnu? Et pourquoi lui avait-elle écrit?

Oh! cette côte est longue... longue... Voici le crucifix des trois chemins... Voici la lande déserte, la bruyère glacée, le paysage immobile sous le ciel blanc. Les vitres tintinnabulent, lui brisent leurs carreaux dans les oreilles... Que de bruit fait cette diligence qui avance si peu! Il reconnaît les chaumières... les enclos, les talus, les arbres du chemin... Voici le dernier détour de la route, et puis on dévalera et ce sera la mer... la grande baie de Perros...

Alors, elle est descendue à l'auberge du Soleil couchant. Dame! Il n'y en a pas d'autre. Et puis, on y est très bien. Il se rappelle que dans le temps, on y racontait de belles histoires! Comme son cœur bat! Qu'est-ce qu'elle va dire en le voyant?

La première personne qu'il aperçoit en entrant dans la vieille salle enfumée de l'auberge est la maman Tricard. Elle le reconnaît. Elle lui fait des compliments. Elle lui demande ce qui l'amène. Il rougit. Il dit que, venu pour affaire à Lannion, il a tenu à «pousser jusque-là pour lui dire bonjour». Elle veut lui servir à déjeuner, mais il dit: «Tout à l'heure.» Il semble attendre quelque chose ou quelqu'un. La porte s'ouvre. Il est debout. Il ne s'est pas trompé: c'est elle! Il veut parler, il retombe. Elle reste devant lui souriante, nullement étonnée. Sa figure est fraîche et rose comme une fraise venue à l'ombre. Sans doute, la jeune fille est-elle émue par une marche rapide. Son sein qui renferme un cœur sincère se soulève doucement. Ses yeux, clairs miroirs d'azur pâle, de la couleur des lacs qui rêvent, immobiles, tout là-haut vers le nord du monde, ses yeux lui apportent tranquillement le reflet de son âme candide. Le vêtement de fourrure est entr'ouvert sur une taille souple, sur la ligne harmonieuse de son jeune corps plein de grâce. Raoul et Christine se regardent longuement. La maman Tricard sourit et, discrète, s'esquive. Enfin Christine parle:

—Vous êtes venu et cela ne m'étonne point. J'avais le pressentiment que je vous retrouverais ici, dans cette auberge, en revenant de la messe. Quelqu'un me l'a dit, là-bas. Oui, on m'avait annoncé votre arrivée.

—Qui donc? demande Raoul, en prenant dans ses mains la petite main de Christine que celle-ci ne lui retire pas.

—Mais, mon pauvre papa qui est mort.

Il y a un silence entre les deux jeunes gens.

Puis, Raoul reprend:

—Est-ce que votre papa vous a dit que je vous aimais Christine, et que je ne puis vivre sans vous?

Christine rougit jusqu'aux cheveux et détourne la tête. Elle dit, la voix tremblante:

—Moi? Vous êtes fou, mon ami.

Et elle éclate de rire pour se donner, comme on dit, une contenance.

—Ne riez pas Christine, c'est très sérieux.

Et elle réplique, grave:

—Je ne vous ai point fait venir pour que vous me disiez des choses pareilles.

—Vous m'avez «fait venir» Christine; vous avez deviné que votre lettre ne me laisserait point indifférent et que j'accourrais à Perros. Comment avez-vous pu penser cela, si vous n'avez pas pensé que je vous aimais?

—J'ai pensé que vous vous souviendriez des jeux de notre enfance auxquels mon père se mêlait si souvent. Au fond, je ne sais pas bien ce que j'ai pensé... J'ai peut-être eu tort de vous écrire... Votre apparition si subite l'autre soir dans ma loge, m'avait reporté loin, bien loin dans le passé, et je vous ai écrit comme une petite fille que j'étais alors, qui serait heureuse de revoir, dans un moment de tristesse et de solitude, son petit camarade à côté d'elle...

Un instant, ils gardent le silence. Il y a dans l'attitude de Christine quelque chose que Raoul ne trouve point naturel sans qu'il lui soit possible de préciser sa pensée. Cependant, il ne la sent pas hostile; loin de là... la tendresse désolée de ses yeux le renseigne suffisamment. Mais pourquoi cette tendresse est-elle désolée?... Voilà peut-être ce qu'il faut savoir et ce qui irrite déjà le jeune homme...

—Quand vous m'avez vu dans votre loge, c'était la première fois que vous m'aperceviez, Christine?

Celle-ci ne sait pas mentir. Elle dit:

—Non! je vous avais déjà aperçu plusieurs fois dans la loge de votre frère. Et puis aussi sur le plateau.

—Je m'en doutais! fait Raoul en se pinçant les lèvres. Mais pourquoi donc alors, quand vous m'avez vu dans votre loge, à vos genoux, et vous faisant souvenir que j'avais ramassé votre écharpe dans la mer, pourquoi avez-vous répondu comme si vous ne me connaissiez point et aussi avez-vous ri?

Le ton de ces questions est si rude que Christine regarde Raoul, étonnée, et ne lui répond pas. Le jeune homme est stupéfait lui-même de cette querelle subite, qu'il ose dans le moment même où il s'était promis de faire entendre à Christine des paroles de douceur, d'amour et de soumission. Un mari, un amant qui a tous les droits, ne parlerait pas autrement à sa femme ou à sa maîtresse qui l'aurait offensé. Mais il s'irrite lui-même de ses torts, et se jugeant stupide, il ne trouve d'autre issue à cette ridicule situation que dans la décision farouche qu'il prend de se montrer odieux.

—Vous ne me répondez pas! fait-il rageur et malheureux. Eh bien, je vais répondre pour vous, moi! C'est qu'il y avait quelqu'un dans cette loge qui vous gênait, Christine! quelqu'un à qui vous ne vouliez point montrer que vous pouviez vous intéresser à une autre personne qu'à lui!...

—Si quelqu'un me gênait, mon ami! interrompit Christine sur un ton glacé... si quelqu'un me gênait, ce soir-là, ce devait être vous, puisque c'est vous que j'ai mis à la porte!...

—Oui!... pour rester avec l'autre!...

—Que dites-vous, monsieur? fait la jeune femme haletante... et de quel autre s'agit-il ici?

—De celui à qui vous avez dit: Je ne chante que pour vous! Je vous ai donné mon âme ce soir, et je suis morte!

Christine a saisi le bras de Raoul: elle le lui étreint avec une force que l'on ne soupçonnerait point chez cet être fragile.

—Vous écoutiez donc derrière la porte?

—Oui! parce que je vous aime... Et j'ai tout entendu...

—Vous avez entendu quoi? Et la jeune fille, redevenue étrangement calme, laisse le bras de Raoul.

—Il vous a dit: Il faut m'aimer!

À ces mots, une pâleur cadavérique se répand sur le visage de Christine, ses yeux se cernent... Elle chancelle, elle va tomber. Raoul se précipite, tend les bras, mais déjà Christine a surmonté cette défaillance passagère, et, d'une voix basse, presque expirante:

—Dites! dites encore! dites tout ce que vous avez entendu!

Raoul la regarde, hésite, ne comprend rien à ce qui se passe.

—Mais, dites donc! Vous voyez bien que vous me faites mourir!...

—J'ai entendu encore qu'il vous a répondu, quand vous lui eûtes dit que vous lui aviez donné votre âme: Ton âme est bien belle, mon enfant, et je te remercie. Il n'y a point d'empereur qui ait reçu un pareil cadeau! Les anges ont pleuré ce soir!

Christine a porté la main sur son cœur. Elle fixe Raoul dans une émotion indescriptible. Son regard est tellement aigu, tellement fixe, qu'il paraît celui d'une insensée. Raoul est épouvanté. Mais voilà que les yeux de Christine deviennent humides et sur ses joues d'ivoire glissent deux perles, deux lourdes larmes...

—Christine!...

—Raoul!...

Le jeune homme veut la saisir, mais elle lui glisse dans les mains et elle se sauve dans un grand désordre.

Pendant que Christine restait enfermée dans sa chambre, Raoul se faisait mille reproches de sa brutalité; mais, d'autre part, la jalousie reprenait son galop dans ses veines en feu. Pour que la jeune fille eût montré une pareille émotion en apprenant que l'on avait surpris son secret, il fallait que celui-ci fût d'importance! Certes, Raoul, en dépit de ce qu'il avait entendu, ne doutait point de la pureté de Christine. Il savait qu'elle avait une grande réputation de sagesse et il n'était point si novice qu'il ne comprît la nécessité où se trouve acculée parfois une artiste d'entendre des propos d'amour. Elle y avait bien répondu en affirmant qu'elle avait donné son âme, mais de toute évidence, il ne s'agissait en tout ceci que de chant et de musique. De toute évidence? Alors, pourquoi cet émoi tout à l'heure? Mon Dieu, que Raoul était malheureux! Et, s'il avait tenu l'homme, la voix d'homme, il lui aurait demandé des explications précises.

Pourquoi Christine s'est-elle enfuie? Pourquoi ne descendait-elle point?

Il refusa de déjeuner. Il était tout à fait marri et sa douleur était grande de voir s'écouler loin de la jeune Suédoise, ces heures qu'il avait espérées si douces? Que ne venait-elle avec lui parcourir le pays où tant de souvenirs leur étaient communs? Et pourquoi, puisqu'elle semblait ne plus rien avoir à faire à Perros et, qu'en fait, elle n'y faisait rien, ne reprenait-elle point aussitôt le chemin de Paris? Il avait appris que le matin, elle avait fait dire une messe pour le repos de l'âme du père Daaé et qu'elle avait passé de longues heures en prière dans la petite église et sur la tombe du ménétrier.

Triste, découragé, Raoul s'en fut vers le cimetière qui entourait l'église. Il en poussa la porte. Il erra solitaire parmi les tombes, déchiffrant les inscriptions, mais comme il arrivait derrière l'abside, il fut tout de suite renseigné par la note éclatante des fleurs qui soupiraient sur le granit tombal et débordaient jusque sur la terre blanche. Elles embaumaient tout ce coin glacé de l'hiver breton. C'étaient de miraculeuses roses rouges qui paraissent écloses du matin, dans la neige. C'était un peu de vie chez les morts, car la mort, là, était partout. Elle aussi débordait de la terre qui avait rejeté son trop plein de cadavres. Des squelettes et des crânes par centaines étaient entassés contre le mur de l'église, retenus simplement par un léger réseau de fils de fer qui laissait à découvert tout le macabre édifice. Les têtes de morts, empilées, alignées comme des briques, consolidées dans les intervalles, par des os fort proprement blanchis, semblaient former la première assise sur laquelle on avait maçonné les murs de la sacristie. La porte de cette sacristie s'ouvrait au milieu de cet ossuaire, tel qu'on en voit beaucoup au long des vieilles églises bretonnes.

Raoul pria pour Daaé, puis, lamentablement impressionné par ces sourires éternels qu'ont les bouches des têtes de morts, il sortit du cimetière, remonta le coteau et s'assit au bord de la lande qui domine la mer. Le vent courait méchamment sur les grèves, aboyant après la pauvre et timide clarté du jour. Celle-ci céda, s'enfuit et ne fut plus qu'une raie livide à l'horizon. Alors, le vent se tut. C'était le soir. Raoul était enveloppé d'ombres glacées, mais il ne sentait pas le froid. Toute sa pensée errait sur la lande déserte et désolée, tout son souvenir. C'était là, à cette place, qu'il était venu souvent, à la tombée du jour, avec la petite Christine, pour voir danser les korrigans, juste au moment où la lune se lève. Pour son compte, il n'en avait jamais aperçu, et cependant il avait de bons yeux. Christine, au contraire, qui était un peu myope, prétendait en avoir vu beaucoup. Il sourit à cette idée, et puis, tout à coup, il tressaillit. Une forme, une forme précise, mais qui était venue la sans qu'il sût comment, sans que le moindre bruit l'eût avertit, une forme debout à ses côtés, disait:

—Croyez-vous que les korrigans viendront ce soir?

C'était Christine. Il voulut parler. Elle lui ferma la bouche de sa main gantée.

—Écoutez-moi, Raoul, je suis résolue à vous dire quelque chose de grave, de très grave!

Sa voix tremblait. Il attendit.

Elle reprit, oppressée.

—Vous rappelez-vous, Raoul, la légende de l'Ange de la musique?

—Si je m'en souviens! fit-il, je crois bien que c'est ici que votre père nous l'a contée pour la première fois.

—C'est ici aussi qu'il m'a dit: «Quand je serai au ciel, mon enfant, je te l'enverrai.» Eh bien! Raoul, mon père est au ciel et j'ai reçu la visite de l'Ange de la musique.

—Je n'en doute pas, répliqua le jeune homme gravement, car il croyait comprendre que dans une pensée pieuse, son amie mêlait le souvenir de son père à l'éclat de son dernier triomphe.

Christine parut légèrement étonnée du sang-froid avec lequel le vicomte de Chagny apprenait qu'elle avait reçu la visite de l'Ange de la musique.

—Comment l'entendez-vous, Raoul? fit-elle, en penchant sa figure pâle si près du visage du jeune homme que celui-ci put croire que Christine allait lui donner un baiser, mais elle ne voulait que lire, malgré les ténèbres, dans ses yeux.

—J'entends, répliqua-t-il, qu'une créature humaine ne chante, point comme vous avez chanté l'autre soir, sans qu'intervienne quelque miracle, sans que le ciel y soit pour quelque chose. Il n'est point de professeur sur la terre qui puisse vous apprendre des accents pareils. Vous avez entendu l'Ange de la musique, Christine.

—Oui, fit-elle solennellement, dans ma loge. C'est là qu'il vient me donner ses leçons quotidiennes.

Le ton dont elle dit cela était si pénétrant et si singulier que Raoul la regarda inquiet, comme on regarde une personne qui dit une énormité ou affirme quelque vision folle à laquelle elle croit de toutes les forces de son pauvre cerveau malade. Mais elle s'était reculée et elle n'était plus, immobile, qu'un peu d'ombre dans la nuit.

—Dans votre loge? répéta-t-il comme un écho stupide.

—Oui, c'est là que je l'ai entendu et je n'ai pas été seule à l'entendre...

—Qui donc l'a entendu encore, Christine?

—Vous, mon ami.

—Moi? j'ai entendu l'Ange de la musique?

—Oui, l'autre soir, c'est lui qui parlait quand vous écoutiez derrière la porte de ma loge. C'est lui qui m'a dit: «Il faut m'aimer.» Mais je croyais bien être la seule à percevoir sa voix. Aussi, jugez de mon étonnement quand j'ai appris, ce matin, que vous pouviez l'entendre, vous aussi...

Raoul éclata de rire. Et aussitôt, la nuit se dissipa sur la lande déserte et les premiers rayons de la lune vinrent envelopper les jeunes gens. Christine s'était retournée, hostile, vers Raoul. Ses yeux, ordinairement si doux, lançaient des éclairs.

—Pourquoi riez-vous? Vous croyez peut-être avoir entendu une voix d'homme?

—Dame! répondit le jeune homme, dont les idées commençaient à se brouiller devant l'attitude de bataille de Christine.

—C'est vous, Raoul! vous qui me dites cela! un ancien petit compagnon à moi! un ami de mon père! Je ne vous reconnais plus! Mais que croyez-vous donc? Je suis une honnête fille, moi, monsieur le vicomte de Chagny, et je ne m'enferme point avec des voix d'homme, dans ma loge. Si vous aviez ouvert la porte, vous auriez vu qu'il n'y avait personne!

—C'est vrai! Quand vous avez été partie, j'ai ouvert cette porte et je n'ai trouvé personne dans la loge...

—Vous voyez bien... alors?

Le comte fit appel à tout son courage.

—Alors, Christine, je pense qu'on se moque de vous!

Elle poussa un cri et s'enfuit. Il courut derrière elle, mais elle lui jeta, dans une irritation farouche:

—Laissez-moi! laissez-moi!

Et elle disparut. Raoul rentra à l'auberge très las, très découragé et très triste.

Il apprit que Christine venait de monter dans sa chambre et qu'elle avait annoncé qu'elle ne descendrait pas pour dîner. Le jeune homme demanda si elle n'était point malade. La brave aubergiste lui répondit d'une façon ambiguë que, si elle était souffrante, ce devait être d'un mal qui n'était point bien grave, et, comme elle croyait à la fâcherie de deux amoureux, elle s'éloigna en haussant les épaules et en exprimant sournoisement la pitié qu'elle avait pour des jeunes gens, qui gaspillaient en vaines querelles les heures que le bon Dieu leur a permis de passer sur la terre. Raoul dîna tout seul, au coin de l'âtre et, comme vous pensez bien, de façon fort maussade. Puis, dans sa chambre, il essaya de lire, puis, dans son lit, il essaya dé dormir. Aucun bruit ne se faisait entendre dans l'appartement à côté. Que faisait Christine? Dormait-elle? Et si elle ne dormait point, à quoi pensait-elle? Et lui, à quoi pensait-il? Eût-il été seulement capable de le dire? La conversation étrange qu'il avait eue avec Christine l'avait tout à fait troublé!... Il pensait moins à Christine qu'autour de Christine, et cet «autour» était si diffus, si nébuleux, si insaisissable, qu'il en éprouvait un très curieux et très angoissant malaise.

Ainsi les heures passaient très lentes; il pouvait être onze heures et demie de la nuit quand il entendit distinctement marcher dans la chambre voisine de la sienne. C'était un pas léger, furtif. Christine ne s'était donc pas couchée? Sans raisonner ses gestes, le jeune homme s'habilla à la hâte, en prenant garde de faire le moindre bruit. Et, prêt à tout, il attendit. Prêt à quoi? Est-ce qu'il savait? Son cœur bondit quand il entendit la porte de Christine tourner lentement sur ses gonds. Où allait-elle à cette heure où tout reposait dans Perros? Il entr'ouvrit tout doucement sa porte et put voir, dans un rayon de lune, la forme blanche de Christine qui glissait précautionneusement dans le corridor. Elle atteignit l'escalier; elle descendit et, lui, au-dessus d'elle, se pencha sur la rampe. Soudain, il entendit deux voix qui s'entretenaient rapidement. Une phrase lui arriva: «Ne perdez pas la clef.» C'était la voix de l'hôtesse. En bas, on ouvrit la porte qui donnait sur la rade. On la referma. Et tout rentra dans le calme. Raoul revint aussitôt dans sa chambre et courut à sa fenêtre qu'il ouvrit. La forme blanche de Christine se dressait sur le quai désert.

Ce premier étage de l'auberge du Soleil-Couchant n'était guère élevé et un arbre en espalier qui tendait ses branches aux bras impatients de Raoul permit à celui-ci d'être dehors sans que l'hôtesse pût soupçonner son absence. Aussi, quelle ne fut pas la stupéfaction de la brave dame, le lendemain matin, quand on lui apporta le jeune homme quasi glacé, plus mort que vif, et qu'elle apprit qu'on l'avait trouvé étendu tout de son long sur les marches du maître-autel de la petite église de Perros. Elle courut apprendre presto la nouvelle à Christine, qui descendit en hâte et prodigua, aidée de l'aubergiste, ses soins inquiets au jeune homme qui ne tarda point à ouvrir les yeux et revint tout à fait à la vie en apercevant au-dessus de lui le charmant visage de son amie.

Que s'était-il donc passé? M. le commissaire Mifroid eut l'occasion, quelques semaines plus tard, quand le drame de l'Opéra entraîna l'action du ministère public, d'interroger le vicomte de Chagny sur les événements de la nuit de Perros, et voici de quelle sorte ceux-ci furent transcrits sur les feuilles du dossier d'enquête. (Cote 150.)

Demande.—Mlle Daaé ne vous avait pas vu descendre de votre chambre par le singulier chemin que vous aviez choisi?

Réponse.—Non, monsieur, non, non. Cependant, j'arrivai derrière elle en négligeant d'étouffer le bruit de mes pas. Je ne demandais alors qu'une chose, c'est qu'elle se retournât, qu'elle me vît et qu'elle me reconnut. Je venais de me dire, en effet, que ma poursuite était tout à fait incorrecte et que la façon d'espionnage à laquelle je me livrais était indigne de moi. Mais elle ne sembla point m'entendre et, de fait, elle agit comme si je n'avais pas été là. Elle quitta tranquillement le quai et puis, tout à coup, remonta rapidement le chemin. L'horloge de l'église venait de sonner minuit moins un quart, et il me parut que le son de l'heure avait déterminé la hâte de sa course, car elle se prit presque à courir. Ainsi arriva-t-elle à la porte du cimetière.

D. La porte du cimetière était-elle ouverte?

R. Oui, monsieur, et cela me surprit, mais ne parut nullement étonner Mlle Daaé.

 

D. Il n'y avait personne dans le cimetière?

R. Je ne vis personne. S'il y avait eu quelqu'un, je l'aurais vu. La lumière de la lune était éblouissante et la neige qui couvrait la terre, en nous renvoyant ses rayons, faisait la nuit plus claire encore.

D. On ne pouvait pas se cacher derrière les tombes?

R. Non, monsieur. Ce sont de pauvres pierres tombales qui disparaissaient sous la couche de neige et qui alignaient leurs croix au ras du sol. Les seules ombres étaient celles de ces croix et les deux nôtres. L'église était toute éblouissante de clarté. Je n'ai jamais vu une pareille lumière nocturne. C'était très beau, très transparent et très froid. Je n'étais jamais allé la nuit dans les cimetières, et j'ignorais qu'on pût y trouver une semblable lumière, «une lumière qui ne pèse rien».

D. Vous êtes superstitieux?

R. Non, monsieur, je suis croyant.

D. Dans quel état d'esprit étiez-vous?

R. Très sain et très tranquille, ma foi. Certes, la sortie insolite de Mlle Daaé m'avait tout d'abord profondément troublé; mais aussitôt que je vis la jeune fille pénétrer dans le cimetière, je me dis qu'elle y venait accomplir quelque vœu sur la tombe paternelle, et je trouvai la chose si naturelle que je reconquis tout mon calme. J'étais simplement étonné qu'elle ne m'eût pas encore entendu marcher derrière elle, car la neige craquait sous mes pas. Mais sans doute était-elle toute absorbée par sa pensée pieuse. Je résolus du reste de ne la point troubler et, quand elle fut parvenue à la tombe de son père, je restai à quelques pas derrière elle. Elle s'agenouilla dans la neige, fit le signe de la croix et commença de prier. À ce moment, minuit sonna. Le douzième coup tintait encore à mon oreille quand, soudain, je vis la jeune fille relever la tête; son regard fixa la voûte céleste, ses bras se tendirent vers l'astre des nuits; elle me parut en extase et je me demandais encore quelle avait été la raison subite et déterminante de cette extase quand moi-même je relevai la tête, je jetai autour de moi un regard éperdu et tout mon être se tendit vers l'Invisible, l'invisible qui nous jouait de la musique. Et quelle musique! Nous la connaissions déjà! Christine et moi l'avions déjà entendue en notre jeunesse. Mais jamais sur le violon du père Daaé, elle ne s'était exprimée avec un art aussi divin. Je ne pus mieux faire, en cet instant, que de me rappeler tout ce que Christine venait de me dire de range de la musique, et je ne sus trop que penser de ces sons inoubliables qui, s'ils ne descendaient pas du ciel, laissaient ignorer leur origine sur terre. Il n'y avait point là d'instrument ni de main pour conduire l'archet. Oh! je me rappelai l'admirable mélodie. C'était la Résurrection de Lazare, que le père Daaé nous jouait dans ses heures de tristesse et de foi. L'ange de Christine aurait existé qu'il n'aurait pas mieux joué cette nuit-là avec le violon du défunt ménétrier. L'invocation de Jésus nous ravissait à la terre, et, ma foi, je m'attendis presque à voir se soulever la pierre du tombeau du père de Christine. L'idée me vint aussi que Daaé avait été enterré avec son violon et, en vérité, je ne sais point jusqu'où, dans cette minute funèbre et rayonnante, au fond de ce petit dérobé cimetière de province, à côté de ces têtes de morts qui nous riaient de toutes leurs mâchoires immobiles, non je ne sais point jusqu'où s'en fut mon imagination, ni où elle s'arrêta.

Mais la musique c'était tue et je retrouvai mes sens. Il me sembla entendre du bruit du côté des têtes de morts de l'ossuaire.

D.—Ah! ah! vous avez entendu du bruit du côté de l'ossuaire?

R. Oui, il m'a paru que les têtes de morts ricanaient maintenant et je n'ai pu m'empêcher de frissonner.

D. Vous n'avez point pensé tout de suite que derrière l'ossuaire pouvait se cacher justement le musicien céleste qui venait de tant vous charmer?

R. J'ai si bien pensé cela, que je n'ai plus pensé qu'à cela, monsieur le commissaire, et que j'en oubliai de suivre Mlle Daaé qui venait de se relever et gagnait tranquillement la porte du cimetière. Quant à elle, elle était tellement absorbée, qu'il n'est point étonnant qu'elle, ne m'ait pas aperçu. Je ne bougeai point, les yeux fixés vers l'ossuaire, décidé à aller jusqu'au bout de cette incroyable aventure et d'en connaître le fin mot.

D. Et alors, qu'arriva-t-il pour qu'on vous ait retrouvé au matin, étendu à demi mort, sur les marches du maître-autel?

R. Oh! ce fut rapide... Une tête de mort roula à mes pieds... puis une autre... puis une autre... On eût dit que j'étais le but de ce funèbre jeu de boules. Et j'eus cette imagination qu'un faux mouvement avait dû détruire l'harmonie de l'échafaudage derrière lequel se dissimulait notre musicien. Cette hypothèse m'apparut d'autant plus raisonnable qu'une ombre glissa tout à coup sur le mur éclatant de la sacristie.

Je me précipitai. L'ombre avait déjà, poussant la porte, pénétré dans l'église. J'avais des ailes, l'ombre avait un manteau. Je fus assez rapide pour saisir un coin du manteau de l'ombre. À ce moment, nous étions, l'ombre et moi, juste devant le maître-autel et les rayons de la lune, à travers le grand vitrail de l'abside, tombaient droit devant nous. Comme je ne lâchai point le manteau, l'ombre se retourna et, le manteau dont elle était enveloppée s'étant entr'ouvert, je vis, monsieur le juge, comme je vous vois, une effroyable tête de mort qui dardait sur moi un regard où brûlaient les feux de l'enfer. Je crus avoir affaire à Satan lui-même et, devant cette apparition d'outre-tombe, mon cœur, malgré tout son courage, défaillit, et je n'ai plus souvenir de rien jusqu'au moment où je me réveillai dans ma petite chambre de l'auberge du Soleil-Couchant.

Saturday 13 May 2023

Good Reading: "The Hyborian Age" by Robert Ervin Howard (in English)

  

(Nothing in this article is to be considered as an attempt to advance any theory in opposition to accepted history. It is simply a fictional background for a series of fiction-stories. When I began writing the Conan stories a few years ago, I prepared this 'history' of his age and the peoples of that age, in order to lend him and his sagas a greater aspect of realness. And I found that by adhering to the 'facts' and spirit of that history, in writing the stories, it was easier to visualize (and therefore to present) him as a real flesh-and-blood character rather than a ready-made product. In writing about him and his adventures in the various kingdoms of his Age, I have never violated the 'facts' or spirit of the 'history' here set down, but have followed the lines of that history as closely as the writer of actual historical-fiction follows the lines of actual history. I have used this 'history' as a guide in all the stories in this series that I have written.)

Of that epoch known by the Nemedian chroniclers as the Pre-Cataclysmic Age, little is known except the latter part, and that is veiled in the mists of legendry. Known history begins with the waning of the Pre-Cataclysmic civilization, dominated by the kingdoms of Kamelia, Valusia, Verulia, Grondar, Thule and Commoria. These peoples spoke a similar language, arguing a common origin. There were other kingdoms, equally civilized, but inhabited by different, and apparently older races.

The barbarians of that age were the Picts, who lived on islands far out on the western ocean; the Atlanteans, who dwelt on a small continent between the Pictish Islands and the main, or Thurian Continent; and the Lemurians, who inhabited a chain of large islands in the eastern hemisphere.

There were vast regions of unexplored land. The civilized kingdoms, though enormous in extent, occupied a comparatively small portion of the whole planet. Valusia was the western-most kingdom of the Thurian Continent; Grondar the eastern-most. East of Grondar, whose people were less highly cultured than those of their kindred kingdoms, stretched a wild and barren expanse of deserts. Among the less arid stretches of desert, in the jungles, and among the mountains, lived scattered clans and tribes of primitive savages. Far to the south there was a mysterious civilization, unconnected with the Thurian culture, and apparently pre-human in its nature. On the far-eastern shores of the Continent there lived another race, human, but mysterious and non-Thurian, with which the Lemurians from time to time came in contact. They apparently came from a shadowy and nameless continent lying somewhere east of the Lemurian Islands.

The Thurian civilization was crumbling; their armies were composed largely of barbarian mercenaries. Picts, Atlanteans and Lemurians were their generals, their statesmen, often their kings. Of the bickerings of the kingdoms, and the wars between Valusia and Commoria, as well as the conquests by which the Atlanteans founded a kingdom on the mainland, there were more legends than accurate history.

Then the Cataclysm rocked the world. Atlantis and Lemuria sank, and the Pictish Islands were heaved up to form the mountain peaks of a new continent. Sections of the Thurian Continent vanished under the waves, or sinking, formed great inland lakes and seas. Volcanoes broke forth and terrific earthquakes shook down the shining cities of the empires. Whole nations were blotted out.

The barbarians fared a little better than the civilized races. The inhabitants of the Pictish Islands were destroyed, but a great colony of them, settled among the mountains of Valusia's southern frontier, to serve as a buffer against foreign invasion, was untouched. The Continental kingdom of the Atlanteans likewise escaped the common ruin, and to it came thousands of their tribesmen in ships from the sinking land. Many Lemurians escaped to the eastern coast of the Thurian Continent, which was comparatively untouched. There they were enslaved by the ancient race which already dwelt there, and their history, for thousands of years, is a history of brutal servitude.

In the western part of the Continent, changing conditions created strange forms of plant and animal life. Thick jungles covered the plains, great rivers cut their roads to the sea, wild mountains were heaved up, and lakes covered the ruins of old cities in fertile valleys. To the Continental kingdom of the Atlanteans, from sunken areas, swarmed myriads of beasts and savages — ape-men and apes. Forced to battle continually for their lives, they yet managed to retain vestiges of their former state of highly advanced barbarism. Robbed of metals and ores, they became workers in stone like their distant ancestors, and had attained a real artistic level, when their struggling culture came into contact with the powerful Pictish nation. The Picts had also reverted to flint, but had advanced more rapidly in the matter of population and war-science. They had none of the Atlanteans' artistic nature; they were a ruder, more practical, more prolific race. They left no pictures painted or carved on ivory, as did their enemies, but they left remarkably efficient flint weapons in plenty.

These stone-age kingdoms clashed, and in a series of bloody wars, the outnumbered Atlanteans were hurled back into a state of savagery, and the evolution of the Picts was halted. Five hundred years after the Cataclysm the barbaric kingdoms have vanished. It is now a nation of savages — the Picts — carrying on continual warfare with tribes of savages — the Atlanteans. The Picts had the advantage of numbers and unity, whereas the Atlanteans had fallen into loosely knit clans. That was the west of that day.

In the distant east, cut off from the rest of the world by the heaving up of gigantic mountains and the forming of a chain of vast lakes, the Lemurians are toiling as slaves of their ancient masters. The far south is still veiled in mystery. Untouched by the Cataclysm, its destiny is still pre-human. Of the civilized races of the Thurian Continent, a remnant of one of the non-Valusian nations dwells among the low mountains of the southeast — the Zhemri. Here and there about the world are scattered clans of apish savages, entirely ignorant of the rise and fall of the great civilizations. But in the far north another people are slowly coming into existence.

At the time of the Cataclysm, a band of savages, whose development was not much above that of the Neanderthal, fled to the north to escape destruction. They found the snow-countries inhabited only by a species of ferocious snow-apes — huge shaggy white animals, apparently native to that climate. These they fought and drove beyond the Arctic circle, to perish, as the savages thought. The latter, then, adapted themselves to their hardy new environment and throve.

After the Pictish-Atlantean wars had destroyed the beginnings of what might have been a new culture, another, lesser cataclysm further altered the appearance of the original continent, left a great inland sea where the chain of lakes had been, to further separate west from east, and the attendant earthquakes, floods and volcanoes completed the ruin of the barbarians which their tribal wars had begun.

A thousand years after the lesser cataclysm, the western world is seen to be a wild country of jungles and lakes and torrential rivers. Among the forest-covered hills of the northwest exist wandering bands of ape-men, without human speech, or the knowledge of fire or the use of implements. They are the descendants of the Atlanteans, sunk back into the squalling chaos of jungle-bestiality from which ages ago their ancestors so laboriously crawled. To the southwest dwell scattered clans of degraded, cave-dwelling savages, whose speech is of the most primitive form, yet who still retain the name of Picts, which has come to mean merely a term designating men — themselves, to distinguish them from the true beasts with which they contend for life and food. It is their only link with their former stage. Neither the squalid Picts nor the apish Atlanteans have any contact with other tribes or peoples.

Far to the east, the Lemurians, levelled almost to a bestial plane themselves by the brutishness of their slavery, have risen and destroyed their masters. They are savages stalking among the ruins of a strange civilization. The survivors of that civilization, who have escaped the fury of their slaves, have come westward. They fall upon that mysterious pre-human kingdom of the south and overthrow it, substituting their own culture, modified by contact with the older one. The newer kingdom is called Stygia, and remnants of the older nation seemed to have survived, and even been worshipped, after the race as a whole had been destroyed.

Here and there in the world small groups of savages are showing signs of an upward trend; these are scattered and unclassified. But in the north, the tribes are growing. These people are called Hyborians, or Hybori; their god was Bori — some great chief, whom legend made even more ancient as the king who led them into the north, in the days of the great Cataclysm, which the tribes remember only in distorted folklore.

They have spread over the north, and are pushing southward in leisurely treks. So far they have not come in contact with any other races; their wars have been with one another. Fifteen hundred years in the north country have made them a tall, tawny-haired, grey-eyed race, vigorous and warlike, and already exhibiting a well-defined artistry and poetism of nature. They still live mostly by the hunt, but the southern tribes have been raising cattle for some centuries. There is one exception in their so far complete isolation from other races: a wanderer into the far north returned with the news that the supposedly deserted ice wastes were inhabited by an extensive tribe of ape-like men, descended, he swore, from the beasts driven out of the more habitable land by the ancestors of the Hyborians. He urged that a large war-party be sent beyond the arctic circle to exterminate these beasts, whom he swore were evolving into true men. He was jeered at; a small band of adventurous young warriors followed him into the north, but none returned.

But tribes of the Hyborians were drifting south, and as the population increased this movement became extensive. The following age was an epoch of wandering and conquest. Across the history of the world tribes and drifts of tribes move and shift in an everchanging panorama.

Look at the world five hundred years later. Tribes of tawny-haired Hyborians have moved southward and westward, conquering and destroying many of the small unclassified clans.

Absorbing the blood of conquered races, already the descendants of the older drifts have begun to show modified racial traits, and these mixed races are attacked fiercely by new, purer-blooded drifts, and swept before them, as a broom sweeps debris impartially, to become even more mixed and mingled in the tangled debris of races and tag-ends of races.

As yet the conquerors have not come in contact with the older races. To the southeast the descendants of the Zhemri, given impetus by new blood resulting from admixture with some unclassified tribe, are beginning to seek to revive some faint shadow of their ancient culture. To the west the apish Atlanteans are beginning the long climb upward. They have completed the cycle of existence; they have long forgotten their former existence as men; unaware of any other former state, they are starting the climb unhelped and unhindered by human memories. To the south of them the Picts remain savages, apparently defying the laws of Nature by neither progressing nor retrogressing. Far to the south dreams the ancient mysterious kingdom of Stygia. On its eastern borders wander clans of nomadic savages, already known as the Sons of Shem.

Next to the Picts, in the broad valley of Zingg, protected by great mountains, a nameless band of primitives, tentatively classified as akin to the Shemites, has evolved an advanced agricultural system and existence.

Another factor has added to the impetus of Hyborian drift. A tribe of that race has discovered the use of stone in building, and the first Hyborian kingdom has come into being — the rude and barbaric kingdom of Hyperborea, which had its beginning in a crude fortress of boulders heaped to repel tribal attack. The people of this tribe soon abandoned their horse-hide tents for stone houses, crudely but mightily built, and thus protected, they grew strong. There are few more dramatic events in history than the rise of the rude, fierce kingdom of Hyperborea, whose people turned abruptly from their nomadic life to rear dwellings of naked stone, surrounded by cyclopean walls — a race scarcely emerged from the polished stone age, who had by a freak of chance, learned the first rude principles of architecture.

The rise of this kingdom drove forth many other tribes, for, defeated in the war, or refusing to become tributary to their castle-dwelling kinsmen, many clans set forth on long treks that took them half-way around the world. And already the more northern tribes are beginning to be harried by gigantic blond savages, not much more advanced than ape-men.

The tale of the next thousand years is the tale of the rise of the Hyborians, whose warlike tribes dominate the western world. Rude kingdoms are taking shape. The tawny-haired invaders have encountered the Picts, driving them into the barren lands of the west. To the northwest, the descendants of the Atlanteans, climbing unaided from apedom into primitive savagery, have not yet met the conquerors. Far to the east the Lemurians are evolving a strange semi-civilization of their own. To the south the Hyborians have founded the kingdom of Koth, on the borders of those pastoral countries known as the Lands of Shem, and the savages of those lands, partly through contact with the Hyborians, partly through contact with the Stygians who have ravaged them for centuries, are emerging from barbarism. The blond savages of the far north have grown in power and numbers so that the northern Hyborian tribes move southward, driving their kindred clans before them. The ancient kingdom of Hyperborea is overthrown by one of these northern tribes, which, however, retains the old name. Southeast of Hyperborea a kingdom of the Zhemri has come into being, under the name of Zamora. To the southwest, a tribe of Picts have invaded the fertile valley of Zingg, conquered the agricultural people there, and settled among them. This mixed race was in turn conquered later by a roving tribe of Hybori, and from these mingled elements came the kingdom of Zingara.

Five hundred years later the kingdoms of the world are clearly defined. The kingdoms of the Hyborians — Aquilonia, Nemedia, Brythunia, Hyperborea, Koth, Ophir, Argos, Corinthia, and one known as the Border Kingdom — dominate the western world. Zamora lies to the east, and Zingara to the southwest of these kingdoms — people alike in darkness of complexion and exotic habits, but otherwise unrelated. Far to the south sleeps Stygia, untouched by foreign invasion, but the peoples of Shem have exchanged the Stygian yoke for the less galling one of Koth.

The dusky masters have been driven south of the great river Styx, Nilus, or Nile, which, flowing north from the shadowy hinterlands, turns almost at right angles and flows almost due west through the pastoral meadowlands of Shem, to empty into the great sea. North of Aquilonia, the western-most Hyborian kingdom, are the Cimmerians, ferocious savages, untamed by the invaders, but advancing rapidly because of contact with them; they are the descendants of the Atlanteans, now progressing more steadily than their old enemies the Picts, who dwell in the wilderness west of Aquilonia.

Another five centuries and the Hybori peoples are the possessors of a civilization so virile that contact with it virtually snatched out of the wallow of savagery such tribes as it touched. The most powerful kingdom is Aquilonia, but others vie with it in strength and mixed race; the nearest to the ancient root-stock are the Gundermen of Gunderland, a northern province of Aquilonia. But this mixing has not weakened the race. They are supreme in the western world, though the barbarians of the wastelands are growing in strength.

In the north, golden-haired, blue-eyed barbarians, descendants of the blond arctic savages, have driven the remaining Hyborian tribes out of the snow countries, except the ancient kingdom of Hyperborea, which resists their onslaught. Their country is called Nordheim, and they are divided into the red-haired Vanir of Vanaheim, and the yellow-haired Æsir of Asgard.

Now the Lemurians enter history again as Hyrkanians. Through the centuries they have pushed steadily westward, and now a tribe skirts the southern end of the great inland sea — Vilayet — and establishes the kingdom of Turan on the southwestern shore. Between the inland sea and the eastern borders of the native kingdoms lie vast expanses of steppes and in the extreme north and extreme south, deserts. The non-Hyrkanian dwellers of these territories are scattered and pastoral, unclassified in the north, Shemitish in the south, aboriginal, with a thin strain of Hyborian blood from wandering conquerors. Toward the latter part of the period other Hyrkanian clans push westward, around the northern extremity of the inland sea, and clash with the eastern outposts of the Hyperboreans.

Glance briefly at the peoples of that age. The dominant of Hyborians are no longer uniformly tawny-haired and grey-eyed. They have mixed with other races. There is a strong Shemitish, even a Stygian strain among the peoples of Koth, and to a lesser extent, of Argos, while in the case of the latter, admixture with the Zingarans has been more extensive than with the Shemites. The eastern Brythunians have intermarried with the dark-skinned Zamorians, and the people of southern Aquilonia have mixed with the brown Zingarans until black hair and brown eyes are the dominant type in Poitain, the southern-most province. The ancient kingdom of Hyperborea is more aloof than the others, yet there is alien blood in plenty in its veins, from the capture of foreign women — Hyrkanians, Æsir and Zamorians. Only in the province of Gunderland, where the people keep no slaves, is the pure Hyborian stock found unblemished. But the barbarians have kept their bloodstream pure; the Cimmerians are tall and powerful, with dark hair and blue or grey eyes. The people of Nordheim are of similar build, but with white skins, blue eyes and golden or red hair. The Picts are of the same type as they always were — short, very dark, with black eyes and hair. The Hyrkanians are dark and generally tall and slender, though a squat slant-eyed type is more and more common among them, resulting from mixture with a curious race of intelligent, though stunted, aborigines, conquered by them among the mountains east of Vilayet, on their westward drift. The Shemites are generally of medium height, though sometimes when mixed with Stygian blood, gigantic, broadly and strongly built, with hook noses, dark eyes and blue-black hair. The Stygians are tall and well made, dusky, straight-featured — at least the ruling classes are of that type. The lower classes are a down-trodden, mongrel horde, a mixture of negroid, Stygian, Shemitish, even Hyborian bloods. South of Stygia are the vast black kingdoms of the Amazons, the Kushites, the Atlaians and the hybrid empire of Zembabwei.

Between Aquilonia and the Pictish wilderness lie the Bossonian marches, peopled by descendants of an aboriginal race, conquered by a tribe of Hyborians, early in the first ages of the Hyborian drift. This mixed people never attained the civilization of the purer Hyborians, and was pushed by them to the very fringe of the civilized world. The Bossonians are of medium height and complexion, their eyes brown or grey, and they are mesocephalic. They live mainly by agriculture, in large walled villages, and are part of the Aquilonian kingdom. Their marches extend from the Border kingdom in the north to Zingara in the southwest, forming a bulwark for Aquilonia against both the Cimmerians and the Picts. They are stubborn defensive fighters, and centuries of warfare against northern and western barbarians have caused them to evolve a type of defense almost impregnable against direct attack.

Five hundred years later the Hyborian civilization was swept away. Its fall was unique in that it was not brought about by internal decay, but by the growing power of the barbarian nations and the Hyrkanians. The Hyborian peoples were overthrown while their vigorous culture was in its prime.

Yet it was Aquilonia's greed which brought about that overthrow, though indirectly. Wishing to extend their empire, her kings made war on their neighbors. Zingara, Argos and Ophir were annexed outright, with the western cities of Shem, which had, with their more eastern kindred, recently thrown off the yoke of Koth. Koth itself, with Corinthia and the eastern Shemitish tribes, was forced to pay Aquilonia tribute and lend aid in wars. An ancient feud had existed between Aquilonia and Hyperborea, and the latter now marched to meet the armies of her western rival. The plains of the Border Kingdom were the scene of a great and savage battle, in which the northern hosts were utterly defeated, and retreated into their snowy fastnesses, whither the victorious Aquilonians did not pursue them. Nemedia, which had successfully resisted the western kingdom for centuries, now drew Brythunia and Zamora, and secretly, Koth, into an alliance which bade fair to crush the rising empire. But before their armies could join battle, a new enemy appeared in the east, as the Hyrkanians made their first real thrust at the western world. Reinforced by adventurers from east of Vilayet, the riders of Turan swept over Zamora, devastated eastern Corinthia, and were met on the plains of Brythunia by the Aquilonians who defeated them and hurled them flying eastward. But the back of the alliance was broken, and Nemedia took the defensive in future wars, aided occasionally by Brythunia and Hyperborea, and, secretly, as usual, by Koth. This defeat of the Hyrkanians showed the nations the real power of the western kingdom, whose splendid armies were augmented by mercenaries, many of them recruited among the alien Zingarans, and the barbaric Picts and Shemites. Zamora was reconquered from the Hyrkanians, but the people discovered that they had merely exchanged an eastern master for a western master. Aquilonian soldiers were quartered there, not only to protect the ravaged country, but also to keep the people in subjection. The Hyrkanians were not convinced; three more invasions burst upon the Zamorian borders, and the Lands of Shem, and were hurled back by the Aquilonians, though the Turanian armies grew larger as hordes of steel-clad riders rode out of the east, skirting the southern extremity of the inland sea.

But it was in the west that a power was growing destined to throw down the kings of Aquilonia from their high places. In the north there was incessant bickering along the Cimmerian borders between the black-haired warriors and the Nordheimir; and the Æsir, between wars with the Vanir, assailed Hyperborea and pushed back the frontier, destroying city after city. The Cimmerians also fought the Picts and Bossonians impartially, and several times raided into Aquilonia itself, but their wars were less invasions than mere plundering forays.

But the Picts were growing amazingly in population and power. By a strange twist of fate, it was largely due to the efforts of one man, and he an alien, that they set their feet upon the ways that led to eventual empire. This man was Arus, a Nemedian priest, a natural-born reformer. What turned his mind toward the Picts is not certain, but this much is history — he determined to go into the western wilderness and modify the rude ways of the heathen by the introduction of the gentle worship of Mitra. He was not daunted by the grisly tales of what had happened to traders and explorers before him, and by some whim of fate he came among the people he sought, alone and unarmed, and was not instantly speared.

The Picts had benefited by contact with Hyborian civilization, but they had always fiercely resisted that contact. That is to say, they had learned to work crudely in copper and tin, which were found scantily in their country, and for which latter metal they raided into the mountains of Zingara, or traded hides, whale's teeth, walrus tusks and such few things as savages have to trade. They no longer lived in caves and tree-shelters, but built tents of hides, and crude huts, copied from those of the Bossonians. They still lived mainly by the chase, since their wilds swarmed with game of all sorts, and the rivers and sea with fish, but they had learned how to plant grain, which they did sketchily, preferring to steal it from their neighbors the Bossonians and Zingarans. They dwelt in clans which were generally at feud with each other, and their simple customs were blood-thirsty and utterly inexplicable to a civilized man, such as Arus of Nemedia. They had no direct contact with the Hyborians, since the Bossonians acted as a buffer between them. But Arus maintained that they were capable of progress, and events proved the truth of his assertion — though scarcely in the way he meant.

Arus was fortunate in being thrown in with a chief of more than usual intelligence — Gorm by name. Gorm cannot be explained, any more than Genghis Khan, Othman, Attila, or any of those individuals, who, born in naked lands among untutored barbarians, yet possess the instinct for conquest and empire-building. In a sort of bastard-Bossonian, the priest made the chief understand his purpose, and though extremely puzzled, Gorm gave him permission to remain among his tribe unbutchered — a case unique in the history of the race. Having learned the language Arus set himself to work to eliminate the more unpleasant phases of Pictish life — such as human sacrifice, blood-feud, and the burning alive of captives. He harangued Gorm at length, whom he found to be an interested, if unresponsive listener. Imagination reconstructs the scene — the black-haired chief, in his tiger-skins and necklace of human teeth, squatting on the dirt floor of the wattle hut, listening intently to the eloquence of the priest, who probably sat on a carven, skin-covered block of mahogany provided in his honor — clad in the silken robes of a Nemedian priest, gesturing with his slender white hands as he expounded the eternal rights and justices which were the truths of Mitra. Doubtless he pointed with repugnance at the rows of skulls which adorned the walls of the hut and urged Gorm to forgive his enemies instead of putting their bleached remnants to such use. Arus was the highest product of an innately artistic race, refined by centuries of civilization; Gorm had behind him a heritage of a hundred thousand years of screaming savagery — the pad of the tiger was in his stealthy step, the grip of the gorilla in his black-nailed hands, the fire that burns in a leopard's eyes burned in his.

Arus was a practical man. He appealed to the savage's sense of material gain; he pointed out the power and splendor of the Hyborian kingdoms, as an example of the power of Mitra, whose teachings and works had lifted them up to their high places. And he spoke of cities, and fertile plains, marble walls and iron chariots, jeweled towers, and horsemen in their glittering armor riding to battle. And Gorm, with the unerring instinct of the barbarian, passed over his words regarding gods and their teachings, and fixed on the material powers thus vividly described. There in that mud-floored wattle hut, with the silk-robed priest on the mahogany block, and the dark-skinned chief crouching in his tiger-hides, was laid the foundations of empire.

As has been said, Arus was a practical man. He dwelt among the Picts and found much that an intelligent man could do to aid humanity, even when that humanity was cloaked in tiger-skins and wore necklaces of human teeth. Like all priests of Mitra, he was instructed in many things. He found that there were vast deposits of iron ore in the Pictish hills, and he taught the natives to mine, smelt and work it into implements — agricultural implements, as he fondly believed. He instituted other reforms, but these were the most important things he did: he instilled in Gorm a desire to see the civilized lands of the world; he taught the Picts how to work in iron; and he established contact between them and the civilized world. At the chief's request he conducted him and some of his warriors through the Bossonian marches, where the honest villagers stared in amazement, into the glittering outer world.

Arus no doubt thought that he was making converts right and left, because the Picts listened to him, and refrained from smiting him with their copper axes. But the Pict was little calculated to seriously regard teachings which bade him forgive his enemy and abandon the war-path for the ways of honest drudgery. It has been said that he lacked artistic sense; his whole nature led to war and slaughter. When the priest talked of the glories of the civilized nations, his dark-skinned listeners were intent, not on the ideals of his religion, but on the loot which he unconsciously described in the narration of rich cities and shining lands. When he told how Mitra aided certain kings to overcome their enemies, they paid scant heed to the miracles of Mitra, but they hung on the description of battle-lines, mounted knights, and maneuvers of archers and spearmen. They harkened with keen dark eyes and inscrutable countenances, and they went their ways without comment, and heeded with flattering intentness his instructions as to the working of iron, and kindred arts.

Before his coming they had filched steel weapons and armor from the Bossonians and Zingarans, or had hammered out their own crude arms from copper and bronze. Now a new world opened to them, and the clang of sledges re-echoed throughout the land. And Gorm, by virtue of this new craft, began to assert his dominance over other clans, partly by war, partly by craft and diplomacy, in which latter art he excelled all other barbarians.

Picts now came and went freely into Aquilonia, under safe-conduct, and they returned with more information as to armor-forging and sword-making. More, they entered Aquilonia's mercenary armies, to the unspeakable disgust of the sturdy Bossonians. Aquilonia's kings toyed with the idea of playing the Picts against the Cimmerians, and possibly thus destroying both menaces, but they were too busy with their policies of aggression in the south and east to pay much heed to the vaguely known lands of the west, from which more and more stocky warriors swarmed to take service among the mercenaries.

These warriors, their service completed, went back to their wilderness with good ideas of civilized warfare, and that contempt for civilization which arises from familiarity with it. Drums began to beat in the hills, gathering-fires smoked on the heights, and savage sword-makers hammered their steel on a thousand anvils. By intrigues and forays too numerous and devious to enumerate, Gorm became chief of chiefs, the nearest approach to a king the Picts had had in thousands of years. He had waited long; he was past middle age. But now he moved against the frontiers, not in trade, but in war.

Arus saw his mistake too late; he had not touched the soul of the pagan, in which lurked the hard fierceness of all the ages. His persuasive eloquence had not caused a ripple in the Pictish conscience. Gorm wore a corselet of silvered mail now, instead of the tiger-skin, but underneath he was unchanged — the everlasting barbarian, unmoved by theology or philosophy, his instincts fixed unerringly on rapine and plunder.

The Picts burst on the Bossonian frontiers with fire and sword, not clad in tiger-skins and brandishing copper axes as of yore, but in scale-mail, wielding weapons of keen steel. As for Arus, he was brained by a drunken Pict, while making a last effort to undo the work he had unwittingly done. Gorm was not without gratitude; he caused the skull of the slayer to be set on the top of the priest's cairn. And it is one of the grim ironies of the universe that the stones which covered Arus's body should have been adorned with that last touch of barbarity — above a man to whom violence and blood-vengeance were revolting.

But the newer weapons and mail were not enough to break the lines. For years the superior armaments and sturdy courage of the Bossonians held the invaders at bay, aided, when necessary, by imperial Aquilonian troops. During this time the Hyrkanians came and went, and Zamora was added to the empire.

Then treachery from an unexpected source broke the Bossonian lines. Before chronicling this treachery, it might be well to glance briefly at the Aquilonian empire. Always a rich kingdom, untold wealth had been rolled in by conquest, and sumptuous splendor had taken the place of simple and hardy living. But degeneracy had not yet sapped the kings and the people; though clad in silks and cloth-of-gold, they were still a vital, virile race. But arrogance was supplanting their former simplicity. They treated less powerful people with growing contempt, levying more and more tributes on the conquered. Argos, Zingara, Ophir, Zamora and the Shemite countries were treated as subjugated provinces, which was especially galling to the proud Zingarans, who often revolted, despite savage retaliations.

Koth was practically tributary, being under Aquilonia's "protection" against the Hyrkanians. But Nemedia the western empire had never been able to subdue, although the latter's triumphs were of the defensive sort, and were generally attained with the aid of Hyperborean armies. During this period Aquilonia's only defeats were: her failure to annex Nemedia; the rout of an army sent into Cimmeria; and the almost complete destruction of an army by the Æsir. Just as the Hyrkanians found themselves unable to withstand the heavy cavalry charges of the Aquilonians, so the latter, invading the snow-countries, were overwhelmed by the ferocious hand-to-hand fighting of the Nordics. But Aquilonia's conquests were pushed to the Nilus, where a Stygian army was defeated with great slaughter, and the king of Stygia sent tribute — once at least — to divert invasion of his kingdom. Brythunia was reduced in a series of whirlwind wars, and preparations were made to subjugate the ancient rival at last — Nemedia.

With their glittering hosts greatly increased by mercenaries, the Aquilonians moved against their old-time foe, and it seemed as if the thrust were destined to crush the last shadow of Nemedian independence. But contentions arose between the Aquilonians and their Bossonian auxiliaries.

As the inevitable result of imperial expansion, the Aquilonians had become haughty and intolerant. They derided the ruder, unsophisticated Bossonians, and hard feeling grew between them — the Aquilonians despising the Bossonians and the latter resenting the attitude of their masters — who now boldly called themselves such, and treated the Bossonians like conquered subjects, taxing them exorbitantly, and conscripting them for their wars of territorial expansion — wars the profits of which the Bossonians shared little. Scarcely enough men were left in the marches to guard the frontier, and hearing of Pictish outrages in their homelands, whole Bossonian regiments quit the Nemedian campaign and marched to the western frontier, where they defeated the dark-skinned invaders in a great battle.

This desertion, however, was the direct cause of Aquilonia's defeat by the desperate Nemedians, and brought down on the Bossonians the cruel wrath of the imperialists — intolerant and short-sighted as imperialists invariably are. Aquilonian regiments were secretly brought to the borders of the marches, the Bossonian chiefs were invited to attend a great conclave, and, in the guise of an expedition against the Picts, bands of savage Shemitish soldiers were quartered among the unsuspecting villagers. The unarmed chiefs were massacred, the Shemites turned on their stunned hosts with torch and sword, and the armored imperial hosts were hurled ruthlessly on the unsuspecting people. From north to south the marches were ravaged and the Aquilonian armies marched back from the borders, leaving a ruined and devastated land behind them.

And then the Pictish invasion burst in full power along those borders. It was no mere raid, but the concerted rush of a whole nation, led by chiefs who had served in Aquilonian armies, and planned and directed by Gorm — an old man now, but with the fire of his fierce ambition undimmed. This time there were no strong walled villages in their path, manned by sturdy archers, to hold back the rush until the imperial troops could be brought up. The remnants of the Bossonians were swept out of existence, and the blood-mad barbarians swarmed into Aquilonia, looting and burning, before the legions, warring again with the Nemedians, could be marched into the west. Zingara seized this opportunity to throw off the yoke, which example was followed by Corinthia and the Shemites. Whole regiments of mercenaries and vassals mutinied and marched back to their own countries, looting and burning as they went. The Picts surged irresistibly eastward, and host after host was trampled beneath their feet. Without their Bossonian archers the Aquilonians found themselves unable to cope with the terrible arrow-fire of the barbarians. From all parts of the empire legions were recalled to resist the onrush, while from the wilderness horde after horde swarmed forth, in apparently inexhaustible supply. And in the midst of this chaos, the Cimmerians swept down from their hills, completing the ruin. They looted cities, devastated the country, and retired into the hills with their plunder, but the Picts occupied the land they had over-run. And the Aquilonian empire went down in fire and blood.

Then again the Hyrkanians rode from the blue east. The withdrawal of the imperial legions from Zamora was their incitement. Zamora fell easy prey to their thrusts, and the Hyrkanian king established his capital in the largest city of the country. This invasion was from the ancient Hyrkanian kingdom of Turan, on the shores of the inland sea, but another, more savage Hyrkanian thrust came from the north. Hosts of steel-clad riders galloped around the northern extremity of the inland sea, traversed the icy deserts, entered the steppes, driving the aborigines before them, and launched themselves against the western kingdoms. These newcomers were not at first allies with the Turanians, but skirmished with them as with the Hyborians; new drifts of eastern warriors bickered and fought, until all were united under a great chief, who came riding from the very shores of the eastern ocean. With no Aquilonian armies to oppose them, they were invincible. They swept over and subjugated Brythunia, and devastated southern Hyperborea, and Corinthia. They swept into the Cimmerian hills, driving the black-haired barbarians before them, but among the hills, where cavalry was less effectual, the Cimmerians turned on them, and only a disorderly retreat, at the end of a whole day of bloody fighting, saved the Hyrkanian hosts from complete annihilation.

While these events had been transpiring, the kingdoms of Shem had conquered their ancient master, Koth, and had been defeated in an attempted invasion of Stygia. But scarcely had they completed their degradation of Koth, when they were overrun by the Hyrkanians, and found themselves subjugated by sterner masters than the Hyborians had ever been. Meanwhile the Picts had made themselves complete masters of Aquilonia, practically blotting out the inhabitants. They had broken over the borders of Zingara, and thousands of Zingarans, fleeing the slaughter into Argos, threw themselves on the mercy of the westward-sweeping Hyrkanians, who settled them in Zamora as subjects. Behind them as they fled, Argos was enveloped in the flame and slaughter of Pictish conquest, and the slayers swept into Ophir and clashed with the westward-riding Hyrkanians. The latter, after their conquest of Shem, had overthrown a Stygian army at the Nilus and over-run the country as far south as the black kingdom of Amazon, of whose people they brought back thousands as captives, settling them among the Shemites. Possibly they would have completed their conquests in Stygia, adding it to their widening empire, but for the fierce thrusts of the Picts against their western conquests.

Nemedia, unconquerable by Hyborians, reeled between the riders of the east and the swordsmen of the west, when a tribe of Æsir, wandering down from their snowy lands, came into the kingdom, and were engaged as mercenaries; they proved such able warriors that they not only beat off the Hyrkanians, but halted the eastward advance of the Picts.

The world at that time presents some such picture: a vast Pictish empire, wild, rude and barbaric, stretches from the coasts of Vanaheim in the north to the southern-most shores of Zingara. It stretches east to include all Aquilonia except Gunderland, the northern-most province, which, as a separate kingdom in the hills, survived the fall of the empire, and still maintains its independence. The Pictish empire also includes Argos, Ophir, the western part of Koth, and the western-most lands of Shem. Opposed to this barbaric empire is the empire of the Hyrkanians, of which the northern boundaries are the ravaged lines of Hyperborea, and the southern, the deserts south of the lands of Shem. Zamora, Brythunia, the Border Kingdom, Corinthia, most of Koth, and all the eastern lands of Shem are included in this empire. The borders of Cimmeria are intact; neither Pict nor Hyrkanian has been able to subdue these warlike barbarians. Nemedia, dominated by the Æsir mercenaries, resists all invasions. In the north Nordheim, Cimmeria and Nemedia separate the conquering races, but in the south, Koth has become a battle-ground where Picts and Hyrkanians war incessantly. Sometimes the eastern warriors expel the barbarians from the kingdom entirely; again the plains and cities are in the hands of the western invaders. In the far south, Stygia, shaken by the Hyrkanian invasion, is being encroached upon by the great black kingdoms. And in the far north, the Nordic tribes are restless, warring continually with the Cimmerians, and sweeping the Hyperborean frontiers.

Gorm was slain by Hialmar, a chief of the Nemedian Æsir. He was a very old man, nearly a hundred years old. In the seventy-five years which had elapsed since he first heard the tale of empires from the lips of Arus — a long time in the life of a man, but a brief space in the tale of nations — he had welded an empire from straying savage clans, he had overthrown a civilization. He who had been born in a mud-walled, wattle-roofed hut, in his old age sat on golden thrones, and gnawed joints of beef presented to him on golden dishes by naked slave-girls who were the daughters of kings. Conquest and the acquiring of wealth altered not the Pict; out of the ruins of the crushed civilization no new culture arose phoenix-like. The dark hands which shattered the artistic glories of the conquered never tried to copy them. Though he sat among the glittering ruins of shattered palaces and clad his hard body in the silks of vanquished kings, the Pict remained the eternal barbarian, ferocious, elemental, interested only in the naked primal principles of life, unchanging, unerring in his instincts which were all for war and plunder, and in which arts and the cultured progress of humanity had no place. Not so with the Æsir who settled in Nemedia. These soon adopted many of the ways of their civilized allies, modified powerfully, however, by their own intensely virile and alien culture.

For a short age Pict and Hyrkanian snarled at each other over the ruins of the world they had conquered. Then began the glacier ages, and the great Nordic drift. Before the southward moving ice-fields the northern tribes drifted, driving kindred clans before them. The Æsir blotted out the ancient kingdom of Hyperborea, and across its ruins came to grips with the Hyrkanians. Nemedia had already become a Nordic kingdom, ruled by the descendants of the Æsir mercenaries. Driven before the onrushing tides of Nordic invasion, the Cimmerians were on the march, and neither army nor city stood before them. They surged across and completely destroyed the kingdom of Gunderland, and marched across ancient Aquilonia, hewing their irresistible way through the Pictish hosts. They defeated the Nordic-Nemedians and sacked some of their cities, but did not halt. They continued eastward, overthrowing a Hyrkanian army on the borders of Brythunia.

Behind them hordes of Æsir and Vanir swarmed into the lands, and the Pictish empire reeled beneath their strokes. Nemedia was overthrown, and the half-civilized Nordics fled before their wilder kinsmen, leaving the cities of Nemedia ruined and deserted. These fleeing Nordics, who had adopted the name of the older kingdom, and to whom the term Nemedian henceforth refers, came into the ancient land of Koth, expelled both Picts and Hyrkanians, and aided the people of Shem to throw off the Hyrkanian yoke. All over the western world, the Picts and Hyrkanians were staggering before this younger, fiercer people. A band of Æsir drove the eastern riders from Brythunia and settled there themselves, adopting the name for themselves. The Nordics who had conquered Hyperborea assailed their eastern enemies so savagely that the dark-skinned descendants of the Lemurians retreated into the steppes, pushed irresistibly back toward Vilayet.

Meanwhile the Cimmerians, wandering southeastward, destroyed the ancient Hyrkanian kingdom of Turan, and settled on the southwestern shores of the inland sea. The power of the eastern conquerors was broken. Before the attacks of the Nordheimr and the Cimmerians, they destroyed all their cities, butchered such captives as were not fit to make the long march, and then, herding thousands of slaves before them, rode back into the mysterious east, skirting the northern edge of the sea, and vanishing from western history, until they rode out of the east again, thousands of years later, as Huns, Mongols, Tatars and Turks. With them in their retreat went thousands of Zamorians and Zingarans, who were settled together far to the east, formed a mixed race, and emerged ages afterward as gypsies.

Meanwhile, also, a tribe of Vanir adventurers had passed along the Pictish coast southward, ravaged ancient Zingara, and come into Stygia, which, oppressed by a cruel aristocratic ruling class, was staggering under the thrusts of the black kingdoms to the south. The red-haired Vanir led the slaves in a general revolt, overthrew the reigning class, and set themselves up as a caste of conquerors. They subjugated the northern-most black kingdoms, and built a vast southern empire, which they called Egypt. From these red-haired conquerors the earlier Pharaohs boasted descent.

The western world was now dominated by Nordic barbarians. The Picts still held Aquilonia and part of Zingara, and the western coast of the continent. But east to Vilayet, and from the Arctic circle to the lands of Shem, the only inhabitants were roving tribes of Nordheimr, excepting the Cimmerians, settled in the old Turanian kingdom. There were no cities anywhere, except in Stygia and the lands of Shem; the invading tides of Picts, Hyrkanians, Cimmerians and Nordics had levelled them in ruins, and the once dominant Hyborians had vanished from the earth, leaving scarcely a trace of their blood in the veins of their conquerors. Only a few names of lands, tribes and cities remained in the languages of the barbarians, to come down through the centuries connected with distorted legend and fable, until the whole history of the Hyborian age was lost sight of in a cloud of myths and fantasies. Thus in the speech of the gypsies lingered the terms Zingara and Zamora; the Æsir who dominated Nemedia were called Nemedians, and later figured in Irish history, and the Nordics who settled in Brythunia were known as Brythunians, Brythons or Britons.

There was no such thing, at that time, as a consolidated Nordic empire. As always, the tribes had each its own chief or king, and they fought savagely among themselves. What their destiny might have been will not be known, because another terrific convulsion of the earth, carving out the lands as they are known to moderns, hurled all into chaos again. Great strips of the western coast sank; Vanaheim and western Asgard — uninhabited and glacier-haunted wastes for a hundred years — vanished beneath the waves. The ocean flowed around the mountains of western Cimmeria to form the North Sea; these mountains became the islands later known as England, Scotland and Ireland, and the waves rolled over what had been the Pictish wilderness and the Bossonian marches. In the north the Baltic Sea was formed, cutting Asgard into the peninsulas later known as Norway, Sweden and Denmark, and far to the south the Stygian continent was broken away from the rest of the world, on the line of cleavage formed by the river Nilus in its westward trend. Over Argos, western Koth and the western lands of Shem, washed the blue ocean men later called the Mediterranean. But where land sank elsewhere, a vast expanse west of Stygia rose out of the waves, forming the whole western half of the continent of Africa.

The buckling of the land thrust up great mountain ranges in the central part of the northern continent. Whole Nordic tribes were blotted out, and the rest retreated eastward. The territory about the slowly drying inland sea was not affected, and there, on the western shores, the Nordic tribes began a pastoral existence, living in more or less peace with the Cimmerians, and gradually mixing with them. In the west the remnants of the Picts, reduced by the cataclysm once more to the status of stone-age savages, began, with the incredible virility of their race, once more to possess the land, until, at a later age, they were overthrown by the westward drift of the Cimmerians and Nordics. This was so long after the breaking-up of the continent that only meaningless legends told of former empires.

This drift comes within the reach of modern history and need not be repeated. It resulted from a growing population which thronged the steppes west of the inland sea — which still later, much reduced in size, was known as the Caspian — to such an extent that migration became an economic necessity. The tribes moved southward, northward and westward, into those lands now known as India, Asia Minor and central and western Europe.

They came into these countries as Aryans. But there were variations among these primitive Aryans, some of which are still recognized today, others which have long been forgotten. The blond Achaians, Gauls and Britons, for instance, were descendants of pure-blooded Æsir. The Nemedians of Irish legendry were the Nemedian Æsir. The Danes were descendants of pure-blooded Vanir; the Goths — ancestors of the other Scandinavian and Germanic tribes, including the Anglo-Saxons — were descendants of a mixed race whose elements contained Vanir, AEsir and Cimmerian strains. The Gaels, ancestors of the Irish and Highland Scotch, descended from pure-blooded Cimmerian clans. The Cymric tribes of Britain were a mixed Nordic-Cimmerian race which preceded the purely Nordic Britons into the isles, and thus gave rise to a legend of Gaelic priority. The Cimbri who fought Rome were of the same blood, as well as the Gimmerai of the Assyrians and Grecians, and Gomer of the Hebrews. Other clans of the Cimmerians adventured east of the drying inland sea, and a few centuries later mixed with Hyrkanian blood, returned westward as Scythians. The original ancestors of the Gaels gave their name to modern Crimea.

The ancient Sumerians had no connection with the western race. They were a mixed people, of Hyrkanian and Shemitish bloods, who were not taken with the conquerors in their retreat. Many tribes of Shem escaped that captivity, and from pure-blooded Shemites, or Shemites mixed with Hyborian or Nordic blood, were descended the Arabs, Israelites, and other straighter-featured Semites. The Canaanites, or Alpine Semites, traced their descent from Shemitish ancestors mixed with the Kushites settled among them by their Hyrkanian masters; the Elamites were a typical race of this type. The short, thick-limbed Etruscans, base of the Roman race, were descendants of a people of mixed Stygian, Hyrkanian and Pictish strains, and originally lived in the ancient kingdom of Koth. The Hyrkanians, retreating to the eastern shores of the continent, evolved into the tribes later known as Tatars, Huns, Mongols and Turks.

The origins of other races of the modern world may be similarly traced; in almost every case, older far than they realize, their history stretches back into the mists of the forgotten Hyborian age...

Friday 12 May 2023

Friday's Sung Word: "Seja Breve" by Noel Rosa (in Portuguese)

Seja breve, seja breve
Não acredito que você se atreve
A prolongar sua conversa mole
(E não adianta)
Seja breve (conversa de Pedro)
Não amole
Senão acabo perdendo o controle
E vou cobrar o tempo que você me deve

Eu me ajoelho e fico de mãos postas
Só para ver você virar as costas
E quando vejo que você vai longe
Eu comemoro sua ausência com champanhe
Deus lhe acompanhe

A sua vida nem você escreve
E além disso você tem mão leve
Eu só desejo ver você nas grades
Pra te dizer baixinho sem fazer alarde
Deus lhe guarde

Vou conservar a porta bem fechada
Com um cartaz: "é proibida a entrada"
E você passa a ser pessoa estranha
Meu bolso fica livre dos ataques seus
Graças a Deus.

 



You can listen "Seja Breve" sung by João Petra de Barros e Luiz Barbosa (also tapping the straw boater hat) with Custódio Mesquita at the piano here.