Thursday, 20 November 2025

Thursday's Serial: “Journal Spirituel” by Sœur Marie de Saint-Pierre (in French) - III.

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L’ÉPREUVE...

NOTRE-DAME DE LA PEINIÈRE

« J’eus l’inspiration d’aller faire un pèlerinage à Notre-Dame de la Peinière: cette vierge miraculeuse m’avait déjà obtenu du Ciel une grâce signalée. Sa chapelle, à six lieues de Rennes, dépendait de la paroisse de Saint-Didier. Comme je connaissais beaucoup Monsieur le Curé de ce lieu et aussi que j’y avais une de mes amies, j’obtins facilement la permission de m’y rendre. Je partis, pleine de confiance, afin de demander à Marie la guérison de mon directeur, pour preuve de ma vocation, et la prier de rompre enfin mes liens.

— Ah ! disais-je, je suis comme un oiseau enfermé dans une cage et qui ne trouve pas une petite ouverture pour s’envoler !

Dans la voiture, je trouvai un bon prêtre avec qui je liai conversation; je lui parlai de la sainte Vierge, et, voyant que cela lui plaisait beaucoup, je lui citai plusieurs histoires à la gloire de cette bonne Mère, et je l’entretins de l’archiconfrérie du saint Cœur de Marie, ce qui me procura un très grand plaisir: car la sainte Vierge faisait mes délices, et j’aimais à la glorifier selon mon petit pouvoir. Enfin j’arrivai à Saint-Didier. Ayant fait mes dévotions dans cette église, Notre-Seigneur, après mon action de grâces, daigna se communiquer à mon âme au sujet de ma vocation.

Mais, pour éclaircir les paroles que je vais rapporter, il faut que je dise une des raisons qui me faisaient craindre de ne pas être reçue aux Carmélites: c’est que mes parents, n’étant pas riches, ne pouvaient me donner qu’une petite dot de six cents francs. J’avais demandé à un ecclésiastique de ma connaissance d’avoir la charité de m’aider; il avait de la fortune, mais il me témoigna son regret de ne pouvoir m’obliger, à cause d’une charge considérable qu’il avait alors. Peut-être avais-je manqué d confiance en la divine Providence. Notre-Seigneur par la communication qu’il me fit, et dont je vais rapporter quelques mots, me remplit de consolation. Je crois me rappeler que, cette fois encore, il me montra une croix, et, répondant à mes inquiétudes :

— La vocation que je vous ai donnée — me dit-il — n’est-elle pas plus que la dot ?

Me faisant comprendre que si sa miséricorde infinie m’avait accordé cette première grâce d’un prix inestimable, Il serait assez puissant pour m’accorder la seconde, qui était bien moindre. Il me dit ensuite :

— Allez à ma Mère ; c’est par elle que je vous exaucerai.

Oh ! comme je la priai, cette bonne Mère, de briser mes liens et de s’occuper de ma vocation! Je goûtais tant de douceurs auprès de cette chère consolatrice des affligés! Je répandais mon cœur en sa présence avec le plus filial abandon! Elle ne fut pas sourde à mes vœux, et je reçus de son divin Fils de très grandes grâces pendant cette neuvaine. Je regrette pour la gloire de la très saint Vierge de n’en avoir pas conservé le détail par écrit. Je crois me rappeler que Notre-Seigneur ordonnait qu’on me permît, sans plus de délai, de suivre sa volonté. J’écrivis exactement à mon directeur tout ce qui se passa dans mon âme, et je portai cette grande lettre à la très sainte Vierge, afin qu’elle la bénit et qu’elle eût la bonté de toucher le cœur de celui à qui je devais la remettre.

— O ma bonne Mère, lui dis-je avec simplicité, je ne veux plus être obligée, cet hiver, de travailler à des robes de vanité; je veux m’occuper à louer votre divin Fils. Tenez, je vous remets les instruments de mon travail.

Je n’y sentais aucun attrait — pour les religieuses Hospitalières de Rennes — j’y aurais cependant consenti plutôt qu’à rester dans le monde. Quel fut mon embarras! Je ne connaissais point de maison de Carmélites, hors celle du Mans, qui ne pouvait pas me recevoir; je ne savais pas qu’il y en eût une à Tours et à Morlaix. J’allai donc dans mon petit oratoire, et je dis à sainte Thérèse et à saint Jean de la Croix, que j’avais en image :

— Hélas ! vous ne voulez donc point de moi ?

Me rencontrant un jour en ville, il me manifesta le désir de savoir si vraiment je voulais être religieuse. Comme je n’avais pas envie de faire à ce bon père ma direction au milieu de la rue, je remis cette franche déclaration à un autre jour et dans un lieu commode; et comme il était riche, je me proposai d’intéresser sa charité en ma faveur, et je me rendis chez lui, un après-midi, pour lui faire visite. Là, Notre-Seigneur m’attendait pour couronner cette longue série d’épreuves. Je me suis mise, par respect, aux pieds de ce bon vieillard, et je lui parlai de mon affaire. Mais lui, ignorant combien la terre de ma pauvre âme avait été labourée depuis cinq ans, voulut encore m’éprouver; il commença par m’humilier vivement et d’une manière inattendue, disant son bréviaire sans paraître se soucier de moi ni vouloir m’écouter; puis il m’ordonna de me relever et me congédia brusquement. Je respectai la volonté de Dieu dans celle de son ministre, et Notre-Seigneur m’en récompensa: cette épreuve fut presque la dernière que j’eus à subir dans le monde, et ce digne prêtre, favorable à mes désirs, eut la bonté de me faire un petit don.

Huit jours seulement s’étaient écoulés depuis le retour de mon pèlerinage; et, comme je l’ai dis, la dernière fois que j’avais vu mon directeur, il semblait presque décidé à m’envoyer aux Hospitalières. J’étais dans une alternative assez pénible, moi qui avais tant désiré habiter le désert du Carmel; l’esprit de retraité, de silence, d’oraison, avait tant d’attraits pour mon cœur! Et dans cet ordre des Hospitalières, il fallait soigner les malades, et, ce qui me répugnait davantage, ensevelir les morts, dont j’avais grande peur.

« Vous serez Carmélite »

Le Seigneur, dans sa bonté, me tira d’inquiétude; il m’avait promis de m’exaucer par l’entremise de sa sainte Mère, et il tint sa promesse: le neuvième jour après mon pèlerinage, il m’attira à lui après la sainte Communion avec une miséricorde infinie, et me dit à peu près ces paroles :

— Ma fille, je vous aime trop pour vous abandonner plus longtemps à vos perplexités ; vous ne serez point Hospitalière ; ce n’est qu’une épreuve ; on s’occupe de votre réception ; sous serez Carmélite.

Et une voix puissante répéta plusieurs fois : « Vous serez Carmélite ». Et je crois que Notre-Seigneur ajouta : « Carmélite à Tours ». Mais ne connaissant point ce pays, ne sachant si jamais il y avait eu des Carmélites à Tours, et craignant qu’en cela il n’y eût une illusion, parce que j’étais persuadée que mon directeur ne pensait plus à m’envoyer aux Carmélites, je me demandais : Que faire ? Il fallait pourtant écrire cette communication et la lui porter, selon ma coutume. Je n’étais pas trop fière, je crois, en lui remettant ma petite lettre. Mais, ô bonté infinie de mon Dieu! quel fut mon étonnement lorsqu’il me dit :

— Ma fille, vous êtes reçue chez les Carmélites de Tours.

Oh! quelle charmante nouvelle ! Que je goûtai de bonheur en ce jour, que j’avais tant désiré! Et quelle reconnaissance pour Notre-Seigneur et pour sa sainte Mère, qui avaient si promptement exaucé les vœux que je leur avait adressés dans mon pèlerinage !

Cette bonne mère,[1] pleine de charité, lui avait tout de suite répondu qu’elle voulait bien me recevoir. Mais comment tout cela s’est-il fait, Pourquoi le Seigneur marque-t-il une volonté si particulière de m’appeler à Tours, éloigné de soixante lieues de mon pays, tandis qu’il y a des Carmélites à Nantes et à Morlaix, bien plus près de ma famille ? Je demandai à mon confesseur s’il était en rapport avec cette maison: il me dit que, passant à Tours, il avait eu la pensée de faire une visite aux Carmélites ; mais il n’y était point allé et ne les connaissait point. Le Révérende Mère prieure avait encore moins contribué à cette affaire, puisqu’elle fut tout étonnée qu’un prêtre dont elle savait a peine le nom par ouï-dire lui proposât une postulante. Quel était donc ce mystère ? Ah ! je le comprends : c’est que saint Martin n’oubliait pas ma prière, et l’accueillit sans doute lorsque, dans sa chapelle et au jour de sa fête, je lui confiai mes peines et le soin de me trouver un asile dans son diocèse. Voici encore une chose remarquable à ce sujet. La Révérende Mère prieure des Carmélites de Tours avait remis mon entrée après la Toussaint, terme bien éloigné pour mes désirs. C’étaient deux mois encore à passer dans le monde! Néanmoins cette époque n’était point fixée par hasard, puisque je quittai la Bretagne le jour même de la fête de saint Martin, qui voulait me montrer d’une manière évidente qu’il était mon libérateur.

Comme je l’ai dit, mon père était maître serrurier; il faisait bien ses affaires, mais le bon Dieu l’éprouvait souvent. Il avait été obligé de subvenir aux frais de longues maladies; ma sœur aînée était encore malade à cette époque; mon frère aîné était tombé au sort, et, pour lui acheter un remplaçant, on avait payé près de deux mille francs, auxquels mes bonnes tantes avaient contribué. Alors, on se trouvait dans l’impossibilité de me fournir plus de six cents francs; mais Notre-Seigneur m’avait fait entendre que celui qui m’avait donné la vocation saurait bien pourvoir à ma dot: ce qui arriva, car la très sainte Vierge me rendit, avec une largesse digne de sa munificence, l’aumône que je lui avait offerte pour la construction de sa nouvelle chapelle. Une jeune demoiselle qui s’appelait Marie, avec laquelle mon directeur m’avait fait pratiquer la vertu de mortification, lorsqu’il la disposait à entrer dans une congrégation religieuse, se chargea de suppléer largement à ce qui manquait.

Qu’avais-je à faire, après tant de grâces reçues par la médiation de la très sainte Vierge? Ah! Notre-Seigneur avait bien dit :

— Adressez-vous à ma Mère, c’est par elle que je vous exaucerai...

Paroles remarquables dont je conserverai toujours le précieux souvenir. Il me restait donc un devoir sacré à remplir envers Marie, celui de la reconnaissance. Je sollicitai la permission de retourner à sa sainte chapelle pour la remercier de tous ses bienfaits par une neuvaine d’actions de grâces, ce qui me fut accordé. Je fis mes adieux à ma puissante protectrice et lui recommandai le nouvel état que j’allais embrasser, et qui devait m’attacher à elle et à son divin Fils par des nœuds si doux. Dans la simplicité de mon âme, je lui avais demandé ce cher Fils pour Époux; elle avait enfin consenti à me l’accorder, malgré mon indignité ; mon cœur n’avait plus rien à désirer, si ce n’est le jour fortuné de ces noces spirituelles. » [2]

En attendant le départ…

« Pour moi, je désirais avec ardeur le jour de mon départ. On attendait une religieuse qui devait se diriger vers la Touraine, et c’est à elle qu’on voulait me confier pour le voyage ; mais elle n’arrivait point, et je brûlais du désir de partir. Alors mon bon père se décida à quitter son atelier pour quelques jours, afin de venir lui-même m’offrir au Seigneur. Je n’avais pas eu de peine à obtenir son consentement, car il savait tout sacrifier au bon Dieu quand il connaissait sa volonté. Je fis avec grande joie mes adieux à mon pays et à ma famille, quoique je les aimasse et que j’en fusse aimée; mais comme j’avais un si vif désir d’aller servir la sainte Famille au Carmel, cela m’empêchait de sentir la douleur d’une telle séparation, toujours très pénible à la nature.

J’allai aussi faire mes adieux à celui qui m’avait dirigée dans ma vocation. Il m’assura de ma persévérance, en me disant que la démarche serait durable, qu’il en avait bien la confiance. Cependant, craignant peut-être que la voie par laquelle Notre-Seigneur me faisait marcher ne fût pas assez en harmonie avec la vie de communauté, il me dit :

— Ma fille, tâchez de suivre une route toute commune; quand une religieuse est conduite par une voie extraordinaire, elle est obligée de demander des confesseurs extraordinaires, et cela n’est point commode en communauté.

Puis, comme dernier présage, il ajouta :

— Faites vite ce que vous avez à faire; hâtez-vous de vous sanctifier, car je prévois que votre course ne sera pas longue.

Il me donna d’autres conseils utiles, et je reçus sa dernière bénédiction. »

 

[1] La mère Supérieure du Carmel de Tours.

[2] Document A, page 39.

 

 

4

LE CARMEL DE TOURS – DÉPART DE RENNES

« Je partis de Rennes, accompagnée de mon vertueux père, le 11 novembre 1839, jour de la fête de saint Martin, mon cher protecteur, et je me dirigeai vers la Touraine, ma nouvelle patrie. J’arrivai à Tours le 13, et j’entrai tout de suite aux Carmélites, à cinq heures du soir; et, ce qui est remarquable, c’est que saint Martin me présentait à « tous les saints du Carmel », dont on célébrait la fête le lendemain. J’étais sûre que ces bons saints ne me refuseraient pas au jour d’une si belle fête; je les avais beaucoup priés de m’admettre dans leur famille; ils ne pouvaient me donner une preuve plus certaine de ma persévérance qu’en me recevant à pareil jour. »

Perrine ne s’attardât pas à visiter Tour…

« Cela m’importait peu; en descendant de la diligence, mon père me conduisit aux Carmélites ; il me donna sa bénédiction et me dit, tout ému, en m’embrassant pour la dernière fois, que c’était la volonté de Dieu qui lui faisait faire son sacrifice. Pauvre père! que le bon Dieu saura bien récompenser votre admirable résignation à ses ordres !... Bientôt la porte s’ouvre, et mon père me remet entre les mains d’une nouvelle famille qui se présente pour me recevoir. Si je faisais à Dieu dans ce moment le sacrifice d’un bon père, il me donnait à la place une bonne mère qui devait, dans sa grande charité, rendre à mon âme des services d’un prix inestimable. C’était la très Révérende Mère Marie de l’Incarnation, alors prieure et en même temps maîtresse des novices. Il me semble que Notre-Seigneur me fit entendre un jour, comme j’étais encore dans le monde, que la mère qu’il me destinait aurait une grâce spéciale pour me diriger dans ses voies. Ce qui est certain, c’est que cela se réalisa lorsqu’elle eut connaissance de mon intérieur; ce qui n’arriva pas tout de suite, mais quand le bon Dieu le jugea convenable pour sa gloire et le salut de mon âme.

 

BOUT-EN-TRAIN

La première chose que notre très Révérende Mère me fit faire, après que j’eus embrassé mes nouvelles sœurs, fut de me conduire aux pieds de Marie, ma bonne Mère, pour la remercier de mon admission dans la sainte maison du Carmel, et me mettre sous sa puissante protection. Bientôt après vint l’heure de la récréation, où je fus invitée à chanter des couplets: je ne me fis pas prier. Il y a longtemps que je les chantais d’avance, en attendant le jour fortuné de mon entrée au Carmel; ils commençaient par ces mots :

 

Bénissons Dieu, je suis dans un asile

Après lequel j’ai toujours soupiré.

Ici pour Dieu je vais vivre tranquille,

Loin des mondains, loin de l’iniquité.

 

J’avais ainsi une quinzaine de couplets; je les chantais avec un air si gai et si content, qu’on ne pensait point à m’interrompre.

À ce moment-là, la Prieure arrive…

— Eh bien ! vous avez été bien pressée de montrer petit talent ? Voyons si vous savez encore quelque chose ?

— Oh ! ma Révérende Mère, je vous ai gardé ce que j’avais de mieux !

Cette franche gaieté était déjà pour moi une preuve de vocation au Carmel ; car notre sainte mère Thérèse ne voulait point de sujets tristes et mélancoliques : je savais très bien cela. Le jour suivant, on me fit assister à l’office divin; là j’eus une tentation assez risible, et comme c’est la seule que je me rappelle avoir éprouvé contre ma vocation, je la rapporterai. Voyant l’hebdomadaire, les chants, les versiculaires et certaines religieuses se rendre au milieu du chœur, faire des salutations, dire quelques mots en latin, puis s’en revenir, et bientôt d’autres aller à leur place, je fus tout effrayée de tant de cérémonies; je pensai que jamais je n’aurais l’intelligence d’en faire autant, ni de savoir quand ce serait à mon tour d’aller ainsi. Je dis alors qu’il était peut-être plus expédient pour moi de prendre mon petit paquet et de m’en retourner en Bretagne. Mais comment faire? Je n’ai qu’un louis de quarante francs dans ma petite bourse; ce n’est peut-être pas suffisant pour un si long voyage ; et d’abord, j’oublie que je l’ai déjà donné à la bonne Mère : prenons donc patience, et nous verrons ! On me conduisit au confessionnal : autre déboire ; j’aperçois une plaque de fer blanc, percée de petits trous, et placée sur la grille selon l’usage. On me dit qu’il faudra parler par cet endroit au confesseur qui m’est destiné; mais prenons patience encore, nous verrons comment on s’en tirera. On me conduisit au noviciat; là, je trouvai le saint Enfant-Jésus et la sainte Famille, objets chéris de mon cœur. Dès lors cette sainte Famille, pour qui j’avais quitté le monde afin d’aller la servir au Carmel, que je savais lui être spécialement dévoué, m’y fit trouver tout facile et agréable; il me semblait y avoir déjà passé plusieurs années. Je compris bien alors, par ma propre expérience, qu’il y a non seulement vocation d’ordre, mais aussi vocation de maison; car je n’éprouvais pas d’attrait à demeurer dans un autre couvent ; et au contraire, dès en entrant dans celui de Tours, je sentis que j’étais où Dieu me voulait. » [1]

 

[1] Document A - page 42.

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